Jean-Paul II et la France

Conscient de la place de la France dans l’histoire de l’Église, Jean-Paul II a exprimé dès le début de son pontificat son intérêt et son estime pour cette nation. Cet attachement s’est manifesté par ses nombreux voyages en France – avec en particulier deux pèlerinages à Lourdes -, mais aussi par le maintien de la présence française à Rome, par des canonisations et béatifications de Français et par l’élévation de Thérèse de l’Enfant Jésus à la dignité de docteur de l’Église. Le dernier voyage du pape Jean-Paul II a d’ailleurs été en France.

L’attachement de Jean-Paul II à la France
Le 27 mai 1980, trois jours avant son premier voyage pastoral en France, Jean- Paul II s’adressait en ces termes aux Français : « Tout d’abord, la France est la fille aînée de l’Église. Et elle a engendré tant de saints. Je pourrai ajouter qu’il existe sur le sol de France beaucoup de lieux auxquels je me rends souvent en pèlerinage par la prière et par le cœur (…) Comment ne pas évoquer aussi, dans cette perspective, l’œuvre culturelle de votre pays, son apport à la culture générale et dans le domaine proprement catholique ? Que de noms illustres dans votre tradition séculaire. Oui, au cours de ce même siècle, que de figures dont le rayonnement a dépassé vos frontières, et dont beaucoup me sont personnellement très proches (…) Je pense à l’influence que la culture française, dans les domaines de la philosophie, de l’histoire, de la littérature et que la pensée de théologiens français ont exercée et exercent toujours sur tant d’hommes et de sociétés (…) L’Église doit au peuple de France, qui a beaucoup reçu et aussi beaucoup donné, quelques unes de ses plus belles pages : des grands ordres religieux, tels que Cîteaux et les Chartreux, aux cathédrales, ou à l’épopée missionnaire commencée au siècle dernier ».

Jean-Paul II s’est ainsi exprimé plusieurs fois sur les raisons de son attachement à la France, attachement qui explique que cette nation ait été la plus visitée par le Saint Père, avec celle de Pologne. Dès ses premiers discours, en 1980, Jean-Paul II soulignait son attrait pour ces sanctuaires – Ars, Lisieux, Lourdes, Sainte-Anne d’Auray, etc – qui seront effectivement les étapes de ses voyages en France.

Cet attachement s’expliquait aussi par le parcours de Karol Wojtyla : Deux Français ont participé indirectement à sa formation alors qu’il se destinait au sacerdoce. D’abord saint Louis-Marie Grignion de Montfort, dont Karol Wojtyla a découvert le Traité de la vraie dévotion à la Vierge Marie. Il lui a emprunté sa devise Totus tuus (« Tout à toi »), formule de consécration à la Vierge Marie. Également saint Jean-Marie Vianney, le Curé d’Ars dont il s’inspirait quand il embrassait le sol d’un pays qu’il visitait pour la première fois. Il a été impressionné par le « ministère héroïque » du Curé d’Ars à son confessionnal. Formé à l’université polonaise, le futur Pape a découvert les penseurs allemands ou slaves, mais son anthropologie héritée de saint Thomas d’Aquin se nourrissait également du personnalisme né en France dans les années Trente autour d’Emmanuel Mounier.

Au cours de ses études, il avait eu l’occasion de découvrir la France pendant l’été 1947. Il avait été séduit par les cathédrales gothiques, mais aussi par l’expérience naissante des prêtres ouvriers, qui lui avait inspiré son premier article dans le journal Tygodnik Powszechny.

Des relations de confiance
Jean-Paul II a effectué huit voyages en France (sept en métropole et un à La Réunion) : visitant plusieurs régions, il s’est recueilli dans les principaux sanctuaires et s’est aussi rendu auprès d’organisations internationales présentes sur le sol français comme l’UNESCO et le Parlement européen. Enfin, le succès spectaculaire des XIIes Journées mondiales de la jeunesse, qu’il a présidées en août 1997 à Paris, a constitué un événement majeur dans la vie de l’Église en France.

Cet intérêt de Jean-Paul II pour la France s’est aussi manifesté à travers la présence française à Rome, qui a été maintenue durant son pontificat : plusieurs cardinaux ont occupé des postes clé à la Curie romaine durant de longues années : outre ses nombreux voyages effectués à la demande du Pape, le cardinal Roger Etchegaray a présidé les conseil pontificaux justice et paix et Cor unum, puis le Comité pour le jubilé de l’an 2000 ; le cardinal Paul Poupard a présidé le Conseil pontifical pour la culture ; Mgr Jean-Louis Tauran a été en charge de la diplomatie vaticane. Jean-Paul II avait également nommé le généticien Jérôme Lejeune à la tête de l’Académie pontificale pour la vie et l’économiste Edmond Malinvaud à celle des sciences sociales. Le pape Jean-Paul II a toujours suivi attentivement les recherches théologiques en France, élevant au cardinalat de grands théologiens français, comme Yves Congar et Henri de Lubac.

Les relations de Jean-Paul II et de l’Église catholique en France étaient empreintes d’estime réciproque, régulièrement vérifiée à l’occasion des visites ad limina des évêques à Rome, dont les dernières se sont déroulées de novembre 2003 à février 2004.

Jean-Paul II a canonisé une trentaine de Français : des martyrs en Chine (Jean- Gabriel Perboyre), en Corée et au Vietnam, des fondateurs de congrégations religieuses (Eugène de Mazenod, Claudine Thévenet, Marie-Léonie Aviat). Il a béatifié près de deux cents Français (Frédéric Ozanam, des martyrs de Vendée). Les deux derniers Français béatifiés par Jean-Paul II – le 3 octobre dernier – étaient Pierre Vigne et Marie-Joseph Cassant. Jean-Paul II a aussi élevé Thérèse de l’Enfant Jésus à la dignité de docteur de l’Église.

Le schisme lefebvriste
Le schisme lefebvriste, en revanche, a été douloureusement ressenti par Jean- Paul II. Arc-bouté sur une conception fondamentaliste de la tradition, Mgr Marcel Lefebvre s’était insurgé dès Vatican II contre l’abandon de la messe en latin et la reconnaissance de la liberté religieuse. En 1976, Paul VI l’avait suspendu de ses fonctions sacerdotales après qu’il eut ordonné des prêtres sans autorisation. Le prélat dissident a désapprouvé la visite de Jean-Paul II à la synagogue de Rome et la rencontre interreligieuse pour la paix à Assise en 1986. Le 30 juin 1988, Mgr Lefebvre a été excommunié par Rome pour avoir consacré quatre évêques de sa propre autorité. La mort de Mgr Lefebvre a freiné le développement de sa mouvance.

Les relations de Jean-Paul II avec les dirigeants français
Le régime de séparation de l’Église et de l’État en France a limité les relations de Jean-Paul II avec les dirigeants français. Cependant, lors de ses visites, le Pape a été accueilli à chaque fois par le président de la République et/ou le Premier ministre. De son côté, Jacques Chirac a effectué au Vatican une « visite d’État » en janvier 1996, au cours de laquelle, selon la tradition, il est allé prendre possession de sa stalle de chanoine d’honneur de Saint-Jean-de- Latran. Au mois d’octobre de la même année, en réponse à l’allocution de Jacques Chirac qui l’accueillait à son arrivée à Tours, Jean-Paul II tenait les propos suivants au président de la République française : « La France, une des plus anciennes nations de ce continent, a un rôle important à jouer dans la famille des nations, en particulier dans le cadre de la construction européenne » (Discours du 19 septembre 1996).

Le 12 février 2005, dans une lettre sur la laïcité en France – dernière lettre qu’il a adressée aux évêques français – Jean-Paul II analysait en ces termes la laïcité à la française : « Le centième anniversaire de cette loi [de séparation des Églises et de l’État] peut être aujourd’hui l’occasion de réfléchir sur l’histoire religieuse en France au cours du siècle écoulé, considérant les efforts réalisés par les différentes parties en présence pour maintenir le dialogue, efforts couronnés par le rétablissement des relations diplomatiques et par l’entente scellée en 1924 (…) Dans ce cadre, put s’engager un processus de pacification, dans le respect de l’ordre juridique, tant civil que canonique. Ce nouvel esprit de compréhension mutuelle permit alors de trouver une issue à un certain nombre de difficultés et de faire concourir toutes les forces du pays au bien commun, chacune dans le domaine qui lui est propre. D’une certaine manière, on peut dire que l’on avait ainsi déjà atteint une sorte d’entente au jour le jour, qui ouvrait la voie à un accord consensuel de fait sur les questions institutionnelles de portée fondamentale pour la vie de l’Église. Cette paix, acquise progressivement, est devenue désormais une réalité à laquelle le peuple français est profondément attaché. Elle permet à l’Église qui est en France de remplir sa mission propre avec confiance et sérénité, et de prendre une part toujours plus active à la vie de la société, dans le respect des compétences de chacun. »

Repères

  • 30 mai – 1er juin 1980 Voyage de Jean-Paul II à Paris et Lisieux
  • 14-15 août 1983 Pèlerinage de Jean-Paul II à Lourdes
  • 4-7 octobre 1986 Voyage de Jean-Paul II à Lyon, Taizé, Paray-Le-Monial, Ars et Annecy
  • 8-11 octobre 1988 Voyage de Jean-Paul II à Strasbourg, Metz, Nancy, Mont Sainte-Odile et Mulhouse
  • 1-2 mai 1989 Voyage de Jean-Paul II à l’Île de La Réunion
  • 20 janvier 1996 Visite d’État de Jacques Chirac au Vatican
  • 19-22 sept. 1996 Voyage de Jean-Paul II à Tours, St Laurent/Sèvre, Ste-Anne-d’Auray et Reims
  • 21-24 août 1997 XIIes Journées Mondiales de la Jeunesse à Paris
  • 19 octobre 1997 Thérèse de Lisieux proclamée docteur de l’Église
  • nov. 2003-fév. 2004 Visite ad limina des évêques de France à Rome
  • 14-15 août 2004 Deuxième pèlerinage du Saint-Père à Lourdes, à l’occasion du 150e anniversaire de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception.
  • 12 février 2005 Lettre à Mgr Jean-Pierre Ricard et aux évêques de France au sujet de la laïcité en France

Les voyages de Jean Paul II en France

Le pèlerinage de Jean-Paul II à Lourdes les 14 et 15 août 2004 constituait la huitième de ses visites en France, si l’on y inclut l’escale de deux jours à la Réunion, au cours d’un déplacement en Afrique en 1989. Ce qui fait de la France le pays le plus visité par ce pape avec la Pologne.

Jean-Paul II a entamé en 1980 cette série de visites par une apostrophe célèbre : « France, fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? » a-t-il demandé au cours d’une messe au Bourget. Il a évoqué la culture au siège de l’UNESCO, dialogué avec les jeunes au Parc des Princes et avec les ouvriers à Saint-Denis. Le voyage comportait aussi une étape à Lisieux.

En 1983, eut lieu la première visite à Lourdes pour ce Pape qui vouait une dévotion particulière à la Vierge Marie. Une visite avait été programmée en 1981, puis repoussée en raison de l’attentat de la place Saint-Pierre. Au cours de ce premier pèlerinage à la grotte de Massabielle, le Pape s’est adressé tour à tour aux pèlerins, aux prêtres, aux religieuses, aux jeunes, aux malades et aux hospitaliers.

En 1986, Jean-Paul II est venu rendre hommage aux saints et martyrs de l’une des premières églises chrétiennes de l’histoire, avec des étapes à Lyon et Annecy, mais aussi chez le curé d’Ars (saint Jean-Marie Vianney) et à Paray-le- Monial.

En 1988, le Pape a effectué un voyage très européen à Strasbourg, Metz et Nancy. Il a été notamment accueilli au Parlement européen à Strasbourg où, déjà, il s’exprimait sur les racines chrétiennes de l’Europe : « Le christianisme, en effet, a vocation de profession publique et de présence active dans tous les domaines de la vie. Aussi mon devoir est-il de souligner avec force que si le substrat religieux et chrétien de ce continent devait en venir à être marginalisé dans son rôle d’inspirateur de l’éthique et dans son efficacité sociale, c’est non seulement tout l’héritage du passé européen qui serait nié, mais c’est encore un avenir digne de l’homme européen – je dis de tout homme européen, croyant ou incroyant – qui serait compromis ».

En 1996, il est venu célébrer à Reims le 1500e anniversaire du baptême de Clovis, et s’est aussi rendu à Tours pour retrouver les « blessés de la vie » et les familles à Sainte-Anne-d’Auray.

En 1997, ce fut la surprise de plus d’un million de jeunes réunis à Paris pour les Journées mondiales de la jeunesse. Jean-Paul II a célébré la messe au Champ- de-Mars et sur l’hippodrome de Longchamp et béatifié Frédéric Ozanam, fondateur de la Société de Saint-Vincent-de-Paul à Notre-Dame de Paris.

Enfin, les 14 et 15 août 2004, Jean-Paul II est revenu en pèlerinage à Lourdes à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception.

La dernière visite du pape Jean-Paul II

Jean-Paul II a été le premier pape à se rendre à Lourdes, la première fois les 14 et 15 août 1983, la deuxième fois les 14 et 15 août 2004. Au début de l’année 2004, Mgr Jacques Perrier, évêque de Tarbes et Lourdes, et Mgr Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux et président de la Conférence des évêques de France, avaient invité le Pape à revenir à Lourdes à l’occasion du 150e anniversaire de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception. En 2004 comme en 1983, le Saint-Père est venu en pèlerin parmi les pèlerins.

Ce deuxième pèlerinage à la grotte de Massabielle s’est déroulé en quatre temps distincts et complémentaires : Jean-Paul II est arrivé le samedi 14 août vers 12h30 devant la grotte où il a été accueilli par la foule des pèlerins. Il a tenu à saluer tout d’abord les malades puis, après un temps de prière personnelle, il a récité la prière de l’Angélus avec les pèlerins présents.

Jean-Paul II a ensuite retrouvé les pèlerins à partir de 17h30 pour une procession. Celle-ci s’est déroulée suivant cinq étapes marquant les cinq mystères lumineux du Rosaire. Cette prière du Rosaire a été introduite par le Saint-Père qui, notamment, soulignait que « cette grotte est devenue ainsi le siège d’une étonnante école de prière, où Marie enseigne à tous à contempler avec un ardent amour le visage du Christ. C’est pourquoi Lourdes est le lieu où les croyants de France et de tant d’autres nations d’Europe et du monde prient, à genoux. »

Le dimanche 15 août à partir de 10h, Jean-Paul II a présidé la célébration de la messe de l’Assomption dans la prairie située en face de la Grotte. Près de 300 000 pèlerins ont pu entendre l’appel lancé lors de l’homélie : « À vous tous, frères et sœurs, je lance un appel pressant pour que vous fassiez tout ce qui en votre pouvoir pour que la vie, toute vie, soit respectée depuis la conception jusqu’à son terme naturel. La vie est un don sacré, dont nul ne peut se faire le maître (…) Soyez des femmes et des hommes libres ! Mais rappelez-vous : la liberté humaine est une liberté marquée par le péché. Elle a besoin elle aussi d’être libérée. Christ en est le libérateur, Lui qui « nous a libérés pour que nous soyons vraiment libres » (Ga 5, 1). Défendez votre liberté ! »

Le Saint-Père, enfin, s’est recueilli longuement devant la Grotte, tandis que les pèlerins se joignaient en silence à sa prière.

Jean-Paul II a quitté le sol français le dimanche 15 à 18h45.

En bref :

  • Près de 300 000 participants à la messe du 15 août, parmi lesquels environ 2000 malades et handicapés
  • 1000 servants d’autels
  • 1200 prêtres
  • 15 cardinaux
  • 66 évêques français
  • 30 évêques étrangers

Karol Wojtyla, pape Jean-Paul II

Les racines de Karol Wojtyla : un pape marqué par les drames du 20e siècle
Karol Wojtyla nait à Wadowice le 18 mai 1920, second fils d’un père militaire et d’une mère institutrice. Deux ans plus tôt, la Pologne recouvrait l’indépendance politique perdue à la fin du 18e siècle.
Karol Wojtyla a été marqué dans sa jeunesse par la disparition de tous ses proches. Il est âgé de 9 ans quand sa mère décède. Quelques années plus tard, son frère aîné meurt prématurément. Puis le père meurt en 1941. Ces épreuves familiales ont pris place dans un contexte historique difficile. Karol Wojtyla a partagé le sort d’une Pologne particulièrement atteinte par les drames du 20e siècle. En 1939, la Pologne perd à nouveau son autonomie avec sa partition entre l’Allemagne nazie et l’URSS. Après la guerre, elle connaîtra le totalitarisme communiste jusqu’en 1989.
Le pape Jean-Paul II visitera la Pologne communiste dès le début de son pontificat en 1979, puis de nouveau en 1983 et en 1987. Les rassemblements populaires suscités par ses visites, son soutien explicite au syndicat Solidarnosc, auront joué un rôle décisif dans la chute du pouvoir communiste en Pologne (1989), premier acte de la débâcle du bloc de l’est. L’action polonaise de Jean-Paul II aura été une des illustrations d’un pontificat marqué par les droits de l’homme et la propagation des conflits armés. En 1979, dès sa première encyclique, Jean-Paul II déclarait : « La paix se réduit au respect des droits inviolables de l’homme […], tandis que la guerre naît de la violation de ces droits et entraîne encore de plus graves violations de ceux-ci ». L’un des derniers combats de Jean-Paul II aura été son opposition au déclenchement de la guerre en Irak par les États-Unis. Le 13 janvier 2003, devant le corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège, il déclarait : « Non à la guerre ! Elle n’est jamais une fatalité. Elle est toujours une défaite de l’humanité ».

L’expérience ouvrière dans la Pologne occupée : la préoccupation sociale du pontificat
Avant d’entrer au séminaire, Karol Wojtyla a suivi des études de lettres, à l’université Jagellon de Cracovie. Le travail obligatoire imposé par l’occupant nazi interrompra ses études. A partir de la rentrée de 1940 et pendant presque 4 ans, Karol Wojtyla travaillera comme ouvrier dans une carrière de pierre d’abord, puis dans une usine chimique. Jean-Paul II gardera de cette expérience une grande préoccupation pour les problèmes sociaux. En 1979, lors de son voyage au Mexique, il déclarait aux ouvriers de Monterrey : « Je n’oublie pas les années difficiles de la guerre mondiale où j’ai moi-même fait directement l’expérience d’un travail physique comme le vôtre […]. Je sais parfaitement combien il est nécessaire que le travail ne soit pas source d’aliénation et de frustration, mais qu’il corresponde à la dignité supérieure de l’homme ».
Dans l’encyclique Centesimus annus (1991) Jean-Paul II met également en garde contre une forme radicale de capitalisme : « La solution marxiste a échoué, mais des phénomènes de marginalisation et d’exploitation demeurent dans le monde, spécialement dans le Tiers-monde, de même que des phénomènes d’aliénation humaine, spécialement dans les pays les plus avancés […]. Il y a même un risque de voir se répandre une idéologie radicale de type capitaliste qui refuse jusqu’à leur prise en considération, admettant a priori que toute tentative d’y faire face directement est vouée à l’insuccès, et qui, par principe, en attend la solution du libre développement des forces du marché. »

De la résistance par la culture au Conseil pontifical pour la culture
Le jeune ouvrier n’a pas renoncé aux activités culturelles. Il intègre une troupe théâtrale d’avant-garde qui déploiera ses activités dans la clandestinité. Karol Wojtyla écrira plusieurs compositions poétiques et théâtrales dont certaines, comme la pièce La boutique de l’orfèvre, ont eu par la suite un écho en dehors des frontières polonaises. La création littéraire n’aura pas été délaissée par Jean-Paul II : il sera le premier pape à publier un recueil de poésies (Triptyque romain, en 2003).

L’occupant nazi – comme plus tard le pouvoir communiste – cherchera à briser les racines culturelles de l’identité polonaise. Les activités estudiantines et théâtrales de Karol Wojtyla constitueront une forme de résistance à l’oppression idéologique et politique. Devenu le pape Jean-Paul II, il déclarera le 2 juin 1980, à l’UNESCO à Paris : « Je suis fils d’une Nation qui a vécu les plus grandes expériences de l’histoire, que ses voisins ont condamnée à mort à plusieurs reprises, mais qui a survécu et qui est restée elle-même. Elle a conservé son identité, […] non en s’appuyant sur les ressources de la force physique, mais uniquement en s’appuyant sur sa culture. »
Cette histoire personnelle rencontrait la conviction du concile Vatican II. Celui-ci faisait de la culture l’enjeu essentiel d’une rencontre entre l’Église et les hommes. Jean-Paul II aura donc fait de la culture un axe majeur de son pontificat. En 1982, il crée le Conseil pontifical pour la culture, et en 1993, il lui intègre le Conseil pontifical pour le dialogue avec les non-croyants (créé par Paul VI en 1965). La création de ce nouveau dicastère, présidé depuis le début par le cardinal français Paul Poupard, recevait la mission de promouvoir la rencontre entre les cultures et l’Évangile. Là encore, aux yeux du Pape, un caractère de résistance était attaché à cette mission. En décembre 2000, Jean-Paul II déclarait : « Une culture qui refuse de se référer à Dieu perd son âme en même temps que son orientation, devenant une culture de mort. » (Message pour la 34e Journée mondiale de la Paix).

Sacerdoce et vie intellectuelle : un pontificat face aux défis de la foi
Karol Wojtyla entre en 1942 au séminaire de Cracovie. Du fait de l’occupation nazie le séminaire était réduit à la clandestinité. Karol Wojtyla a donc conservé son emploi d’ouvrier pendant les deux premières années de séminaire. Le 1er novembre 1946, l’archevêque de Cracovie, Mgr Sapieha (que Pie XII venait tout juste de créer cardinal) ordonne prêtre Karol Wojtyla, et l’envoie poursuivre ses études à Rome, à l’université pontificale de l’Angelicum. À Rome, le père Wojtyla sera hébergé au séminaire belge, ce qui lui vaudra de conserver une grande aisance en français. Après avoir soutenu sa thèse en juin 1948 sur le mystique espagnol saint Jean de la Croix, il sera rappelé à Cracovie début 49, pour y exercer une activité pastorale. En 1953, il soutiendra une thèse sur le philosophe allemand Max Scheler, à l’université polonaise Jagellon, fermée l’année suivante par le pouvoir communiste. Professeur vacataire à l’université de Lublin en 1954, il devient titulaire de la chaire d’éthique en 1957. Le pape Jean-Paul II écrira une encyclique sur les fondements de la théologie morale (Veritatis splendor, en 1993), et une autre sur les rapports entre foi et raison (Fides et ratio, en 1998).
Les occupations intellectuelles du père Wojtyla ne l’ont pas empêché de développer une activité pastorale. Celle-ci s’est orientée en direction des jeunes. Jean-Paul II aura conservé, sa vie durant, une réelle proximité avec les jeunes qui s’exprimera de façon particulièrement forte à travers les Journées Mondiales de la Jeunesse ou « JMJ » (dont Paris en 1997, Rome en 2000 et Toronto en 2002). Ce contact privilégié avec la jeunesse aura comporté une double note de confiance et d’exigence. Aux participants des « JMJ » de Rome, Jean-Paul II déclarait : « Il ne vous sera peut-être pas demandé de verser votre sang, mais de garder la fidélité au Christ, oui certainement ! […] En l’an 2000, est-il difficile de croire ? Oui, c’est difficile ! On ne peut pas le nier. C’est difficile, mais avec l’aide de la grâce c’est possible. »

Évêque au moment du concile : un pontificat marqué par Vatican II
Le père Wojtyla est ordonné évêque auxiliaire de Cracovie le 28 septembre 1958. Comme tout évêque catholique, il est convoqué au concile Vatican II, ouvert par le pape Jean XXIII le 11 octobre 1962, et clôturé par le pape Paul VI le 7 décembre 1965. Mgr Wojtyla sera invité à apporter sa contribution personnelle au Concile, en étant impliqué dans le travail de rédaction de la constitution pastorale Gaudium et spes.
C’est pendant le Concile, le 13 janvier 1964, que Paul VI nomme Mgr Wojtyla archevêque de Cracovie. Le nouvel archevêque prendra ses fonctions le 8 mars 1964. C’est encore de Paul VI que Mgr Wojtyla recevra le cardinalat, le 28 juin 1967. Du 7 au 13 mars 1976, Paul VI invitera le cardinal Wojtyla à prêcher les exercices de carême de la Curie romaine. Paul VI meurt le 6 août 1978. Mgr Wojtyla est cardinal électeur et prend part au conclave : Jean-Paul Ier est élu le 26 août 1978. Celui-ci meurt un mois plus tard, le 28 septembre 1978. Le cardinal Karol Wojtyla est élu pape le 16 octobre 1978.
Le pape Jean-Paul II se fixera comme objectif la mise en œuvre du concile Vatican II. Le lendemain de son élection, il déclarait : « Nous voulons tout d’abord souligner l’importance permanente du IIe Concile œcuménique du Vatican, et ceci signifie pour nous l’engagement formel de l’appliquer soigneusement.» C’est dans cette perspective que Jean-Paul II réformera le droit de l’Église catholique par la promulgation du nouveau Code de droit canonique, en 1983. Il aura encore voulu offrir un exposé des fondamentaux de la foi catholique, par la publication du Catéchisme de l’Église catholique en 1992. C’est encore l’héritage du concile qui explique l’attachement de Jean-Paul II à l’effort œcuménique. L’encyclique Ut unum sint de 1995, ouvrant aux communautés chrétiennes non catholiques la discussion sur les modalités d’exercice du ministère pontifical, en sera l’un des signes marquants. Les efforts de rapprochement avec le judaïsme et le dialogue interreligieux seront aussi des aspects du pontificat à situer dans la perspective du Concile. À l’égard du judaïsme, Jean-Paul II posera des gestes hautement symboliques, dont l’objectif sera de favoriser le rapprochement avec l’Église catholique1. À cette fin, Jean-Paul II a conduit un « examen de conscience » au sujet des fautes commises à l’encontre des juifs au cours de l’histoire de l’Église2. En outre, Jean-Paul II aura donné une visibilité au dialogue interreligieux par exemple à travers sa rencontre avec des jeunes musulmans au grand stade de Casablanca, en 1985, sa visite à la mosquée des Omeyyades à Damas, le 6 mai 2001, et encore les deux rencontres de prière interreligieuse à Assise, en 1986 et en 2002. Tous ces actes procédaient de la conviction du pape Jean-Paul II que le déploiement de l’héritage conciliaire était la manière adéquate de faire entrer l’Église catholique dans le 3e millénaire.

Les voyages de Jean-Paul II

À l’exception de quelques voyages de Paul VI, Jean-Paul II a été le premier pape à parcourir la plupart des pays de la planète, en plus des visites dans les diocèses italiens et les paroisses romaines. Se voulant autant l’héritier du pèlerin Paul que le successeur de Pierre, il en a fait l’un des traits majeurs de son apostolat. Ses visites ont permis de développer les relations entre Rome et les Églises locales et d’attirer l’attention sur des situations particulières. Au-delà même du cas polonais, l’impact de ces voyages a dépassé le simple cadre religieux. N’hésitant pas à interpeller les dirigeants politiques, il a exercé un incontestable charisme devant des foules imposantes et rendu familière au monde entier sa silhouette blanche.

Avec Jean-Paul II, c’est surtout l’image nouvelle d’un pape pèlerin qui restera dans les mémoires. Quasiment le premier, Paul VI s’était aventuré hors d’Italie pour neuf voyages. Jean-Paul Ier n’en avait pas eu le temps. Avec plus d’une centaine de visites à l’étranger, Jean-Paul II en a fait sinon le cœur de son pontificat, tout au moins le fer de lance. De la même manière qu’il a entrepris la visite systématique des paroisses romaines et de nombreux diocèses italiens, il s’est lancé dans une exploration ambitieuse de la planète. Le bilan est impressionnant, qu’aucun chef d’État n’a aujourd’hui égalé. « Le pape voyage pour annoncer l’Évangile, pour  » confirmer ses frères  » dans la foi, pour consolider l’Église, pour rencontrer l’homme », explique-t-il un jour à la Curie romaine. Il précise même que le successeur de Pierre doit également être l’héritier de Paul, le pèlerin.
Son écoute des réalités locales se traduisait dans le même temps par les synodes « continentaux », où les évêques résidentiels peuvent mieux exprimer leurs préoccupations particulières que lors d’un synode ordinaire.

Celui qui avait l’habitude de se présenter comme un « pèlerin de la foi » a toujours justifié ces visites par un but pastoral. Ses voyages étaient apostoliques. À Rome, c’était la visite de l’évêque diocésain ; en Italie, celle du premier des évêques. Dans les autres pays, le successeur de Pierre désirait se rendre quelle que soit l’importance des communautés chrétiennes. A la manière des visites d’évêques ad limina à Rome, les rencontres étaient destinées à permettre une meilleure connaissance réciproque. Soucieux de valoriser l’héritage spirituel des Églises locales, il présidait sur place des cérémonies de béatification ou même de canonisation. Chaque fois qu’il le pouvait, il s’arrêtait dans les sanctuaires, significatifs à ses yeux d’un ressourcement spirituel, comme à Lourdes, en France, où il s’est rendu à deux reprises (1983 et 2004).
Sa présence servait de révélateur ou de catalyseur des questions en jachère, des aspirations ébauchées. À travers ses déplacements, il entendait ainsi valoriser les jeunes Églises, consolider celles encore meurtries à l’Est, réévangéliser celles devenues frileuses à l’Ouest, dialoguer avec celles en crise. Par les rencontres qu’il a mises sur pied, il a créé une dynamique qui dépassait les simples réunions de dialogue entre experts. Il a surpris les juifs en venant dans leur synagogue, les musulmans en entrant dans une mosquée, mais aussi les réformés et les orthodoxes comme les gréco-byzantins.

Les actions majeures de Jean-Paul II dans l’Église

Grand pèlerin d’une « nouvelle évangélisation », Jean-Paul II a poussé les catholiques à porter la Bonne Nouvelle, mobilisant anciens et nouveaux mouvements, mais aussi les jeunes, pour qui il a inventé les rendez-vous des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ). Avec ce Pape, l’Église a poursuivi la mise en œuvre du concile Vatican II, par le développement de la réflexion collégiale (assemblées du synode des évêques), et mis en valeur la démarche de repentance (Jubilé de l’an 2000), accomplie en diverses circonstances par Jean-Paul II. Celui-ci a réaffirmé la doctrine au moyen d’un nouveau catéchisme et d’encycliques et tenté d’enrayer le schisme lefebvriste. Il a poursuivi le dialogue œcuménique et la réconciliation avec les juifs, et a réuni les leaders religieux pour la paix à Assise.

L’élan donné par Jean-Paul II à l’Église
« N’ayez pas peur ! Ouvrez toutes grandes les portes au Christ », s’écria-t-il à la messe d’inauguration de son ministère pontifical. Jean-Paul II a voulu lancer le peuple chrétien dans une « nouvelle évangélisation », lui-même infatigable pèlerin de cette Bonne Nouvelle, à travers ses nombreux voyages dans le monde. Il s’est employé à mobiliser dans cette entreprise missionnaire anciens et nouveaux mouvements d’Église, intégrant les jeunes par la création d’un rendez-vous annuel : depuis 1985, les Journées mondiales de la jeunesse ont lieu en alternance une année à l’échelle locale, l’autre avec un rassemblement mondial dans des villes différentes, où elles ont attiré des foules croissantes.

Jean-Paul II s’est attaché à mettre pleinement et clairement en œuvre le concile Vatican II, notamment par le développement de la réflexion collégiale : il a multiplié les synodes d’évêques et sollicité le collège de cardinaux en le réunissant en consistoire sur des questions d’actualité. Le Concile a trouvé son prolongement naturel à ses yeux par la mise en œuvre du Jubilé de l’an 2000, occasion de mettre notamment en valeur les démarches d’action de grâces mais aussi de réconciliation et de repentance, que lui-même a accomplies à diverses reprises : Rome et Jérusalem (2000) à propos de l’antisémitisme chrétien, Gorée au Sénégal (1992) pour l’esclavage, Athènes (2001) pour les relations avec les orthodoxes, etc.

Les changements apportés par Jean-Paul II à l’Église
Jean-Paul II n’a pas fondamentalement changé la vie de l’Église au niveau de son organisation centrale (Curie romaine). En revanche, il a voulu donner une plus grande visibilité à l’Église en réaffirmant la doctrine et en mettant en valeur le ministère d’enseignement de l’évêque de Rome : il a publié le Catéchisme de l’Église catholique en 1992 et rédigé quatorze encycliques. Il a consacré le sujet de la première d’entre elles, Redemptor hominis (1979), à Jésus Christ, puis une au Père et une à l’Esprit. Les autres concernent notamment les questions sociales (Sollicitudo rei socialis en 1987, Centesimus annus en 1991), la morale catholique (Veritatis splendor, 1993 et Evangelium vitae, 1995), les rapports entre foi et raison (Fides et ratio, 1998), ou encore l’Eucharistie (Ecclesia de Eucharistia, 2003).

Jean-Paul II a également tenté d’enrayer le schisme engendré par la décision de Mgr Lefebvre de consacrer en 1988 ses propres évêques : l’excommunication a été prononcée contre ce dernier ; l’accueil a cependant été facilité pour ceux qui avaient été proches de lui, mais voulaient rester en communion avec Rome.

Comment Jean-Paul II a situé l’Église
Jean-Paul II a œuvré pour le dialogue œcuménique : avec les orthodoxes, ce dialogue difficile en raison notamment de la situation politique (Russie) a connu des ouvertures (Grèce, Roumanie). Avec les protestants luthériens, ce dialogue a notamment abouti en 1999 à une déclaration commune sur la doctrine de la justification. Dans son encyclique Ut unum sint, §95 (1995), il a reconnu la nécessité d’une réflexion avec les autres confessions sur la question de la primauté de l’évêque de Rome, qui constitue la principale pierre d’achoppement.

En ce qui concerne les rapports de l’Église avec le judaïsme, il a poursuivi la réconciliation entreprise par ses prédécesseurs. Celle-ci s’est traduite par des gestes forts, comme la visite – une première pour un pape – à la synagogue de Rome (1986), mais aussi par l’établissement de relations diplomatiques avec l’État d’Israël (fin 1993), et par sa visite au mur des Lamentations (2000). Au delà des rencontres d’Assise, ses nombreux voyages lui ont offert l’occasion de développer le dialogue avec les autres religions, comme l’islam, notamment lors d’un rassemblement à Casablanca avec les jeunes (1985), et lors de sa visite – une autre première – à la mosquée de Damas (2001).

L’idée des Journées mondiales de la jeunesse
La rencontre de Jean-Paul II avec les jeunes au Parc des Princes en 1980 lui avait laissé une forte impression. À partir des Rameaux de 1984, des rendez-vous annuels ont été décidés. Ces rassemblements ont réuni jusqu’à plusieurs millions de personnes (plus de 3 millions à Manille en 1995, un million cent mille à Paris en 1997, plus de 2 millions à Rome en 2000).

L’ « esprit d’Assise »
Le 27 octobre 1986 à Assise, un grand nombre de chefs religieux se sont retrouvés à l’invitation du Pape pour une journée de jeûne et de prière, les uns à côté des autres, en faveur de la paix. « L’esprit d’Assise » évoque aujourd’hui ce souci humaniste de rassembler les religions loin de ce qui les divise : l’initiative s’est ainsi renouvelée tous les ans à l’initiative conjuguée du Pape et d’une communauté de laïcs, Sant’Egidio.

Les initiatives de Jean-Paul II dans le monde

Jean-Paul II a multiplié les voyages dans le monde et rencontré ou reçu la plupart des chefs d’État. À travers lui, la voix de l’Église s’est fait entendre aux tribunes des organisations internationales, où il a milité pour la paix, défendu les droits de l’homme parmi lesquels la liberté religieuse a une place centrale, et aussi prôné une culture de la vie. Il a soutenu le mouvement populaire qui a entraîné la chute du régime communiste polonais et de ceux des autres pays d’Europe de l’Est. Il a œuvré pour développer la pensée sociale de l’Église, et défendu un humanisme chrétien bâti sur l’alliance de la foi et de la raison.

La place de Jean-Paul II sur la scène internationale
Paul VI avait commencé à voyager, mais c’est surtout Jean-Paul II qui a instauré cette image d’un pape pèlerin, multipliant les visites pastorales dans le monde, à l’exception de quelques rares pays comme la Russie, le Vietnam ou la Chine. Ces voyages ont eu un impact à la fois sur les Églises locales et sur les gouvernements en place. Lors de ses déplacements, mais également au cours d’audiences au Vatican, le Pape a ainsi eu l’occasion de rencontrer la plupart des chefs d’État en place et des dirigeants politiques, comme les présidents américains, les leaders européens, Mikhaïl Gorbatchev, Yasser Arafat ou encore Fidel Castro.

Jean-Paul II a profité de ces visites pour faire entendre la voix de l’Église, et pas seulement à l’intention des fidèles. C’est au cours de ses homélies, mais aussi à la tribune des organisations internationales (ONU, UNESCO ou Parlement européen) qu’il a défendu les droits de l’homme, avec au centre la liberté religieuse. Il a tenu le rôle de médiateur (entre l’Argentine et le Chili) et tenté à plusieurs reprises d’arrêter la guerre, notamment par de nombreux appels aux dirigeants au sujet des conflits du Golfe (1991), de la Yougoslavie (1993-94), du Moyen-Orient, de l’Afghanistan (2001), de l’Irak (2003). Il a réuni les chefs religieux à Assise pour prier pour la paix (1986 et 2002).

Le rôle de Jean-Paul II dans la chute des régimes communistes à l’Est
Lorsqu’il était archevêque de Cracovie, il menait déjà un combat remarqué, plus spirituel que politique, contre les entraves mises par le pouvoir communiste polonais à l’exercice du culte. Quand les chantiers navals de Gdansk se sont mis en grève, Jean-Paul II a apporté un appui ouvert au nouveau syndicat libre Solidarnosc. Ses voyages répétés en Pologne durant les années 1980 ont incontestablement guidé le sursaut du peuple polonais et entraîné la chute du régime en 1989. La victoire de Lech Walesa à Varsovie a eu un effet d’entraînement sur le reste de l’Europe de l’Est.

Jean-Paul II a milité pour un renouveau spirituel du Vieux continent qui rassemblerait de nouveau les « deux poumons » de l’Europe, mais il a manifesté dans les années 1990 une certaine déception devant la tournure prise par l’après-communisme dans ces pays. Opposé au système communiste, intrinsèquement pervers à ses yeux par son athéisme et par son matérialisme, il a également émis des critiques sévères contre les excès de la société de consommation occidentale et les dérives d’un capitalisme non régulé faisant peu de cas de la justice sociale. Ses discours comme ses encycliques (Centesimus annus, 1991) mettent l’accent sur la pensée sociale de l’Église.

Jean-Paul II, un apôtre remarqué de la culture de la vie
Jean-Paul II a utilisé ses tribunes au cours de ses voyages, comme lors des audiences au Vatican, pour appeler à une culture de la vie, malmenée à ses yeux par une société devenue trop laxiste et matérialiste. Cette conviction a guidé son engagement constant pour le respect de la vie, aussi bien contre l’avortement que contre l’euthanasie et l’application de la peine de mort. Elle s’est également manifestée à l’occasion des conférences internationales des Nations Unies (Le Caire en 1994 et Pékin en 1995).

Cet ancien professeur d’éthique sociale a construit sa réflexion sur l’idée d’une morale fondée sur la loi naturelle et sur le personnalisme proche d’Emmanuel Mounier, mettant toujours au centre de sa réflexion et de son action la personne humaine. Cela s’est clairement exprimé dans ses différentes encycliques morales (Centesimus annus, 1991 ; Evangelium vitae, 1995).

Ses convictions sur le rôle de la foi dans la société ont été d’autant plus remarquées que Jean-Paul II a usé sur la scène internationale de son charisme, interpellant les fidèles comme les chefs d’État, et n’hésitant pas à recourir aux interviews et aux conférences de presse improvisées dans les avions.

Au sujet du préservatif
Jean-Paul II n’a jamais évoqué directement ce sujet. Mais il a souligné à plusieurs reprises, à propos de la lutte contre le sida, l’importance de la fidélité dans le mariage et, devant les jeunes de Kampala (Ouganda) en 1993, il a insisté sur la place de la chasteté parmi les moyens de lutter contre cette maladie.

La réhabilitation de Galilée
Galilée avait été condamné au XVIIe pour avoir soutenu que le soleil ne tournait pas autour de la terre. Pour montrer que l’Église, qui avait déjà reconnu son erreur de jugement, ne refuse pas le progrès scientifique, cela fut à nouveau solennellement reconnu en 1992 devant l’Académie pontificale des sciences.

Les principales prises de position de Jean-Paul II

« N’ayez pas peur ! » Jean-Paul II a lancé au début de son pontificat un appel à la « nouvelle évangélisation » qui a guidé par la suite la plupart de ses interventions. Le Pape a réaffirmé la doctrine par le Catéchisme de l’Église catholique et développé l’enseignement du magistère au moyen de plusieurs encycliques et de nombreux autres textes et homélies. Il est intervenu sur de nombreux aspects de la vie de l’Église : primauté du pape, ordination réservée aux hommes, place des femmes et des laïcs. Il a engagé des actes de repentance, notamment à l’égard des juifs. Dans le monde, il s’est fait l’avocat des droits de l’homme, de la liberté religieuse et l’infatigable défenseur de la paix. Enfin, son combat pour le respect de la vie, contre l’avortement et la peine de mort a été permanent.

Le leitmotiv de Jean-Paul II à propos de la vie de l’Église
« N’ayez pas peur ! Ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! » Le fameux appel lancé lors de la messe d’inauguration de son ministère pontifical a constitué la prise de position la plus spectaculaire du début de son pontificat. Jean-Paul II annonçait ainsi ce qu’il appellera par la suite la « nouvelle évangélisation ». Définie dans Redemptoris missio, la mission d’évangélisation fait pour lui partie de l’essence même de l’Église, selon le concile Vatican II. Cette dynamique marque l’importance des rapports entre Église et culture, et souligne l’intérêt manifesté par Jean-Paul II pour le dialogue interreligieux, pour lequel il rappellait qu’il exige « compatibilité avec l’Évangile et communion avec l’Église universelle ».
Jean-Paul II a réaffirmé la doctrine de l’Église au moyen d’un nouveau catéchisme (1992) et par une série de textes majeurs, dont quatorze encycliques et de nombreuses lettres apostoliques. Cette affirmation de l’absolu de la foi pour la conduite de la vie trouve son aboutissement en 1993 dans l’encyclique Veritatis splendor sur les fondements de la morale.

Quelques unes des prises de position de Jean-Paul II
Sur la primauté du pape, qui pèse dans le dialogue œcuménique, Jean-Paul II a ouvert une porte dans son encyclique Ut unum sint (1995), proposant aux autres confessions chrétiennes de « chercher, évidemment ensemble, les formes dans lesquelles ce ministère pourra réaliser un service d’amour reconnu par les uns et par les autres ».
Sur le sacerdoce, Jean-Paul II a rappelé la doctrine dans Ordinatio sacerdotalis (1994) : « L’Église n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes (…) cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles. »
Sur les femmes, la lettre Mulieris dignitatem (1988) sur leur dignité et leur vocation a constitué une nouveauté dans le magistère, tandis que l’exhortation apostolique Vita consecrata (1996) se veut encourageante : « Il est urgent de faire quelques pas concrets, en commençant par ouvrir aux femmes des espaces de participation dans divers secteurs et à tous les niveaux, y compris dans les processus d’élaboration des décisions. »

Le jubilé de l’an 2000 a été l’occasion d’une démarche de repentance que le Pape a multipliée tout au long de son pontificat, invitant les chrétiens à « s’interroger sur les responsabilités qu’ils ont, eux aussi, dans les maux de notre temps » (Tertio millennio adveniente, 1994). Cette démarche a concerné divers domaines ; celle en direction des juifs a marqué les esprits : dans son discours à la synagogue de Rome (1986), il déplorait « les haines, les persécutions et toutes les manifestations d’antisémitisme qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs, ont été dirigées contre les juifs », et il ajoutait : « Vous êtes nos frères préférés et, d’une certaine manière, on pourrait dire nos frères aînés. » En 1997, il estimait que « la résistance spirituelle de beaucoup (de chrétiens pendant la Guerre) n’a pas été celle que l’humanité était en droit d’attendre de la part de disciples du Christ ».

Les prises de positions de Jean-Paul II vis-à-vis de l’actualité dans le monde
Jean-Paul II était un ardent défenseur des droits de l’homme, selon une vision réaffirmée à plusieurs reprises, notamment à la tribune de l’ONU et à celle de l’UNESCO : « On voit clairement que ces droits ont été inscrits dans l’ordre de la création par le Créateur lui-même, résume-t-il dans Entrez dans l’espérance (1994). L’Évangile est la déclaration la plus achevée de tous les droits de l’homme. » Défenseur de la liberté religieuse, il a été aussi un inlassable avocat de la paix, intervenant à de multiples reprises contre les conflits en cours (Golfe, Balkans, Afghanistan, Irak), jugeant la guerre comme « une aventure sans retour » et allant même jusqu’à prôner le droit d’ingérence humanitaire.

Le Pape a joué un rôle non négligeable dans la chute du communisme dans son pays, la Pologne. Il s’est contenté de commenter en ces termes ce tournant historique : « Le communisme est en un certain sens tombé de lui-même » (Entrez dans l’espérance). Mais il a également dénoncé les dérives du libéralisme et du capitalisme lorsqu’il n’est pas régulé au service de l’homme. L’Église, qui n’a pas de rôle politique à jouer directement, n’a donc pas de troisième voie à proposer. Ainsi l’expliquait-il dans ses encycliques sociales comme Centesimus annus : « L’Église n’a pas de modèle à proposer. » Son encyclique Evangelium vitae illustre la conviction qui l’animait dans son combat pour la culture de la vie. D’où son engagement permanent contre l’avortement et l’euthanasie. Dans cette logique de la défense de la vie, il incitait l’Église à une plus stricte condamnation de la peine de mort.

Les encycliques de Jean-Paul II

Une encyclique est une lettre solennelle adressée par le pape aux évêques (parfois aussi à tous les fidèles) pour préciser ou élaborer une doctrine ou des orientations pastorales.
Jean-Paul II a publié quatorze encycliques, quatre plutôt théologiques (sur le Père, le Fils, l’Esprit Saint, Marie), trois relatives à des questions socio-économiques (sur le travail, la solidarité, le centenaire de Rerum novarum), une sur l’évangélisation des pays slaves, une sur la mission, une sur la morale et une sur la vie humaine, une sur les rapports entre la foi et la raison, une sur l’œcuménisme et une sur l’Eucharistie.

Redemptor hominis (« Le Rédempteur de l’homme »), sur Jésus Christ
(4 mars 1979)
Jean-Paul II y annonce déjà ce que doit être l’année du Jubilé 2000 et sa préparation pour répondre à la grâce que le Rédempteur donne aux hommes rachetés par la Croix. Il y dessine la mission de l’Église et le destin de l’homme dans le monde contemporain. Il y trace ce que veut être sa propre réponse.

Dives in misericordia (« Dieu riche en miséricorde »), sur Dieu le Père
(30 novembre 1980)
Une encyclique théologique sur la richesse de la miséricorde divine au travers de l’Ancien et du Nouveau Testament et comment la traduire dans la mission de l’Église, auprès des hommes d’aujourd’hui. Seule cette miséricorde divine peut éclairer l’être et le devenir de l’Homme en Dieu.

Laborem exercens (« En travaillant »), sur le travail de l’homme
(14 septembre 1981)

Conflits entre travail et capital ; droits des travailleurs ; pour une spiritualité du travail. « C’est par le travail que l’homme doit se procurer le pain quotidien et contribuer au progrès continuel des sciences et de la technique, et surtout à l’élévation constante, culturelle et morale, de la société dans laquelle il vit en communauté avec ses frères. » L’encyclique rappelle le sens du travail de l’homme, les conflits entre le travail et le capital, les droits des travailleurs et la spiritualité du travail.

Slavorum apostoli (« Apôtres des Slaves »), sur saints Cyrille et Méthode
(2 juin 1985)
À l’occasion du 11e centenaire de l’œuvre d’évangélisation des apôtres des Slaves, les saints Cyrille et Méthode, Jean-Paul II veut que soit « gardée en mémoire la contribution inestimable qu’ils ont apportée à l’annonce de l’Évangile dans ces peuples et, en même temps, à la cause de la réconciliation, de la convivialité amicale, du développement humain et du respect de la dignité intrinsèque de chaque nation (…) Le premier Pape appelé de Pologne, et donc du cœur des nations slaves, à occuper le siège de Pierre se sent particulièrement poussé à le faire. »

Dominum et vivificantem (« Il est Seigneur et il donne la vie »), sur l’Esprit Saint
(18 mai 1986)
« Dans sa foi en l’Esprit Saint, l’Église proclame qu’il « est Seigneur et qu’il donne la vie » … Cette foi, professée sans interruption par l’Église, doit être sans cesse ravivée et approfondie dans la conscience du Peuple de Dieu. » Par cette encyclique, Jean-Paul II rappelle et approfondit la théologie sur l’Esprit Saint dans la vie de l’Église et du monde.

Redemptoris Mater (« La Mère du Rédempteur »), sur la Vierge Marie
(25 mars 1987)
« La Mère du Rédempteur a une place bien définie dans le plan du salut. » À l’occasion de l’année mariale (7 juin 1987 – 15 août 1988), Jean-Paul II médite sur la médiation de Marie et son rôle dans la vie de « l’Église en marche (…) qui progresse en suivant l’itinéraire accompli par la Vierge Marie dans son pèlerinage de foi, gardant fidèlement l’union avec son Fils jusqu’à la Croix ».

Sollicitudo rei socialis (« L’intérêt pour les choses sociales »), sur les questions sociales
(30 décembre 1987)

La solidarité comme réponse à la misère du monde. À l’occasion du vingtième anniversaire de l’encyclique de Paul VI, Populorum progressio, la septième lettre de Jean-Paul II se situe au moment où se dégèlent les relations humaines dans les pays sous tutelle marxiste. Le Pape se donne pour objectif d’actualiser l’encyclique de Paul VI en analysant les évolutions intervenues depuis vingt ans dans le monde. Il propose une vision d’avenir pour un développement intégral d’une société qui tienne compte essentiellement de l’homme, tout en mettant en lumière ce qui s’oppose à ce développement. Sa conclusion est un appel à l’action dynamique et soutenue des citoyens, des gouvernants et des instances internationales.

Redemptoris missio (« La mission du Rédempteur »), sur la mission
(7 décembre 1990)
La valeur permanente du précepte missionnaire. « La mission du Christ Rédempteur, confiée à l’Église, est encore bien loin de son achèvement. Au terme du deuxième millénaire après sa venue, un regard d’ensemble porté sur l’humanité montre que cette mission en est encore à ses débuts et que nous devons nous engager de toutes nos forces à son service (…) Le contact direct avec les peuples qui ignorent le Christ m’a convaincu davantage encore de l’urgence de l’activité missionnaire à laquelle je consacre la présente encyclique ».

Centesimus annus (« La centième année »), sur les questions sociales
(1er mai 1991)
A l’occasion du centième anniversaire de l’encyclique sur la question sociale Rerum novarum du pape Léon XIII, cette lettre fait le point sur les idéologies du passé et leurs erreurs. Elle ouvre quelques perspectives d’avenir à la lumière de ce que l’Église transmet de l’Évangile comme référence à tout type de société qui veut donner à l’homme sa primauté. « Je veux porter un regard rétrospectif afin de redécouvrir la richesse des principes fondamentaux qui y sont formulés (…) Mais j’invite aussi à porter un regard actuel sur les « choses nouvelles » qui nous entourent et dans lesquelles nous nous trouvons immergés ».

Veritatis splendor (« La splendeur de la vérité »), sur la morale catholique
(6 août 1993)
Sur quelques questions fondamentales de l’enseignement moral de l’Église. « La splendeur de la vérité se reflète dans toutes les œuvres du Créateur et, d’une manière particulière, dans l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu (…) Aucun homme ne peut se dérober aux questions fondamentales : Que dois-je faire ? Comment discerner le bien du mal ? La réponse n’est possible que grâce à la splendeur de la vérité qui éclaire les profondeurs de l’esprit humain. » C’est là que prend son sens l’enseignement de l’Église sur la vie morale. C’est une exigence que lui a confiée le Christ.

Evangelium vitæ (« L’Évangile de la vie »), sur la valeur et l’inviolabilité de la vie
(25 mars 1995)

« L’Évangile de la vie est au cœur du message de Jésus (…) L’homme est appelé à une plénitude de vie qui va bien au-delà des dimensions de son existence sur terre, puisqu’elle est la participation à la vie même de Dieu (…) La profondeur de cette vocation surnaturelle révèle la grandeur et le prix de la vie humaine, même dans sa phase temporelle (…) une réalité sacrée qui nous est confiée pour que nous la gardions de manière responsable et que nous la portions à sa perfection dans l’amour et dans le don de nous-mêmes à Dieu et à nos frères. »

Ut unum sint (« Qu’ils soient un »), sur l’engagement œcuménique
(25 mai 1995)
L’unité de l’Église, divisée par les différences humaines venues de l’histoire et des hommes, est à restaurer. L’engagement œcuménique n’est pas l’absorption de l’un par l’autre, ni la confusion. Les saints et les martyrs, la vie quotidienne des communautés chrétiennes, la grâce de Dieu dans le Christ rendent possible cette unité du Corps mystique du Christ, si difficile en soit la réalisation.

Fides et ratio (« La foi et la raison »), sur les rapports entre foi et raison
(14 septembre 1998)
La vérité de Dieu s’inscrit dans le temps et dans l’histoire de l’homme et lui a été confiée. Une compréhension cohérente par l’homme de cette révélation ne peut être fondamentalement contradictoire parce que la foi et la raison sont chacune une expression de cette vérité et chacune peut rejoindre l’autre parce que chacune est un chemin vers Dieu, source de toute révélation.

Ecclesia de Eucharistia (« L’Église vit de l’Eucharistie »), sur l’Eucharistie
(17 avril 2003)

La quatorzième encyclique est une réflexion approfondie sur le mystère eucharistique dans son rapport à l’Église. Dans le sacrifice eucharistique, « source et sommet de toute la vie chrétienne », c’est le Christ lui-même qui s’offre au Père pour la rédemption du monde. Ce texte court, imprégné du témoignage personnel et mystique de Jean-Paul II, le rend particulièrement dense dans ses aspects théologiques, disciplinaires et ecclésiaux. Il rappelle notamment que l’Eucharistie ne nourrit pas seulement les fidèles pour eux-mêmes, mais développe leur communion et édifie l’Eglise

Télécharger le document au format acrobat