Adresse du cardinal Barbarin au Saint-Père
Le troisième groupe des évêques de France en visite ad limina est heureux de venir à votre rencontre. Nous savons que notre foi en sortira enrichie et fortifiée. C’est la grâce et la mission que Jésus donne à Pierre et à ses successeurs : « Moi, j’ai prié pour toi (…) Toi, affermis tes frères » (Luc 22, 32). Avec l’archevêque de Monaco, nous sommes trente-six évêques, des cinq provinces de Clermont, Marseille, Montpellier, Toulouse et Lyon. Le diocèse de Moulins, qui attend son futur pasteur, est représenté par son administrateur. Ces territoires couvrent le Sud Est de la France, « un pays que je connais bien », avez-vous dit aux frères évêques qui nous ont précédés auprès de vous.
Nous vivons intensément cette semaine romaine. Pour nous, c’est d’abord un pèlerinage sur la tombe des Apôtres, les colonnes de l’Eglise, au cœur de l’« Année de la Foi ». Les Messes que nous avons célébrées dans chacune des Basiliques Majeures resteront gravées dans nos mémoires. Nous sommes touchés par les rencontres en petits groupes avec vous ; vous y donnez un climat de simplicité et d’échange très fraternel. Vous voulez entendre nos questions, et nous comprenons que ce sont aussi les vôtres. Nous avons la joie de vous voir réfléchir à haute voix devant nous, avec un cœur de pasteur. C’est vraiment encourageant pour nous.
Depuis vendredi dernier, nous trouvons aussi un grand intérêt à rencontrer vos collaborateurs, en passant dans les différents Dicastères. Cela nous éclaire sur les questions que nous nous posons ou les problèmes que nous rencontrons. Ils sont mis en relation avec des situations comparables dans d’autres pays ou d’autres continents. Oui, la grâce de Rome est vraiment celle de l’universalité, une grâce « catholique » !
Pour chacun d’entre nous, ce fut très intéressant de préparer son rapport en vue de la visite ad limina : une occasion de faire le point avec nos collaborateurs sur la vie de notre diocèse, de réfléchir avec un peu de recul à notre mission pour vous en rendre compte, et aussi de faire un utile examen de conscience…
Dans nos diocèses, la situation n’est pas toujours facile. La charge confiée nous paraît parfois lourde, mais en pensant à la vôtre, nous aurions honte de nous plaindre. En fait, nous savons bien ce qui nous est demandé : comme le dit saint Paul, « avoir une foi qui travaille, une charité qui se donne de la peine et une espérance qui tient bon » (1 Thes 1, 3). Nos frères qui ont participé au Synode sur la nouvelle évangélisation, le mois dernier, nous ont dit que vous aviez commenté le passage de l’Evangile où Jésus s’écrie : « Je suis venu allumer le feu sur la terre » (Luc 12, 49). Ce désir dévore son cœur, le vôtre et le nôtre. Juste avant, dans ce même chapitre de saint Luc, Jésus venait de donner un long développement sur le service. Nous comprenons donc que pour réussir à allumer ce feu, il faut d’abord avoir des cœurs de serviteurs et « garder nos reins ceints et nos lampes allumées » (v. 35).
Même si la situation est différente dans nos diocèses, il est clair que les effectifs diminuent, celui des baptisés d’abord, mais aussi le nombre des mariages, des vocations sacerdotales et religieuses. Pourtant, dans cette société égarée qui perd le sens des valeurs fondamentales et qui ne sait plus goûter le silence, un véritable réveil spirituel s’opère. Beaucoup découvrent d’une manière nouvelle le mystère de l’homme, créé « à l’image et à la ressemblance de Dieu ». Les catéchumènes réveillent nos communautés par leurs attentes et nous donnent une grande joie. Ils viennent d’horizons très divers et demandent beaucoup en frappant à la porte de l’Eglise. Certains d’entre nous voient que le nombre des fidèles à la Messe dominicale a cessé de baisser. Plusieurs qui s’étaient éloignés, reviennent et beaucoup veulent réapprendre à prier, chaque jour, seuls, avec d’autres ou en famille.
Il est aussi très réconfortant de voir, au cours de nos visites pastorales, le nombre de chrétiens, jeunes et adultes, qui se sentent responsables avec leurs pasteurs de la mission de l’Eglise. On peut dire que le Seigneur a allumé le feu dans leurs cœurs. Des initiatives d’évangélisation se multiplient ; elles passent par la musique, le sport, internet, twitter et facebook, et tous les nouveaux moyens de communication. Si les gens ne viennent plus dans nos églises, c’est à nous d’aller à leur rencontre ; c’est d’ailleurs ce que le Seigneur nous a ordonné : « Allez, enseignez toutes les nations… » (Mat 28, 19). « Nous sommes passés de la pastorale de la cloche à celle de la sonnette », m’expliquait récemment un prêtre. Aux pasteurs, il revient, comme dit saint Paul, de ne pas éteindre l’Esprit, de tout vérifier (1 Thes 5, 19-21) et de savoir encourager les uns et les autres.
Evangéliser, qu’est-ce à dire ? A la récente assemblée de Lourdes, un de nos frères évêques nous a laissé cette magnifique définition de Madeleine Delbrel : « Evangéliser, c’est dire, à des gens qui ne le savent pas, qui est Jésus, ce qu’il a dit, ce qu’il a fait, de façon que ces gens le sachent et qu’ils sachent que nous en sommes sûrs. » Tout est dit.
Ce trésor de la foi, que nous portons dans des vases d’argile (cf 2 Cor 4, 7), nous essayons sans cesse de l’approfondir. Une grande attention est portée à la formation de nos responsables et de tous les fidèles, d’abord dans les Universités catholiques de Toulouse et de Lyon, qui ont des annexes dans plusieurs autres villes, mais aussi dans chacun de nos services diocésains qui essaient de travailler davantage ensemble et de coordonner leurs efforts par province.
Dans nos diocèses, il y a une longue tradition d’œcuménisme et de dialogue interreligieux. Cela est dû aux lieux importants du protestantisme qui se trouvent dans notre région, à la présence d’orthodoxes (avec qui nous sommes en communion de prière aujourd’hui pour la fête de saint André, le premier appelé) et à l’installation de communautés arméniennes, après le génocide de 1915.
Les horreurs de la Shoah et l’audace de tant de chrétiens pour sauver la vie de nombreux Juifs durant la seconde guerre mondiale, ont tissé des liens très forts avec la communauté juive. Le dialogue entre nous s’enracine et se développe de manière étonnante en une belle amitié, qui nous rend vigilants à toute réapparition de l’antisémitisme.
On doit aussi noter l’importante présence des musulmans dans nos régions. Cela occupe une grande place dans l’actualité, car les questions soulevées et les difficultés rencontrées sont nombreuses. Notre dialogue est assez fraternel pour nous permettre de regarder ensemble, avec courage, les violences et les problèmes de liberté religieuse posés par les mariages mixtes ou les conversions. En même temps, un vrai dialogue s’approfondit ; nous avons le désir de mieux nous connaître entre communautés, sur le plan spirituel, mais aussi dans la réflexion théologique ou l’engagement social. Ces prochains jours, aura lieu à Lyon, le second « Forum islamo-chrétien », sur la douloureuse question des extrémismes et des intégrismes. Nous savons que vous considérez ce dialogue fraternel avec les musulmans comme l’un des défis importants de l’Eglise et du monde aujourd’hui.
Vous nous encouragez à faire entendre notre voix « sans relâche et avec détermination » dans les débats de société qui traversent notre pays. Il est clair que le projet de loi visant à transformer le mariage est un vrai changement de civilisation. Avec les frères des autres églises chrétiennes, avec les juifs et les musulmans, avec des représentants d’autres courants de pensée, en nous fondant sur la raison et le bon sens, nous essayons d’expliquer que ce projet risque d’engendrer un grand trouble dans la société, déjà bien fragile. La prière silencieuse de nombreuses personnes accompagne cet engagement social. Nous demandons au Seigneur de nous donner le ton et les mots justes pour faire entendre la voix du bien commun.
La dernière consigne de Jésus, avant de quitter cette terre, c’est : « Vous serez mes témoins » (Act 1, 8). Ce témoignage, nous essayons de le porter dans bien des domaines de la vie sociale. La crise économique et le chômage frappent durement une grande partie de la population. Le taux de pauvreté vire au rouge depuis deux ans : recours à l’aide alimentaire, négligences sur la santé, graves problèmes de logement…. Nous lançons un message d’alerte, car les plus pauvres subissent des violences qui ne sont pas nommées comme telles. « Le plus dur, disent-ils, ce n’est pas de vivre sans rien, c’est d’être considéré pour rien. »
Nous savons votre attention aux migrants et aux réfugiés. Dans le dernier message que vous venez d’écrire pour la prochaine Journée qui leur est consacrée, vous défendez le droit de la personne à émigrer et vous ajoutez : « Avant même le droit d’émigrer, il faut réaffirmer le droit de ne pas émigrer. » Cela supposerait un vigoureux rééquilibrage de la répartition des richesses entre les peuples.
Il y a aussi un problème douloureux avec les gens du voyage et les Roms. Ils sont nombreux chez nous, souvent mal acceptés et parfois renvoyés chez eux. Nous sommes touchés par l’attention que vous leur portez. Votre appel : « Que jamais plus votre peuple ne soit objet de vexations, de refus et de mépris ! » est un grand réconfort pour eux. Vous avez repris le cri du Serviteur de Dieu, Paul VI, en 1965 : « Dans l’Eglise, vous n’êtes pas en marge, mais à certains égards, vous êtes au centre, vous êtes au cœur », et vous avez ajouté : « Je vous répète moi aussi avec affection : Vous êtes dans l’Eglise ! » Nous savons qu’un grand pèlerinage Rom se prépare pour 2015. Nous voyons nos responsables successifs agir de manière incertaine à leur égard, alors que la solution ne peut pas venir d’une seule nation. Est-il possible, Très Saint Père, que vous encouragiez les gouvernements de l’Europe à se saisir ensemble de cette question pour y apporter une réponse digne et durable ? Dans la crise que nous traversons, la parole de l’Eglise marque, elle intrigue… Elle peut bousculer les idées et faire changer les attitudes.
Je voudrais terminer, Très Saint Père, en vous disant merci pour tous les cadeaux que vous nous faites.
Merci de votre enseignement toujours riche et accessible. Rien que le titre de vos principaux écrits Deus caritas est, Sacramentum caritatis, Caritas in veritate, affirme que la charité est première. Dans chacune de vos homélies, nous apprenons des choses nouvelles.
Merci pour l’année Saint Paul qui a connu un grand succès et qui a replongé tout le monde dans le livre des Actes et dans les épitres de l’Apôtre des nations.
Merci pour l’année sacerdotale. Elle nous a permis de voir des prêtres de toutes les nations, et un grand nombre de fidèles, venir en pèlerins vers le sanctuaire d’Ars. Ce fut un beau moment pour reprendre conscience de ce don inestimable. Le sacerdoce, je le vois comme un accomplissement de la promesse de Jésus : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mat 28, 20).
Maintenant, nous sommes dans l’Année de la Foi, et les initiatives se multiplient pour approfondir le Credo, mieux connaître et utiliser le Catéchisme de l’Eglise Catholique et renouveler en nous la grâce de la foi.
Comme nous allons commencer, dimanche, notre marche vers Noël, je voudrais, pour terminer, vous remercier de votre dernier livre L’enfance de Jésus. Voilà une bonne lecture pour le temps de l’Avent ! Plusieurs d’entre nous y sont plongés, et un frère évêque me faisait remarquer, ces jours-ci : « En lisant ce livre, en découvrant tel commentaire de l’Evangile, je me disais : Mais c’est évident, cela ! Comment se fait-il que je n’y aie pas pensé tout seul, que je ne l’aie jamais entendu dire ? »
Très Saint Père, permettez-nous de vous souhaiter un beau temps de l’Avent, une joyeuse marche vers la lumière de Noël.
Comptez sur notre prière et sur celle de tous nos diocésains, éclairez-nous et bénissez-nous !
+ Cardinal Philippe Barbarin
Archevêque de Lyon.
Contactez la Conférence des évêques de France
58, avenue de Breteuil
75007 Paris
tél. : 01 72 36 68 00