Les commentaires
de Marie-Noëlle Thabut

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 23 février 2025

7éme dimanche du Temps ordinaire année C


PREMIERE LECTURE - Samuel 26,2.7-9.12-13.22-23

En ces jours-là,
2 Saül se mit en route,
il descendit vers le désert de Zif
avec trois mille hommes, l'élite d'Israël,
pour y traquer David.

7 David et Abishaï arrivèrent de nuit, près de la troupe.
Or, Saül était couché, endormi, au milieu du camp,
sa lance plantée en terre près de sa tête ;
Abner et ses hommes étaient couchés autour de lui.
8 Alors Abishaï dit à David :
« Aujourd'hui Dieu a livré ton ennemi entre tes mains.
Laisse-moi donc le clouer à terre
avec sa propre lance, d'un seul coup,
et je n'aurai pas à m'y reprendre à deux fois. »
9 Mais David dit à Abishaï :
« Ne le tue pas !
Qui pourrait demeurer impuni
après avoir porté la main
sur celui qui a reçu l'onction du SEIGNEUR ? »

12 David prit la lance et la gourde d'eau
qui étaient près de la tête de Saül, et ils s'en allèrent.
Personne ne vit rien,
personne ne le sut,
personne ne s'éveilla :
ils dormaient tous,
car le SEIGNEUR avait fait tomber sur eux un sommeil mystérieux.
13 David passa sur l'autre versant de la montagne
et s'arrêta sur le sommet, au loin, à bonne distance.

22 Il appela Saül et lui cria :
« Voici la lance du roi.
Qu'un jeune garçon traverse et vienne la prendre !
23 Le SEIGNEUR rendra à chacun selon sa justice et sa fidélité.
Aujourd'hui, le SEIGNEUR t'avait livré entre mes mains,
mais je n'ai pas voulu porter la main sur le messie du SEIGNEUR. »


SAUL, PREMIER MESSIE D’ISRAEL
Pour commencer, il faut se rappeler le contexte : Saül fut le premier roi du peuple d’Israël, vers 1040 av.J.C. Il était beau, il était dans la fleur de l’âge ; les textes disent que « Aucun fils d’Israël n’était plus beau que lui, et il dépassait tout le monde de plus d’une tête » (1 S 9,2) ; il était fermier, originaire d’une famille simple, dans la petite tribu de Benjamin. C’est Dieu qui l’avait choisi et qui avait chargé le prophète Samuel de le consacrer comme roi ; vous vous souvenez que Samuel avait renâclé parce qu’il se méfiait de la monarchie en général ; mais il avait bien fallu obéir à Dieu et Saül est donc devenu roi d’Israël ; en rigueur de termes, consacré par l’onction d’huile, il portait le titre de « messie ». Enfin, le peuple était comme tous les autres, il avait un roi.
Mais après un bon début, Saül donna malheureusement raison aux pires craintes de Samuel : son bon plaisir et l’amour du pouvoir et de la guerre l’emportèrent sur la fidélité à l’Alliance. Ce fut si grave que, sans attendre la fin du règne de Saül, Samuel, sur l’ordre de Dieu, envisagea la succession ; il choisit déjà le futur roi : ce fut David, le petit berger de Bethléem, le huitième fils de Jessé ; écuyer du roi Saül, il fut formé à la cour ; il devint peu à peu un remarquable chef de guerre dont les succès se racontaient partout. Un jour, par malheur, Saül a entendu la chanson qui courait dans les chaumières : « Saül a tué des milliers, et David des dizaines de milliers. » (1 S 18,7). Et donc, ce qui devait arriver arriva : Saül, d’abord enthousiaste conçut bientôt d’affreux soupçons et une jalousie féroce pour ce petit prétentieux qui ne pensait certainement qu’à le détrôner.
Une jalousie telle qu’il en devint fou. David dut s’enfuir à plusieurs reprises pour lui échapper ; mais contrairement aux soupçons de Saül, les récits notent à loisir que jamais David ne manqua de loyauté à son roi : le choix que Dieu avait fait de Saül, en son temps, était trop précieux à ses yeux.
Dans l’épisode qui nous est raconté aujourd’hui, c’est Saül qui a pris l’initiative : les trois mille hommes dont on nous parle ont été réunis par le roi dans le seul but d’assouvir sa haine contre David : « Saül se mit en route, il descendit vers le désert de Zif avec trois mille hommes, l’élite d’Israël, pour y traquer David. » Les intentions de Saül sont très claires : il mène personnellement les opérations de nettoyage, il liquidera David dès qu’il le pourra.
DAVID, LE MAGNANIME
Mais le hasard renverse la situation au profit de David : pendant la nuit, il s’introduit dans le camp de Saül et trouve tout le monde endormi ; l’occasion est trop belle, il faut le reconnaître ; sûrement, Dieu est avec lui ; et Abishaï, son garde du corps fait du zèle : il est tout prêt à en finir avec Saül.
Tout le monde comprendrait, d’ailleurs, que David se soit laissé aller à une vengeance que le hasard lui offrait si facilement. En tout cas, il est clair que cela se passe à une époque où les moeurs ne sont pas tendres ! Puisqu’on croit facilement que c’est Dieu lui-même qui vous donne de superbes occasions de se venger ; le compagnon de David est tout ce qu’il y a de plus sincère quand il lui dit : « Aujourd’hui Dieu a livré ton ennemi entre tes mains. Laisse-moi donc le clouer à terre avec sa propre lance, d’un seul coup, et je n’aurai pas à m’y reprendre à deux fois. » Pour Abishaï, clairement, ce n’est pas le hasard, c’est la Providence qui les a amenés là ! C’est là que David surprend tout le monde, y compris Saül qui n’en croira pas ses yeux quand il aura la preuve que David l’a épargné.
On peut se poser deux questions : premièrement, pour quelle raison David a-t-il épargné celui qui lui voulait du mal... ? Deuxièmement, pourquoi la Bible raconte-t-elle cet épisode ?
Premièrement, pour quelle raison David a-t-il épargné Saül ? La seule raison qu’il invoque, ce n’est pas que nous sommes tous frères, ou qu’il faut aimer nos ennemis, comme Jésus le dira plus tard, et que ce n’est pas beau de se venger ; sa raison c’est le respect du choix de Dieu : « Je n’ai pas voulu porter la main sur le messie du SEIGNEUR. »
Deuxièmement, pourquoi la Bible raconte-t-elle cet épisode ? Il y a certainement plusieurs messages dans ce texte : d’abord, visiblement, l’auteur veut dessiner un certain portrait de David : respectueux des choix de Dieu, magnanime, refusant de se venger, et qui a déjà compris que ce n’est jamais la Providence qui livre les ennemis à notre merci. Ensuite, deuxième message, il n’est pas mauvais de faire savoir que le roi régnant est intouchable ! N’oublions pas que ce récit a été écrit à la cour de Salomon, qui a tout avantage à ce que l’on retienne la leçon !
Enfin, ce texte reflète une étape de l’histoire biblique, un jalon dans la pédagogie de Dieu : avant d’apprendre à aimer tous les hommes, il faut commencer de se trouver quelques bonnes raisons d’en aimer quelques-uns ; David épargne un ennemi pourtant très dangereux pour lui parce que celui-ci a été en son temps l’élu de Dieu ; l’ultime étape, ce sera quand nous aurons compris que chaque homme, partout sur toute la terre, a reçu l’onction du Seigneur.


PSAUME - 102 (103), 1-2, 3-4,8.10.12-13

1 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
2 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
n'oublie aucun de ses bienfaits !

3 Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
4 il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d'amour et de tendresse.

8 Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d'amour ;
10 il n'agit pas envers nous selon nos fautes,
ne nous rend pas selon nos offenses.

12 Aussi loin qu'est l'orient de l'occident,
il met loin de nous nos péchés ;
13 comme la tendresse du père pour ses fils,
la tendresse du SEIGNEUR pour qui le craint !


DIEU NOUS COURONNE D’AMOUR ET DE TENDRESSE
Nous avons rencontré plusieurs fois ce psaume au cours des trois années liturgiques ; nous avons donc déjà eu l’occasion d’admirer le parallélisme des versets, cette sorte de balancement des lignes qui se répondent : l’idéal serait de le dire à deux voix, ligne à ligne ; il a probablement été chanté par deux choeurs alternés. Premier choeur : « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme »... Deuxième choeur : « Bénis son nom très saint, tout mon être ! »... Premier choeur : « Il n’agit pas envers nous selon nos fautes »... Deuxième choeur : « Il ne nous rend pas selon nos offenses. » Et ainsi de suite.
Autre caractéristique de ce psaume, cette tonalité très joyeuse de l’action de grâce : si vous vous reportez à votre Bible, vous verrez que la phrase « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme » est répétée en inclusion dans le premier et le dernier versets. Parmi tous les bienfaits de Dieu, les versets qui ont été retenus pour ce dimanche insistent sur son pardon : « Car il pardonne toutes tes offenses... Le SEIGNEUR est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ; il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses. Aussi loin qu’est l’orient de l’occident, il met loin de nous nos péchés. » Voilà aussi l’une des grandes découvertes de la Bible : Dieu n’est qu’amour et pardon. C’est en cela qu’il est si différent de nous, si surprenant même, pour nous.
Il faudrait sans cesse avoir à l’esprit cette phrase d’Isaïe : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, dit Dieu ; et vos chemins ne sont pas mes chemins. » Nous connaissons bien cette parole, mais il ne faut pas oublier dans quel contexte elle est dite (Is 55,6-8) : « Cherchez le SEIGNEUR tant qu’il se laisse trouver ; invoquez-le, tant qu’il est proche. Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme perfide, ses pensées ! Qu’il revienne vers le SEIGNEUR, qui lui montrera sa miséricorde, vers notre Dieu qui est riche en pardon. CAR mes pensées ne sont pas vos pensées... » Cette conjonction CAR donne le sens du passage ; c’est précisément sa miséricorde inépuisable qui fait la différence entre Dieu et nous. Au passage, il faut noter que ce texte date d’à peu près cinq cents ans avant Jésus-Christ.
Mais bien avant même cette expression particulièrement forte chez Isaïe, on avait compris depuis bien longtemps que le pardon de Dieu est sans conditions et qu’il précède toutes nos prières ou nos repentirs. Le pardon de Dieu n’est pas un acte ponctuel, un événement, c’est son être même. Il reste que nous seuls pouvons faire la démarche libre d’aller recevoir ce pardon de Dieu, et renouer l’Alliance ; il ne nous forcera jamais la main. Donc, quand nous allons demander pardon, nous faisons la démarche indispensable pour entrer dans le pardon de Dieu, mais ce pardon était déjà acquis.
LE PARDON LIBERATEUR
Cette découverte remonte très haut dans l’histoire biblique : le prophète Natan l’avait clairement dit au roi David, qui venait de se débarrasser du mari de sa maîtresse, Bethsabée ; David n’avait pas eu encore le temps d’exprimer le moindre repentir que le prophète lui avait déjà annoncé le pardon de Dieu. Après lui avoir rappelé tous les bienfaits dont Dieu l’avait comblé, il avait ajouté : « Et si ce n’est pas assez, j’ajouterai encore autant. » (2 S 12,8). Ce qui est très exactement le sens du mot « pardon ».
Etymologiquement, le mot « par-don » (il faut séparer les deux syllabes), c’est le don parfait, le don par-delà l’offense, par-delà l’ingratitude ; c’est l’alliance toujours offerte malgré l’infidélité. Pardonner à celui qui nous a fait du mal, c’est continuer malgré cela à lui proposer une alliance, une relation d’amour ou d’amitié. C’est accepter de revoir telle ou telle personne, de lui tendre la main, de l’accueillir quand même à sa table ou dans sa maison ; c’est risquer un sourire ; quand c’est plus grave, ce sera refuser de haïr, refuser de se venger.
Pour autant, cela ne veut pas dire oublier. On entend souvent dire « je ne peux pas pardonner, je n’oublierai jamais » ; en réalité, il s’agit de deux choses complètement différentes. Le pardon n’est pas un coup d’éponge, il n’est ni oubli, ni effacement : ce qui est fait est fait, rien ne l’effacera, en bien comme en mal, d’ailleurs. Et il y a bien des offenses qu’on ne pourra jamais oublier, parce que l’irréparable a été commis. C’est d’ailleurs ce qui fait la grandeur et la gravité de nos vies d’hommes : si un coup d’éponge pouvait tout effacer, à quoi bon agir bien, on peut faire n’importe quoi. Le pardon n’efface donc pas le passé, mais il ouvre l’avenir. Il détache les chaînes de la culpabilité, il apporte la libération intérieure, on peut repartir.
Quand David a fait tuer le mari de Bethsabée, rien n’a pu réparer le mal commis. Mais David, pardonné, a pu relever la tête et tâcher de ne plus faire le mal. Quand les parents d’une jeune fille assassinée pardonnent à l’assassin, (nous en avons eu des exemples parfois à la télévision), cela ne veut pas dire qu’ils ont oublié l’acte commis ; mais c’est dans leur douleur même, peut-être, qu’ils puisent la miséricorde nécessaire pour pardonner ; le pardon est alors non pas un coup d’éponge, mais un acte profondément libérateur. Celui qui est pardonné n’est pas un innocent, il ne sera plus jamais un innocent, mais il peut relever la tête.
Sans aller jusqu’au meurtre, nos vies quotidiennes sont jalonnées d’actes plus ou moins graves qui ont semé l’injustice ou la peine. Quand nous pardonnons et quand nous sommes pardonnés, nous cessons d’être tournés vers le passé, nous relevons la tête vers l’avenir. Dans notre relation à Dieu, c’est la même chose : aucun de nous n’est un innocent, nous sommes tous des pécheurs pardonnés.


DEUXIEME LECTURE - Première lettre de Saint Paul aux Corinthiens, 15,45-49

Frères,
l'Ecriture dit :
45 le premier homme, Adam, devint un être vivant ;
le dernier Adam - le Christ - est devenu l'être spirituel
qui donne la vie.
46 Ce qui vient d'abord, ce n'est pas le spirituel,
mais le physique ;
ensuite seulement vient le spirituel.
47 Pétri d’argile, le premier homme vient de la terre ;
le deuxième homme, lui, vient du ciel.
48 Comme Adam est fait d’argile,
ainsi les hommes sont faits d’argile ;
comme le Christ est du ciel,
ainsi les hommes seront du ciel.
49 Et de même que nous nous aurons été à l'image
de celui qui est fait d’argile,
de même nous serons à l'image
de celui qui vient du ciel.


D’ADAM A JESUS-CHRIST
Ce texte s'inscrit dans la longue méditation de Paul sur la résurrection, celle du Christ et la nôtre ; il s'adresse à des Chrétiens d'origine grecque qui voudraient bien posséder une bonne fois une réponse claire, nette et précise sur la résurrection de la chair, le quand et le comment. Paul a commencé par dire : d'abord, la résurrection est un article de foi ; et si vous ne croyez pas à la résurrection des morts, c’est que vous ne croyez pas à la résurrection du Christ. C'était notre lecture de dimanche dernier.
Dans notre texte d'aujourd'hui, il est confronté à la question : « Comment les morts ressuscitent-ils ? Avec quel corps reviennent-ils ? » Or Paul ne sait pas dire comment seront les ressuscités ; la seule chose qu’il peut dire avec certitude, c’est que notre corps ressuscité sera tout différent de notre corps terrestre ; rappelons-nous qu’après sa résurrection, il arrivait que Jésus se fasse reconnaître par ses disciples, mais on sait aussi que certains ne l’ont pas reconnu spontanément : Marie-Madeleine, par exemple, a commencé par le prendre pour le jardinier ; et les apôtres, au bord du lac, se sont posé des questions. Ce qui prouve qu’il était bien le même et en même temps tout autre.
Ce qui amène Paul à faire une distinction entre un corps animal et un corps spirituel. Cette expression « corps spirituel » devait évidemment surprendre des auditeurs habitués à la distinction classique chez les Grecs entre le corps et l’âme ; mais Paul est juif et la pensée juive n’oppose jamais le corps et l’âme. En revanche, sa formation juive l’a entraîné à opposer deux sortes de comportements, celui de l’homme terrestre et celui de l’homme spirituel qu’inaugurera le Messie. Dans tous les hommes, Dieu a insufflé un souffle de vie qui fait d’eux des êtres capables d’une vie spirituelle, mais ce sont encore des hommes terrestres ; tandis que dans le Messie, habite l’Esprit même de Dieu qui dicte toute sa conduite, une conduite à l’image de Dieu.
C’est là que Paul fait référence à la Genèse dans laquelle il lit la vocation de l’humanité ; mais n’oublions pas qu’il ne la lit pas de manière historique ; pour lui, Adam est un type d’homme ou plutôt un type de comportement ; cette lecture est peut-être pour nous inhabituelle ; mais il faut nous entraîner à lire les textes de création dans la Genèse, non pas comme le reportage des événements, mais comme des récits de vocation. En créant l’humanité, (Adam est un nom collectif) Dieu l’appelle à un devenir inouï. Adam, le terreux, est appelé à devenir le temple de l’Esprit de Dieu.
Attention, dans la Bible, la Création n’est pas considérée comme un événement du passé : d’abord, la Bible parle beaucoup plus du Dieu Créateur qu’elle ne parle de la Création : elle parle de notre relation à Dieu ; nous sommes créés par lui, nous dépendons de lui, nous sommes suspendus à son souffle.
TOUS HABITES PAR L’ESPRIT DE DIEU
Ensuite, il ne s’agit pas du passé, mais de l’avenir. L’acte Créateur nous est présenté comme un projet non encore achevé : dans les deux récits de création, l’homme a un rôle à jouer « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la » dans le premier récit (Gn 1,28). « Le SEIGNEUR Dieu prit l’homme et le conduisit dans le jardin d’Eden pour qu’il le travaille et le garde » dans le deuxième récit (Gn 2,15). Et ce rôle nous incombe à tous, puisque Adam est le nom collectif qui englobe toute l’humanité. Et notre vocation, dit encore la Genèse, c’est d’être l’image de Dieu, c’est-à-dire habités par l’Esprit même de Dieu. « Dieu dit : faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance... Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. » (Gn 1,26...27).
Mais, dans la Bible, Adam est aussi le type de l’homme qui, justement, ne répond pas à sa vocation ; il s’est laissé inspirer par le serpent, qui lui distille, comme un venin, la méfiance vis-à-vis de Dieu. C’est cela que Paul appelle un comportement terrestre, comme le serpent qui rampe à ras de terre. Jésus-Christ, le nouvel Adam, bien au contraire, ne se laisse souffler ses comportements que par l’Esprit de Dieu. En cela il accomplit cette vocation de tout homme, c’est-à-dire d’Adam ; c’est le sens de la phrase de Paul : « Frères, l’Ecriture dit : le premier homme, Adam, devint un être vivant ; le dernier Adam - le Christ - est devenu l’être spirituel qui donne la vie. »
Le message de Paul, c’est : le comportement d’Adam mène à la mort, le comportement du Christ mène à la vie. Or nous sommes tous, sans cesse, tiraillés entre ces deux comportements, entre ciel et terre. Nous pouvons tous faire nôtre cette phrase de Paul : « Malheureux homme que je suis !...Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas. » (Rm 7,24.19). Et notre histoire individuelle, comme notre histoire collective, comme celle de toute l’humanité est ce long chemin pour nous laisser de plus en plus habiter par l’Esprit de Dieu.
« Comme Adam est fait d’argile, ainsi les hommes sont faits d’argile ; comme le Christ est du ciel, ainsi les hommes seront du ciel. Et de même que nous aurons été à l’image de celui qui est fait d’argile, de même nous serons à l’image de celui qui vient du ciel. » Comme dit Saint Jean : « Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est. » (1 Jn 3,2).
Cette perfection de l’image de Dieu en Jésus-Christ, les apôtres l’ont vue sur le visage du Christ lors de la Transfiguration !


EVANGILE - selon Saint Luc, 6, 27-38

En ce temps-là,
Jésus déclarait à ses disciples :
27 « Je vous le dis, à vous qui m'écoutez :
aimez vos ennemis,
faites du bien à ceux qui vous haïssent.
28 Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent,
priez pour ceux qui vous calomnient.
29 A celui qui te frappe sur une joue,
présente l'autre joue.
A celui qui te prend ton manteau,
ne refuse pas ta tunique.
30 Donne à quiconque te demande,
et à qui prend ton bien, ne le réclame pas.
31 Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous,
faites-le aussi pour eux.
32 Si vous aimez ceux qui vous aiment,
quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment.
33 Si vous faites du bien à ceux qui vous en font,
quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs en font autant.
34 Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour,
quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs prêtent aux pécheurs
pour qu'on leur rende l'équivalent.
35 Au contraire, aimez vos ennemis,
faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour.
Alors votre récompense sera grande,
et vous serez les fils du Très-Haut,
car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants.
36 Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.
37 Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ;
ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés.
Pardonnez, et vous serez pardonnés.
38 Donnez, et l’on vous donnera :
c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante,
qui sera versée dans le pan de votre vêtement ;
car la mesure dont vous vous servez pour les autres
servira de mesure aussi pour vous. »


SOYEZ MISERICORDIEUX COMME VOTRE PERE EST MISERICORDIEUX
« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » : « (alors) vous serez les fils du Dieu très-haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants. » On a envie de dire ‘quel programme !’ Et pourtant c’est cela notre vocation ; si on relit l’ensemble de la Bible, elle apparaît bien comme le récit de la conversion de l’homme qui apprend peu à peu à dominer sa violence. Cela ne va pas sans mal, mais Dieu est patient, puisque pour lui, comme dit Saint Pierre, « Un seul jour est comme mille ans et mille ans sont comme un seul jour. » (2 Pi 3,8). Dieu éduque son peuple lentement, patiemment, comme le dit le Deutéronome : « Comme un homme éduque son fils, ainsi le SEIGNEUR ton Dieu fait ton éducation. » (Dt 8,5). Cette lente extirpation de la violence du coeur de l’homme est exprimée de manière imagée dès le livre de la Genèse : la violence y est présentée comme une forme d’animalité ; je reprends le récit du jardin d’Eden : Dieu avait invité Adam à nommer les animaux ; ce qui symbolise sa suprématie sur l’ensemble des créatures. Et Dieu avait bien conçu Adam comme le roi de la création : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre. » (Gn 1,26). Et Adam lui-même s’était reconnu différent, supérieur : « L’homme donna leurs noms à tous les animaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes des champs. Mais il ne trouva aucune aide qui lui corresponde. » (Gn 2,20). L’homme n’a pas trouvé son égale.
Or deux chapitres plus loin, voici l’histoire de Caïn et Abel. Au moment où Caïn est pris d’une folle envie de meurtre, Dieu lui dit : « Le péché est accroupi (comme une bête) à ta porte. Il est à l’affût, mais tu dois le dominer ». Et à partir de ce premier meurtre, le texte biblique montre la prolifération de la vengeance. (Gn 4,1-26). Cela revient à dire que, dès les premiers chapitres de la Bible, la violence est reconnue, elle existe, mais elle est démasquée, comparée à un animal : l’homme ne mérite plus le nom d’homme quand il est violent. Les textes bibliques vont donc entreprendre la difficile conversion du coeur de l’homme.
Dans cette entreprise, on peut distinguer des étapes ; arrêtons-nous sur la première : « Oeil pour oeil, dent pour dent » (Ex 21,24). En réponse à l’effroyable record de Lamek (Gn 4,23), l’arrière petit-fils de Caïn, qui se vantait de tuer hommes et enfants pour venger de simples égratignures, la loi oppose une première limitation : une seule dent pour une dent, et non pas toute la mâchoire, une seule vie pour une vie, et non pas tout un village en représailles. La loi du talion représentait donc déjà un progrès certain, même s’il nous paraît encore maigre.
LA LENTE CONVERSION DU COEUR DE L’HOMME
La pédagogie des prophètes va sans cesse attaquer ce problème de la violence ; mais elle se heurte à une difficulté psychologique très grande : l’homme qui accepte de ne pas se venger croit perdre son honneur. Les textes bibliques vont donc faire découvrir à l’homme que son véritable honneur est ailleurs ; il consiste justement à ressembler à Dieu qui est « bon, lui, pour les ingrats et les méchants ».
Le discours de Jésus, que nous lisons ce dimanche, est la dernière étape de cette éducation : de la loi du talion, nous sommes passés à l’appel à la douceur et au désintéressement, à la gratuité parfaite ; il insiste : par deux fois, au début et à la fin, il dit « aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent »... « aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour ».
Du coup, la finale nous surprend un peu ; jusqu’ici, si ce n’était pas facile, au moins c’était logique : Dieu est miséricordieux et nous invite à l’imiter ; et voilà que les dernières lignes semblent changer de ton : « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et l’on vous donnera… c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. » Serions-nous revenus au donnant-donnant ?
Evidemment non, puisque c’est Jésus qui parle ; tout simplement, il nous indique un chemin très rassurant : pour ne plus craindre d’être jugés, contentons-nous de ne pas juger, de ne pas condamner les autres. Jugez les actes, mais jamais les personnes, instaurez le règne de la bienveillance. Alors les relations fraternelles ne seront jamais coupées.
Quant à la phrase « Votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut », elle dit la merveille que découvrent ceux qui obéissent à l’idéal chrétien de douceur et de pardon, c’est-à-dire la transformation profonde qui s’introduit en eux : parce qu’ils ont ouvert la porte à l’Esprit de Dieu, celui-ci les habite et les inspire de plus en plus ; et, peu à peu, ils voient s’accomplir en eux la promesse formulée par le prophète Ezéchiel (Ez 36,26) : « Je vous donnerai cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau ; j’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair. »


L'intelligence des écritures, de Marie-Noëlle Thabut

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La Bible des familles

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En 2025, nous sommes en année liturgique C