Les commentaires
de Marie-Noëlle Thabut

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 24 mars 2024

dimanche des Rameaux


PREMIERE LECTURE - Isaïe 50, 4-7

4 Le SEIGNEUR mon Dieu m'a donné le langage des disciples
pour que je puisse, d’une parole,
soutenir celui qui est épuisé.
Chaque matin, il éveille,
il éveille mon oreille
pour qu’en disciple, j'écoute.
5 Le SEIGNEUR mon Dieu m'a ouvert l'oreille,
et moi, je ne me suis pas révolté,
je ne me suis pas dérobé.
6 J'ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient,
et mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe.
Je n'ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats.
7 Le SEIGNEUR mon Dieu vient à mon secours ;
c'est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages,
c'est pourquoi j'ai rendu ma face dure comme pierre :
je sais que je ne serai pas confondu.


ISRAEL, SERVITEUR DE DIEU
Depuis des années, nous avons lu et relu ces textes étonnants qui font partie du livre d’Isaïe et qu’on appelle les « Chants du Serviteur » ; ils nous intéressent tout particulièrement, nous Chrétiens, pour deux raisons : d’abord par le message qu’Isaïe lui-même voulait donner par là à ses contemporains ; ensuite, parce que les premiers Chrétiens les ont appliqués à Jésus-Christ.
Je commence par le message du prophète Isaïe à ses contemporains :
Une chose est sûre, Isaïe ne pensait évidemment pas à Jésus-Christ quand il a écrit ce texte, probablement au sixième siècle av.J.C., pendant l’Exil à Babylone. Parce que son peuple est en Exil, dans des conditions très dures et qu’il pourrait bien se laisser aller au découragement, Isaïe lui rappelle qu’il est toujours le serviteur de Dieu. Et que Dieu compte sur lui, son serviteur (son peuple) pour faire aboutir son projet de salut pour l’humanité. Car le peuple d’Israël est bien ce Serviteur de Dieu nourri chaque matin par la Parole, mais aussi persécuté en raison de sa foi justement et résistant malgré tout à toutes les épreuves.
Dans ce texte, Isaïe nous décrit bien la relation extraordinaire qui unit le Serviteur (Israël) à son Dieu. Sa principale caractéristique, c’est l’écoute de la Parole de Dieu, « l’oreille ouverte » comme dit Isaïe ;
« Ecouter » la Parole, « se laisser instruire » par elle, cela veut dire vivre dans la confiance. « Dieu, mon SEIGNEUR m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire »... « La Parole me réveille chaque matin »... « J’écoute comme celui qui se laisse instruire »... « Le SEIGNEUR Dieu m’a ouvert l’oreille ».
« Ecouter », c’est un mot qui a un sens bien particulier dans la Bible : cela veut dire faire confiance ; les auteurs bibliques ont l’habitude d’opposer ces deux attitudes types entre lesquelles nos vies oscillent sans cesse : confiance à l’égard de Dieu, abandon serein à sa volonté parce qu’on sait d’expérience que sa volonté n’est que bonne... ou bien méfiance, soupçon porté sur les intentions de Dieu... et révolte devant les épreuves, révolte qui peut nous amener à croire qu’il nous a abandonnés ou pire qu’il pourrait trouver une satisfaction dans nos souffrances.
Les prophètes, les uns après les autres, redisent « Ecoute, Israël » ou bien « Aujourd’hui écouterez-vous la Parole de Dieu...? » Et, dans leur bouche, la recommandation « Ecoutez » veut toujours dire « faites confiance à Dieu quoi qu’il arrive » ; et Saint Paul dira pourquoi : parce que « Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment (c’est-à-dire qui lui font confiance). » (Rm 8,28). De tout mal, de toute difficulté, de toute épreuve, il fait surgir du bien ; à toute haine, il oppose un amour plus fort encore ; dans toute persécution, il donne la force du pardon ; de toute mort il fait surgir la vie, la Résurrection.
C’est bien l’histoire d’une confiance réciproque. Dieu fait confiance à son Serviteur, il lui confie une mission ; en retour le Serviteur accepte la mission avec confiance. Et c’est cette confiance même qui lui donne la force nécessaire pour tenir bon jusque dans les oppositions qu’il rencontrera inévitablement. Ici la mission est celle de témoin : « Pour que je puisse soutenir celui qui est épuisé », dit le Serviteur. En confiant cette mission, le Seigneur donne la force nécessaire : Il « donne » le langage nécessaire : « Dieu, mon SEIGNEUR m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire »... Et, mieux, il nourrit lui-même cette confiance qui est la source de toutes les audaces au service des autres : « Le SEIGNEUR Dieu m’a ouvert l’oreille », ce qui veut dire que l’écoute (au sens biblique, la confiance) elle-même est don de Dieu. Tout est cadeau : la mission et aussi la force et aussi la confiance qui rend inébranlable. C’est justement la caractéristique du croyant de tout reconnaître comme don de Dieu.
TENIR BON DANS L’EPREUVE
Et celui qui vit dans ce don permanent de la force de Dieu peut tout affronter : « Je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé... » La fidélité à la mission confiée implique inévitablement la persécution : les vrais prophètes, c’est-à-dire ceux qui parlent réellement au nom de Dieu sont rarement appréciés de leur vivant. Concrètement, Isaïe dit à ses contemporains : tenez bon, le Seigneur ne vous a pas abandonnés, au contraire, vous êtes en mission pour lui. Alors ne vous étonnez pas d’être maltraités.
Pourquoi ? Parce que le Serviteur qui « écoute » réellement la Parole de Dieu, c’est-à-dire qui la met en pratique, devient vite extrêmement dérangeant. Sa propre conversion appelle les autres à la conversion. Certains entendent l’appel à leur tour... d’autres le rejettent, et, au nom de leurs bonnes raisons, persécutent le Serviteur. Et chaque matin, le Serviteur doit se ressourcer auprès de Celui qui lui permet de tout affronter : « Il éveille mon oreille chaque matin... Le SEIGNEUR Dieu vient à mon secours : c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages... » Et là, Isaïe emploie une expression un peu curieuse en français mais habituelle en hébreu : « J’ai rendu mon visage dur comme pierre »1 : elle exprime la résolution et le courage ; en français, on dit quelquefois « avoir le visage défait », et bien ici le Serviteur affirme « vous ne me verrez pas le visage défait, rien ne m’écrasera, je tiendrai bon quoi qu’il arrive » ; ce n’est pas de l’orgueil ou de la prétention, c’est la confiance pure : parce qu’il sait bien d’où lui vient sa force : « Le SEIGNEUR Dieu vient à mon secours : c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages. »
Je disais en commençant que le prophète Isaïe parlait pour son peuple persécuté, humilié, dans son Exil à Babylone ; mais, bien sûr, quand on relit la Passion du Christ, cela saute aux yeux : le Christ répond exactement à ce portrait du serviteur de Dieu. Ecoute de la Parole, confiance inaltérable et donc certitude de la victoire, au sein même de la persécution, tout cela caractérisait Jésus au moment précis où les acclamations de la foule des Rameaux signaient et précipitaient sa perte.
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Note
1 - Luc a repris exactement cette expression en parlant de Jésus : il dit « Jésus durcit sa face pour prendre la route de Jérusalem » (Luc 9,51 ; notre traduction liturgique dit « Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem »)


PSAUME - 21 (22), 2, 8-9, 17-20, 22b-24

2 Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?
8 Tous ceux qui me voient me bafouent,
ils ricanent et hochent la tête :
9 « Il comptait sur le SEIGNEUR : qu’il le délivre !
Qu’il le sauve, puisqu’il est son ami ! »

17 Oui, des chiens me cernent,
une bande de vauriens m'entoure ;
ils me percent les mains et les pieds,
18 je peux compter tous mes os.

19 Ils partagent entre eux mes habits
et tirent au sort mon vêtement.
20 Mais toi, SEIGNEUR, ne sois pas loin :
ô ma force, viens vite à mon aide !

22 Mais tu m'as répondu !
23 Et je proclame ton nom devant mes frères,
je te loue en pleine assemblée.
24 Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR.


DU CRI DE DETRESSE A L’ACTION DE GRACE
Ce psaume 21/22 nous réserve quelques surprises : il commence par cette fameuse phrase « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » qui a fait couler beaucoup d’encre et même de notes de musique ! L’ennui, c’est que nous la sortons de son contexte, et que du coup, nous sommes souvent tentés de la comprendre de travers : pour la comprendre, il faut relire ce psaume en entier. Il est assez long, trente-deux versets dont nous lisons rarement la fin : or que dit-elle ? C’est une action de grâce : « Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée. » Celui qui criait « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » dans le premier verset, rend grâce quelques versets plus bas pour le salut accordé. Non seulement, il n’est pas mort, mais il remercie Dieu justement de ne pas l’avoir abandonné.
Ensuite, à première vue, on croirait vraiment que le psaume 21/22 a été écrit pour Jésus-Christ : « Ils me percent les mains et les pieds ; je peux compter tous mes os ». Il s’agit bien du supplice d’un crucifié ; et cela sous les yeux cruels et peut-être même voyeurs des bourreaux et de la foule : « Oui, des chiens me cernent, une bande de vauriens m’entoure »… « Ces gens me voient, ils me regardent. Ils partagent entre eux mes habits, et tirent au sort mon vêtement ».
Mais, en réalité, ce psaume n’a pas été écrit pour Jésus-Christ : il a été composé au retour de l’Exil à Babylone : ce retour est comparé à la résurrection d’un condamné à mort ; car l’Exil était bien la condamnation à mort de ce peuple ; encore un peu, et il aurait été rayé de la carte !
Et donc, dans ce psaume 21/22, Israël est comparé à un condamné qui a bien failli mourir sur la croix (n’oublions pas que la croix était un supplice très courant, depuis la période de la domination perse, c’est pour cela qu’on prend l’exemple d’une crucifixion) : le condamné a subi les outrages, l’humiliation, les clous, l’abandon aux mains des bourreaux... et puis, miraculeusement, il en a réchappé, il n’est pas mort. Traduisez : Israël est rentré d’Exil. Et, désormais, il se laisse aller à sa joie et il la dit à tous, il la crie encore plus fort qu’il n’a crié sa détresse. Le récit de la crucifixion n’est donc pas au centre du psaume, il est là pour mettre en valeur l’action de grâce de celui (Israël) qui vient d’échapper à l’horreur.
Du sein de sa détresse, Israël n’a jamais cessé d’appeler au secours et il n’a pas douté un seul instant que Dieu l’écoutait. Son grand cri que nous connaissons bien : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » est bien un cri de détresse devant le silence de Dieu, mais ce n’est ni un cri de désespoir, ni encore moins un cri de doute. Bien au contraire ! C’est la prière de quelqu’un qui souffre, qui ose crier sa souffrance. Au passage, nous voilà éclairés sur notre propre prière quand nous sommes dans la souffrance quelle qu’elle soit : nous avons le droit de crier, la Bible nous y invite.
Ce psaume est donc en fait le chant du retour de l’Exil : Israël rend grâce. Il se souvient de la douleur passée, de l’angoisse, du silence apparent de Dieu ; il se sentait abandonné aux mains de ses ennemis ... Mais il continuait à prier, la prière à elle toute seule prouve bien qu’on n’a pas complètement perdu espoir, sinon on ne prierait même plus ! Israël continuait à se rappeler l’Alliance, et tous les bienfaits de Dieu.
LE PSAUME 21 COMME UN EX-VOTO
Au fond, ce psaume est l’équivalent de nos ex-voto : au milieu d’un grand danger, on a prié et on a fait un voeu ; du genre « si j’en réchappe, j’offrirai un ex-voto à tel ou tel saint » ; (le mot « ex-voto » veut dire justement « à la suite d’un voeu ») ; une fois délivré, on tient sa promesse.
Dans certaines églises du Midi de la France, ou d’Europe centrale, par exemple, les murs sont couverts de tableaux qui représentent les circonstances du danger auquel on a échappé ; ce peut être un incendie, un accident, un naufrage... on voit aussi parfois une jeune femme en train de mourir en couches avec déjà toute une ribambelle d’enfants autour de son lit ; la représentation de ce qui a failli arriver est toujours dramatique ; et on voit les parents et les proches éplorés qui assistent impuissants ; ce sont eux qui ont promis de faire exécuter ce tableau si celui qui était en danger en réchappait. En général, le tableau est divisé en trois parties ; le danger encouru... les proches en prière, et, en haut de la toile, dans un coin du ciel, le saint ou la sainte qui nous a secourus, ou bien la Vierge. Et c’est l’ex-voto tout entier lui-même qui est l’action de grâce dont on a le coeur plein quand enfin tout se termine bien.
Notre psaume 21/22 ressemble exactement à cela : il décrit bien l’horreur de l’Exil, la détresse du peuple d’Israël et de Jérusalem assiégée par Nabuchodonosor, le sentiment d’impuissance devant l’épreuve ; et ici l’épreuve, c’est la haine des hommes ; il dit la prière de supplication : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » qu’on peut traduire « Pourquoi, en vue de quoi, m’as-tu abandonné à la haine de mes ennemis ? » Et Dieu sait si le peuple d’Israël a affronté de nombreuses fois la haine des hommes. Mais ce psaume dit encore plus, tout comme nos ex-voto, l’action de grâce de celui qui reconnaît devoir à Dieu seul son salut. « Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères... Je te loue en pleine assemblée. Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR ! » Et les derniers versets du psaume ne sont qu’un cri de reconnaissance ; malheureusement, nous ne les chanterons pas pendant la messe de ce dimanche des Rameaux ... (peut-être parce que nous sommes censés les connaître par coeur ?) : « Les pauvres mangeront, ils seront rassasiés ; ils loueront le SEIGNEUR, ceux qui le cherchent. A vous toujours, la vie et la joie ! La terre se souviendra et reviendra vers le SEIGNEUR, chaque famille de nations se prosternera devant lui... Moi, je vis pour lui, ma descendance le servira. On annoncera le SEIGNEUR aux générations à venir. On proclamera sa justice au peuple qui va naître : Voilà son oeuvre ! »


DEUXIEME LECTURE - lettre de Saint Paul apôtre aux Philippiens 2, 6-11

6 Le Christ Jésus,
ayant la condition de Dieu,
ne retint pas jalousement
le rang qui l’égalait à Dieu.
7 Mais il s’est anéanti,
prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes.
8 Reconnu homme à son aspect,
il s'est abaissé,
devenant obéissant jusqu'à la mort
et la mort de la croix.
9 C'est pourquoi Dieu l'a exalté.
Il l’a doté du Nom
qui est au-dessus de tout nom,
10 afin qu'au nom de Jésus
tout genou fléchisse
au ciel, sur terre et aux enfers,
11 Et que toute langue proclame :
« Jésus-Christ est Seigneur »
à la gloire de Dieu le Père.


JESUS, SERVITEUR DE DIEU
Pendant l’Exil à Babylone, au sixième siècle avant Jésus-Christ, le prophète Isaïe, de la part de Dieu bien sûr, avait assigné une mission et un titre à ses contemporains ; le titre était celui de Serviteur de Dieu. Il s’agissait, au cœur même des épreuves de l’Exil, de rester fidèles à la foi de leurs pères et d’en témoigner au milieu des païens de Babylone, fut-ce au prix des humiliations et de la persécution. Dieu seul pouvait leur donner la force d’accomplir cette mission.
Lorsque les premiers Chrétiens ont été affrontés au scandale de la croix, ils ont médité le mystère du destin de Jésus, et n’ont pas trouvé de meilleure explication que celle-là : « Jésus s’est anéanti, prenant la condition de serviteur ». Lui aussi a bravé l’opposition, les humiliations, la persécution. Lui aussi a cherché sa force auprès de son Père parce qu’il n’a jamais cessé de lui faire confiance.
Mais il était Dieu, me direz-vous. Pourquoi n’a-t-il pas recherché la gloire et les honneurs qui reviennent à Dieu ? Mais, justement, parce qu’il est Dieu, il veut sauver les hommes. Il agit donc en homme et seulement en homme pour montrer le chemin aux hommes. Paul dit : « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. » C’est justement parce qu’il est de condition divine, qu’il ne revendique rien. Il sait, lui, ce qu’est l’amour gratuit... il sait bien que ce n’est pas bon de revendiquer, il ne juge pas bon de « revendiquer » le droit d’être traité à l’égal de Dieu... Et pourtant c’est bien cela que Dieu veut nous donner ! Donner comme un cadeau. Et c’est effectivement cela qui lui a été donné en définitive.1
J’ai bien dit comme un cadeau et non pas comme une récompense. Car il me semble que l’un des pièges de ce texte est la tentation que nous avons de le lire en termes de récompense ; comme si le schéma était : Jésus s’est admirablement comporté et donc il a reçu une récompense admirable ! Si j’ose parler de tentation, c’est que toute présentation du plan de Dieu en termes de calcul, de récompense, de mérite, ce que j’appelle des termes arithmétiques est contraire à la « grâce » de Dieu... La grâce, comme son nom l’indique, est gratuite ! Et, curieusement, nous avons beaucoup de mal à raisonner en termes de gratuité ; nous sommes toujours tentés de parler de mérites ; mais si Dieu attendait que nous ayons des mérites, c’est là que nous pourrions être inquiets... La merveille de l’amour de Dieu c’est qu’il n’attend pas nos mérites pour nous combler ; c’est en tout cas ce que les hommes de la Bible ont découvert grâce à la Révélation. On s’expose à des contresens si on oublie que tout est don gratuit de Dieu.
LE PROJET DE DIEU EST GRATUIT
Pour Paul, c’est une évidence que le don de Dieu est gratuit. Essayons de résumer la pensée de Paul : le projet de Dieu (son « dessein bienveillant ») c’est de nous faire entrer dans son intimité, son bonheur, son amour parfait. Ce projet est absolument gratuit, ce qui évidemment n’a rien d’étonnant, puisque c’est un projet d’amour. Ce don de Dieu, cette entrée dans sa vie divine, il nous suffit de l’accueillir avec émerveillement, tout simplement ; pas question de le mériter, c’est « cadeau » si j’ose dire. Avec Dieu, tout est cadeau. Mais nous nous excluons nous-mêmes de ce don gratuit si nous adoptons une attitude de revendication ; si nous nous conduisons à l’image de la femme du jardin d’Eden : elle prend le fruit défendu, elle s’en empare, comme un enfant « chipe » sur un étalage*... Jésus-Christ, au contraire, n’a été que accueil (ce que Saint Paul appelle « obéissance »), et parce qu’il n’a été que accueil du don de Dieu et non revendication, il a été comblé. Et il nous montre le chemin, nous n’avons qu’à suivre, c’est-à-dire l’imiter.
Il reçoit le Nom qui est au-dessus de tout nom : c’est bien le Nom de Dieu justement ! Dire de Jésus qu’il est Seigneur, c’est dire qu’il est Dieu : dans l’Ancien Testament, le titre de « Seigneur » était réservé à Dieu. La génuflexion aussi, d’ailleurs : « afin qu’au Nom de Jésus, tout genou fléchisse »... C’est une allusion à une phrase du prophète Isaïe: « Devant moi tout genou fléchira et toute langue prêtera serment, dit Dieu » (Is 45,23).
Jésus a vécu sa vie d’homme dans l’humilité et la confiance, même quand le pire est arrivé, c’est-à-dire la haine des hommes et la mort. J’ai dit « confiance » ; Paul, lui, parle « d’obéissance ». « Obéir », « ob-audire » en latin, c’est littéralement « mettre son oreille (audire) « devant » (ob) la parole : c’est l’attitude du dialogue parfait, sans ombre ; c’est la totale confiance ; si on met son oreille devant la parole, c’est parce qu’on sait que cette parole n’est qu’amour, on peut l’écouter sans crainte.
L’hymne se termine par « toute langue proclame Jésus-Christ est Seigneur pour la gloire de Dieu le Père » : la gloire, c’est la manifestation, la révélation de l’amour infini, de l’amour personnifié ; autrement dit, en voyant le Christ porter l’amour à son paroxysme, et accepter de mourir pour nous révéler jusqu’où va l’amour de Dieu, nous pouvons dire comme le centurion « Oui, vraiment, celui-là est le Fils de Dieu »... puisque Dieu, c’est l’amour.
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Note
* C’est bien la même question dans l’épisode des Tentations (dans les évangiles de Matthieu et de Luc) : le diviseur (c’est le sens du mot diable/diabolos en grec) ne lui propose que des choses qui font partie du plan de Dieu ! Mais lui refuse de s’en emparer. Il compte sur son Père pour les lui donner. Le Tentateur lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, tu peux tout te permettre, ton Père ne peut rien te refuser : transforme les pierres en pains quand tu as faim... jette-toi en bas de la montagne, il te protègera... adore-moi, je te ferai régner sur le monde entier... » Mais Jésus attend tout de Dieu seul.
Complément
Nous connaissons bien ce texte : on l’appelle souvent « l’Hymne de l’Epître aux Philippiens » : parce qu’on a l’impression que Paul ne l’a pas écrite lui-même, mais qu’il a cité une hymne que l’on chantait habituellement dans la liturgie.


EVANGILE - Extraits de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ selon Saint Marc : Mc 15, 1…39

15, 1 : Dès le matin, les grands prêtres convoquèrent les anciens et les scribes, et tout le Conseil suprême.
Puis, après avoir ligoté Jésus, ils l'emmenèrent et le livrèrent à Pilate.
2 Celui-ci l'interrogea :
« Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus répondit : « C'est toi-même qui le dis. »
3 Les grands prêtres multipliaient contre lui les accusations.
4 Pilate lui demanda à nouveau : « Tu ne réponds rien?
Vois toutes les accusations qu'ils portent contre toi. »
5 Mais Jésus ne répondit plus rien, si bien que Pilate fut étonné.
16 Les soldats l'emmenèrent à I'intérieur du palais,
c'est-à-dire dans le Prétoire.
Alors ils rassemblent toute la garde,
17 ils le revêtent de pourpre, et lui posent sur la tête une couronne d'épines qu'ils ont tressée.
18 Puis ils se mirent à lui faire des salutations, en disant :
« Salut, roi des Juifs. »
19 Ils lui frappaient la tête avec un roseau, crachaient sur lui,
et s'agenouillaient pour lui rendre hommage.
20 Quand ils se furent bien moqués de lui,
ils lui enlevèrent le manteau de pourpre, et lui remirent ses vêtements.
Puis, de là, ils l'emmenèrent pour le crucifier,
21 et ils réquisitionnent, pour porter sa croix,
un passant, Simon de Cyrène, le père d'Alexandre et de Rufus, qui revenait des champs.
22 Et ils amènent Jésus au lieu dit Golgotha, ce qui se traduit Lieu-du-Crâne (ou Calvaire).
23 Ils lui donnaient du vin aromatisé de myrrhe ; mais il n'en prit pas.
24 Alors ils le crucifient, puis se partagent ses vêtements, en tirant au sort pour savoir la part de chacun.
25 C’était la troisième heure (c’est-à-dire neuf heures du matin) lorsqu'on le crucifia.
26 L'inscription indiquant le motif de sa condamnation portait ces mots :
« Le roi des Juifs».
39 Le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, s'écria :
« Vraiment, cet homme était Fils de Dieu!»


LA SOLITUDE DE JESUS ET SON SILENCE
Tout d'abord, on notera deux particularités de la Passion chez Marc : la solitude de Jésus et son silence.
La solitude de Jésus : dans la Passion selon Saint Marc, Jésus est particulièrement seul ; après le reniement de Pierre, Marc ne note plus aucune présence amicale à ses côtés ; les femmes sont citées, mais seulement après sa mort.
Quant à son silence, il est impressionnant : quelques mots seulement au procès, et ensuite, note Marc, « Jésus ne répondit plus rien ». Et Pilate lui-même s’en étonne : « Pilate l’interrogeait de nouveau : Tu ne réponds rien ? Vois toutes les accusations qu’ils portent contre toi. Mais Jésus ne répondit plus rien, de sorte que Pilate était étonné. » (Mc 15,4-5)
Puis, sur la croix une seule parole : « Eloï, Eloï, lama sabactani ? » Interprétés par un soldat romain, ces mots sonnent comme un cri de désespoir ; mais un Juif ne s’y serait pas trompé : ce sont les premiers d’un chant de victoire ; puisque, nous l’avons vu en étudiant le psaume 21/22, celui-ci n’est aucunement un cri de désespoir, ni même de doute !
Devant cette solitude et ce silence de Jésus, on se demande forcément « quel est son secret ? ». Il passe en peu de temps de la popularité à la déchéance, de l’entrée royale dans la ville à l’exclusion et l’exécution hors de la ville, de la reconnaissance comme envoyé de Dieu (« Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ») à la condamnation pour blasphème et à l’exécution au nom de la Loi, ce qui signifiait aux yeux de tous qu’il était maudit de Dieu. Reconnu comme le Messie, c’est-à-dire le roi d’Israël, le libérateur, le sauveur par ses disciples et toute une foule enthousiaste, il est liquidé rapidement après un procès monté de toutes pièces.
Il s’est laissé faire dans le triomphe, il se laisse faire plus encore dans la persécution. Ce faisant, il garde encore le secret qu’il a gardé toute sa vie ; c’est seulement après sa Résurrection que ses disciples pourront enfin comprendre.
Il semble bien que cette sobriété du récit de Marc vise à faire ressortir deux aspects du mystère de Jésus : Messie-Roi et Messie-Prêtre.
LE MESSIE-ROI QU’ON ATTENDAIT
Messie-Roi : que ce soit sous forme de question, de dérision, d’affirmation, la royauté du Christ est bien au centre du récit. La première question que Pilate pose à cet homme qu’on lui amène, ligoté, c’est « Es-tu le roi des Juifs ? » Il n’obtient qu’une réponse sibylline « C’est toi qui le dis » (15,2). Dans la suite, Pilate donne deux fois ce titre à Jésus « Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ? » (v. 9) et « Que ferai-je donc de celui que vous appelez le roi des Juifs ? » (v. 12). Et, curieusement, personne ne dira le contraire ! Suit la parodie des soldats, le manteau, la couronne et les acclamations « Salut, roi des Juifs ! » (15,18). Et puis, cet écriteau en haut de la croix, mal intentionné peut-être, mais qui annonce quand même à tous les passants « celui-ci est le roi des Juifs » (15,26). Même les grands prêtres et les scribes en se moquant lui donnent ce titre : « Il en a sauvé d’autres, et il n’est pas capable de se sauver lui-même ! Le Messie, le roi d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix. » (15,32).
LE MESSIE-PRETRE QU’ON ATTENDAIT
Deuxième aspect du mystère de Jésus mis en lumière par le récit de Marc, il est le Messie-Prêtre : il y avait des grands prêtres en exercice et ce sont eux qui ont joué le premier rôle dans la condamnation et la mort de Jésus. Ce sont eux qui amènent Jésus chez Pilate et qui veillent au bon déroulement des opérations : « Dès le matin, les grands prêtres tinrent conseil avec les Anciens, les scribes et le Sanhédrin tout entier. Ils lièrent Jésus, l’emmenèrent et le livrèrent à Pilate. »
Un peu plus tard, ce sont eux qui excitent la foule pour qu’elle réclame la libération de Barabbas : « Les chefs des prêtres soulevèrent la foule pour qu’il leur libérât plutôt Barabbas. » (Mc 15,11). Pilate lui-même n’est pas dupe, puisque Marc précise : « Pilate voyait bien que les grands prêtres l’avaient livré par jalousie. » (Mc 15,10). Une jalousie justifiée, si l’on veut bien admettre que, de bonne foi, ils se sont inquiétés du succès de Jésus, qui, à leurs yeux, entraînait le peuple vers de fausses espérances.
Mais le vrai prêtre, le Messie-prêtre qu’on attendait, c’est lui. Car Marc est le seul avec Jean à parler de pourpre pour le vêtement remis à Jésus pour se moquer de lui. Or la pourpre était la couleur des vêtements des rois et des grands prêtres. Suprême dérision : ceux qui portaient cette pourpre passeront à côté de la vérité. C’est d’un païen que vient la première profession de foi : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! »


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