Présentation de l’Exhortation apostolique « Verbum Domini » par Mgr Giraud
Introduction
Alors, comme il s’agit d’une exhortation, le Saint-Père… exhorte : « J’exhorte les Pasteurs de l’Église et les assistants pastoraux à faire en sorte que tous les fidèles soient éduqués à goûter le sens profond de la Parole de Dieu » (VD52). Cette Exhortation est comme le fruit de « la grande impulsion que la Constitution dogmatique Dei Verbum a donnée à la redécouverte de la Parole de Dieu dans la vie de l’Église » (VD3). Le pape veut donc « renouveler la foi de l’Église dans la Parole de Dieu » (VD27). Pour lui, il s’agit d’« intensifier « la pastorale biblique » » non en la juxtaposant à d’autres formes de la pastorale, mais comme animation biblique de toute la pastorale » (VD73). Le but n’est donc pas « d’ajouter quelques rencontres dans la paroisse ou dans le diocèse, mais de s’assurer que, dans les activités habituelles des communautés chrétiennes, dans les paroisses, dans les associations et dans les mouvements, on ait vraiment à cœur la rencontre personnelle avec le Christ qui se communique à nous dans sa Parole. » Voilà de quoi nous stimuler et nous redonner vie ! Et pour grossir le trait, dans son dernier livre entretien paru cette semaine, Benoît XVI ajoute qu’« il s’agit à présent de maintenir en vie la parole de Dieu comme parole décisive ».
Notons que le titre donné à l’exhortation est aussi l’acclamation liturgique après une première ou seconde lecture : « Parole du Seigneur (Verbum Domini) ».
Le pape a construit son exhortation en trois chapitres : la Parole de Dieu, c’est-à-dire le Christ lui-même ; la Parole en Église ; la Parole pour le monde. Le plan est donc limpide. La Parole, c’est quelqu’un, le Christ ; elle nous devient familière en Église ; elle nous rend missionnaire d’elle-même, dans le monde.
1er chapitre : « Verbum Dei » / La parole de Dieu
Il commence par dire l’originalité des Saintes Écritures chez les chrétiens : Dieu parle. Cela peut paraître banal, mais précisément le pape craint que l’on « considère comme allant de soi, le fait que Dieu nous parle et répond à nos demandes » (VD4). Oui, Dieu parle. Il a parlé dès le début par la création, il a parlé dans une histoire, il a parlé par les prophètes, il a parlé ultimement et définitivement par Jésus. « Dieu a prononcé sa Parole éternelle de façon humaine ». Nous devons encore nous en étonner !
Pour nous, « la nouveauté de la Révélation biblique vient du fait que Dieu se fait connaître dans le dialogue qu’il désire instaurer avec nous. » (VD6). Le pape insiste pour dire que « la foi chrétienne (n’est) pas une ‘religion du Livre’: le Christianisme est la ‘religion de la Parole de Dieu’, non d’une parole écrite et muette, mais du Verbe incarné et vivant » (VD7), même si, bien sûr, la Parole de Dieu « c’est l’Écriture Sainte, l’Ancien et le Nouveau Testament » (VD7).
Ainsi, la Parole de Dieu est d’abord quelqu’un : « la Parole n’est pas seulement audible, elle ne possède pas seulement une voix, maintenant la Parole a un visage, qu’en conséquence nous pouvons voir : Jésus de Nazareth » (VD12). « L’expression ‘Parole de Dieu’ indique la Personne de Jésus-Christ, le Fils éternel du Père, fait homme » (VD7). « Jésus est la Sagesse de Dieu incarnée, il est sa Parole éternelle qui s’est faite homme sujet à la mort » (VD5). « La personne du Christ donne son unité aux ‘Écritures’ » (VD39).
L’histoire unique et singulière de Jésus est « la Parole définitive que Dieu dit à l’humanité » (VD11). Le pape répètera plusieurs fois cet aspect de « parole définitive » en relativisant les révélations privées (Cf. VD14).
Si le Christ est la Parole de Dieu, il est clairement affirmé que « c’est (l’) Esprit qui inspire les auteurs des Saintes Écritures » (VD15). L’Esprit « a lui-même créé les paroles des Saints Testaments, c’est lui-même qui les ouvre » (VD16). Ainsi « la Sainte Écriture doit aussi être lue et interprétée à la lumière du même Esprit que celui qui la fit rédiger » (VD29). L’Esprit est donc à la fois la source et l’assistant pour comprendre les Écritures. « Lorsque s’affaiblit en nous la conscience de son inspiration, on risque de lire l’Écriture comme un objet de curiosité historique et non plus comme l’œuvre de l’Esprit Saint » (VD19). Ceci étant bien compris, le pape ne peut qu’inviter à nous laisser « guider par l’Esprit Saint afin de pouvoir aimer toujours plus la Parole de Dieu » (VD5).
Pour autant, la Parole de Dieu ne nous est pas seulement destinée. Nous en sommes à la fois des destinataires et des partenaires : « Dieu fait vraiment de nous ses ‘partenaires’ » (VD22) ; « chaque homme apparaît comme destinataire de la Parole (…). Chacun de nous est ainsi rendu par Dieu capable d’écouter et de répondre à la Parole divine » (VD22). Au cœur de notre conception de la foi et de notre conception de l’homme, il y a cette foi en Dieu qui nous parle et nous écoute. L’exhortation cite alors saint Augustin : « Ta prière est ta parole adressée à Dieu. Quand tu lis, c’est Dieu qui te parle ; quand tu pries, c’est toi qui parles avec Dieu » (cité en VD86).
Par conséquent, dit Benoît XVI, le vrai péché c’est la non-écoute de la Parole (VD26). Le pape nous invite ainsi à « la familiarité avec la Parole de Dieu » comme Marie (Cf. VD28). Par dix fois, il va demander à tous les fidèles une « familiarité toujours plus grande avec la Parole de Dieu » (VD64). Il invite ces fidèles à « s’engager pour devenir toujours plus familiers des Écritures Saintes » (VD121). Il exprime « le vif désir que fleurisse une nouvelle saison de plus grand amour pour la Sainte Écriture, de la part de tous les membres du Peuple de Dieu » (VD72). Il souhaite que nous étudiions chaque jour un passage de l’Écriture et que nous lisions fréquemment les divines Écritures… vaste et beau programme !
Cela commence par la lettre des Écritures. Il nous faut lire ce qui est écrit et non partir d’abord de nos idées. Saint Jérôme, cité par le dernier concile, souligne que « l’ignorance des Écritures est l’ignorance du Christ » (cité par VD30). Saint Grégoire le Grand affirme que « Les paroles divines grandissent avec celui qui les lit » (VD30) ! Le pape invite plus précisément à « un amour pour l’étude de ‘la lettre’ » (VD32). D’où l’importance d’un « contact assidu avec les textes eux-mêmes » (VD74) et de viser une « mémorisation intelligente de certains passages bibliques » (VD74). Cependant, le pape nous met en garde contre le fondamentalisme qui « tend à traiter le texte biblique comme s’il avait été dicté mot à mot par l’Esprit » (VD44). Il faut percevoir la Parole dans les paroles et pour cela il nous faut lire les Écritures en Église : « Nous ne pouvons jamais lire seuls l’Écriture » (VD30).
Le pape rappelle ensuite qu’il existe des relations entre l’Ancien et le Nouveau Testament : « Le Nouveau Testament lui-même reconnaît l’Ancien Testament comme Parole de Dieu » (VD40). Quand nous lisons les Écritures, nous affirmons une continuité avec l’Ancien Testament, mais aussi une rupture, un dépassement, un accomplissement. « Les Chrétiens lisent donc l’Ancien Testament à la lumière du Christ mort et ressuscité. » (VD41) et « le Nouveau Testament demande aussi d’être lu à la lumière de l’Ancien. » (VD41). Le pape indique aussi que « la compréhension juive de la Bible peut aider les chrétiens dans l’intelligence et l’étude des Écritures » (VD43). Et il ajoute : « L’amour pour le Peuple juif est la seule attitude véritablement chrétienne ».
Le pape invite à une lecture œcuménique : « écouter et méditer ensemble les Écritures nous fait vivre une communion réelle même si elle n’est pas encore pleine » (VD46).
2eme chapitre : « Verbum in ecclesia » / La parole en Eglise
Et c’est pourquoi la liturgie est si importante : la célébration eucharistique montre que nous recevons la parole de Dieu, que la liturgie est « le lieu privilégié où Dieu nous parle » (VD52). C’est le Christ lui-même qui « est là présent dans sa Parole, puisque lui-même parle pendant que sont lues dans l’Église les Saintes Écritures » (VD52).
Le pape rappelle sans surprise que la Parole de Dieu conduit à l’Eucharistie : « la Parole de Dieu et le Mystère eucharistique ont toujours et partout reçu de l’Église non pas le même culte mais la même vénération » (VD55). D’une manière suggestive, Benoît XVI met en parallèle l’attitude à avoir aussi bien envers l’Eucharistie qu’envers la Parole de Dieu, en reprenant une très belle réflexion de saint Jérôme : « Je pense que l’Évangile est le Corps du Christ ; (…) quand nous écoutons la Parole de Dieu, c’est la Parole de Dieu et le Corps et le Sang du Christ qui tombent dans nos oreilles » (VD56).
C’est aussi l’occasion pour le pape de revenir sur les lecteurs dans nos célébrations liturgiques : « Tandis que l’Évangile est proclamé par le prêtre ou le diacre, la première et la seconde lectures, dans la Tradition latine, sont proclamées par le lecteur choisi, homme ou femme » (VD58). Il demande d’avoir des gens compétents dans l’art de lire devant le peuple. Il demande aussi de soigner « le ministère du lectorat qui, comme tel dans le rite latin, est un ministère laïc » (VD58). Remarquons que le pape ne tranche pas (encore) cette question du lectorat pour les femmes. Mais il relance le débat sur ce ministère du lectorat.
Au milieu de ces considérations, le pape fait quelques recommandations sur les homélies : « On doit éviter les homélies vagues et abstraites, qui occultent la simplicité de la Parole de Dieu, comme aussi les divagations inutiles qui risquent d’attirer l’attention plus sur le prédicateur que sur la substance du message évangélique » (VD59). Il demande même un directoire sur ce point (VD60). Benoît XVI demande de montrer le Christ et de prêcher avec conviction et passion.
Benoît XVI rappelle, à mon sens opportunément, qu’il ne faut pas négliger la Sainte Écriture dans la célébration des Sacrements autres que l’Eucharistie, notamment le Sacrement de la Réconciliation et le Sacrement de l’Onction des malades (VD61). Le pape note que nous sommes encore loin de nous préparer « à la confession en méditant un passage adapté de la Sainte Écriture et de commencer (notre) confession par la lecture ou l’écoute d’une exhortation biblique » (VD61). Le pape demande aussi « qu’à certains moments de l’année (…) la confession individuelle des pénitents se fasse dans le cadre de célébrations pénitentielles (…) pour pouvoir donner toute sa place à la célébration de la Parole » (VD61).
Au numéro 64, Benoît XVI développe l’idée des ADAP et des Célébrations de la Parole de Dieu : « La célébration de la Parole de Dieu est fortement recommandée dans les communautés qui, par manque de prêtres, ne peuvent célébrer le sacrifice eucharistique » et à propos des « assemblées dominicales en l’absence de prêtre », il « recommande que les autorités compétentes élaborent des rituels » (VD65) (tout) « en évitant néanmoins de les confondre avec les célébrations eucharistiques ». Pour le pape ces ADAP « devraient plutôt être des occasions privilégiées de prière adressée à Dieu pour qu’il envoie de saints prêtres selon son cœur » (VD65).
Il ne nous surprendra pas que Benoît XVI souligne l’importance du silence : « Dieu parle aussi à travers son silence » (VD20). En théologien précis, il indique même que « le silence apparaît comme une expression importante de la Parole de Dieu » (VD20). Il faut donc éduquer le Peuple de Dieu à la valeur du silence pour « redécouvrir le sens du recueillement et de la paix intérieure » (VD66).
Outre sa demande « que chaque foyer ait sa Bible » (VD85), Benoît XVI fait quelques recommandations pratiques sur la procession de l’évangéliaire, sur l’acoustique, sur l’ambon à placer en un endroit bien visible, sur la Sainte Écriture qui doit avoir un lieu privilégié même en-dehors de la célébration, sur les lectures tirées de la Sainte Écriture qui ne doivent jamais être remplacées par d’autres textes. Il souhaite aussi que le chant soit « clairement inspiré par la Bible » (VD70). Il souligne au passage l’importance du chant grégorien et demande enfin d’avoir une attention particulière aux aveugles et aux sourds.
Dans cette exhortation, une place spéciale est donnée à ce qu’on appelle la Lectio divina. Il nous faudrait un long moment pour en parler car elle devient une lecture priante, aimée par beaucoup de chrétiens. Notons au moins les quatre étapes : la lecture (lectio : que dit en soi le texte biblique ?), la méditation (meditatio : que nous dit le texte biblique ?), la prière (oratio : que disons-nous au Seigneur en réponse à sa Parole ? »), la contemplation (contemplatio qui conduit à nous demander : à quelle conversion de l’esprit, du cœur et de la vie le Seigneur nous appelle ?) (Cf. VD87). Et le pape de rappeler que « la Lectio divina ne s’achève pas dans sa dynamique tant qu’elle ne débouche pas dans l’action » (VD87).
Il faudrait aussi noter que le pape invite à ajouter, dans la récitation du Rosaire, de brefs passages de la Bible (VD88). Il exprime sa profonde proximité à tous les chrétiens qui vivent sur la Terre de Jésus, la Terre-Sainte, but de pèlerinage et « cinquième Évangile » (VD89).
3eme chapitre : »Verbum mundo » / La parole dans le monde
Si nous devons « communiquer la Parole par toute notre vie » (VD93), le pape souhaite que nous annoncions « une parole de rupture qui invite à la conversion » (VD93). Il ne s’agit d’ailleurs pas d’aller très loin : « tant de Chrétiens ont besoin que leur soit ré-annoncée de façon persuasive la Parole de Dieu » (VD96). Et il ajoute : « Beaucoup de frères sont ‘baptisés mais pas suffisamment évangélisés’ » (VD96). D’où l’exigence d’une Nouvelle Évangélisation. Il demande aussi que les nouvelles générations soient initiées à la Parole de Dieu : il faut « aider les jeunes à acquérir une intimité et une familiarité avec la Sainte Écriture, pour qu’elle soit comme une boussole » (VD104).
Le pape associe alors foi et mœurs : il faut annoncer le cœur de la foi, le kérygme, qui dépasse les simples valeurs morales, et il faut aussi vivre des valeurs qui sont en cohérence avec le kérygme : « Notre responsabilité ne se limite pas à proposer au monde des valeurs communes ; il faut arriver à l’annonce explicite de la Parole de Dieu » (VD98). « C’est la Parole de Dieu elle-même qui dénonce sans ambiguïté les injustices et qui promeut la solidarité et l’égalité » (VD100). Ainsi, « s’engager pour la justice et la transformation du monde est une exigence constitutive de l’Évangélisation » (VD100).
À ce propos, le pape rappelle que « l’Église n’a pas directement pour mission de créer une société plus juste, même s’il lui revient le droit et le devoir d’intervenir sur les questions éthiques et morales qui concernent le bien des personnes et des peuples. » Il redit ici le rôle premier des fidèles laïcs « qui ont la tâche d’intervenir directement dans l’action sociale et politique » (VD100).
Notons une phrase qu’aurait aimé entendre le père Joseph Wresinski (à moins qu’il ne l’ait inspirée !) : « les pauvres eux-mêmes sont aussi des agents d’Évangélisation » (VD107). « L’Église ne peut décevoir les pauvres : ‘Les Pasteurs sont appelés à les écouter, à apprendre d’eux, à les guider dans leur foi et à les motiver pour qu’ils soient des artisans de leur propre histoire’ » (VD107).
Enfin, le pape reconnaît le rôle croissant d’internet « qui constitue un nouveau forum sur lequel il faut faire résonner l’Évangile, avec la conscience, toutefois, que le monde virtuel ne pourra jamais remplacer le monde réel » (VD113).
Conclusion
Il termine ce long traité par des réflexions sur la Vierge Marie et cite les deux paroles de l’évangile selon saint Luc qui la concernent : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui entendent la Parole de Dieu, et qui la mettent en pratique » (Lc 8,21). « Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » (Lc 11,28). « S’il n’y a qu’une seule Mère du Christ selon la chair, en revanche, selon la foi, le Christ est le fruit de tous » (VD28) avait déjà noté plus haut Benoît XVI. Puissions-nous dire chaque jour et pas seulement dans nos célébrations : « Parole du Seigneur … nous rendons grâce à Dieu ».