Élections européennes 2024 : lettre pastorale des évêques de l’Euregio
À deux mois des élections européennes 2024, les évêques de huit diocèses de l’Euregio (l’archevêché du Luxembourg, le diocèse de Trèves en Allemagne, les diocèses de Metz, Verdun, Nancy et Toul, l’évêque émérite de Troyes, ainsi que les diocèses de Liège et Namur en Belgique) ont souhaité partager à leur frères et sœurs européens leur convictions et leurs préoccupations.
Le 8 avril 2024, réunis à Scy-Chazelles (Lorraine) en présence de Mgr Noël Tréanor, nonce apostolique auprès de l’Union européenne et de Mgr Antoine Hérouard, vice-président de la COMECE, ils ont signé la lettre pastorale : « un nouveau souffle pour l’Europe », dont vous trouverez le contenu intégral sur cette page.
sommaire
I. L’histoire européenne : diversité et unité
- Une diversité des peuples
- Une culture européenne
- L’établissement de la paix
- Les apports de la construction européenne
II. Crise de la conscience européenne
- Crises nationalistes
- Crise géo-politique
- Crise économique
- Crise migratoire
- Crise de la conscience européenne
V. Les moyens de nos engagements
- Les corps intermédiaires
- La vie sociale
- Le patrimoine chrétien
- La créativité
- Le dialogue politique
- La diversité des peuples
- L’écologie intégrale
- Une cité inclusive
Introduction
Chers Frères et Sœurs,
En tant qu’évêques de différents diocèses frontaliers d’Europe de l’Ouest, membres d’un groupe que nous avons baptisé “Euregioˮ, nous sommes conscients de l’enjeu que représentent, pour l’avenir dans l’Union européenne, les élections qui auront lieu le 9 juin 2024. C’est pourquoi nous avons voulu nous adresser à vous, nos frères et sœurs européens, pour vous partager nos convictions et nos préoccupations. Partant de l’histoire européenne, de ses points forts et de ses crises, nous relèverons quelques valeurs essentielles de l’Europe et formulerons un projet européen à développer pour donner un souffle nouveau à l’Europe. Puis nous verrons les moyens à mettre en œuvre et comment les appliquer aux élections prochaines.
Partie I. l’histoire européenne : diversité et unité
Les Européens doivent considérer ce qu’ils ont reçu de leur histoire et ce qu’ils en ont fait, pour utiliser au mieux les ressources et les capacités dont ils disposent aujourd’hui.
Tout au long de l’histoire, les peuples de l’Europe se sont trouvés gratifiés de qualités remarquables. Les Romains nous ont donné leur langue et, avec elle, leurs lois écrites et les trésors d’une civilisation empreinte de l’intelligence des Grecs. Le judaïsme a créé un réseau de solidarité culturelle et spirituelle qui ouvrait ses portes à l’Orient et à l’Afrique. La migration des Germains dans l’Empire romain au IVe siècle a provoqué en Europe la superposition de deux cultures, latine et germanique, puis leur intégration mutuelle grâce à la christianisation, en particulier celle des Francs après le baptême de Clovis (498). Cela a produit l’introduction d’un nouvel ordre politique, base des États actuels, suite au traité de Verdun (843), qui divise en trois l’empire de Charlemagne, le “père de l’Europeˮ, comme on l’appelait. L’arrivée des Slaves au IXe siècle a suscité un nouveau pôle culturel en Europe de l’Est et contribué à créer une Europe à deux poumons, comme disait le pape saint Jean-Paul II. L’Évangile du Christ est venu apporter un ciment spirituel au Moyen Âge, entre ces cultures diverses, et ouvrir la population, avec une exigence nouvelle, au respect de chaque personne, au service des faibles et à une espérance sans limite. L’islam a apporté l’algèbre, les chiffres arabes, l’ouverture à la culture arabe et la relation avec l’Asie par la Route de la soie. Que faire de tout cela pour que l’Europe respire à pleins poumons aujourd’hui ?
L’Europe s’est créée une unité spirituelle et culturelle de manière diversifiée. Pensons aux abbayes inspirées par la règle de saint Benoît et implantées sur tout le continent, aux grandes foires du Moyen Âge qui mettaient en route beaucoup d’hommes et de femmes allant offrir leurs productions en d’autres points de l’Europe, aux universités entre lesquelles les étudiants et les enseignants se déplaçaient facilement ; pensons aux cathédrales gothiques qui marquent le paysage européen en attestant une grande familiarité architecturale entre les divers pays, aux œuvres musicales polyphoniques et symphoniques qui se diffusaient en se jouant des frontières, à l’usage généralisé du latin comme langue de communication intellectuelle et religieuse : ce sont tous des marqueurs d’une unité qui a traversé le temps et l’histoire. Même si c’est parfois avec peine, ils transcendent les histoires de rivalités entre peuples, les ambitions d’expansion dans le monde, les exploitations et les colonisations suscitées, en particulier par la Révolution industrielle.
Les deux Guerres mondiales, 1914-1918 et 1939-1945, ont semé la ruine et la désolation sur le continent européen et sur le reste de la planète. Le génocide des Juifs, la Shoâh, entraînant six millions de morts, et les nombreuses victimes de la Seconde Guerre mondiale parmi les populations de tous les pays ont montré jusqu’à quelle atrocité la guerre pouvait mener. Suite à cette tragédie et quelques mois après la mise en place du Conseil de l’Europe, l’Union européenne a été fondée pour la paix, sous la forme de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier), née en 1951. Cette construction a été élaborée par le vénérable Robert Schuman, Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi et Paul-Henri Spaak et définie par le Traité de Rome le 25 mars 1957. En effet, il apparaissait clairement, au sortir de la guerre 1939-1945, qu’il ne fallait pas humilier les vaincus. On ne doit pas oublier l’élan historique qu’a donné la déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950 : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. La contribution qu’une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques. » Ces solidarités ont fait naître une réalité politique inédite, conjuguant l’appartenance de chaque peuple d’Europe à une communauté nationale et l’adhésion libre de chaque nation à un pacte de solidarité entre elles toutes. Ce pacte est assorti d’obligations qui s’imposent à des partenaires volontaires et se trouve fondé sur un socle de valeurs partagées visant à construire une unité par-delà les diversités de chacune de ces nations. Ce pacte a voulu intégrer ces diversités au bénéfice d’une entité riche de ses nombreuses ressources et capable de les faire servir au bien commun de ses membres, qui sont aujourd’hui au nombre de vingt-sept nations, formant un peuple de plus de cinq cents millions d’habitants. Tous sont les héritiers d’une infinie richesse d’histoires, de traditions, de ressources économiques et culturelles.
Ainsi l’Europe ne peut se présenter elle- même sans avoir conscience de ce qu’elle doit partager pour le plus grand bien de tous. Alors qu’aujourd’hui la guerre fait rage à l’Est de l’Europe et dans bien des parties du monde, alors que la paix civile est menacée et mise à mal dans nos sociétés, les paroles de Robert Schuman retrouvent toute leur actualité. On les avait quelque peu oubliées. Les critères d’adhésion d’un pays à l’Union européenne étaient devenus essentiellement comptables et statistiques. La guerre en Ukraine renverse aujourd’hui les critères d’adhésion. L’adhésion ferme aux principes et valeurs démocratiques redevient prioritaire pour entrer dans l’Union européenne.
4. Les apports de la construction européenne
La construction européenne a permis une paix durable en Europe, et en particulier la réconciliation franco-allemande. Elle a entraîné une accélération de l’évolution démocratique de certains pays rejoignant l’Union européenne (Espagne, Portugal, Grèce sortant de régimes autoritaires). Elle a produit la réalisation de projets importants sur le plan technologique (secteur aérospatial) et sur le plan des coopérations sociales (comme la coopération transfrontalière sur les prises en charge hospitalières), ainsi qu’en matière de projets communs de solidarité internationale. La construction européenne a aussi accompagné une évolution à la hausse de l’espérance de vie grâce à la mise en place, là où ils n’existaient pas, de systèmes de sécurité sociale efficaces. Il y a quelques années, dans une session, de jeunes Européens étaient invités à se livrer à un exercice consistant à visualiser sur une carte de l’Europe les liens d’origine, de famille, de travail, de loisir, d’histoire personnelle qu’ils avaient avec les différents pays d’Europe. Résultat : on a vu émerger une toile dense de relations qui couvraient tout le continent et attestaient une histoire européenne de mobilité, de cultures, de références, de religions et de modes de vie partagés. Le projet des pères fondateurs de l’Union européenne était certes politique et économique, mais il s’appuyait sur un ressort humaniste et spirituel (les pères fondateurs étaient pour la plupart des croyants), celui de construire la paix dans une Europe qui s’était éloignée des valeurs qui constituaient ses racines. La grâce de l’Europe et la raison pour laquelle l’Union européenne mérite que nous continuions à reconnaître en elle une chance pour notre avenir ne tiennent pas simplement à la belle construction politique de 1957. Elles tiennent aussi à tout un passé dans lequel nous pouvons reconnaître nos propres fondements et notre destin.
Partie 2. Crise de la conscience européenne
Aujourd’hui, nous, Européens, sommes questionnés par le pacte de solidarité que nous avons signé à l’époque du Traité de Rome. Y croyons-nous encore ? Nous entendons beaucoup de critiques et constatons beaucoup de scepticisme à ce sujet.
On stigmatise le fonctionnement supranational de l’Union européenne, on considère qu’il mettrait en péril l’indépendance et l’identité propre des nations qui la constituent, on souligne le sentiment des populations de n’être pas protégées contre les intrusions politiques, économiques, sociales du reste du monde, on constate l’émergence de réflexes nationalistes et populistes qui, en ce moment, se répandent et risquent de traiter de nouveau, comme en d’autres temps, l’autre ou l’étranger comme une menace. On a du mal à accepter la diversité aujourd’hui. Chacun est tenté de dire : « Je suis ma référence. » Ce qui paralyse aujourd’hui le vivre ensemble européen, c’est la crainte de la perte de contrôle des nations sur leur destin. Une crainte qui provoque le repli sur soi et la tension avec les autres. La crise européenne tient beaucoup à l’oubli de la dynamique des différences et des échanges qui l’ont constituée à travers l’histoire. La charge qui pèse sur l’Europe, a dit le pape François dans son homélie du 23 septembre 2023, lors de son voyage à Marseille, c’est le mal qu’elle éprouve à aller vers l’autre, à bouger dans son cœur, à se laisser toucher de l’intérieur, à se laisser préserver contre l’indifférence : « Un cœur froid et plat traîne la vie de manière mécanique, sans passion, sans élan, sans désir. Et on peut tomber malade de tout cela dans notre société européenne ».
Au même moment, le continent européen est affecté en Ukraine par une guerre meurtrière qui dure depuis trop longtemps, qui oblige ce pays à pleurer ses morts, à soigner ses blessés, à gérer des destructions, à accueillir des populations déplacées, à soulager les désespérés et à payer toutes les conséquences économiques du conflit. L’Ukraine suscite notre solidarité et notre soutien qui doit être efficace. De plus le projet européen reste fragile puisqu’il repose sur des communautés qui sont traversées par des aspirations contrastées et qui ont été marquées dans leur chair par des vicissitudes historiques.
Ces incertitudes engendrent le populisme, qui est aussi la conséquence de la crise économique, et qui critique le projet européen. La paupérisation de certaines régions et le chômage qui a touché des populations ont creusé des fossés entre nous, Européens. Nos différences de niveau économique et social ont été mises en relief, comme nos différences au niveau politique et culturel. Ce sont des différences qui aujourd’hui quelquefois nous opposent plutôt que de nous enrichir. Elles entraînent la corruption, la violence et le chacun pour soi. Le modèle libéral et libre échangiste, qui a prévalu chez les décideurs de l’Union européenne, a provoqué beaucoup de dommages sociaux et territoriaux. Ils se sont ajoutés à la montée des tensions internationales et de l’insécurité intérieure. Le “politiquement correctˮ, la prétendue “normalitéˮ créent également le trouble, surtout quand le décalage entre les principes invoqués et les politiques réellement menées est trop grand.
Sur cela est venue se greffer l’arrivée massive des migrants. Le problème est réel et on n’a pas le droit de le nier. La Méditerranée est devenue un cimetière où sont mortes plus de vingt mille personnes de tous âges qui rêvaient d’Europe. Des frères et sœurs migrants nombreux frappent à notre porte : la grande majorité fuit les conditions de vie difficiles et sans avenir, qu’ils connaissent chez eux et sont prêts à braver la mort pour fuir leur situation actuelle et ses impasses. Ils nous bousculent, mais ils contribuent aussi à aider et dynamiser l’Europe.
5. Crise de la conscience européenne
Ainsi l’Union européenne court-elle le risque de disparaître si elle ne retrouve pas sa raison d’être : la paix et la solidarité dans la diversité. Comme évêques, nous sommes alors habités par la conscience nette que l’Union européenne connaît une crise grave, une “crise de la conscience européenne. En même temps l’Europe dispose d’atouts importants pour affronter cette crise sans être déstabilisée et doit être un repère sûr pour faire face aux défis du monde. Il nous semble que la crise européenne tient beaucoup à l’oubli de cette dynamique de rencontres, de voyages, d’échanges culturels et commerciaux, qui ont caractérisé depuis des siècles l’histoire de notre continent et ont façonné celui-ci. Il s’y ajoute une crise éthique liée au manque d’idéal ou de confiance dans la vie, à la perte de repères ; cela entraîne le refuge dans la drogue ou même le suicide. Dès lors, tous, nous devons prendre conscience que nous sommes indéfectiblement liés les uns aux autres. Aujourd’hui nous sommes questionnés de la même manière qu’après la Seconde Guerre mondiale. Des formes de violence ont surgi sur notre continent. Mais nous savons aussi que la difficulté est une force promotrice d’unité et de nouveaux dynamismes d’humanité.
Partie 3. les valeurs européennes
Au cœur des diversités entre nations, les Européens possèdent des valeurs communes qui les réunissent et dont ils ne prennent parfois conscience que lorsqu’ils sont sur d’autres continents. Relevons-en quelques-unes.
Pour faire avancer l’Europe, il faut prendre en compte d’abord la souffrance des plus faibles, car l’Europe ne doit pas être un club de nantis. Elle est une communauté qui place l’être humain, avec ses fragilités et ses besoins, au centre des intérêts communs. Si l’on examine ces besoins, on s’aperçoit très vite qu’ils se situent du côté de la personne, de son insertion sociale et économique, de la formation et de l’emploi, ainsi que de la solidarité entre tous. Il faut que ces questions deviennent des incontournables de notre réflexion européenne. L’Europe à construire doit favoriser à la fois le développement économique et la fraternité entre les peuples. Le défi de l’Europe d’aujourd’hui est celui d’arriver à une approche commune pour le service du bien de tous. On ne peut poser cette approche comme un acquis.
Les particularités de chacun et le génie propre de chaque nation constituent un trésor commun qui nous est précieux pour affronter l’avenir. Le pape François appelle sans cesse l’Europe à un sursaut. Déjà le pape Pie II, dans son livre De Europa, le premier livre au monde sur l’Europe, reprochait, en 1458, aux nations chrétiennes leur désunion. L’Europe, riche de son histoire, a une vocation particulière, une mission à remplir, celle de préserver dans le choc des cultures, dans le conflit des idéologies et dans la complexité des révolutions scientifiques, l’homme ouvert aux autres, soucieux de dialoguer et de partager, au service du bien commun.
Aujourd’hui la paix reste un défi pour tous et en particulier pour les chrétiens en Europe. Une nouvelle confrontation impliquant des superpuissances est en cours sur le sol européen, pourtant voué à la paix, depuis le Traité de Rome. Cherchons les paroles nouvelles et les gestes prophétiques que les chrétiens peuvent poser pour construire et affermir la paix dans le monde, pour faire de l’Europe un acteur crédible de paix. La paix doit se conjuguer selon toutes les déclinaisons de sécurité dont les citoyens ont besoin pour mener une vie digne. La Communauté européenne est née d’un projet de paix qui a su réconcilier d’anciens ennemis, devenus frères. Le renforcement des nationalismes menace ces avancées. Bien sûr, la question des réfugiés et celle d’un Islam sur le sol européen pèsent lourd sur le débat. Mais nous croyons qu’il est possible de vivre ensemble, cela est même vital pour éviter et repousser les extrémismes. Pour cela il faut résister à la tentation du repli sur soi.
Le souci de la paix, largement partagé, ne peut être compris et activé, sans une attention pour la justice, y compris internationale, et une défense acharnée des droits humains, partout où ils sont violés. Nous sommes les dépositaires de grands acquis de l’Europe : la liberté de conscience, la liberté de parole, la liberté de religion, le respect des droits humains, la fraternité universelle. L’Europe doit continuer à faire vivre ces valeurs profondes. Mais il faut que nous le voulions. Les valeurs de paix, de justice, de solidarité, de respect des droits, chemins privilégiés pour rejoindre le bien de tous, ne se sont pas laissées balayer par les guerres et par les courants individualistes et inégalitaires, même lorsque ces valeurs étaient en grand péril. C’est pourquoi nous devons croire très fort à l’avenir de l’Europe. Elle a été un terrain de lutte pour que triomphe le bien et il triomphera si nous nous sentons concernés par les institutions que nous voulons lui donner et par les engagements que nous sommes disposés à prendre. Ce qui est en jeu, c’est une Europe riche de valeurs, la plus urgente étant la solidarité entre communautés et citoyens dans le service du bien commun.
Partie 4. Un rêve pour l’Europe
Les questions qui nous sont posées au moment où nous allons voter sont claires : choisissons-nous de vivre ensemble ? En vue de quoi ? De quelles ambitions sommes-nous porteurs ? Que voulons-nous faire ensemble ? Dans quel but ? Quel rêve avons-nous pour l’Europe ? Quel souffle nouveau donner à notre continent ?
1. L’humanisation de la société
L’Europe doit donc se laisser gagner par l’enthousiasme et par le désir de se créer un avenir. Comme Église, nous devons contribuer à une renaissance de l’Europe qui, nous en sommes convaincus, reste dotée de potentialités importantes pour ouvrir de nouveaux chemins d’humanisation. Il faut que notre Europe soit une Europe de l’enfant, du pauvre, où être réfugié n’est pas un délit, une Europe qui offre aux jeunes la beauté de la culture, la richesse des échanges (tel le programme Erasmus) et pas seulement le consumérisme. Demandons-nous quelle est notre responsabilité à un moment où l’Europe, à cause de sa plus grande extension, est toujours davantage caractérisée par une pluralité de cultures et de religions. L’Union européenne aujourd’hui est souvent réduite dans l’esprit des citoyens européens à des institutions, alors que l’Europe est d’abord faite de personnes. On ne saurait la réduire à des chiffres, à des quotas, à des seuils de pauvreté qui font de la personne concrète un principe abstrait. Pour poursuivre notre chemin européen, il faut nous rappeler que l’autre est une personne et que ce qui compte le plus, c’est ce qui m’unit à elle, ce qui nous fait être « communauté ».
Il est de notre responsabilité, avec les politiques, d’attester et de mettre en lumière les raisons pour lesquelles l’Europe est un progrès indéniable dans l’histoire de l’humanité. L’Europe est “un bien communˮ. Si certains ont le sentiment de ne pas en bénéficier, ce n’est pas la faute de l’Europe, c’est la nôtre, car nous n’avons pas su préserver les valeurs fondatrices du dialogue, de la négociation et du partage. Mais, pour l’Église catholique, le repli sur soi n’est pas une solution au problème.
nous croyons au projet européen. Si l’on ne veut pas le laisser se perdre avec ce qu’il signifie de croissance et d’espérance pour le futur, le moment est venu d’intensifier notre engagement par rapport à lui
Devant les parlementaires européens, le pape François a comparé l’Europe « à une grand-mère fatiguée » qui a besoin de retrouver son souffle. Pour notre part, nous croyons au projet européen. Si l’on ne veut pas le laisser se perdre avec ce qu’il signifie de croissance et d’espérance pour le futur, le moment est venu d’intensifier notre engagement par rapport à lui. Dans l’appel que le pape François a lancé lors de sa visite à Marseille, il a invité les Églises européennes à retrouver passion et enthousiasme, à redécouvrir le goût de l’engagement pour la fraternité, à oser encore le risque de l’amour pour les plus faibles. Il invite les Européens à abandonner leurs « passions tristes » : le cynisme, le désenchantement ou la résignation, pour s’engager en faveur des plus pauvres (homélie du 23 septembre 2023). La question est celle de ce mot “ensembleˮ. Il importe que nous donnions un contenu précis à cette notion.
La rencontre et l’entente, à la place des rivalités et des guerres, forment un don précieux. Mais il sera d’autant plus précieux qu’il aura une fécondité pour le monde. Ainsi revient-il à l’Union européenne de prendre une initiative forte pour assurer la paix au Moyen-Orient, de promouvoir l’organisation d’une conférence de la paix, visant à la création de deux États en Israël et en Palestine, avec statut et respect des minorités, et de promouvoir la sécurité réciproque du peuple israélien et du peuple palestinien, l’un avec l’autre et non contre, excluant toute méfiance. Il est de la mission de l’Union européenne de contribuer à guérir les métastases de haine et de guerre diffusées dans la planète entière.
Il incombe à l’Europe d’aujourd’hui de savoir faire l’autocritique du fonctionnement de ses propres institutions et de prendre conscience qu’elle a vocation à s’investir dans une mission de solidarité plus large voire mondiale. L’Europe d’aujourd’hui n’a pas de supériorité à imposer. De plus elle fait face à des puissances telles que les États-Unis, la Russie et la Chine. Face à ces politiques l’Europe ne s’en sortira qu’en étant “autre choseˮ. Elle se distinguera en développant un nouveau projet de paix, en créant, dans le dialogue de ses ressources et de ses traditions culturelles, de nouvelles entreprises où le sens de la communauté humaine l’emportera sur la captation des richesses, où elle saura aider, poussée par un sens profond de la justice et de la fraternité, les personnes des autres continents à faire fructifier leurs propres richesses, plutôt qu’à être obligées de migrer sur de frêles bateaux en Méditerranée.
Le chemin européen doit être un chemin d’entraide, de partage des richesses, de solidarité et de fraternité. Il a ceci de solide et de prometteur qu’il est un projet reposant sur une volonté partagée de paix, appuyé sur le respect des droits humains.
Partie 5. Les moyens de nos engagements
Pour réaliser nos rêves d’un souffle nouveau pour l’Europe, nous devons tabler sur différents moyens. Citons-en quelques-uns.
L’Union européenne est une instance économique très développée et plutôt bien coordonnée avec une monnaie commune dans vingt pays, l’euro, utilisée par tous, une lutte contre la corruption, une réglementation du commerce international. Mais elle peine à faire l’union des peuples et à prendre en compte les données sociales et culturelles ; c’est pourquoi elle est perçue par beaucoup d’Européens comme un carcan normatif, dirigé par des technocrates sans âme, chargés de mettre en œuvre des principes susceptibles de permettre de vivre ensemble, mais ne se préoccupant pas des vrais problèmes des citoyens. Pour que ce vivre ensemble soit créateur d’âme, il faut qu’il soit huilé par des “corps intermédiaires », qui sont l’émanation de la base citoyenne, et qu’il soit porté par une volonté et un projet, celui de servir le bien commun de tous les citoyens européens.
Il ne suffit pas d’établir des règles de libre-échange et de libre-concurrence. Les consommateurs y trouvent leur compte, mais pas les citoyens, les travailleurs, hommes et femmes, car nos sociétés opulentes laissent de côté des millions de personnes. Il ne faut donc pas se contenter d’une Europe des règles uniformes, mais il faut construire une Europe de la vie commune et des actions communes. Nous devons prendre conscience que l’Europe, ce ne sont pas les autres, c’est nous et c’est à nous de réaliser ce projet, de faire du territoire européen un espace de prospérité, de paix, de justice sociale, de progrès des droits humains, un modèle social qui inclue tous les hommes et qui prenne à bras le corps les problèmes qui pèsent sur leur avenir. C’est ainsi que l’énorme question de l’écologie ne pourra pas être affrontée en ordre dispersé et égoïste.
Sur cette route se pose une question fondamentale. L’Europe dispose d’un immense patrimoine, imprégné de christianisme : que voulons-nous en faire ? Le pape François disait, dans un entretien avec le journal La Croix, en 2016 : « L’Europe, oui, a des racines chrétiennes. Le christianisme a pour devoir de les arroser, mais dans un esprit de service comme pour le lavement des pieds (Jn 13,1-17). Le devenir du christianisme pour l’Europe, c’est le service. » La réponse à la question n’est donc pas dans une culture de pure conservation, mais dans le service de nouvelles relations entre les peuples et de
la construction d’un projet commun, nourri des valeurs traditionnelles qui ont irrigué le continent européen dans l’histoire. Jésus lie lui-même la paix au souffle de l’Esprit Saint. Après sa résurrection, il dit à ses disciples : « “La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoieˮ. Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : “Recevez l’Esprit Saintˮ » (Jn 20, 21-22). L’Esprit du Christ souffle sur nous aujourd’hui pour que nous soyons ses messagers de paix, à la suite de Schuman, qui écrivait : « Notre objectif doit être d’établir une communauté spirituelle entre les hommes et entre les nations. Ceux qui ont le bonheur de pouvoir y contribuer, par leur esprit de fraternité fondé sur une conception chrétienne de la liberté et de la dignité humaine, seront parmi les meilleurs artisans d’une Europe rénovée et unie » (“La mission de l’Europeˮ, dans Pax Romana,1951, repris dans La politique pour vocation, éditions Salvator, 2022, p. 119).
Ce qui est en jeu, c’est la poursuite d’une Europe riche de valeurs, la plus urgente étant la solidarité en action entre communautés et citoyens dans le service du bien commun. Parmi les atouts qui caractérisent l’âme européenne, on peut relever la créativité, le génie inventif, la capacité de se retrouver et de sortir de ses propres limites. Après un conflit immense, elle a témoigné à l’humanité qu’un nouveau départ est possible. L’édifice construit au commencement l’a été par des États qui n’étaient pas unis de force, mais qui ont choisi librement le bien commun, le désir de permettre à chaque citoyen, vainqueur ou vaincu, d’y accéder. Comme l’écrit l’historien Arnold Toynbee (1890-1975) dans A Study of History : « Les civilisations naissent en réponse à un défi et elles s’écroulent lorsque leurs forces créatrices ne sont plus capables d’imaginer les ripostes appropriées aux nouveaux défis qui les assaillent. »
En beaucoup d’endroits, le bien commun n’est plus l’objectif premier qui est poursuivi. Ce sont les revendications qui le remplacent et c’est là un terrain fertile pour les replis identitaires, qui détruisent les ponts et construisent des murs. Le défi lancé à nos démocraties, c’est de recréer un dialogue politique, car la politique est le plus grand service à rendre au bien commun. D’où l’enjeu que représente le choix des députés. Encore récemment la guerre et la violence, le bruit des armes et les choix terroristes sont venus bouleverser l’équilibre de notre continent. Il convient dorénavant d’établir une communauté d’hommes et de femmes qui partagent le même chemin, qui endossent la mission de solidarité mondiale vis-à-vis des peuples qui souffrent.
Ce qu’on peut dire en tout cas, c’est que l’Union européenne est une organisation jeune sur un vieux continent. Il ne s’agit pas seulement d’une carte géographique mais d’un projet politique de coopération et de partage de pans de souveraineté pour assurer le bien commun, une vie bonne pour tous, dans le respect de la diversité des nations. Certains déplorent la trop rapide extension du nombre des pays membres. Il ne nous semble pas que la question soit le nombre de pays ni l’étendue de la superficie européenne. L’Europe n’est pas une fin en soi qui définit la taille de son aire de bien-être et de sa volonté d’unité. Nous plaidons pour une autre philosophie : une Europe, communauté ouverte, au service d’un grand projet d’unité et de paix. Comme le pressentait Robert Schuman, « l’Europe préfigure la solidarité universelle de l’avenir ». Ceci ne dilue ou ne dissout en aucune manière les nations particulières. L’Union européenne est inséparable des États qui la composent. Ceux-ci doivent trouver en son sein la pleine mesure de leur développement. Sans quoi elle serait comme “un squelette sans chairˮ. La force de cette Europe, c’est son projet de solidarité qui ne pourra se réaliser que par l’implication des peuples, ce projet qui est la perpétuation de ses valeurs de fondation : la réconciliation, la paix, la stabilité à travers une solidarité entre tous.
Un certain nombre de grands chantiers sont devant nous : il s’agit du futur de l’homme dans ses relations avec ses semblables et avec le monde, et de la préservation de son identité face à la révolution technologique majeure dans laquelle nous sommes entrés. L’Europe, communauté de biens et de valeurs, nous rendra plus forts pour les affronter. Le chemin de “l’écologie intégraleˮ que nous trace le pape François dans son encyclique Laudato si’ et dans son exhortation apostolique Laudate Deum est un outil précieux pour cela : par cette notion d’ “écologie intégraleˮ, le Pape montre que les différents aspects de l’écologie (l’environnement, le climat, la bio-diversité) sont liés aux diverses dimensions de la vie humaine, en particulier au sort des plus pauvres et à la vie spirituelle de chaque personne.
Européens, nous devons rendre à toute la Terre quelque chose qui soit à la hauteur de ce que nous avons reçu. Quelque chose qui développe, comme nous avons été développés. L’Europe, en effet, est un
continent qui, par la richesse de ses sources, a beaucoup évolué et a engendré des progrès décisifs pour l’humanité. Nous avons le choix : confier ces richesses à un projet qui nous transcende, celui dont l’Évangile s’est fait l’expression, ou bien enfermer nos finalités dans notre finitude. À quoi sont prêts les Européens d’aujourd’hui ? À promouvoir une Europe qui replace l’être humain au centre des intérêts communs ? Comme dit le président de l’Action catholique italienne, Giuseppe Notarstefano : « L’Europe doit vraiment devenir la Cité de l’homme, si on veut qu’elle vive. » C ’ e s t e n touchant du doigt la réalité que l’on peut agir efficacement pour une Europe qui se régénère et devienne plus inclusive. Quel rêve alors poursuivre ? Cela ne peut être qu’un rêve collectif, d’hommes et de femmes, jeunes ou âgés, qui partagent le même chemin. Nous voulons une Europe capable de favoriser la fraternité entre les peuples autant que le développement économique.
Partie 6. Les élections européennes et leurs enjeux
L’Europe pour laquelle nous sommes appelés à voter doit être un espace d’avenir, de partenariat et de responsabilité internationale. Par ce message nous voudrions contribuer à permettre au plus grand nombre de retrouver le goût de l’aventure européenne, malgré les conditions actuelles.
C’est pour ouvrir cet avenir que nous sommes appelés à voter. Ne nous dérobons pas à cet appel, ayant devant les yeux quelques attentes fondamentales, tels un besoin partagé de sécurité, des perspectives de formation et de travail pour les jeunes, une meilleure maîtrise des problèmes environnementaux, comme le réchauffement climatique, la qualité de l’air, la biodiversité, les énergies fossiles, ainsi qu’une approche juste et solidaire de la question de l’accueil des étrangers.
Au moment de voter pour une Europe du bien commun qui éloigne les égoïsmes personnels, il faut prendre conscience des nouveaux défis à relever et des enjeux éthiques du choix que nous avons à faire. La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. Et pour que l’Europe soit à la hauteur des enjeux éthiques d’aujourd’hui, enjeux de justice, de solidarité, de respect des droits, de liberté, il faut que tous soient également animés par le souci du bien commun de nos patries européennes. C’est un nouvel humanisme qui doit naître sur
base d’une capacité d’intégrer plutôt que d’exclure, sur base d’une synthèse des traits des diverses cultures. Nous pourrons alors nous réjouir de vaincre les fermetures qui nous écartent les uns des autres. L’humanisme européen est un humanisme de dialogue. C’est une ascèse pour reconnaître chacun comme un interlocuteur valable. Il s’agit de regarder l’autre, l’étranger, le migrant, celui qui appartient à une autre culture, comme quelqu’un à écouter. Sur cette base peuvent se construire de nouvelles coalitions culturelles, philosophiques et religieuses (et non pas seulement économiques) qui visent à réaliser une société intégrée et réconciliée.
3. le souci des jeunes et des personnes âgées
C’est à cela que doit conduire le vote du 9 juin 2024. Il s’agit en particulier de penser aux jeunes qui, par leurs rêves et leurs modes de vie, d’échange, de dialogue, de partage, forgent l’esprit européen. À travers ces élections, rendons-les protagonistes de l’avenir. Mais comment pourront-ils l’être, s’ils sont privés d’un travail digne, s’ils sont les premières victimes de l’augmentation du chômage et du sous-emploi ? Ils iront chercher ailleurs des idéaux et du sens parce que nous ne leur en offrons plus. Ils risquent d’être démolis par la drogue et les addictions. Heureusement nous ressentons un sursaut éthique et spirituel chez les jeunes et nous leur en sommes reconnaissants. Quant aux personnes âgées, elles manifestent souvent leur dynamisme dans le bénévolat, alors qu’elles sont pensionnées ou retraitées. Elles méritent d’être appréciées et aimées jusqu’à leur dernier souffle. Mais elles risquent aussi d’être marginalisées. Il en va de même pour les personnes en situation de handicap ou de fragilité. Il faut protéger la vie, de la conception à la mort naturelle.
Un des enjeux de ces élections européennes, c’est la mise en place d’une nouvelle économie, non pas fondée sur le profit, mais une économie sociale qui garantit l’accès au travail et à la terre, autrement dit, c’est la redécouverte de cet humanisme dont l’Europe a été le berceau et la source. On a souvent rappelé que l’Europe unie est une puissance économique majeure sur Terre. Avons-nous conscience de l’étendue du champ qu’elle offre à notre action ? Les pays de l’Union européenne capitalisent à eux tous non seulement des moyens importants, mais aussi des richesses technologiques, scientifiques, culturelles et humaines. La politique agricole suscite aussi de nombreuses questions économiques et écologiques, qui se sont manifestées sérieusement ces derniers temps.
La question que doit se poser l’Europe, comme n’importe quelle communauté humaine, c’est celle des valeurs dont on se réclame, des finalités que l’on poursuit et des moyens que l’on met en œuvre pour les atteindre. La question du choix des valeurs, des objectifs et des moyens nous sollicite comme chrétiens et elle est au cœur du vote que nous allons faire. Car sont en jeu des hommes et des femmes, des groupes humains, des communautés qui n’en sont pas tous au même niveau de possibilités, dont les intérêts quelquefois peuvent s’opposer, dont les solidarités ont besoin de se renforcer. Dès lors les choix qui sont faits sont de grande portée. Ce qui peut donner un sens à notre vote, c’est la redécouverte de nos richesses communes, de notre proximité historique et culturelle, de l’Atlantique à l’Oural, qui font d’un tel projet non pas une abstraction, mais une vision bien incarnée, un rêve qui a des fondements.
Les Européens sont habités par les mêmes désirs fondamentaux que tout être humain : le désir de posséder, d’être maître de soi-même, de se faire respecter. À partir de là, nous devons nous poser la question de nos valeurs prioritaires en Europe. L’Évangile nous invite à l’affirmation de la solidarité avec le pauvre plutôt qu’au renforcement du prestige des grands. Pensons aux paroles de Jésus dans la synagogue de Nazareth : « On lui remit le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit : “L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneurˮ. Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : “Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre » (Lc 4, 17-21). Aujourd’hui encore, cet engagement pour les pauvres s’accomplit par le souffle de l’Esprit et révèle la présence de Dieu. Pourquoi peut-on dire que le projet de construction européenne est tout particulièrement un projet pour les chrétiens ? Parce que les chrétiens peuvent se référer à une charte fondamentale que le Christ leur a laissée dans le Sermon sur la Montagne, en l’occurrence les Béatitudes (Mt 5, 6.9) : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. » La grâce de Dieu passe par le don de soi du Christ à toute l’humanité.
Faire un choix, en discernant ce qui convient, suppose que nous apprenions à connaître l’autre avec son histoire, ses traditions et sa profondeur. Ce n’est pas seulement une affaire de tourisme ni même d’études, mais de rencontre, d’ouverture, de volonté de faire la vérité ensemble. Nous voyons aussi que la difficulté est une force promotrice d’unité et de nouveaux dynamismes d’humanité. Pour cela il faut revenir à la solidarité de fait, à la générosité concrète dont parle Robert Schuman dans sa déclaration du 9 mai 1950 : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble: elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. » Donc l’Europe se fera ensemble, si ensemble nous sommes acteurs, comme les pères de l’Europe l’ont été.
Conclusion
Au moment de voter pour une Europe du bien commun et non des égoïsmes personnels, il faut prendre conscience des nouveaux défis à relever et des enjeux éthiques du choix que nous avons à faire. Il faut un souffle nouveau afin de choisir l’union dans la diversité et la personne dans la solidarité.
1. Choisir l’union dans la diversité
Pour que l’Europe soit à la hauteur des enjeux éthiques d’aujourd’hui, enjeux de justice, de solidarité, de respect des droits, de liberté, il faut que tous soient également animés par le souci du bien commun de nos patries européennes et par le souci de l’union dans la diversité. C’est la condition nécessaire pour vivre en paix en Europe et contribuer à la paix dans le monde. La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. C’est un nouvel humanisme qui doit naître sur la base de la capacité d’intégrer plutôt que d’exclure, sur la base d’une synthèse des traits des diverses cultures. C’est un humanisme nourri à notre histoire culturelle et spirituelle commune. C’est un humanisme ouvert à l’altérité et à la diversité de cultures, ouvert à l’étranger et au migrant. C’est un humanisme qui demande le dialogue et se base sur nos contacts et nos rencontres. C’est un humanisme qui dynamise notre économie dans la promotion des capacités de travail de chacun. Nous pourrons alors nous réjouir de vaincre les fermetures qui risquent de nous écarter les uns des autres. C’est un chemin pour reconnaître chacun comme un interlocuteur valable et construire une société intégrée ou réconciliée.
2. Choisir la personne dans la solidarité
L’humanisme européen est un humanisme basé sur le respect de la personne et sur la solidarité. La personne, avec sa spécificité et ses projets, est au centre de l’Union européenne, qu’il s’agisse de l’enfant, du jeune, de l’adulte, de la personne âgée, du bien-portant ou du malade, de l’autochtone ou de l’étranger, de l’homme ou de la femme. Pour réaliser le respect de la personne, la solidarité est indispensable. Elle permet de soutenir et de relancer ceux qui sont dans la pauvreté, dans la maladie, dans la déprime, dans la marginalisation. La solidarité implique la sécurité sociale afin de soutenir la famille et de permettre son bien-être, de veiller à l’éducation, de payer les personnes au chômage ou dépendant de l’assistance publique, de soigner celles malades et celles handicapées. La justice, l’écologie intégrale et la législation sociale sont le socle de l’humanisme européen.
La créativité, la spiritualité, la fraternité et, pour nous chrétiens, l’esprit évangélique donnent à notre Europe ce souffle nouveau dont elle a besoin. Puissions-nous, au moment de déposer nos bulletins dans l’urne, être conscients que nous votons pour un projet d’espérance.
Scy-Chazelles, lieu de vie et de sépulture de Robert Schuman, le 8 avril 2024,
- Mgr Jean-Claude cardinal Hollerich, archevêque de Luxembourg,
- Mgr Philippe Ballot, archevêque-évêque de Metz,
- Mgr Jean-Paul Gusching, évêque de Verdun,
- Mgr Marc Stenger, évêque émérite de Troyes,
- Mgr Stephan Ackerman, évêque de Trèves,
- Mgr Jean-Pierre Delville, évêque de Liège
- Mgr Pierre-Yves Michel, évêque de Nancy et de Toul
- Mgr Pierre Warin, évêque de Namur
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