Les différents mouvements catholiques du scoutisme
Trois grands mouvements catholiques de scoutisme accueillent les enfants et les jeunes en France. La proposition ? Un parcours de croissance humaine et spirituelle. Revue de détails des points communs et des spécificités des Scouts et guides de France (SGDF), de l’Association des guides et scouts d’Europe (AGSE), et des Scouts unitaires de France (SUF). Par Florence de Maistre
“J’aime l’idée d’évoquer nos mouvements comme des cousins. Nous sommes d’accord sur les fondamentaux, mais nous les vivons de façon différente”, lance Isabelle Malbrel, conseillère auprès des commissaires généraux des Scouts unitaires de France (SUF). Interpellées par la jeunesse et les questions d’éducation, trois familles catholiques de scoutisme, reconnues par l’Église et par l’État : les Scouts et guides de France (SGDF), l’Association des guides et scouts d’Europe, et les Scouts unitaires de France, se déploient et rassemblent aujourd’hui 135 000 enfants et jeunes de 6 à 21 ans dans tout l’hexagone. Trois mouvements pour une exception tricolore née de l’histoire, des visions du monde et de l’Église. Tous trois se réclament de Lord Robert Baden-Powell (1857-1941), de son génie de l’éducation des jeunes par les jeunes et de sa pédagogie. L’enfant est appelé à grandir dans toutes ses dimensions grâce à la vie en équipe, la vie dans la nature, une progression adaptée et un engagement personnel : la promesse.
L’esprit des fondateurs
C’est en 1907, en pleine révolution industrielle, que tout commence. Sur l’île de Brownsea, une vingtaine de jeunes garçons britanniques désœuvrés partent camper et expérimentent la méthode du scoutisme, du terme anglais scout qui signifie éclaireur. Baden-Powell leur donne la fleur de lys, l’aiguille de la boussole qui indiquait le nord sur les cartes anciennes, comme emblème international. “Elle nous montre toujours la direction à suivre et rappelle les trois points de la promesse : servir Dieu, l’Église, la patrie, respecter la loi scoute, aider son prochain”, précise Isabelle Malbrel. Le trèfle est confié aux équipes de filles, les guides, fondées par l’épouse du Lord, Olave Baden-Powell. À peine treize ans plus tard, le P. Jacques Sevin (1882-1951) se saisit des enseignements du chef anglais. “Il plante le scoutisme et sa forte vision de l’homme, de la fraternité et de la paix au cœur de l’Église catholique. Il lui a donné des symboles et des prières. Le scoutisme, c’est les travaux pratiques de la foi !”, indiquait le P. Jean-Marie Mallet-Guy, ancien aumônier général des Scouts et guides de France in Catholiques en France n°28 à l’occasion des festivités du centenaire du scoutisme de l’été 2007. Inspiré par l’idéal chevaleresque, le P. Sevin choisit la croix potencée de Godefroy de Bouillon, le Croisé, comme signe de reconnaissance. Associée à la fleur de lys ou au trèfle, elle représente toujours la promesse scoute chez les SGDF et les SUF. Les fondateurs des scouts d’Europe choisissent quant à eux la croix de Malte qui évoque dans le même esprit l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem.
Le scoutisme comme toute association pour la jeunesse se trouve traversé et bousculé par les évolutions de la société. Au coeur des années soixante, qui voient la création des collèges, l’ouverture du concile Vatican II et la libéralisation des moeurs, les Scouts de France (créés en 1920) et les Guides de France (créées en 1923), alors associations distinctes, cherchent à mieux répondre aux besoins de leurs contemporains. Peu de temps avant, une fraternité franco-allemande naît entre 1956 et 1958 sous le nom de Fédération scoute européenne. Elle souhaite maintenir vivace l’esprit des fondateurs et une certaine tradition mise de côté par les Scouts de France, dont elle accueille les membres déçus. En 1964, “les Scouts et les Guides de France organisent leur proposition en quatre branches correspondant aux quatre tranches d’âge du système scolaire. Le concile Vatican II pousse aussi les ainés de nos deux mouvements à s’engager dans la coopération internationale”, explique Anne-Claire Bellay, déléguée générale des Scouts et guides de France. Deux nouvelles pédagogies dédiées aux 12-14 ans (scouts et guides) et aux 15-17 ans (pionniers et caravelles) sont ouvertes. Les chemises colorées en sont le signe original et innovant.
Ceux qui souhaitent conserver la patrouille classique des 12-17 ans deviennent, en 1971, les Scouts unitaires de France. “Au départ, notre projet était provisoire. Nos statuts définitifs ne datent que des années 2000 ! Notre méthode est fondée sur la patrouille, d’où le mot unitaire, et la pédagogie du grand frère qu’elle permet en son sein. Je suis de plus en plus sensible au texte de la Genèse dans lequel foisonne une telle diversité. Nous ne sommes pas tous pareils, mais nous nous raccordons tous en Christ avec une grande liberté : il y a plusieurs moyens de vivre le scoutisme catholique”, partage François Peaucelle, commissaire général des SUF.
Nuances pédagogiques
Les trois mouvements se retrouvent sur l’importance de la vie d’équipe, comme l’un des moyens privilégiés de vivre le scoutisme et lieu par excellence de mise en commun des compétences et des talents des petits et des grands. SUF et Scouts d’Europe se rejoignent particulièrement sur le choix de la patrouille. “Une de nos particularités pédagogiques est d’insister fortement sur l’âge des 12-17 ans et la notion de patrouille. Elle est un très beau laboratoire : nous avons développé un réseau de patrouilles libres, où chaque jeune est en mesure de prendre des responsabilités. Elles sont la preuve que l’absence de chef ou de cheftaine [animateur, encadrant] n’empêchent pas de vivre le scoutisme. Elles sont très présentes dans le monde rural. D’ailleurs 40 % de nos unités locales touchent à cette ruralité”, indique Nicolas Maillard, directeur des opérations de l’Association des guides et scouts d’Europe.
La question de la mixité est l’autre grand point d’achoppement des différents projets éducatifs. “Au tournant du XXe et du XXIe siècle les Scouts (mixtes depuis 1982) et les Guides de France s’investissent en commun dans l’animation des Journées mondiales de la jeunesse de 1997 à Paris. Ces nouvelles énergies conduisent à l’alliance de nos deux mouvements en 2004 à Lourdes”, rappelle Anne-Claire Bellay. Garçons et filles, dès 6 ans avec les farfadets, puis les louveteaux-jeannettes, les scouts et guides, les pionniers-caravelles, et les compagnons, sans oublier les audacieux et audacieuses c’est-à-dire les plus de 17 ans en situation de handicap, apprennent à vivre ensemble, à construire leur personnalité, grandissent et progressent entre temps mixte et non-mixte. A contrario, “l’AGSE est depuis toujours une association scoute basée sur deux grandes pyramides homme et femme, deux sections paritaires avec des pédagogies adaptées à chaque sexe”, poursuit Nicolas Maillard. Louveteaux et louvettes se retrouvent respectivement en meutes et clairières autour de l’imaginaire du Livre de la jungle. Éclaireurs et éclaireuses vivent au sein des patrouilles. À partir des 17 ans, les équipiers et équipières pilotes forment avec les chefs et cheftaines le clan des routiers et le feu des guides-aînées. La proposition est assez similaire chez les SUF, à quelques nuances près. Les jeannettes évoluent dans la forêt de Jeanne d’Arc, les règles des éclaireurs et des guides ne sont pas exactement les mêmes. “Nous assumons l’adaptation différenciée de certains points pédagogiques selon le développement psychologique des garçons et des filles. Nous sommes un mouvement mixte qui vit les activités au sein d’unités non-mixtes. La finalité de notre pédagogie est d’arriver à la mixité, en permettant aux plus grands de vivre la communauté des aînés : autour des chefs de groupes [responsables locaux] qui sont toujours un couple marié, avec les chefs et cheftaines, les routiers, les guides-aînées et l’aumônier”, détaille François Peaucelle.
Photo de famille
Le commissaire général l’assure : il n’y a pas chez les SUF un profil type d’enfant, ni de caractéristique familiale recherchée. Néanmoins, au regard de l’engagement des chefs et des cheftaines, ce scoutisme se développe davantage dans les villes étudiantes et se trouve de fait plus urbain. Le groupe scout étant toujours lié à une paroisse, les SUF reflète la sociologie de l’Église en France, “avec une vraie diversité, mais celle de la pratique religieuse. Nous accueillons tous ceux qui souhaitent vivre notre pédagogie. Nous sommes au service des familles sans être dans une démarche pro-active”, précise le chef SUF. S’il est des zones géographiques entières où la proposition des unitaires n’existe pas, cette posture permet au mouvement de conserver une structure à taille familiale. En revanche, les SGDF revendiquent leur ouverture et leur dimension sociale, comme caractéristique intrinsèque de leur projet éducatif. “La volonté de s’engager au service de la société demeure notre boussole. Nous accueillons des jeunes de tous les horizons, c’est une volonté de notre mouvement catholique, donc ouvert à toutes et tous. Sur les plus de 66 000 jeunes qui nous rejoignent, un quart appartiennent à la première tranche du quotient familial. Nous souhaitons aussi bien accueillir dans les grandes villes et métropoles que dans les territoires ruraux et quartiers populaires. Cela nous amène à lancer le projet À ta portée pour ouvrir 100 groupes Scouts et guides de France dans des territoires qui n’en comptent pas encore. In fine, notre objectif est de former des citoyens et citoyennes actifs, utiles, heureux et artisans de paix”, annonce la déléguée générale des SGDF.
Quant aux guides et scouts d’Europe : le cliché des catholiques issus des milieux privilégiés ne reflète pas la réalité. Les unités rurales évoquées plus haut concernent des familles hors du giron des catégories socio-professionnelles supérieures. Pour mieux connaître leur diversité sociale et leur typologie, l’AGSE souhaite réaliser une enquête auprès de ses adhérents prochainement. “Nous mettons l’accent sur la formation et la progression personnelle. Nous notons une évolution de plus de 25 % ces quatre dernières années des effectifs de nos branches aînées. Ce dynamisme est très important pour nous, notamment autour des évènements qui rassemblent chaque année à la Toussaint les routiers à Vézelay (3000 participants) et les guides-aînées à Paray-le-Monial (plus de 2000 participants). Notre pédagogie prend tout son sens jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’au choix de vie personnel. Tout est pensé pour cette finalité : construire l’homme et la femme”, révèle le membre de l’équipe nationale de l’AGSE.
Lieu de première annonce et de discernement
Entre le dynamisme de cette branche aînée et les chiffres de l’enquête réalisée par La Croix en décembre 2023 auprès des séminaristes français, qui mentionnent que 56 % d’entre eux ont été scouts, dont 34 % membres des scouts d’Europe, le scoutisme semble apparaître comme un véritable creuset de vocation. Nicolas Maillard modère le propos : “Les scouts permettent à de nombreux jeunes de s’interroger et de répondre en s’engageant au service du monde et de l’Église. Les vocations religieuses et sacerdotales ne sont pas un but en soi. L’idée est de découvrir à quelle vie d’homme et de femme chacun est appelé.” L’étape de vie des aînés, des chefs et cheftaines est celle des grands choix de vie. En nouant des relations privilégiées avec les responsables locaux, les aumôniers et Cléophas (1500 animateurs de la vie spirituelle et chrétienne chez les SGDF partout en France), ils se confrontent à la diversité des vocations baptismales. “Il s’agit toujours de la pédagogie du grand frère. Nous ne demandons pas à nos aumôniers un topo sur la question de la vocation ou aux chefs de groupe une intervention sur l’éducation sexuelle et affective, mais d’être eux-mêmes devant les jeunes”, relève le commissaire général des SUF.
Les trois mouvements offrent aux enfants et aux jeunes de vivre la dimension spirituelle dans l’unité des activités proposées, comme nulle part ailleurs. Le jeu de piste, la nuit sous la tente dans la forêt et sans parent, le repas préparé par les enfants et cuit au feu de bois sont à chaque fois l’occasion de reconnaître la présence de Dieu au cœur du quotidien, au cœur de la Création et dans le cœur de tout homme. “De nombreux jeunes redécouvrent la foi par le scoutisme. Des membres des patrouilles libres trouvent là, le seul lieu où la vivre quand ils résident dans un désert paroissial. Nous voyons arriver des enfants non-baptisés et leur proposons ce chemin de foi. Le choix de ces jeunes est fort, ils y restent attachés”, souligne le directeur des opérations de l’AGSE.
Chaque mouvement est accompagné par un aumônier national, le P. Xavier de Verchère pour les SGDF, Fr. Nicolas Burle, o.p. pour les SUF, et l’abbé Yves Genouville pour l’AGSE. Chacun soutient la vie de foi de ses membres, et peut être témoin des vocations chrétiennes naissantes, depuis la demande de sacrement jusqu’à la question du discernement. “Nous avons un rôle de missionnaires au service de la jeunesse”, déclare Anne-Claire Bellay. L’importance étant d’être dans une dynamique. Lors d’une formation pour les nouveaux chefs de groupe SUF, un couple ressentait un sentiment d’imposture quant à sa fréquentation de la messe dominicale. Ils ont été invités, de façon très libérante, à s’engager à se mettre en chemin. Là, où d’autres les ont précédés et peuvent les entraîner. Comme dans la progression proposée aux plus jeunes, ce n’est pas la réussite qui compte, mais le désir et l’effort manifestés. À noter, depuis plus de quarante ans, en réponse à l’appel du pape Jean-Paul II aux jeunes d’être des hommes et des femmes de prière, les SUF prient tous les vendredi matin à 7 h 30. Les chefs, cheftaines et cadres du mouvement portent dans une même communion des intentions pour le monde et pour l’Église.
Une réponse aux défis de la société
Parmi les grands temps forts, outre des temps de service auprès des pèlerins à Lourdes, dans d’autres sanctuaires, ou auprès des personnes fragiles, la lumière de la paix de Bethléem est une démarche sensible. Portée en France par les SGDF en lien avec les Éclaireurs et éclaireuses unionistes de France (mouvement protestant), elle est renouvelée depuis plus de vingt ans. Allumée dans la grotte de la nativité à Bethléem, la lumière de la paix est partagée et relayée par les scouts des pays européens tout au long de l’Avent. Elle accompagne particulièrement le parcours spirituel des jeunes scouts et guides de France. Elle est souvent l’occasion d’une messe inter-scouts. “Nous sommes toujours invités à partager ce moment fort et nous sommes heureux de vivre ensemble cette fraternité. C’est important et très éducatif pour les jeunes”, souligne François Peaucelle.
Les trois mouvements se rencontrent régulièrement et œuvrent ensemble, de façon complémentaire, à différents niveaux, du local au national. En septembre dernier, à l’initiative du Rasso (association des aînés et anciens de l’AGSE), en collaboration avec l’AGSE, les SUF et les SGDF, une enquête Ifop a étudié l’impact social du scoutisme. “Nous n’avons pas été étonné par les conclusions, mais agréablement surpris par les chiffres. Certains écarts sont assez impressionnants, quant à l’engagement dans la vie bénévole, le taux de participation civique et la générosité des anciens scouts. Pour les questions qui touchent au bien-être et à la santé mentale, les scouts ont de fait pris de meilleures habitudes d’équilibre de vie. Ils développent un lien privilégié à la nature, gèrent mieux les écrans. L’enquête confirme que la méthode scoute répond aux défis actuels de la société !”, s’exclame Nicolas Maillard. Jérôme Fourquet de l’Ifop a même interpellé les mouvements : leur action est essentielle. Ils sont un ferment dans la société. Ils en sont des participants sains et heureux, et en rayonnent autour d’eux.
Les bienfaits du scoutisme ne sont donc plus à prouver, l’aventure continue. “Les projets ne vont pas manquer dans les mois à venir : suite à une résolution votée lors de notre assemblée générale 2024 nous allons notamment prioriser le bien-être et la santé mentale des jeunes et des adultes du mouvement. L’accent sera également mis sur le développement du scoutisme à portée de tous les territoires et la poursuite de partenariats avec d’autres associations engagées pour l’écologie intégrale et la solidarité. Nous lançons la démarche éducative Clameurs ! Plus de 20 000 jeunes scouts et guides de France de 14 à 21 ans vont lancer des actions collectives et se fixer des défis au service de la conversion écologique et du service aux plus pauvres”, décrit Anne-Claire Bellay pour les SGDF. En mai prochain, l’AGSE célébrera les 50 ans de la Route au Puy-en-Velay, entre action de grâce et confiance en l’avenir. Ils partageront autour du thème Pèlerins d’Espérance, choisi par le Pape pour le Jubilé 2025. De leurs côtés les SUF poursuivent leur réflexion autour de la notion de bientraitance, de la charité et de la vérité au cœur du scoutisme. Le commissaire général ponctue : “Le scoutisme propose des moyens sobres et simples pour aider les jeunes à grandir, à se construire autour d’une colonne vertébrale solide et devenir, en liberté, acteurs du monde.”
Une dimension internationale :
Les SGDF sont membres du scoutisme français aux côtés d’associations de scoutisme d’autres confessions. Ils participent également à l’Organisation mondiale du mouvement scout (50 millions de membres dans 160 pays) et à l’Association mondiale des guides et éclaireuses (10 millions de filles et jeunes femmes dans 150 pays). L’AGSE est membre de l’Union internationale des guides et scouts d’Europe (72 000 guides et scouts dans 27 pays). Chaque 22 février, les scouts et les guides du monde fêtent la naissance des fondateurs du mouvement (Robert et Olave Baden-Powell sont nés le même jour à 32 ans d’écart). C’est le World thinking day, le jour mondial de la pensée et l’occasion de vivre un temps fort de fraternité et de solidarité scoute internationale.
Contact
SGDF : https://sgdf.fr/
AGSE : https://www.scouts-europe.org/
SUF : https://www.scouts-unitaires.org/
Recrute un chef, plateforme de recrutement pour les chefs et cheftaines, et les entreprises, en lien avec Le Rasso, l’AGSE et les SUF : https://www.recruteunchef.com
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