Vœux de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, Président de la CEF et Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris, aux institutionnels

voeux nstituitonnels 2024 de Mgr Eric de Moulins-Beaufort

Le 15 janvier 2024, le Président de la Conférence des évêques de France (CEF) et archevêque de Reims, Mgr Eric de Moulins-Beaufort et l’archevêque de Paris Mgr Laurent Ulrich, ont présenté leurs vœux devant les responsables des cultes et les responsables associatifs. Voici le discours prononcé par Mgr de Moulins-Beaufort.

Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris, et moi-même sommes heureux de vous exprimer nos vœux les meilleurs pour l’année 2024 qui vient de s’ouvrir. L’an dernier, nous avions organisé une telle cérémonie pour la première fois dans l’histoire de la Conférence des évêques et le Ministre de l’Intérieur avait bien voulu honorer ce moment de sa présence.

Cette année, nous avons choisi un format un peu différent, de manière à pouvoir associer à cette rencontre davantage de représentants des associations et mouvements qui sont les prolongements de la vie de l’Église catholique en notre pays ou encore ses partenaires les plus naturels. En tout cas, nous voudrions vous exprimer à tous notre gratitude pour les collaborations que nous parvenons à vivre ensemble et, disons le mot, pour votre amitié à tous et à chacune ou chacun.

C’est une chance pour tout homme et toute femme, c’est une grâce, disons-nous dans notre langage chrétien, que de pouvoir être entouré d’amitiés nombreuses, variées et fidèles. Par elles, les tensions de ce monde sont plus faciles à vivre, on se sent plus fort pour surmonter les obstacles, l’avenir semble promettre des moments de rencontre plus intenses encore, dégagés de tout ombre.

Puisse, donc, 2024, être pour chacune et chacun de vous une année riche d’amitiés fortes et fécondes qui vous soutiennent dans vos responsabilités respectives et vous donnent d’espérer que ce que vous entreprenez et poursuivez en y mettant vos énergies, vos talents, votre générosité, votre sens du devoir, porte de bons fruits qui s’offrent à savourer, au moins un peu, dès ici-bas.

Un vœu au moins de ceux que j’avais formulé l’an passé à la même date s’est réalisé : que le pape François vienne lui-même à Marseille et qu’il vienne nous y dire que l’Église en France est « créative et spirituelle. » Il est venu, et ce furent deux beaux jours de lumière, de joie, d’espérance partagées largement au cours desquels les Français ont vibré bien au-delà du cercle des catholiques. Je voudrais remercier le Président de la République et Madame Borne, alors Première Ministre, d’avoir soutenu dès le départ l’invitation adressée au Saint-Père et d’être venus à Marseille pour l’accueillir et l’accompagner ; j’exprime encore ce soir ma gratitude aux autorités locales de Marseille, à son Maire, au conseil régional, au conseil départemental, aux forces de l’ordre de toute nature, aux mécènes, à l’archevêque et aux diocésains de Marseille et, plus généralement, à la population de Marseille et à ceux et celles qui ont fait le déplacement  pour venir à la rencontre du Pape. Le Pape, vous l’avez entendu, a salué la France : ce ne fut pas qu’un mot jeté au début d’une célébration. Car, en cette année 2023, il a adressé à l’Église catholique entière une lettre apostolique et une exhortation apostolique mettant à l’honneur  respectivement un Français et une Française et les proposant à toute l’humanité, Blaise Pascal, d’une part, sainte Thérèse de Lisieux ou de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face d’autre part, le premier pour le quatrième centenaire de sa naissance, la seconde pour son 150ème anniversaire.

voeux institutionnels de janvier 2024
Je voudrais suggérer que le Saint-Père les propose à toute l’humanité comme des amis précieux, des amis à rencontrer, à écouter, dont tout être humain gagnerait à se laisser accompagner, et aussi, je voudrais suggérer qu’il n’est pas anodin que l’une et l’autre soient français.

Pierre Manent, le philosophe de philosophie politique bien connu, a montré, d’ailleurs, dans un admirable Pascal et la proposition chrétienne, ce que Blaise Pascal pouvait apporter de stimulant, de revigorant, d’encourageant à nous autres catholiques ou, plus largement, chrétiens en ce temps, mais aussi à tout Français qui cherche à comprendre la situation spirituelle de notre pays et même à tout être humain qui sent « la grandeur de l’âme humaine ». Pierre Manent montre, en effet, dans ce livre, que cette âme, non seulement peut devenir toutes choses par l’intelligence et l’imagination, mais est capable aussi « de participer à l‘immense opération unitive » qui « unit les hommes entre eux en même temps qu’elle unit l’humanité à Dieu » (p. 425 et p. 424). Dans une expression moins impressionnante mais qui désigne la même réalité, le pape François conclut sa lettre apostolique en montrant que Blaise Pascal « avait mis l’amour de ses frères à la toute première place. Il se sentait et se savait membre d’un seul corps, car, -le Pape cite ici les Pensées-, Dieu, ‘’ayant fait le ciel et la terre qui ne connaissent pas le bonheur de leur être, il a voulu faire des êtres qui le connussent et composassent un corps de membres pensants’’ (Pensées, Laf. n. 360) ».

De sainte Thérèse de Lisieux, le Saint-Père nous a proposé de méditer une phrase très simple : « C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour. » Nous sommes ici de religions ou de confessions diverses, d’options philosophiques différentes ; nous pouvons pourtant entendre, chacune et chacun, cette phrase selon différentes manières d’analyse et d’interprétation et nous sentir converger toutefois, parce que l’amitié entre nous nous fait goûter déjà quelque chose de la force unitive de « l’Amour qui donne tout ». On ne dira jamais assez comment cette Carmélite normande, morte jeune, comme Pascal d’ailleurs était mort jeune, a transformé pour toujours, par quelques écrits confidentiels publiés après sa mort, la compréhension que le catholicisme a de lui-même plus que toute influenceuse d’aujourd’hui, bénéficiant de l’incroyable démultiplication des réseaux sociaux, ne peut infléchir les mentalités des jeunes générations. L’UNESCO, pour sa part, a compris que cette humble religieuse était une femme de grand poids dans l’histoire humaine, puisqu’il avait inscrit sainte Thérèse comme « femme d’éducation, de culture et de paix », pour la biennale 2022-2023. Pour la France, je le rappelle, elle était associée dans cette liste à Gustave Eiffel.

Puisse donc notre pays, puisse notre Église en France, puissions-nous tous, les uns et les autres, vivre les événements et les défis de l’année qui commence en compagnie de ces amis, stimulés et encouragés par eux dans notre décision de passer par les hauts chemins et dans notre résolution de ne pas nous laisser troubler et surtout de ne pas laisser troubler les amitiés qui nous relient par les agitations trop faciles des corps et des psychismes.

Permettez-moi d’évoquer de manière resserrée quelques défis :

    • le défi de guérir l’âme de notre pays de tout antisémitisme. Cette maladie s’est exacerbée, nous le savons, depuis les horreurs du 7 octobre. Elle se voudrait vertueuse face à la guerre que l’État d’Israël mène contre le Hamas et face à la situation injuste faite aux Palestiniens, mais elle est une maladie grave, une maladie mortelle pour l’âme de chacun et pour l’âme collective,
    • le défi d’approfondir encore et toujours les liens d’amitié entre Juifs, chrétiens, musulmans, pas seulement entre responsables nationaux mais à tous les niveaux de notre vie sociale, ce qui n’empêche certes pas la discussion et la confrontation, mais avec les moyens de la raison et du cœur, attitude dont le pape François trouve des modèles et chez Blaise Pascal et chez sainte Thérèse, attitude indispensable pour l’affermissement de l’« amitié sociale » qui est, selon l’encyclique Fratelli Tutti, le fondement intérieur d’une vie sociale pacifiante et dynamique. A ces relations nous associons aussi les bouddhistes, bien sûr ;
    • le défi de la discussion du projet de loi sur la fin de vie. La réflexion sur ce sujet a renforcé, je crois pouvoir le dire, Monsieur le Grand-Rabbin, Monsieur le Président de la Fédération Protestante, Monsieur le Recteur de la Grande Mosquée de Paris, Monsieur le Président de l’Union Bouddhiste, notre amitié ces derniers mois, tant nous sentons tous qu’il y a là un enjeu immense pour notre pays et pour l’humanité, tant nous sommes convaincus que notre pays pourrait faire émerger une manière plus humaine, plus fraternelle, que plusieurs de ses voisins, d’accompagner les personnes en fin de vie ou atteintes de maladies incurables, et aider chacune et chacun à garder le goût de vivre plutôt que se laisser attirer pour « un certain goût pour la mort ». Je fais référence ici au titre français d’un livre de l’autrice anglaise de romans policiers Philis Dorothy James ;
    • le défi des violences faites aux femmes dont bien des faits mis au jour désormais obligent à reconnaître l’honteuse quotidienneté, violences qui commencent dans les regards et dans les paroles, et celui des violences faites aux enfants, notamment la violence de l’inceste, implacablement documentée par la CIVIISE au prix d’une écoute pleinement intelligente des personnes victimes. Ces violences appelleraient une inscription dans la Constitution d’un engagement de la République à protéger les femmes et les enfants et à promouvoir leurs droits fondamentaux, inscription qui me paraîtrait plus adéquate et prometteuse que celle d’un droit d’accès à l’avortement. Sur ces violences, vous savez le travail de vérité menée par notre Église en France, les décisions prises et mises en œuvre pour lutter contre elles. Je veux saluer ici la décision prise dans le cadre de la Conférence des responsables de culte en France de faire la lumière sur ces violences que les relations religieuses peuvent parfois exacerber, décision dont un premier fruit a été une série de tables rondes tenues le 19 septembre dernier au siège de la Fédération Protestante. Ce travail de vérité mené en commun nourrit lui aussi notre amitié ;
    • le défi de la transition climatique car il faudra donner suite concrète à la COP 28. Beaucoup d’experts estiment que la planète n’échappera pas à une transformation redoutable. Il importe que notre gouvernement comme tous les gouvernements prenne des mesures fortes que nous, responsables de cultes, nous sommes engagés à soutenir auprès des fidèles qui nous écoutent ; il importe que tous les humains de bonne volonté progressent dans des comportements plus ajustés et acceptent certains renoncements au profit des humains ou des parties de la planète plus menacés. Il faudrait que nous puissions tous choisir ces nouveaux comportements avec joie, en vue de l’Amour qui unit et qui donne ;
    • le défi de l’immigration et des peurs qu’elle suscite. Une loi a été votée dont l’économie générale paraît avoir été modifiée par la discussion entre le Sénat et l’Assemblée nationale. Nous appelons tous, responsables de cultes, encouragés par des associations nombreuses et variées, à ce que les personnes migrantes, quel que soit le motif de leur migration et quoi qu’il en soit des questions d’ordre civique, ne soient pas traitées comme des délinquants ou des criminels. Accepter de recevoir leur contribution à notre vie sociale pourrait être une attitude prometteuse, elle rendrait légitime aussi les exigences qu’un pays comme le nôtre exprime en vue d’une véritable hospitalité ;
    • le défi de la guerre qui semble être redevenue un moyen de prolonger la politique. Nous avons le cœur serré en pensant à nos frères et sœurs ukrainiens qui résistent pied à pied et luttent pour la liberté de notre Europe alors que nos pays occidentaux semblent peiner à aider ; je salue le courage des Ukrainiens et l’exemple de concentration de leurs forces qu’ils continuent à nous donner. Nous partageons la peur des Israéliens devant la capture d’otages qui ne sont toujours pas tous libérés et dont quelques-uns sont morts et devant la transformation de la situation de l’État d’Israël sur l’existence duquel pèse une menace redoutable. Nous sentons la douleur et la colère des Palestiniens, notamment des chrétiens palestiniens, soumis à des captations de terres injustifiables, privés de travail, privés des rencontres aussi que les pèlerinages rendent possibles, qui se convainquent que nous, Occidentaux, ne leur reconnaissons pas les droits que nous réclamons pour tous les autres êtres. Nous compatissons au sort des 100 000 habitants du Haut-Karabagh, Arméniens désormais chassés de leurs terres ancestrales qui ont dû trouver refuge en République d’Arménie. Dans toutes ces situations il faudra construire la paix. Que se lèvent les personnalités fortes capables d’entraîner leurs peuples à choisir plutôt la paix et à la construire, non pas dans le renoncement, non pas dans la victoire imposée par les plus forts, mais par le renoncement aux idoles et la recherche de la justice, de la vérité, du bonheur pour tous ;
    • le défi de la pauvreté, dans notre pays et dans notre Europe occidentale. Ce pourrait être un thème des élections européennes à venir. L’inégalité des conditions est flagrante dans notre pays ; trop de personnes survivent au lieu de vivre. La France fera mémoire le 1er février prochain de l’appel de l’abbé Pierre. C’était en février 1954. A peu de choses près, il pourrait être repris aujourd’hui. 70 ans après, plus de 10% des Français vivent sous le seuil de pauvreté, même en travaillant ;
    • le défi posé par le patrimoine religieux abondant de notre pays : il s’agit de le préserver, de le restaurer, de l’entretenir, et plus encore de l’utiliser de manière que beaucoup osent en bénéficier, y entrer, y trouver un espace de paix et de beauté et de recueillement, éventuellement une réserve de sens pour conduire leur vie. Un rapport sénatorial, l’engagement du Président de la République pour la restauration de Notre-Dame de Paris, le lancement qu’il a tenu à faire lui-même d’une collecte nationale et l’annonce de mesures fortes ont rejoint la volonté de notre Conférence d’ouvrir des États généraux du patrimoine religieux. Ce labeur aussi devrait contribuer à l’amitié sociale dans notre pays.

Les défis de ce temps pourraient nous écraser ; puissent-ils plutôt nous encourager tous à vivre le plus intensément qui soit notre condition humaine. Comment, en effet, ne pas nous sentir d’autant plus membres d’un même corps, appelés à former un seul corps, à être « membres les uns des autres » ? Comment ne pas désirer approfondir encore notre capacité de faire confiance, de nous faire confiance, afin de pouvoir aboutir à l’Amour qui donne tout ?

Mesdames et Messieurs, chers amis, que le moment d’amitié qui s’ouvre soit pour nous tous un gage de ce que nous espérons vivre ensemble tout au long de cette année, en nous aidant de jour en jour. Je vous remercie,

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