Discours de clôture de l’Assemblée plénière d’automne | le 10 novembre 2024
Discours de clôture prononcé par le Président de la Conférence des évêques de France, à l’issue de huit jours d’Assemblée plénière automnale, le dimanche 10 novembre 2024.
Chers Frères évêques, chers membres du secrétariat général, chers collaboratrices et collaborateurs de la Conférence, Mesdames et Messieurs les journalistes, et surtout vous tous, Mesdames, Messieurs, Frères et Sœurs, chers amis, qui suivez ce discours en direct ou en différé,
Vendredi soir, un bon groupe des évêques présents à l’Assemblée plénière s’est retrouvé à la Cité Saint-Pierre, sur les hauteurs de Lourdes, à l’invitation du Président du Secours catholique et de la Déléguée générale. Au cours de la prière des Complies, l’aumônier général a lu une méditation de détenus de la maison d’arrêt d’Angoulême, préparée en vue du rassemblement des aumôniers de prison tenu à Lourdes mi-octobre. Je vous en partage ici un extrait :
« Marie,
Tu es apparue à Bernadette dans la grotte de Massabielle (qui, dans le patois local, signifie ‘’vieille roche’’).
… Tu as choisi de te montrer dans une cavité à l’entrée de ce roc granitique bien peu reluisant que l’on appelait la Tute aux cochons.
… Alors, ça nous parle à nous qui vivons à 3, 4, 5 et même 6 dans des cellules de quelques mètres carrés, au sein d’une maison d’arrêt…dont la construction s’est achevée en 1858.
… Entre le roc granitique de Lourdes où tu es apparue et la rue Saint-Roch d’Angoulême où nous sommes, il est tentant de faire une comparaison.
Alors Marie,
Aide-nous à comprendre que tu peux être présente dans les lieux le plus improbables…
Aide-nous à percevoir la présence de ton Fils Jésus ici-même, à nos côtés, au milieu de nous qui sommes en détention. »
C’est pour cela, chers amis, que nous nous réunissons à Lourdes : pour pouvoir vivre de tels moments en étant au milieu des pèlerins, des pauvres, des personnes malades ou blessées, en pouvant rencontrer des personnes inattendues, en étant replongés dans la perception plus vive du mystère de la foi qui se dégage de ce sanctuaire habité de tant de demandes, de tant de souffrances confiées, de tant de générosité partagée, d’abnégation vécue dans le soin de l’autre.
Je voudrais en profiter pour remercier ici l’évêque de Tarbes et Lourdes, le recteur du Sanctuaire, les chapelains, les personnes qui nous accueillent à l’Accueil Notre-Dame, dans les basiliques, à l’hémicycle, et de façon générale toutes celles et tous ceux qui rendent possibles nos assemblées. Leur gentillesse et leur disponibilité constantes nous émerveillent à chaque session. Permettez-moi d’adresser des remerciements analogues aux personnes travaillant à la Conférence des évêques qui nous ont accompagnés ici et ont contribué elles aussi à rendre notre séjour facile.
Je voudrais remercier aussi le Secours catholique pour son action dans nos paroisses, nos diocèses, notre pays. Notre gratitude est grande pour les bénévoles engagés à tous les niveaux. Ils sont une expression forte de la charité vécue de notre Église, une charité persévérante, qui se traduit en des gestes et des actions de solidarité, bien nécessaires au tissu fatigué de notre société. Ces bénévoles sont souvent le sourire et la main tendue de notre société française à ceux et celles qui se trouvent en précarité et aux personnes migrantes à leur arrivée, mais aussi dans la longue durée des procédures qu’elles ont à engager. La collaboration des bénévoles et des salariés permet au Secours catholique d’aider des personnes en précarité en répondant toujours mieux aux exigences des services publics et surtout en respectant la dignité et la liberté des personnes accueillies. Cela lui permet une fine connaissance de la réalité sociale de notre pays. Son rapport annuel qui sera présenté à la mi-novembre, dans quelques jours, a acquis une forte autorité et fait référence désormais. Pour tout ce travail, nous voulons dire notre admiration et notre reconnaissance. L’expertise du Secours catholique sera importante dans l’évaluation de la loi immigration à venir. A l’approche de la journée nationale du Secours catholique, nous, évêques, redisons nos encouragements à ceux et celles qui participent à son action ou la soutiennent de leurs dons. Nous remercions les prêtres qui accompagnent dans nos diocèses les délégations du Secours catholique et le nouvel aumônier général ainsi que son diocèse d’origine.
A Lourdes, nos assemblées n’ont pas d’abord pour effet de régler des questions d’organisation ou de finances ; elles sont surtout des temps d’encouragement et de relance dans notre mission. En ce mois de novembre 2024, la triple perspective de la prochaine réouverture de Notre-Dame de Paris avec son sens symbolique puissant, de l’ouverture du Jubilé de l’Espérance et du 1700ème anniversaire du concile de Nicée, a orienté notre assemblée. Cet anniversaire, celui du Concile de Nicée, nous paraît, à nous, évêques de France, une occasion importante. Il fut la première expression commune de la foi par les évêques réunis en concile, les persécutions achevées, la religion chrétienne étant devenue une religion autorisée dans l’Empire romain. Ce concile a affirmé, face à la culture gréco-romaine mais dans ses termes à elle, la pleine divinité du Christ Jésus, le Messie d’Israël venu pour toutes les nations, le Fils du Père, « consubstantiel au Père », en qui Dieu lui-même, le Dieu Trinité, le Dieu créateur, Dieu au sens le plus haut qui se puisse donner à ce nom, s’engage pour le salut et la vie de tous les êtres humains. Nul moins que Dieu vient à nous et se livre pour nous. Celui qui a partagé notre condition humaine et qui a été crucifié est vraiment Dieu dont l’être s’exprime entièrement et adéquatement dans l’humiliation de la Passion et de la Croix et dans la gloire paradoxale du Ressuscité. Pour l’humanité de notre temps inquiète, douloureuse, agitée, cette nouvelle est encore une bonne nouvelle.
C’est pourquoi nous avons voulu adresser un message aux prêtres, diacres, personnes consacrées, laïcs en mission ecclésiale et à l’ensemble des fidèles de nos diocèses, pour attirer l’attention de tous sur le sens de la définition de foi de Nicée. Le mystère de la foi échappe toujours à nos prises, mais il nous est donné, dans la communion de l’Église, de trouver un langage adéquat pour le confesser en visant Dieu en son être même. Surtout, cette réalité de la foi se déploie dans notre compréhension de l’être humain, fait à l’image et à la ressemblance de Dieu, de notre perception de Dieu lui-même et notre vision du monde dans lequel nous vivons. Le mystère de l’Incarnation, la réalité du Christ, vrai Dieu et vrai homme, transforme complètement les catégories du sacré et du profane, elle les déplace plutôt, faisant de l’être humain la véritable image de Dieu et de la sainteté vécue la véritable ressemblance avec lui. Les conséquences sont immenses quant à la dignité reconnue à tout être humain, quant au regard posé sur les humains abîmés, humiliés, méprisés, rejetés, que Jésus a rejoint sur sa croix et auxquels il s’est assimilé, ceux et celles que la course du monde laisse de côté. Que nous le voulions ou non, les prisonniers, les migrants, les réfugiés, les chômeurs, les personnes en situation de handicap, les personnes malades, expriment quelque chose de la réalité du Dieu vivant et créateur. Toutes nos attitudes pastorales comme Église et tous nos comportements comme baptisés et confirmés en ce monde, sont ou devraient être déterminés par ce mystère premier de la foi qu’est l’incarnation du Fils.
Évêques, nous formons le vœu que le jubilé permette aux communautés paroissiales et aux mouvements de travailler le sens du concile de Nicée et de puiser dans le mystère de la foi en son cœur force, joie, énergie pour agir et servir et annoncer. Nous pensons en particulier à ceux et celles qui demandent le baptême et qu’il convient d’initier au mieux à la plénitude de la foi afin qu’ils puissent « transformer leur façon de penser », leur image spontanée de Dieu et du monde et leur compréhension de la mission de l’Église ou de la posture juste du Peuple de Dieu dans le monde tel qu’il est. Au nom de tous les évêques réunis en cette assemblée, je suis heureux d’annoncer ici la publication de ce texte pour aider à vivre l’année sainte 2025, comme un beau temps de relance pastorale et missionnaire.
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C’est face au Christ Seigneur donc et pour lui que nous avons reçu en notre assemblée et accompagné en ce sanctuaire Sa Béatitude l’Archevêque majeur de l’Église gréco-catholique d’Ukraine, Sviatoslav Shevchuk. Il a fait retentir au milieu de nous la voix de l’Ukraine qui se défend et se bat et, en ce sens, il est une voix de la conscience européenne, j’ai pu le lui dire. C’est au nom du Christ que nous l’avons reçu comme un frère chargé d’affermir ses frères et sœurs dans l’épreuve et de les guider sur le chemin escarpé de la « résistance spirituelle ». Car c’est un combat que ne pas laisser place en son cœur à la haine et en son corps à la violence. Nous avons admiré la tranquille assurance de Mgr Shevchuk que l’Ukraine grandit comme nation et a la force spirituelle nécessaire à son combat pour sa liberté, le droit de ne pas avoir peur et de pouvoir dire la vérité, pour la liberté de penser et d’agir. Nous avons été impressionnés par sa conviction profonde que l’Église gréco-catholique peut aider le peuple ukrainien, dans sa diversité ethnique et religieuse et culturelle, à faire corps et à progresser dans les vertus démocratiques. La grande surprise du 20 février 2022 a été de voir se lever comme un seul homme un peuple qui était largement considéré comme divisé et affaibli par la corruption. Ces maux n’ont pas disparu, mais, Mgr Shevchuk s’en fait le témoin, les gens ordinaires font leur travail, remplissent leurs devoirs, supportent les complications et les manques de ce temps, se soutiennent dans les drames terribles qu’ils vivent les uns et les autres et les soldats se battent à cause de cela, pour cela. Personne ne veut retrouver ce qui a marqué les décennies de la domination soviétique.
A la veille du 11-novembre, commémoration de l’armistice qui mit fin à la première guerre mondiale, il est affreusement triste de réaliser qu’une guerre de tranchée se mène aujourd’hui à nos portes dans laquelle des hommes se battent pour gagner puis perdre puis gagner encore quelques mètres de terrain, il est poignant de songer que des hommes sont tués, blessés, mutilés, si près de chez nous et pour un combat qui nous concerne tous, qui met en jeu notre conception à tous de la liberté et de l’ordre international. Le cadeau que nous a laissé Mgr Shevchuk, un fragment d’un drone destiné à bombarder la maison dans laquelle il réside à Kyiv, est significatif à cet égard. En participant aux cérémonies officielles demain et en célébrant saint Martin, hongrois devenu soldat romain, en garnison en Gaule puis moine et évêque à Tours, grand marcheur des routes d’Europe, nous prierons pour qu’advienne la paix mais la paix dans la justice et la vérité et pour que se préparent les voies de la réconciliation.
Nous prierons aussi parce qu’il est terrible de penser que notre foi chrétienne qui nous unit les uns aux autres, qui nous fait frères et sœurs dans le Christ, puisse être utilisée pour justifier une guerre de conquête et certaines exactions. Nous avons entendu de Mgr Shevchuk le travail de discernement qu’il tâche d’opérer pour soutenir le patriotisme en le distinguant d’un nationalisme qui aveugle et pour dessiner les contours périlleux d’une guerre juste, menée de manière juste, alors qu’il faut utiliser la force et la violence.
En célébrant la messe où nous demandons, dans la troisième prière eucharistique : « Étends au monde entier le salut et la paix », nous portons tous les morts, tous les blessés, toutes les personnes traumatisées à jamais, les vies brisées ou empêchées par la violence, et nous les confions à Celui qui, « ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu » mais « s’est anéanti… devenant semblable aux hommes » et « s’est abaissé, devenant obéissant et jusqu’à la mort, et la mort de la croix. » Le Christ, le Fils consubstantiel au Père, n’est pas mort pour rien mais il a affronté la violence terrible qui habite le cœur des humains et tant et tant de leurs actes. Dans la joie de nous retrouver à Lourdes, en ce sanctuaire pacifique, nous ne l’avons pas oublié, tout au contraire. Nous avons mieux réalisé que l’aboutissement de l’œuvre du Christ n’est pas la domination politique d’un empire mais le don de l’Esprit-Saint qui transforme les libertés de l’intérieur et ouvre chacun ou chacune à tous les autres.
En écoutant le « père et chef de l’Église gréco-catholique d’Ukraine », j’ai repensé, permettez-moi de le dire ici, aux rencontres que j’avais eu le privilège d’avoir les 13 et 14 septembre dernier, accompagné du Secrétaire général de notre Conférence, le P. Hugues de Woillemont, de Mme Sophie Daugérias, Secrétaire générale adjointe, du président du Secours catholique, M. Didier Duriez, avec le Patriarche latin de Jérusalem. Lui aussi, dans le contexte affreusement douloureux créé par les actes terroristes commis par le Hamas en Israël et la riposte militaire qu’ils ont provoquée, essaie de trouver la parole juste et les gestes encourageants pour soutenir ceux et celles qui souffrent, d’un côté comme de l’autre, pour appeler à préserver les chances de la paix, pour rappeler les exigences de la justice, notamment en Palestine et en Cisjordanie. Nous prions pour lui et pour tous les pasteurs de cette région, pour les patriarches et les évêques et les prêtres du Liban aussi, afin qu’il leur soit donné de remplir leur mission au nom du Christ, d’être des figures de Dieu qui, en Jésus le Christ, le Messie d’Israël, vient au secours de ceux et celles qui souffrent en ce monde.
Nous prions pour les morts, pour les blessés, pour ceux et celles qui ont perdu leurs biens les plus essentiels. Nous sommes impressionnés par le déchaînement de violence qui a lieu dans cette partie du monde et par l’absence apparente de recherche de ce qui permettrait de construire un chemin de paix. Nous avons voulu adresser aux chrétiens d’Israël et de Palestine et du Liban un message de proximité fraternelle. Nous n’oublions pas non plus les Syriens qui souffrent depuis des années.
Pendant ce voyage à Jérusalem, nous avions pu rencontrer, sous l’égide de M. Daniel Shek, ancien ambassadeur d’Israël en France, l’épouse d’un des otages français et la belle-sœur d’un autre de ces otages retenus par le Hamas. Rien ne saurait justifier la prise et la détention d’otages, ni en Israël, ni en Ukraine, ni nulle part ailleurs dans le monde. Rien ne saurait justifier non plus qu’un État ne respecte pas le droit international. Il a ses limites, il a aussi ses ambiguïtés, mais il est aujourd’hui ce que les pays du monde ont réussi à construire d’ordre pour éviter que la guerre redevienne un moyen de la politique et que les États se laissent aller à leur tendance à la domination. La première lecture de ce dimanche évoque la veuve de Sarepta, village du Liban ; et l’évangile, la veuve du Temple. La vie, avec sa brutalité et ses douleurs, crée des veuves et des orphelins, des veufs aussi ; mais nous ne pouvons pas nous résigner à ce que des États puissants provoquent des destructions, des veuves, des orphelins, des traumatisés et des mutilés. Le Dieu d’Israël, celui qui envoya Élie trouver de l’aide chez la veuve de Sarepta, ne le permet pas.
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Nous avons été honorés aussi de recevoir ici les cardinaux Fridolin Ambongo, de Kinshasa au Congo Démocratique, et Antoine Kambanda, de Kigali au Rwanda, Mgr Gabriel Sayaogo, archevêque de Koupela au Burkina-Faso et Mgr Inacio Saure, archevêque de Nampula au Mozambique, accompagnés par le Père Abbé de Maredsous, dom Bernard Lorent, ainsi que le Professeur Jean-Paul Niyigena, secrétaire général de la Fondation internationale « Religions et Sociétés ». Surtout, nous avons apprécié de nous découvrir à la fois si semblables et si différents, si proches dans la confession de l’unique Jésus-Christ et le désir de le servir en servant nos frères et sœurs humains et si heureusement différents dans la variété de nos cultures et donc de nos modes d’expression.
Nos quatre délégués au synode et le cardinal Aveline avaient pu vivre assez intensément pendant le mois d’octobre la proximité avec les membres africains du synode, nous avons expérimenté cette proximité collectivement pendant deux jours et ce fut heureux. Beaucoup de diocèses de France ont des relations plus ou moins anciennes, plus ou moins construites avec des diocèses d’Afrique. Elles passent aujourd’hui souvent par l’accueil de prêtres venus nous aider ou de religieuses ou religieux venant relayer des congrégations qui se sont affaiblies dans les diocèses et les paroisses. Nous avons pris du temps pour travailler ensemble sur l’envoi de prêtres selon le dispositif dit « fidei donum », « le don de la foi », du nom de l’encyclique du pape Pie XII en 1957 qui a appelé les Églises à manifester leur fraternité en s’aidant mutuellement par l’envoi et l’accueil de prêtres. Mgr Sayaogo nous a rappelé que le fondement théologique de cet appel de Pie XII avait été donné lors du concile Vatican II dans l’affirmation qu’un prêtre est ordonné pour son diocèse mais en vue de la mission totale de l’Église, parce que toute Église particulière porte l’Église universelle, selon la loi de la charité dans le Christ. Un travail approfondi sur les prêtres fidei donum, cependant, ne pourrait se faire seulement entre évêques ; il devrait mobiliser les prêtres concernés eux-mêmes. Nos hôtes ont pu nous dire et nous avons pu leur dire les défis, les difficultés, les échecs aussi de nos relations et de nos échanges, mais nous voulions remercier à travers les quatre archevêques présents, les évêques et les diocèses d’Afrique pour tant de prêtres généreux, de grande qualité, vraiment désireux de servir le Christ et son Église en venant aider nos diocèses. Je les salue ici tous, ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui, ceux que nous recevrons encore, ainsi que les religieuses et religieux, et je leur exprime, au nom des évêques, la gratitude des catholiques de France.
Nous voulions surtout, en cette assemblée, entendre des évêques africains nous dire, à nous évêques de France, ce qu’ils voulaient nous dire. Nous avons été émus d’entendre exprimée leur gratitude pour le partage de la foi. Par les missionnaires, prêtres, religieuses ou religieux, l’Évangile de Jésus, le Messie d’Israël, a été partagé à toutes les nations. Nous avons pu vérifier que nous partagions la même compréhension de l’évangélisation qui n’est pas l’imposition d’une doctrine ni domination d’une culture sur une autre, mais conversion intérieure à l’œuvre du Dieu vivant, œuvre de transfiguration par le don de l’Esprit-Saint, recherche de la sainteté, entrée dans la vie de foi, espérance et charité, à la suite du Christ Jésus, pauvre, chaste et obéissant. Il est toujours émouvant et stimulant de découvrir que, par-delà les océans et les continents, nous partageons une communauté d’intelligence de la foi.
L’humanité en notre époque vit de manière globalisée, on le dit et le redit, mais simultanément les différences culturelles sont assumées et revendiquées comme jamais. Cette tension-là a occupé l’essentiel de nos échanges mardi dernier. Nos hôtes nous ont proposé la création d’un institut de missiologie pour préparer les prêtres, religieux et religieuses venant en Europe au contexte culturel plus déroutant pour eux qu’ils ne l’imaginent souvent et pour leur donner d’approfondir leur théologie de l’évangélisation. Nous avons mieux réalisé aussi que nous devions nous-mêmes préparer davantage les autres prêtres et les communautés à accueillir des prêtres missionnaires et accepter que les prêtres venus d’Afrique viennent non pas faire ce qu’un prêtre français aurait fait, mais apporter de manière adaptée les richesses spirituelles de son Église d’origine. L’échange des dons ne doit pas être une déclaration d’intention ; il devrait être la sève qui circule dans la vigne qu’est l’unique Église dans ses divers lieux d’existence. Évangéliser, décidément, c’est la vie même de l’Église.
Nous nous sommes retrouvés volontiers sur ce constat. Le cardinal Ambongo, en particulier, l’a exposé. Le monde ne peut plus être divisé comme il l’avait été lors de la création de la congrégation pour la propagande de la foi en 1622, devenue après Vatican II, congrégation pour l’évangélisation des peuples, entre le monde chrétien supposé stable où il s’agirait seulement d’entretenir et de conforter la foi et le monde païen à qui il s’agit de partager l’Évangile du Christ. L’évangélisation est la tâche de toute l’Église en tous lieux et en tous moments de son histoire, car il s’agit toujours de se laisser davantage éclairer par le Seigneur Jésus, davantage atteindre par le mystère de son incarnation et la rédemption qu’il apporte, et davantage habiter par son Esprit-Saint en nous stimulant les uns les autres dans l’attention à cet Esprit ou l’écoute de ce qu’il a à nous dire.
Nous avons comme évêques de France à répondre à la proposition qui nous a été faite par nos hôtes. Nous allons déjà faire le point sur les sessions ou les moyens d’accueil et de formation qui existent dans certains diocèses et certaines provinces, nous allons interroger aussi les universités catholiques. Nous aussi, évêques et prêtres, nous avons à approfondir notre théologie de l’évangélisation et à nous former avec ceux et celles qui sont appelés à venir chez nous. Nous aurons sûrement à reprendre la conversation engagée en cette journée de mardi. Elle comporte des thématiques plus larges que la seule venue de prêtres. Nous avons entendu aussi s’exprimer la conscience des évêques africains de la force de leur jeunesse et de la transformation de leurs sociétés. Nous avons entendu aussi qu’ils s’inquiétaient d’un certain ressentiment antifrançais. A tort ou à raison, notre politique nationale est toujours comprise en termes de protection de nos intérêts nationaux. Notre époque revoit l’histoire de la colonisation et même de la décolonisation qui n’a pas été sans zones d’ombre ; la tentation de nombreux gouvernants de se maintenir en place quoi qu’il arrive est une cause de forte déstabilisation, elle use les énergies des jeunes frustrés dans leurs aspirations au changement et surtout dans leurs aspirations à l’accès à une vie meilleure où ils puissent déployer leurs talents ; les transformations climatiques devraient nous obliger à chercher ensemble, entre nations ou groupes de nations, ce qui pourrait être bon pour tous. L’évangélisation, comme annonce de la bonne nouvelle de la victoire de Dieu sur le mal et le péché, nous engage à porter ensemble ces thématiques.
Nous avons éprouvé la même convergence en entendant le métropolite Dimitrios, président de l’assemblée des évêques orthodoxes de France, et le Pasteur Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France, que nous remercions d’être venus jusqu’ici et d’avoir partagé très fraternellement nos travaux, nous parler de leur conception de la mission de l’Église dans le monde contemporain. Au lieu d’être en concurrence les uns les autres, entre confessions chrétiennes, nos Églises s’efforcent d’obéir à l’ordre reçu du Seigneur Jésus, mandat d’annoncer l’Évangile, mais aussi réponse à l’appel qui monte du cœur des humains partout dans le monde, dans toutes les cultures et les civilisations. Le monde ouvert dans lequel nous vivons permet une proximité des êtres humains les uns avec les autres que nous chrétiens, de toutes confessions, pouvons et devons vivre comme une manière de rapprocher le Christ les uns des autres et de nous partager les bienfaits de sa Parole à écouter et de sa grâce sanctifiante agissant en nous.
Sans doute, chaque confession ou dénomination a-t-elle sa manière propre de comprendre l’évangélisation, elle a sa couleur propre : les évangélistes vivent de la première annonce, sur un ton kérygmatique de proclamation, les luthériens et les réformés attachent plus d’importance à l’étude et à la réflexion, les catholiques privilégient l’unité du Corps, dans son organicité, les orthodoxes célèbrent dans chaque Eucharistie la mission qui se déploie, mais en réalité chacune de ces nuances peut devenir le bien commun de tous. Tous, nous sommes convaincus que, dans le monde sécularisé où nous sommes, l’attente de l’Évangile est forte, aussi forte que jamais, parce que l’appel de Dieu à l’adresse de chacun n’a pas fini de retentir. Dieu ne se lasse pas d’appeler les êtres humains à venir à lui avec cette promesse : « Qui cherche le Seigneur ne manquera d’aucun bien ». Lors du temps spirituel qui a ouvert notre assemblée, Mgr Laurent Camiade nous a conduits dans la méditation de ce verset du psaume, pour nous-mêmes et aussi pour ceux et celles que nous rencontrons. Nos contemporains qui se considèrent comme « libérés » sont à la recherche de droits de plus en plus régulés, alors qu’ils sont appelés à la liberté des enfants de Dieu. A nous de vivre de cette liberté ! Certains des jeunes sont à la recherche de règles de comportement, de ce qui est permis ou interdit, alors qu’ils sont appelés à la charité qui dépasse toute loi. A nous de leur montrer ce qu’est la vie dans l’Esprit avec son exigence très grande mais la douceur de vivre de la grâce qui vient de Dieu par le cœur ouvert du Christ Jésus.
Cette vision-là a été confortée par nos échanges avec les trois mouvements scouts qui avaient souhaité nous rendre visite ensemble. Nous avons passé avec eux un moment que je me permets de qualifier de rafraîchissant. Le dynamisme de chacun des mouvements, chacun selon ce qu’il a de spécifique, impressionne ; il donne de regarder la jeunesse autrement qu’on ne la présente trop souvent. Là encore, je voudrais exprimer la gratitude immense des évêques et leur admiration à l’égard des jeunes qui s’engagent comme cheftaines ou chefs dans les unités scoutes pour permettre à de plus jeunes de vivre cette aventure et d’y apprendre à devenir des hommes et des femmes libres, décidés, capables de servir, qui seront aussi des citoyens utiles pour toute la société et, nous l’espérons, des chrétiens courageux, profonds, respectueux des autres, ouverts à la diversité de l’humanité, sans peurs face aux défis du temps, capables de s’engager dans le mariage ou dans la réponse à un appel spécifique de Dieu. Nous remercions aussi les adultes, les couples, qui se mettent au service des unités et qui assument les responsabilités nécessaires pour que celles-ci existent. Nous avons évoqué avec joie les jeunes et moins jeunes qui, à travers l’expérience du scoutisme, découvrent le Dieu créateur et s’ouvrent au Christ Jésus qui s’est fait le frère de chacune et de chacun de nous. Beaucoup y trouvent un chemin vers le baptême et la confirmation. Nous encourageons volontiers ceux et celles qui les soutiennent dans leur recherche. « Qui cherche le Seigneur ne manquera d’aucun bien. »
Comme chaque année, notre assemblée a rencontré le secrétaire général de l’enseignement catholique. Accompagné de ses proches collaborateurs ou collaboratrices, il nous a présenté le paysage de la rentrée et répondu à nos questions. Je voudrais exprimer ici nos encouragements aux cheffes et chefs d’établissements de l’enseignement catholique, vivement secoués ces derniers mois. Nous, évêques, les remercions de mettre au service des jeunes une offre pédagogique de belle tenue, qui conserve et fait vivre le caractère propre de leur établissement. Honorer les programmes fixés en les nourrissant de la sève de l’Évangile est le défi exigeant et passionnant du respect du contrat. Les jeunes de notre temps en ont besoin. Les rencontres que nous avons dans les établissements, notamment avec les confirmands, ou ceux et celles qui demandent le baptême, nous le font constater.
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Vous l’entendez donc, chers amis qui m’écoutez grâce à KTO ou à votre radio chrétienne : les évêques ont vécu des jours intenses, qui furent, comme chaque fois, une riche expérience spirituelle. Même si cette assemblée a été surtout collégiale, réunissant les évêques entre eux, elle nous a permis d’élargir notre expérience de la collégialité à l’Église dans son universalité. Nous y sommes aidés en chaque assemblée d’automne par la présence de délégués d’autres conférences épiscopales d’Europe avec qui nous discutons notamment le temps d’une soirée sur ce qu’ils veulent nous partager. Je les remercie de leur présence. L’accueil cette année de Mgr Shevchuk et des archevêques africains a été plus significatif encore. L’Église du Christ n’est pas une fédération d’Églises nationales, mais une communion d’Églises par lesquelles et en lesquelles vit l’Église en sa totalité, depuis les apôtres et même Abel le juste jusqu’au dernier élu, selon la formule de la Constitution Lumen gentium 2. Il a été particulièrement important donc que nous recevions des délégués français au synode : quatre évêques, Mme Anne Ferrand, vierge consacrée du diocèse de Rodez, nommée par le Saint-Siège et le cardinal Aveline nommé par le Pape, un écho approfondi de l’expérience qu’ils ont vécue lors des quatre semaines de la seconde session synodale sur la synodalité. Vous savez que le document final a été validé par le pape François et est donc devenu le texte de référence pour l’Église entière. Nous en attendons une traduction française autorisée. Nous l’étudierons avec attention en diocèse, en province, en paroisse, en assemblée plénière. Un vade-mecum a été annoncé qui en facilitera la lecture et aussi la mise en œuvre. Si ce texte n’est pas toujours normatif, il est assez incitatif. Il décrit surtout, selon la nature de l’Église corps du Christ, animée par l’Esprit de sainteté, les fonctionnements souhaitables. Le droit canonique ouvre déjà des possibilités que nous avons à vivre pleinement à tous les niveaux. Si, vraiment, nous prenons ce document au sérieux et le travaillons, bien des comportements ecclésiaux en seront transformés. La méthode utilisée, celle de la conversation spirituelle et de ses déclinaisons possibles, a été fructueuse. Nous gagnerons sans aucun doute à nous y exercer dans nos assemblées. Quelques pistes de travail supplémentaires nous ont été indiquées que je crois utile de mentionner ici :
– la mission propre des prêtres, la nature du sacerdoce ministériel grâce à qui nous vivons du Christ mort et ressuscité vivant, qui aujourd’hui nous appelle et nous envoie, aujourd’hui vient à nous et aujourd’hui nous donne son Esprit vivifiant, et celles des diacres par qui est rendu perceptible l’attention du Christ pour les moins favorisés méritent d’être mieux exprimées, mises en valeur, soutenues ;
– les femmes si présentes dans l’Église et la compréhension du rapport hommes-femmes dans la lumière du Seigneur Jésus. La souffrance exprimée tout au long du processus synodal mérite que nous l’entendions et que nous comprenions mieux, dans le moment de l’histoire où nous sommes, ce que Dieu veut. La compréhension de ce qu’est l’être humain, l’anthropologie, se transforme sous nos yeux. Nous, chrétiens catholiques, devons apporter nos richesses et nous laisser renouveler aussi ;
– les ministères laïcs. L’exemple des catéchistes en Afrique reste inspirant. Nous sentons que notre Église gagnerait à articuler des ministères plus divers et certainement à être davantage attentive aux charismes présents dans les communautés ;
– Enfin, la mission à toujours mettre en premier ; c’est ainsi que les transformations de nos manières de conduire, de décider, de vivre en Eglise se feront selon la volonté du Seigneur : il est l’envoyé du Père qui nous envoie à son tour munis de son Esprit.
Le synode a été présenté comme un processus. Il se poursuit, ce processus, par la réception de ses fruits dans chaque Église particulière et dans les regroupements qu’elles peuvent connaître.
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Notre assemblée a comporté aussi un temps consacré à nos finances, au développement des ressources et à la maîtrise de nos dépenses, au budget des différents pôles selon lesquels notre Conférence est organisée désormais, à la solidité ou à la fragilité de nos systèmes informatiques, aux efforts à faire pour abonder le fonds Selam. Je remercie ceux et celles qui nous ont aidés en ces différentes séquences, notamment l’équipe qui réfléchit sur notre informatique.
Au terme de cette semaine, nous allons revenir vers nos diocèses, vers vous donc, renforcés dans notre désir de servir le Christ en vous et avec vous en tout être humain. Dans la lumière de la foi confessée ensemble, nous voulons le faire avec toujours plus de justesse et d’engagement personnel.
Pour cela, nous avons approuvé un plan de formation des nouveaux évêques qui complètera la formation donnée à Rome par le Saint-Siège et qui enrichira beaucoup ce que, déjà, notre Conférence, proposait jusqu’ici. Deux sessions par an, en plus de la session doctrinale, les deux premières années, et une par an en plus de la session doctrinale les trois années suivantes. Nous en avions reçu la recommandation de l’un des groupes de travail constitués après la remise du rapport de la CIASE. A ce dispositif s’ajoute la « visite régulière » mise en place aussi sur la recommandation du même groupe de travail : à la demande d’un évêque, un trio comprenant un évêque et deux autres personnes dont une femme, autant que possible, lui rend visite ainsi qu’à une vingtaine de personnes du diocèse, de manière à donner à l’évêque demandeur un écho de son action et de sa manière d’être.
Nous avons aussi, toujours répondant à la recommandation des groupes de travail, adopté trois textes importants concernant l’un l’accompagnement spirituel, un autre le rôle des confesseurs, le troisième l’accompagnement du ministère des prêtres. Ces textes avaient fait l’objet d’une proposition précise d’un groupe de travail qui a été présentée aux conseils presbytéraux et travaillée par eux, au cours d’une séance commune des vice-présidents ou secrétaires des conseils presbytéraux. Nous, évêques, avions voulu passer par ces conseils parce qu’il nous paraissait indispensable que les prêtres soient partie prenante des mesures à prendre qui concernent le cœur de leur ministère. L’accompagnement spirituel n’est certes pas le monopole des prêtres, des laïcs y sont formés, des religieuses et des religieux aussi. Le document que nous avons adopté doit être travaillé dans chaque diocèse, dans chaque lieu de retraite spirituelle. Les repères pour les confesseurs appellent aussi une promulgation diocèse par diocèse. Le travail fait sur les thématiques nécessaires dans l’accompagnement des prêtres requiert, lui encore, des décisions locales. Nous en avons pris l’engagement. Ces textes devraient soutenir les prêtres dans leur ministère le plus propre.
Nous poursuivons ainsi le travail entamé à la réception du rapport de la CIASE. Vous savez, frères et sœurs, chers amis, que nous ferons un point d’étape fin mars-début avril au cours d’un rassemblement assez large, ici à Lourdes. Nous ne prétendons pas avoir fini, loin de là. L’écoute et l’accompagnement des personnes victimes d’agression sexuelle de la part d’un prêtre ou d’un ministre de l’Église, de quelque statut qu’il soit, devront être poursuivis au long du temps. De manière progressive, nous faisons ce que nous avons dit, nous répondons aux recommandations qui nous ont été faites. Ici à Lourdes, nous sentons ce que le pape François appelle le « saint peuple de Dieu ». Nous voyons son regard, son attente, son exigence de vérité, de courage, de clarté. Nous progressons et nous continuerons à le faire. Les mesures annoncées, nous les mettons en œuvre, mois après mois. Nous en rendrons compte au printemps, et nous déterminerons ce qui nous restera à faire. Permettez-moi, vous qui m’écoutez ou me lisez, de vous assurer que, dans ce travail, nous, les évêques de France, nous sommes engagés de manière déterminée et nous le sommes ensemble, nous aidant les uns les autres.
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En disant cela je sais que vous avez été bouleversés et déstabilisés par les révélations de cet été concernant l’abbé Pierre. Nous l’avons été avec vous nous aussi. Des biographies nombreuses, des films lui ont été consacrés, sans que rien de ces faits ne soit venu au jour. Des personnes nombreuses ont travaillé et vécu avec lui et l’ont observé, sans rien voir et en tout cas, sans rien dire ni faire. Pourtant, les archives conservées au Centre des Archives de l’Église de France montrent bien que son comportement violent à l’égard des femmes avait été connu après son voyage aux États-Unis en 1955 où des témoins avaient alerté. Des mesures avaient été prises, des tentatives de soins et des restrictions de ministère, puis tout cela a fini par être oublié. J’ai voulu que ces archives soient mises à la disposition de la commission historique annoncée par le mouvement Emmaüs et aussi des journalistes afin qu’ils puissent expliquer à nous tous, vous et nous, ce qui a pu permettre une telle amnésie.
Aujourd’hui, et c’est un grand résultat, les personnes victimes peuvent parler, elles sont écoutées et prises au sérieux. Je leur exprime ici ma proximité et ma disponibilité. J’assure aussi au nom des évêques le mouvement Emmaüs de mes encouragements pour le travail de vérité qu’il a entrepris. Notre société française doit conserver ce qu’elle a appris de l’abbé Pierre quant au regard sur les personnes en précarité et la capacité à les recevoir comme des compagnons, des frères et des sœurs de même dignité. Elle doit apprendre à guérir d’une culture qui rend possible les violences faites aux femmes et aussi aux enfants. L’Église est engagée dans ce travail et le poursuit avec détermination, mais il concerne toute la société.
Certains sans doute ont appris qu’hier un prêtre avait été condamné à dix-huit ans de prison pour des crimes de pédophilie très graves. Un procès a eu lieu aussi à Orléans il y a quelques mois. Avec tous les évêques ici présents, je pense aux personnes victimes. Ces faits ont eu lieu il y a quelques années, l’instruction a pris du temps ; mais pour elles, pour ces personnes, ces faits ne sont pas du passé, ils sont un présent à porter chaque jour. Le procès a sans doute été pour ces personnes un moment éprouvant. Nous espérons qu’il représentera une étape positive dans leur vie : la société reconnaît ce qu’elles ont subi et le dénonce. Si ces personnes s’adressent au dispositif de reconnaissance et de réparation que nous avons mis en place, l’INIRR, nous espérons que l’accompagnement proposé pourra les aider. Nous prions pour les prêtres condamnés : pour qu’ils puissent recevoir cette condamnation comme une vérité à assumer. Nous prions pour trouver la juste attitude à l’égard de ceux qui nous ont été donnés comme des frères dans le sacerdoce. Nous prions pour les fidèles et pour les diocèses concernés. Nous voulons aussi redire aux prêtres de nos diocèses notre confiance et notre gratitude et aux séminaristes nos encouragements : il est possible et il vaut la peine de consacrer sa vie à servir l’œuvre du Christ pour le bien et la vie de tous.
Je sais que ces faits font apparaître une fois de plus que des responsables ecclésiaux n’ont pas agi comme il aurait fallu, qu’ils sont restés aveugles à des signaux qui nous paraissent rétrospectivement pourtant visibles. Nous travaillons et nous voulons continuer ensemble et avec d’autres pour que de telles cécités ne soient plus possibles, pour que la vigilance de tous soit éveillée. Le Conseil pour la lutte contre la pédophilie et le service national pour la protection des mineurs nous y aident et y veilleront au long des années avec exigence. Notre Conférence publie aujourd’hui un texte déclinant les règles juridiques, canoniques, et quelques lignes directrices en matière d’information à propos des procédures engagées à l’égard de prêtres. Il est une balise de plus sur la route que nous avons décidé d’emprunter.
J’ai eu à le dire en chaque assemblée depuis novembre 2019 : nous avons découvert que toute position d’autorité pouvait être pervertie et se transformer en une position d’emprise et même d’agression sexuelle. Nous l’avons découvert dans l’Église et aussi dans toute notre société française et dans l’humanité entière dans toutes ses composantes. Les mouvements #metoo ouvrent les yeux de beaucoup. Le procès des viols de Mazan en ces semaines révèle des comportements que l’on n’imaginait pas. Il y a là un mal terrible qui rongeait les relations humaines sans être réellement désigné et combattu. Que ce mal ait pu agir impunément dans l’Église, que des prêtres, nos frères, ou des évêques aient pu en être les fauteurs est source d’une immense honte devant Dieu et devant les hommes et d’une immense tristesse. Nous pensons aux personnes victimes, à celles qui nous ont parlé, à celles qui ont parlé en d’autres lieux parce qu’elles ne veulent pas avoir affaire à l’Église ou à ses ministres. Nous pensons avec reconnaissance aux personnes qui ont voulu nous aider et qui sont venues si courageusement ici à Lourdes. Devant Dieu, nous évoquons les personnes, hommes et femmes, qui ont souffert aussi et qui souffrent encore.
Nous avons longuement débattu du futur dispositif à mettre en place pour les personnes victimes à l’âge adulte. Si le principe est acquis, nous voyons qu’il nous reste encore du travail avant de décider des modalités de mise en œuvre. Nous souhaitons le faire bien. Deux voies ont été présentées, chacune avec ses avantages et ses inconvénients. L’une et l’autre suscitent de nombreuses questions. Nous, évêques, voulons ouvrir une voie de reconnaissance et de réparation solide et durable. Nous voulons que les personnes qui auraient été mises en situation de vulnérabilité soient respectées et soutenues et que les prêtres mis en cause assument leurs responsabilités. C’est pourquoi il nous paraît clair que le premier chemin doit être celui de la justice républicaine, s’il est possible. Celui de la justice canonique doit être emprunté aussi, s’il peut être ouvert. Que faire pour les situations qui ne peuvent relever de l’une ni de l’autre, parce que l’auteur est mort, parce que les faits sont prescrits ? Nous ne pouvons créer un ordre juridique totalement différent de celui de notre pays. Le groupe de travail présidée par Mme Boilley qui a remis ses conclusions en mars dernier nous a orienté vers la justice restaurative, mais nous savons qu’elle n’est pas exempte de critique de la part des personnes victimes, des articles de presse les ont récemment relayées. Il nous faut être sûrs de la compétence et de la capacité des personnes à qui nous pourrions confier cette mission à le faire de manière claire et rassurante pour les personnes victimes ; il nous faut être sûrs aussi que ceux et celles qui nous aideront pourront prendre des décisions solides, non contestables. Nous constatons que la loi dans les pays européens évolue, qu’elle prend mieux en compte les violences sexuelles subies et que cette évolution n’est pas terminée. Police et gendarmerie ont beaucoup progressé dans leur capacité à entendre une personne victime, mineure ou majeure, même longtemps après les faits.
En cette assemblée, nous avons discuté de tout cela de manière approfondie, dans un climat serein. Pour autant nous n’oublions pas que des personnes attendent d’être reconnues et expriment leur colère de rester depuis si longtemps sans voie possible pour que leur souffrance soit prise en charge par celui ou ceux qui l’ont causée. Les cinq mois qui nous séparent de l’assemblée de mars nous permettront de préciser les points qui restent incertains dans les deux voies que nous avons explorées. Je pressens que des personnes victimes seront déçues et blessées de ce retard et je les assure de notre détermination à avancer. Nous continuons notre travail, comme la CRR et l’INIRR dont la présidente, Mme Marie Derain de Vaucresson, nous a redit sa volonté d’avoir accompagné d’ici fin 2026 toutes les personnes qui se seront adressées à cette instance avant décembre 2025. Nous réfléchissons avec la CORREF à la meilleure manière de maintenir dans le long terme un dispositif d’écoute, de reconnaissance et de réparation à partir de l’expérience acquise en ces premières années. Nous remercions encore et toujours les équipes de l’INIRR, de la CRR, du Fonds Selam grâce à qui nos engagements à l’égard des personnes victimes deviennent réalité.
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Surtout, Mesdames et Messieurs qui m’écoutez ou me lisez, je voudrais exprimer ceci. Le Christ Jésus, le Fils éternel, consubstantiel au Père, qui est venu partager notre condition humaine « en toutes choses excepté le péché », n’a pas voulu l’Église pour qu’elle fasse du mal en ce monde, pour qu’elle ajoute du mal au mal qui s’exerce déjà. Pourtant, il nous faut constater, et c’est sans doute la grâce paradoxale de notre époque, qu’il en a été et qu’il en est ainsi. La réunion d’hommes et de femmes unis par la même foi et le même baptême peut susciter et a suscité bien des comportements douloureux dont nous avons honte rétrospectivement. Certes, les réalités terrestres sont toujours mêlées et elles peuvent l’être de manière redoutable ; nos cœurs à tous ne sont pas toujours aussi limpides que nous le voudrions ou le prétendons. Mais ces constats ne peuvent nous consoler du drame terrible qu’il y a à manquer au don de Dieu et à l’attente de Dieu aussi.
L’expérience des siècles permet à l’humanité d’avoir aujourd’hui une grande lucidité sur elle-même. Dans cette lucidité, nous, chrétiens, reconnaissons un don du Dieu miséricordieux qui dénonce le mal et le met au jour pour pouvoir le limiter, le réduire, le guérir peut-être. Nous ne pouvons nous résigner à être cause de mal pour les autres, nous devons nous transformer pour que la grâce venue de Dieu puisse agir pleinement. Cette exigence vaut pour les institutions de notre Église, pour nous évêques et prêtres qui recevons un don si précieux et une responsabilité si grande et qui avons pu collectivement tant y manquer ; elle vaut aussi pour tous, diacres, laïcs, religieux et religieuses. Tous, nous avons à faire la vérité sur nous-mêmes fermement et humblement et à nous laisser saisir et transformer par la grâce du Christ. Tous nous avons à veiller à nos positions d’autorité pour les vivre selon le Christ, en ayant en nous les sentiments qui furent les siens, lui qui n’a pas retenu jalousement le rang qui l’égalait à Dieu.
Le pape François, par son encyclique Dilexit nos sur le culte du Cœur de Jésus, nous a rappelé que l’Église ne pouvait se satisfaire d’annoncer un amour qu’elle trahirait ou dont elle abîmerait l’expression. Il cite, dans ce texte, de nombreuses saintes et de nombreux saints engendrés au long des siècles par notre Église en France qui ont été brûlés par le mystère de l’amour jailli du plus intime de Dieu et porté jusqu’à chacune et chacun par le cœur de Jésus. Nous, évêques, voulons que notre Église soit digne des grâces qui lui ont été données, qu’elle soit un relais toujours plus sûr de cet amour. Ici, à Lourdes, nous puisons une volonté plus forte d’entrer dans le combat spirituel pour que ce soit l’amour de Dieu pour les humains qui l’emportent dans nos pensées et nos actes. Surtout, nous recevons l’assurance que la grâce de Dieu agit en nous si nous la choisissons vraiment. Nous espérons que le Jubilé à venir nous fortifiera dans cette résolution.
Bientôt, la cathédrale Notre-Dame de Paris sera réouverte au culte. Ce grand jour aura lieu le 8 décembre prochain. L’incendie de cette cathédrale a été vécu par beaucoup comme un signe qui rendait visible l’incendie du mal qui ravageait l’Église. La réparation de la cathédrale, la restitution de sa toiture et de sa flèche, l’extraordinaire nettoyage qui a été possible, les restaurations que la générosité magnifique venue de France et du monde entier rendent accessibles, sont autant de promesses pour notre pays et pour notre Église. Nous remercions les autorités qui se sont mobilisées comme jamais pour que la réouverture puisse avoir lieu dans un délai de cinq ans et ceux et celles qui ont travaillé de tout leur cœur et de tous leurs talents pour que ce défi soit relevé. Nous remercions encore les pompiers, grâce au courage desquels les tours ont pu être sauvées. Nous, catholiques, recevrons avec gratitude les promesses portées par la cathédrale ré-ouverte et nous en mesurons l’exigence. Nous pouvons et nous devons renouveler notre Église par la force et la douceur du Saint-Esprit par qui l’amour de Dieu est répandu en nos cœurs. Nous devons, pas à pas, mais sans faiblir nous montrer dignes de l’appel que nous avons reçu et des marques de confiance et d’encouragement qui nous sont données. Les mesures concrètes que nous avons prises et que nous mettons en œuvre, celles que nous continuerons à prendre, le progrès dans la synodalité que nous avons à vivre, avec la grâce du jubilé, nous mettent sur la voie de cette transformation intérieure.
Mesdames et Messieurs, chers amis, chers frères évêques, nous vivrons tous le 8 décembre prochain comme un jour de lumière. Nous évêques, devrons surtout le vivre, surtout comme une étape sur la route qui nous préparera à notre assemblée de printemps. Si, en plus, il s’avérait que le pape François vienne à Ajaccio la semaine suivante, comme le bruit en court, eh bien, nous en recevrions une stimulation de plus. La joie des Corses sera au moins aussi grande que celle des Marseillais l’an passé. Elle s’est déjà fait entendre bien fort sur la place Saint-Pierre lorsque le cardinal Bustillo a reçu la barrette de sa dignité. Nous sommes reconnaissants au Pape de l’attention qu’il a accordée à notre pays en une de ses villes les plus contrastées et reconnaissant de l’attention qu’il pourrait lui manifester encore en une île qui souffre et qui espère, ce en quoi elle en représente bien d’autres. Avec humilité, nous recevrions une telle visite comme nous appelant à être à la hauteur de la mission qui est celle de l’Église de France pour le bien de l’Église entière.
En ce dimanche matin, nous nous préparons à célébrer la Messe. L’Archevêque Shevchuk, mardi, lors de la première eucharistie de notre assemblée, nous a rappelé que le Dieu vivant nous invitait tous au banquet éternel et que le pape François ne se lassait pas de rappeler que cette invitation était pour tous : per todos, todos, todos ! Nous pourrons demander, dans messe, la force et la lumière nécessaires pour n’être un obstacle pour personne. Avec les prêtres, les diacres, les religieux et religieuses, les vierges consacrées, les laïcs consacrés, tous ceux et toutes celles qui se consacrent au service de l’Évangile du Seigneur Jésus et de son Église, nous demandons instamment en célébrant le sacrifice du Christ : que le Seigneur nous fasse toujours serviteurs de l’Église qu’il aime et qu’il veut faire surgir de ce monde, celle où les malades sont rois, où les pauvres sont écoutés, où les humiliés sont respectés, où ceux et celles qui subissent les duretés de ce monde peuvent pressentir qu’ils sont aimés et dignes de cet amour. Je vous remercie.
+ Monseigneur Éric de Moulins-Beaufort,
archevêque de Reims,
Président de la Conférence des évêques de France
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