Avec saint François de Sales, accueillir les bienfaits de Dieu
L’année jubilaire saint François de Sales (1567-1622) s’achève en la fête des Saints Innocents qui marque ce 28 décembre 2022, le 400e anniversaire du rappel à Dieu de ce grand saint Savoyard. L’occasion de revenir sur l’actualité du charisme de ce maître spirituel, évêque d’Annecy, fondateur de l’Ordre de la Visitation, docteur de l’Église. Par Florence de Maistre.
“Nous rendons grâce à Dieu pour cet anniversaire, que nous sommes heureuses de célébrer. C’est l’occasion de prendre davantage conscience de ce don : pouvoir se fier complètement en notre fondateur. Il faut bien connaître pour bien aimer, voilà ce qui est essentiel pour saint François de Sales. Et son œuvre tient la route depuis 400 ans !”, lance sœur Marguerite-Marie, visitandine au monastère de Paray-le-Monial (71). En s’ouvrant dès le 24 janvier 2022, au jour de la fête de saint François de Sales, cette année jubilaire du 400e anniversaire de sa mort le 28 décembre 1622 à Lyon, a été marquée par de nombreuses manifestations. Colloques, conférences, pèlerinages ont permis de redécouvrir la figure du saint Savoyard, né au château de Sales près Thorens-Glières le 21 août 1567, fondateur de l’ordre de la Visitation Sainte Marie avec Sainte Jeanne de Chantal en 1610 et inspirateur au fil des siècles de nouvelles branches de la grande famille spirituelle salésienne. Une lettre apostolique du pape François est annoncée ce 28 décembre pour souligner l’évènement.
Depuis Annecy et dans le monde entier
Le diocèse d’Annecy, dont François de Sales fut l’évêque de 1602 à 1622, a lancé plusieurs initiatives pour fêter ce jubilé. Une newsletter intitulée “Esprit de cordée – Sur les pas de saint François de Sales”, préparée par le service communication du diocèse et RCF Haute-Savoie, a proposé chaque mois des textes du grand Saint choisis en lien avec un thème d’actualité. Également des témoignages de personnes qui vivent de sa spiritualité, des anecdotes liées à son parcours, une proposition de partage en famille et enfin une prière. Mois après mois, le portrait de l’homme de Dieu s’est dessiné, se faisant plus proche entre humanité et intériorité. La dernière publication est prévue pour ce 28 décembre. La fête de la Visitation, le 31 mai, a été l’un des grands rendez-vous, tout comme les pèlerinages en paroisse. “J’ai été heureusement étonné par la mobilisation des familles, avec lesquelles nous avons partagé une démarche à la fois profonde et joyeuse. La mémoire de saint François de Sales est bien présente dans notre diocèse. Il n’est pas seulement un homme du passé. En marchant à sa suite, nous découvrons comment son charisme nous aide à vivre aujourd’hui”, indique le P. Emmanuel Blanc, prêtre de saint François de Sales et vicaire général du diocèse d’Annecy.
Les reliques de saint François de Sales ont été accueillies par les quinze monastères de la Visitation en France, depuis Annecy en passant entre autres par Tarascon, La Roche-sur-Yon, Caen ou encore Scy-Chazelles. À chaque étape, des veillées de prière, des liturgies soignées et des enseignements ont rassemblé les moniales visitandines avec les paroissiens. Autre manifestation exceptionnelle : le congrès international “Saint François de Sales entre postérité, spiritualité et pédagogie”, qui s’est tenu à l’Université pontificale salésienne (UPS) de Rome. “Oui, c’est important de célébrer cet anniversaire au regard de l’espérance que saint François de Sales apporte dans le monde aujourd’hui. À Rome, nous étions plus de 200 venus du monde entier, participants de cette grande famille salésienne. Le congrès s’est déroulé dans une belle fraternité. Je suis frappée de voir comment cette même spiritualité inspire des ordres très divers : éducateur, contemplatif, missionnaire, apostolique. L’esprit se déploie dans plusieurs directions. Il soutient chacun dans sa propre mission. Saint François de Sales parlait d’unité dans la diversité et c’est bien l’expérience que nous faisons”, partage Danielle Régnier, directrice générale de l’Association Saint François de Sales, branche laïque de la société des filles de Saint François de Sales.
Traverser les crises
“Je vois trois étapes marquantes de la vie de François de Sales qui font sens pour moi aujourd’hui comme prêtre du diocèse d’Annecy : sa crise spirituelle, le défi de la mission, son œuvre de pasteur”, commence le P. Emmanuel Blanc. À 19 ans, alors qu’il souhaitait devenir prêtre et que son père l’a envoyé étudier le droit à Paris, loin du duché de Savoie, le jeune François traverse une profonde crise spirituelle, entre angoisse et désespoir. “Cette crise l’a fortement secoué, mais elle est aussi le creuset de toute sa spiritualité. Elle trouve son dénouement dans la bonté de Dieu qu’il goûte. Si Dieu est bon alors nous pouvons lui faire confiance, et en tout. Ça me semble important de le redire : la foi n’est pas un parcours tranquille. Elle passe par des épreuves, qui permettent une certaine maturation, qui permettent de grandir. Notre espérance : la foi est un don de Dieu, qui continue de se donner, sans intermittence, car il est bon. Il n’est pas aux 35 h 00 !”, sourit le vicaire général du diocèse d’Annecy.
En cette fin des guerres de religion, en cette période de tensions et de changements culturels avec la Renaissance, saint François de Sales connaît une époque difficile de la vie de l’Église. Non seulement, la géographie de son diocèse rend compliqués les accès et la communication, mais, aux portes de Genève, il fait aussi face aux désordres de l’implantation du calvinisme. “Par certains côtés, il a traversé une époque un peu désespérante. Il n’y a qu’à lire ses différents rapports pour réaliser l’état lamentable de son diocèse et sa souffrance. Je crois que les évêques en France aujourd’hui pourraient bien s’y reconnaître. Mais François de Sales a gardé un amour, une confiance dans la présence du Christ en son Église et dirigée par l’Esprit saint, que je considère très réconfortants au regard des difficultés actuelles de l’Église”, note sœur Marguerite-Marie. L’équilibre est un de ses traits de caractère. Dans le tumulte des différents courants de pensée, il reste ouvert au dialogue, évite les clivages, les considérations sans nuance, toutes faites ou extrêmes. “Je trouve sa formule bien connue Tout faire par amour, rien par force très parlante dans notre contexte actuel aussi”, souffle le P. Emmanuel Blanc. Saint François de Sales indique un remède pour tous ceux qui cherchent un sens à leur vie, pour tous ceux qu’une quête spirituelle anime tous azimuts : commencer par le cœur.
Chez lui, la vie intérieure est première. “Dans son Introduction à la vie dévote, [recueil de ses correspondances et de ses conseils spirituels, publié pour la première fois en 1609], il propose une structure, un chemin qui intègre toutes les dimensions de la vie, tout ce que nous sommes, pour, on pourrait dire avant l’heure, tout homme et tout l’homme”, relève le P. Emmanuel Blanc. Le texte réédité à de nombreuses reprises permet une large diffusion de la pensée du saint, source notable au XIXe siècle pour des congrégations qui se réclament directement de lui. “Pour nous, saint François de Sales est un maître spirituel. Nous nous appuyons sur son enseignement et avons choisi son Introduction à la vie dévote pour règle de vie”, précise la directrice de l’Association saint François de Sales.
Relever défi de la mission : “c’est par charité qu’il faut agir”
Tout juste ordonné prêtre, il devient prévôt du chapitre de Genève, c’est-à-dire le bras droit de l’évêque. Ce dernier l’envoie en mission dans le Chablais, une région conquise de force par les Bernois calvinistes. “Tout en rencontrant une forte hostilité, il ose relever le défi. François de Sales se présente désarmé, l’Évangile sous le bras. Il prêche, mène une controverse très poussée, entre dans le dialogue. Le contexte humain et spirituel qu’il noue porte vite des fruits. Finalement le Chablais retrouve massivement la foi de son enfance, de son baptême”, raconte sœur Marguerite-Marie. La méthode de saint François ? Convertir dans la douceur et le respect, refuser la violence, entrer en relation avec l’autre coûte que coûte. Il va même jusqu’à déposer des feuillets sous les portes des personnes qu’il ne pouvait rencontrer directement. Il deviendra par là le saint patron des journalistes. “Quelle passion pour entrer en relation avec l’autre ! Quel message pour aujourd’hui ! Cette méthode induit aussi une conversion personnelle. Il ne s’agit pas tant de dénoncer l’erreur de l’autre que de se sentir soi-même appelé à changer”, souligne le P. Emmanuel Blanc.
Une prise de conscience, un appel à la conversion et à la sainteté qui résonnent de tous temps, tant du côté de l’Institution que de chacun de ses membres. Danielle Régnier explique : “Les filles de saint François de Sales sont une école de conversion. Nous apprenons à être plutôt qu’à faire, même si nous nous engageons en famille, en paroisse ou dans la société. Nous sommes appelées à témoigner de l’amour de Dieu et à le manifester dans le monde.” Pour progresser concrètement dans cette démarche de conversion, les membres de la fraternité s’appuient sur un travail de réflexion autour d’un point précis de l’imitation du Christ. Cette année, la question de l’humilité, chère à François de Sales, est l’objet de tous les efforts. “Il s’agit de se mettre à l’écoute de Jésus doux et humble de cœur, sans se dévaloriser, mais en étant conscient de notre capacité à agir au service de Dieu. Nous sommes tous appelés à la sainteté, là où nous vivons, dans nos tâches quotidiennes. C’est très actuel ! Quand je lis le pape François, dans l’exhortation Gaudete et exsultate, je retrouve la vision de saint François de Sales ! Ce dernier précise que ce n’est pas le nombre d’actions qui importe, mais l’amour avec lequel nous les accomplissons. Nous avons toujours ce choix à faire, c’est très équilibrant dans la vie de tous les jours”, poursuit la responsable de l’Association saint François de Sales.
Accueillir l’œuvre de Dieu
En 1602, François de Sales devient évêque de Genève en résidence à Annecy. Il travaille à la revitalisation de son diocèse dans toutes les dimensions. Il réunit les forces vives, y compris celles des laïcs, veille à l’instruction des prêtres. Il passe de la controverse à l’accueil. Il ne s’agit plus de lutter contre la Réforme mais de montrer ce qui est beau et vrai, de prêcher avec amour, comme il l’écrit dans l’Épître sur la prédication qu’il adresse à l’archevêque de Bourges, André Frémyot. En 1604 lorsqu’il rencontre Jeanne de Chantal, il a cette intuition ferme : c’est avec elle qu’il va fonder un ordre religieux féminin nouveau. Bien que surchargé par ses activités de pasteur, il s’investit considérablement dans cette œuvre. Il se plonge notamment dans les entretiens des Pères du désert, en retient particulièrement l’entraide qui les animait dans leur recherche du Seigneur. Il puise aux fondements de la vie religieuse. “Par cette fondation, il s’agit de renouveler la vie spirituelle de son diocèse. Avec ce désir : favoriser les relations, intégrer autant que possible les sœurs à la vie de la paroisse. Saint François de Sales et Jeanne de Chantal choisissent Notre-Dame de la Visitation comme patronne de l’ordre. En ce sens, le chant du Magnificat nous invite à la contemplation par excellence, tout en étant aussi ouvertes à la rencontre”, souligne sœur Marguerite-Marie.
De nombreux témoignages écrits permettent de suivre toute la progression de la relation entre François de Sales et Jeanne de Chantal. À lui, l’intuition de la fondation. À elle, les initiatives de la vie des moniales. Il a formé et accompagné Jeanne de Chantal, avant de lui laisser la liberté d’agir. Il se range à son avis, rien n’est décidé sans que cela soit d’un commun accord. “Cette collaboration met en évidence, effectivement, une affection très féconde. Tous deux vivent cette amitié spirituelle si profonde, uniquement pour Dieu. Le cœur a toute sa place, mais ils refusent de se laisser déborder et détourner de Dieu. François de Sales ne craint pas l’affectivité, mais l’oriente tout en Dieu. Nous avons encore beaucoup à apprendre de ce côté-là. Tous deux rendent grâce à Dieu pour leur rencontre et pour leur œuvre commune au service de l’Église,” révèle la moniale visitandine. Cette posture inédite de la collaboration entre homme et femme, cette invitation faite aux laïcs à participer pleinement à la vie de l’Église, font de saint François de Sales un véritable précurseur, bien avant le concile Vatican II et Lumen gentium.
Rendre grâces
À travers son activité d’écriture toujours guidée par un souci pastoral, au fil de ses rencontres, le saint d’Annecy donne une véritable leçon d’amitié. Il utilise cette expression atypique, “s’entreporter au bien”, c’est-à-dire se soutenir mutuellement au bien. Une formule qui fait mouche, comme de nombreuses autres dont il a le secret. “Là aussi, dans notre société marquée par l’individualisme où chacun suit son chemin, François de Sales vient nous rappeler que pour progresser, grandir et aller vers Dieu nous avons besoin des autres. Cela se traduit en deux attitudes : reconnaître tout ce que je dois aux autres et être responsable envers les autres. On peut prendre l’image de la cordée. Sur un glacier nous nous avançons ensemble : je peux compter sur les autres si je fais un faux pas, tout comme eux comptent sur moi. Bien entendu le premier de cordée, c’est le Christ !”, développe le prêtre du diocèse d’Annecy.
Enfin, au-delà de ses écrits, de sa fondation de l’ordre de la Visitation, de sa figure d’accompagnateur spirituel, le P. Emmanuel Blanc souhaite mettre en valeur encore celle d’évêque, de pasteur de son diocèse et pointe cette étape du parcours du saint. Le vicaire général du diocèse d’Annecy aime le voir dans ses visites pastorales, dans ces lieux qu’il parcourt et connaît aussi : “certes, il y avait des problèmes à régler. Mais ce qu’il rapporte toujours et que l’on retrouve dans ses lettres, c’est cette admiration pour la foi de ses diocésains, cette admiration pour ce que Dieu fait chez les gens simples”. La spiritualité de saint François de Sales se développe au contact des réalités qu’il traverse et accueille pour mieux en rendre grâce. Ce faisant, il fait sienne la question de saint Paul “Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?”. Reconnaître que tout vient de Dieu, se reconnaître humble enseigne aujourd’hui encore à voir le beau, et non les manques, et à mettre sa foi en Dieu seul. Le P. Emmanuel Blanc confie : “saint François de Sales nous inspire largement, car il nous conduit directement au cœur de l’expérience chrétienne. Quatre cents ans après sa mort, notre monde est différent. Mais il nous propose toujours de quoi nourrir les défis actuels” !