Le service de l’autel, un service gagnant

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2500 jeunes participent au pèlerinage national des servants d’autel à Rome du 22 au 26 août. L’occasion de revenir sur leur accompagnement : une pastorale à la croisée de nombreux enjeux d’Église. Par Florence de Maistre.

 

“Les servants d’autel apportent un signal très fort à la messe dans le face à face entre le prêtre et l’assemblée. Cette jeunesse est le présent de l’Église, pas son avenir !”, lance le P. Laurent Jullien de Pommerol, responsable du département des servants d’autel, au sein du service national de la pastorale liturgique et sacramentelle. Difficile d’annoncer un nombre précis d’enfants et de jeunes qui servent aujourd’hui régulièrement la messe : les enquêtes ne sont pas récentes et le Covid a érodé les effectifs. Sans doute sont-ils autour de 30 000 en France, répartis en trois grandes catégories, souvent au sein d’un même diocèse. Là, les groupes de servants sont constitués exclusivement de garçons. Ici, les groupes sont marqués par la mixité sans distinction de fonction, comme dans la majeure partie du monde. Là encore, originalité française née à la fin des années 90, les groupes sont mixtes, avec des fonctions différentes : il y a les servants d’autel et les servantes de l’assemblée. “J’observe des pratiques très différentes selon les lieux, avec des expériences plus ou moins heureuses. Il y a, de fait, un vrai sujet à approfondir. Notre travail et notre souhait : accueillir chaque jeune tel qu’il est, dans le respect de ce qu’il vit, quel que soit le mode de fonctionnement de son groupe. Le pèlerinage national s’inscrit dans cet esprit”, poursuit le responsable national des servants d’autel.

Viens, sers et va !

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Reporté par deux fois et donc grandement attendu à la fin de cet été 2022, le pèlerinage national des servants d’autel à Rome rassemble 2500 jeunes d’une cinquantaine de diocèses en France, avec des délégations qui vont de 15 à 250 membres. Les accompagnateurs sont nombreux et divers aussi : des grands jeunes, des adultes, quelques grands-parents. Les effectifs sont similaires à ceux du dernier pèlerinage organisé à Rome en 2012. “Au regard des conditions, c’est une immense chance, signe d’une grande espérance. On nous fait confiance”, partage le P. Jullien. Le thème “Viens, sers et va !”, développé au travers différentes catéchèses et grands jeux dans la ville sainte, appelle les jeunes à devenir des disciples missionnaires. Les servants d’autel seront envoyés en mission par le pape François à la suite de l’audience prévue le 26 août.

En 2016, le pèlerinage national des servants d’autel s’est tenu à Lourdes. En 2019, c’est au niveau des provinces ecclésiales que les jeunes se sont rassemblés. Les diocèses organisent aussi régulièrement des rencontres. “C’est bon que les jeunes se rendent compte que leur paroisse n’est pas le seul modèle. Il y a là un enjeu ecclésial extrêmement fort, surtout dans les lieux où l’on peut voir des réflexes identitaires. Le pèlerinage national s’inscrit dans la vision du service de l’autel comme lieu de croissance humaine et spirituelle. La liturgie est un lieu de formation pour tous les jeunes comme le catéchisme, les aumôneries, les mouvements”, explique l’accompagnateur national.

Le goût du service

Lieu d’enseignement avec l’initiation aux objets, aux gestes, aux déplacements liturgiques, la pastorale des servants d’autel est évidemment aussi le lieu où les enfants et les jeunes découvrent le sens du service. Elle est d’abord cette réponse au désir du jeune d’être utile. Servir le prêtre à l’autel même pour une action toute simple rend heureux ! Certaines paroisses développent une pédagogie adaptée. Des cordons de couleurs ou différentes croix mettent en évidence la progression du jeune, son expérience personnelle et sa connaissance. “J’ai observé une jeune fille qui a commencé à servir à 7 ans. Elle en a aujourd’hui 14 et elle accompagne une équipe de trois à quatre servants d’autel dans une petite chapelle populaire. Il faut la voir quand elle parle de son service, elle en rayonne. Elle y tient ! En janvier dernier, avec un prêtre, je lui ai remis un insigne pour valoriser sa réponse de se mettre au service de l’équipe : la joie sur son visage n’a pas de prix ! Ces jeunes viennent d’eux-mêmes tous les dimanches à la messe, ce chemin est à valoriser”, témoigne Carolle Laffitte, responsable des servants d’autel pour le diocèse de Créteil. Nombreux sont les servants d’autel expérimentés qui guident effectivement les plus jeunes : ils organisent le groupe, distribuent les rôles. Une attitude de service qui se déploie d’ailleurs souvent au-delà de l’autel. Le P. Jullien reprend : “La proposition forge un esprit de service un peu comme chez les scouts. Un de mes grands servants d’autel est devenu sacristain. Il ne s’agit pas seulement de s’occuper de l’aspect matériel de la célébration, mais aussi d’aller aussi au contact des personnes, les accueillir, les solliciter pour une lecture.” L’expérience de la liturgie amène les jeunes à découvrir ce goût du service dans leur vie quotidienne, à être attentif aux autres à la manière du Christ. “C’est là qu’ils sont attendus. C’est ce que la liturgie appelle à vivre”, indique Carolle Laffitte.

Un lieu de vie spirituelle

Parmi les défis de la pastorale des servants d’autel, le premier à relever est de donner du sens et à la fonction sa juste place dans l’ensemble de l’art de célébrer. Auprès de l’autel, l’enfant développe sa capacité à être sage à la messe et sa soif d’apprendre les bons gestes. Tout l’enjeu est de lui faire découvrir la signification profonde du rituel. “L’encensoir attire toujours les jeunes. Avec quelques explications et comme ils vivent la messe de l’intérieur, aux premières loges, ils entrent dans l’intelligence de la liturgie, s’approchent du mystère de l’eucharistie. Alors encenser l’autel, le prêtre et le peuple ouvre à cette nouvelle dimension : la présence de Dieu est rappelée. Les servants d’autel aident à rendre visibles les signes de la liturgie, relève Jérôme Chevalier, responsable des servants d’autel du diocèse de Tours. De même, lorsqu’un jeune tient un cierge lors de la proclamation de l’Évangile : il dit quelque chose de la Parole autrement que par les mots. Même les trublions sont transformés par le chemin spirituel proposé. Ils puisent dans la liturgie, se rendent disponibles à la prière et toute l’assemblée des fidèles avec eux. Bien sûr, la messe sans encens et sans clochette reste toujours la messe. “Mais les servants d’autel participent pleinement à cette idée que, la liturgie c’est l’Église en prière dans toute sa diversité. C’est important d’en développer toute la puissance symbolique, y compris dans les choses gratuites, non nécessaires mais utiles pour orienter la prière. Sans les servants d’autel, il manque un visage de l’Église”, souligne de P. Laurent Jullien de Pommerol, qui évoque le souvenir de cette jeune fille, surnommée “miss 100 mille volts” du fait de son dynamisme, dont l’intensité de la prière après la communion l’a fortement interpellé.

Un lieu de croissance pour tous

La vie d’équipe proposée dans tous les groupes, les rencontres conviviales en dehors des célébrations, les sorties, les temps de répétition ou d’approfondissement apportent aux jeunes cet équilibre qui, entre camaraderie, détente, et relecture du service, permet à chacun de grandir, à son rythme. Dans les groupes mixtes, assez naturellement, les garçons et les filles se retrouvent entre eux selon leurs besoins. Avec les questions liées à la liturgie, à la place des femmes dans l’Église, la parité ou encore le genre : la pastorale des servants d’autel semble à la croisée de tous les sujets qui agitent et divisent parfois les chrétiens. “Voici ma conviction profonde : les problématiques des adultes ne sont pas celles des enfants et des jeunes, ne les transposons pas sur eux !”, confie le P. Jullien de Pommerol, qui reconnaît avoir des discussions fortes avec ses confrères. Le motu proprio Spiritus domini (10 janv. 2021) du pape François sur la modification du code de droit canonique en ce qui concerne l’accès des femmes au ministère institué du lectorat et de l’acolytat a ravivé le débat sur la question des jeunes filles et du service de l’autel, même s’il ne concerne pas directement les servants d’autel, ministres provisoires. Mais le sujet est ultra-polémique et sensible. Il est à manier avec discernement et délicatesse. Dans chaque diocèse, la question est laissée à la discrétion de l’évêque et des curés de paroisse.* Le responsable national précise : “Il ne s’agit pas d’une question théologique, mais humaine selon les pastorales locales. Nous pouvons reprendre la méditation de saint Paul : Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ : il n’y a ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. Mais avec quelque prudence et ajustement pour soit manifestée la complémentarité originelle dont la Genèse fait écho. Entre les groupes qui ne font aucune différence et ceux qui séparent tout, il y a, pour nous, une vraie question et quelques barreaux d’échelle. Je vois des maturités différentes, des manières d’être et de se positionner selon les âges”.

La diversité des groupes du diocèse de Tours

Dans les faits, les groupes fonctionnent donc à géométrie variable. Le diocèse de Tours compte près de 350 servants d’autel. Les groupes sont majoritairement mixtes, présents essentiellement dans les paroisses des communes de l’agglomération tourangelle et les autres grandes villes. Avec ces quelques exceptions : en lien avec les communautés Saint-Martin et Saint-Jean, ou sous l’impulsion d’un jeune prêtre qui porte cette attention, le service de l’autel est réservé aux garçons, celui de l’assemblée aux jeunes filles. Autre particularité : un groupe de “grands clercs” vient donner un second souffle aux servants de 15 à 25 ans. Celui-ci est réservé aux garçons qui servent les liturgies pontificales auprès de l’archevêque, tout en s’engageant à être présents auprès des plus jeunes dans chacune de leur paroisse. “C’était le choix de Mgr Aubertin, c’est maintenant celui de Mgr Jordy. Ce privilège de servir auprès de l’archevêque est bien compris par tout le monde, notamment au regard de la question de la vocation. Quand on sert une ordination sacerdotale, juste devant un homme en prostration, c’est très fort pour ces jeunes garçons. Même s’il ne s’agit pas d’en faire des apprentis prêtres”, assure Jérôme Chevalier. Le responsable diocésain évoque en contre-point cette paroisse de Saint-Pierre-des-Corps, où la population est majoritairement issue de l’immigration, qui dispose d’un groupe composé de jeunes filles à 100 % “et c’est génial !”, souligne-t-il. D’autres expériences ont été moins heureuses, comme à la Basilique Saint-Martin, lorsqu’une jeune est arrivée dans le groupe et que tous les garçons en sont partis. “Cela pose des questions d’ordre pédagogique. Nous avons des ajustements à opérer. Nous essayons d’apaiser les débats qui se cristallisent très vite. Notre seul mot d’ordre est : l’accueil. Entre bienveillance et vigilance pour que chacun trouve sa place”, révèle Jérôme Chevalier.

La proposition pastorale du diocèse de Créteil

servants d'autelLe diocèse de Créteil compte comme celui de Tours près de 350 servants d’autel. Les tranches d’âge les plus représentées sont les 5-7 ans et les 14-19 ans. Tous les groupes en lien avec la pastorale diocésaine sont mixtes, y compris celui des “grands servants”. “Les jeunes filles accompagnent les servants d’autel dans la liturgie aussi bien que les garçons, et également dans les célébrations diocésaines”, précise Carolle Laffitte. Elle pointe néanmoins à regret les paroisses qui ne répondent pas aux invitations du service diocésain et qui mènent des démarches différentes. Chaque année, un grand rassemblement réunit les jeunes servants du diocèse qui ne manquent pas d’interroger leur évêque. Mgr Santier, puis Mgr Blanchet formulent cette même réponse : rien n’empêche les filles de servir au nom de leur baptême. C’est un service ouvert à tous. Pour la responsable diocésaine, la proposition pastorale, le chemin proposé à chacun sont primordiales. “Qu’importe que l’on reconnaisse la femme derrière l’aube ? Je ressens dans cette posture et cette gêne, une projection, une représentation des parents quant à leur rapport au sacré et au ministre ordonné. C’est un appel à mieux comprendre la vie baptismale : la vocation baptismale n’est pas genrée. Le baptême du Seigneur est un don pour tout être humain”, souligne-t-elle. Un travail de longue haleine a été mené. Il induit une pastorale exigeante, une attention particulière à chacun, une véritable coéducation, soit une réflexion plus encore approfondie qu’en présence d’un groupe non-mixte. La responsable diocésaine live encore cette clé de lecture : “ce qui compte c’est accompagner le chemin de croissance de chacun et favoriser la rencontre avec le Seigneur. Confions-nous à Marie, la première servante !”

Entre première annonce et approfondissement vocationnel

Parmi les ingrédients de cette pastorale, la formation des accompagnateurs est l’une des missions des responsables diocésains. Ces derniers travaillent en équipe, en lien avec la pastorale des jeunes, des vocations, ou de la liturgie. À l’occasion de la réception du nouveau missel, Carolle Laffitte a proposé une formation commune aux catéchistes, accompagnateurs de groupes de jeunes, adjoints en pastorale scolaire, etc. “Ces temps entre responsables de jeunes permettent de faire connaissance, favorisent une liberté de parole. Nombre d’accompagnateurs, qui pourtant préparent des célébrations, n’ont jamais ouvert un missel ! Il y a là toute une richesse à découvrir. La liturgie a quelque chose à apporter à tous les jeunes. Il faut trouver comment comprendre les servants d’autel dans la pastorale des jeunes, dans celle des familles également”, développe la responsable du diocèse de Créteil. En certains lieux, des jeunes de familles éloignées de l’Église ont été attirés par des copains, fiers de servir, et ont à leur tour émis ce désir de s’approcher de l’autel. Le service de l’autel comme lieu de première annonce ? Carolle Laffitte répond oui sans hésiter : “une fois que la rencontre est provoquée, c’est le désir de l’enfant que l’Église accompagne, avec l’accord de la famille. C’est une porte ouverte pour ces dernières, qui redécouvrent la foi de l’Église. C’est vraiment porteur !”

Dans une paroisse rurale du diocèse de Lyon, un prêtre a également relancé la vie paroissiale à partir de la pastorale des servants d’autel. L’idée : par les enfants et les jeunes, inviter largement les familles à la messe du dimanche. “Quand je m’y suis rendu pour soutenir la démarche, c’était encore formellement très imparfait, mais l’intuition est très bonne. La pastorale des servants d’autel est à la croisée de plusieurs autres pastorales. Elle n’a rien d’anodin”, rapporte le P. Jullien de Pommerol.

Servir, être disponible, être appelé : ces trois notions sont les piliers de toute catéchèse dédiée aux servants d’autel. En septembre dernier, Mgr Vincent Jordy a pris le temps de dialoguer avec ses équipes tourangelles. “Les mots de notre évêque ont vraiment résonné aux oreilles des jeunes. Il leur a partagé son propre appel reçu à 13 ans, en abordant la vocation de façon décomplexée, précisant que ce n’est pas grave !”, sourit Jérôme Chevalier. Il rappelle : “Nous savons que nombre de prêtres ont découvert leur vocation dans le service de l’autel, mais il n’y a pas de confusion. Ce service conduit d’abord à la conversion, avec ses nombreuses et belles rencontres. Il permet à chacun de découvrir la diversité des vocations, avant d’approfondir la sienne et la prendre en main”. Le responsable des servants d’autel du diocèse de Tours voit plus loin en interrogeant celle des pères de famille et leurs places dans l’Église aujourd’hui. Quant à son homologue de Créteil, elle revient sur cette urgence : “Que proposer aux servants après 20 ans ? La responsabilité d’un groupe demeure une petite porte. Les servants s’activent pour la communauté paroissiale. Que fait-elle pour eux, quelle attention leur prête-t-elle ?”

 

*La Présentation générale du missel romain précise “Pour ce qui est de la fonction de servir le prêtre à l’autel, on observera les normes établies par l’évêque pour le diocèse (n°107). Elle est complétée par l’Instruction Redemptoris sacramentum (2004) “les filles ou les femmes peuvent être admises à ce service de l’autel, au jugement de l’évêque diocésain ; dans ce cas, il faut suivre les normes établies à ce sujet” (n°47).

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