Le Testament spirituel de Jean-Paul II

Texte du testament spirituel de Jean-Paul II du 6 mars 1979, qui a été diffusé le 7 avril 2005 dans une traduction italienne de l’original polonais. Avec divers ajouts de 1980, 1982, 1985 et 2000. La traduction de l’italien en français a été faite par le Vatican Information Service.

Totus Tuus Ego Sum

Au nom de la Très Sainte Trinité, Amen

« Veillez car vous ignorez le jour où votre Seigneur viendra ». Ces paroles me font penser au dernier appel, qui aura lieu au moment où il plaira au Seigneur de m’appeler. Je désire Le suivre et que tout ce qui appartient à ma vie terrestre me prépare à ce moment. J’ignore quand cela adviendra mais, comme tous les autres, je confie ce moment à la Mère de mon Maître. Totus Tuus. Dans ces mêmes mains maternelles j’abandonne tout et tous ceux qui liés à ma vie et à ma vocation, l’Eglise avant tout, mon pays et l’humanité toute entière. Merci à tous, à tous je demande pardon. Je demande de prier pour moi afin que la Divine Miséricorde soit plus grande que ma faiblesse et mon indignité.

Au cours des exercices spirituels, j’ai relu le Testament de Paul VI, ce qui m’a poussé à rédiger celui-ci.

Je ne laisse aucune propriété dont il faut disposer. Quant à mes affaires d’usage quotidien, je demande de les distribuer comme il semblera opportun. Que les notes personnelles soient brûlées. Pour cela, je demande à ce que Don Stanislaw, que je remercie pour sa collaboration, son aide et sa compréhension tout au long de ses longues années, s’en occupe. Je garde dans le coeur devant Dieu tous les autres remerciements, parce qu’il serait trop difficile de les exprimer.

En ce qui concerne les funérailles, je donne les mêmes dispositions que celles déjà données par le Pape Paul VI. (Note en marge: la sépulture en terre et non dans un sarcophage, 13.3.92).

« apud Dominum misericordia
et copiosa apud Eum redemptio »
Giovanni Paolo pp. II

6 Mars 1979

 

Je suis profondément confiant, malgré toute ma faiblesse, que le Seigneur me concèdera toute la grâce nécessaire pour affronter selon Sa volonté, chaque tâche, épreuve et souffrance qu’il voudra demander à Son serviteur au cours de ma vie. Je suis également confiant qu’il ne permettra jamais que, par mon comportement, mes paroles, oeuvres ou omissions, je puisse trahir mes obligations envers ce saint Siège pétrin.

Giovanni Paolo pp. II
non-daté

De même, pendant ces derniers exercices spirituels, j’ai réfléchi sur la vérité du sacerdoce du Christ dans la perspective de ce Passage qui pour chacun de nous est le moment de la propre mort. Du départ de ce monde – pour naître dans l’autre, dans le monde futur, signe éloquent (Note ajoutée au-dessus: décisif) qu’est pour nous la Résurrection du Christ.

J’ai donc relu l’enregistrement de mon testament de l’année dernière, également fait pendant les exercices spirituels. Je l’ai comparé avec le testament de mon grand prédécesseur et père Paul VI, avec ce sublime témoignage sur la mort d’un chrétien et d’un pape. J’ai repassé dans ma conscience les aspects auxquels se réfère l’enregistrement du 6.III.1979 que j’avais préparé (de façon plus tôt provisoire).

Aujourd’hui je souhaite ajouter seulement ceci, que chacun de nous doit garder présent la perspective de la mort. Chacun doit être prêt pour se présenter devant le Seigneur et le Juge – et en même temps le Rédempteur et le Père. Constamment je prends en considération ce fait, confiant ce moment décisif en la Mère du Christ et de l’Eglise – en la Mère de mon espérance.

Les temps dans lesquels nous vivons, sont sans aucun doute difficiles et inquiets – tant pour les Fidèles, que pour les Pasteurs. Dans certains pays (comme par exemple celui de qui j’ai lu pendant les exercices spirituels), l’Eglise se trouve dans une période de persécutions telles qu’elles ne sont pas moindres des persécutions des premiers siècles, elles les dépassent même par leur degré de cruauté et de haine. Sanguis martyrum – semen christianorum. De plus, tant de personnes disparaissent innocemment, également dans ce pays dans lequel nous vivons…

Je désire une fois encore me remettre totalement à la grâce du Seigneur. Lui-même décidera quand et comment je dois finir ma vie terrestre et le ministère pastoral. Dans la vie et dans la mort Totus Tuus grâce à l’Immaculée. Acceptant dès maintenant cette mort, je souhaite que le Christ me donne la grâce pour ce dernier passage, c’est à dire [ma] Pâques. J’espère également qu’il la rende utile pour cette plus importante cause que je sers et pour laquelle je cherche de vivre: le salut des hommes, la sauvegarde de la famille humaine, et en elle celle de toutes les nations et des peuples (parmi celles-ci je m’adresse particulièrement à ma Patrie terrestre), utile pour les personnes qu’il m’a particulièrement confiées, pour l’Eglise, pour la gloire de Dieu même.

Je ne souhaite pas ajouter autre chose à ce que j’ai écrit il y a un an – seulement exprimer cette promptitude et en même temps cette confiance, à laquelle les présents exercices spirituels m’ont de nouveau disposés.

Giovanni Paolo II
1er Mars 1980

 

Au cours des exercices spirituels de cette année, j’ai relu (plusieurs fois) le texte du testament du 6mars1979. Bien que je le considère encore provisoire (non définitif), je le laisse tel qu’il est. Je ne change rien (pour le moment), et n’ajoute rien non plus, en ce qui concerne les dispositions qui y sont contenues.

L’attentat à ma vie, le 13 mai 1981, a en quelque sorte confirmé l’exactitude des paroles écrites pendant la période des exercices spirituels de 1980 (24.II-1.III).

Je ressens encore plus profondément que je suis totalement entre les mains de Dieu – et je reste constamment à la disposition de mon Seigneur, me confiant à Lui dans Sa Mère Immaculée (Totus Tuus).

A propos de la dernière phrase de mon testament du 6mars1979 (: »Sur le lieu/c’est à dire le lieu des funérailles/ que le Sacré Collège et les co-nationaux décident »)- je précise ce que j’ai en tête: le métropolite de Cracovie ou le Conseil général de l’Episcopat de Pologne. Je demande donc au Sacré Collège de satisfaire si c’est possible les éventuelles demandes des sus-nommés.

Giovanni Paolo pp. II
5 mars1982

Encore – en ce qui concerne l’expression « Sacré Collège et co-nationaux »: le Sacré Collège n’a aucune obligation d’interpeller sur cet argument « les co-nationaux »; il peut toutefois le faire, si pour quelques motifs il le retient juste.

Giovanni Paolo pp. II
1mars1985 (au cours des exercices spirituels).

Quand le 16 octobre 1978 le conclave des cardinaux a choisi Jean-Paul II, le Primat de Pologne, le Cardinal Stefan Wyszynski m’a dit: « Le devoir du nouveau Pape sera d’introduire l’Eglise dans le Troisième Millénaire ». Je ne sais pas si je répète précisément la phrase, mais tel était le sens de ce que j’ai alors entendu. Cela a été dit par l’homme qui est passé dans l’histoire comme Primat du Millénaire. Un grand Primat. J’ai été le témoin de sa mission, de sa totale confiance. De ses luttes, de sa victoire. « La victoire, quand elle aura lieu, sera la victoire grâce à Marie » – répétait souvent le Primat du Millénaire en citant son prédécesseur, le Cardinal August Hlond.

De cette façon j’ai été en quelque sorte préparé au devoir qui s’est présenté devant moi le 16 octobre 1978. Au moment où j’écris ces paroles, l’Année Jubilaire de l’An 2000 est déjà une réalité en cours. La nuit du 24 décembre 1999 la symbolique Porte Sainte du Grand Jubilée de la Basilique St.Pierre a été ouverte, suivie de celle de Saint Jean du Latran, puis de celle de Sainte Marie Majeure le 1er janvier et de la Porte Sainte de la Basilique de Saint Paul « Hors les Murs » le 19 janvier. Ce dernier évènement, par son caractère oecuménique, est particulièrement resté gravé dans la mémoire.

Au fur et à mesure que l’Année Jubilaire 2000 avance, de jour en jour le vingtième siècle se referme et s’ouvre le vingt-et-unième siècle. Selon le dessein de la Providence, j’ai vécu dans ce difficile siècle qui s’en va dans le passé, et maintenant au cours de cette année où j’attendrai quatre-vingts ans (« octogesima adveniens »), il faut se demander s’il n’est pas temps de répéter avec Siméon, le biblique, « Nunc dimittis ».

Le 13 mai 1981, le jour de l’attentat au Pape, pendant l’Audience générale Place St.Pierre, le Divine Providence m’a miraculeusement sauvé de la mort. Celui qui est l’unique Seigneur de la vie et de la mort, Lui même m’a prolongé cette vie, et d’une certaine façon il me l’a donnée de nouveau. Depuis ce moment, elle Lui appartient encore plus qu’avant. J’espère qu’Il m’aidera à comprendre jusqu’à quand je dois continuer ce service, auquel il m’a appelé le 16 octobre 1978. Je Lui demande de me rappeler quand Lui-même le voudra. « Dans la vie et dans la mort, nous appartenons au Seigneur… nous sommes du Seigneur » (cf. Rm 14,8). J’espère aussi que la Miséricorde de Dieu me donne les forces nécessaires pour accomplir le service Pétrin dans l’Eglise jusqu’à ce qu’il me soit donné.

Comme chaque année pendant les exercices spirituels, j’ai relu mon testament du 6mars1979. Je continue à maintenir les dispositions qu’il contient. Ce qui a été ajouté alors et pendant les exercices spirituels successifs, constitue une réflexion de la situation générale difficile et tendue, qui a marqué les années quatre-vingt. Depuis l’automne 1989 cette situation a changé. La dernière décennie du siècle passé a été libérée des tensions précédentes; cela ne signifie pas qu’elle n’ait pas porté avec elle de nouveaux problèmes et de nouvelles difficultés. Rendons particulièrement grâce à la Providence Divine pour cela, pour que la période dite de « guerre froide » soit finie sans violent conflit nucléaire, danger qui pesait sur le monde dans la période précédente.

Etant au seuil du troisième millénaire « in medio Ecclesiae », je souhaite encore une fois exprimer ma gratitude à l’Esprit Saint pour le grand don du Concile Vatican II, pour lequel, ensemble avec toute l’Eglise – et surtout avec tout l’épiscopat – je me sens débiteur. Je suis convaincu que pour de longues années encore, les nouvelles générations pourront y puiser les richesses que ce Concile du XXe siècle a données. En tant qu’évêque qui a participé à l’évènement conciliaire du premier au dernier jour, je désire confier ce grand patrimoine à tous ceux qui sont et seront dans l’avenir appelés à le réaliser. Quant à moi, je remercie le Pasteur éternel qui m’a permis de servir cette grande cause au cours de toutes ces années de mon pontificat.

« In medio Ecclesiae »… des premières années du service épiscopal – justement grâce au Concile -j’ai pu vivre la communion fraternelle de l’Episcopat. En tant que prêtre du diocèse de Cracovie, j’avais préalablement expérimenté ce qu’était la communion fraternelle du presbytère – le Concile a ouvert une nouvelle dimension de cette expérience.

Combien de personnes devrais-je citer! Probablement le Seigneur Dieu a rappelé à Lui la grande majorité d’elles – quant à celles qui se trouvent encore de ce côté, les mots de ce testament les rappellent toutes et partout, où qu’elles se trouvent.

Depuis plus de vingt ans que j’accomplis le service Pétrin « in medio Ecclesiae », j’ai apprécié la bienveillante et plus que jamais féconde collaboration de tant de Cardinaux., Archevêques et Evêques, de tant de prêtres, de tant de personnes consacrées -frères et soeurs – et enfin de tant de personnes laïques, dans le contexte de la Curie, au Vicariat de Rome ainsi qu’en dehors de ces lieux.

Comment ne pas embrasser reconnaissant tous les épiscopats du monde, que j’ai rencontrés lors des différentes visites « ad limina Apostolorum »! Comment ne pas rappeler également tous les frères chrétiens – non catholiques! Et le Rabbin de Rome et les nombreux représentants des religions non chrétiennes! Et combien de représentants du monde de la culture, de la science, de la politique, des moyens de communications sociales!

Au fur et à mesure que s’approche la limite de ma vie terrestre, je repense aux débuts, à mes parents, à mon frère et ma soeur (que je n’ai pas connue, car elle est morte avant ma naissance), à la paroisse de Wadowice, où j’ai été baptisé, à la ville de mon amour, à mes compagnons de l’élémentaire, du lycée, de l’université jusqu’aux temps de l’occupation, quand je travaillais comme ouvrier, puis à la paroisse de Niegowie, et à la paroisse S.Florian de Cracovie, à la pastorale des académiciens, à tous ces lieux …à Cracovie et à Rome…aux personnes qui d’une manière particulière m’ont été confiées par le Seigneur.

A tous je veux dire une seule chose: « Que Dieu vous récompense ».

« In manus Tuas, Domine, commendo spiritum meum »

Giovanni Paolo pp. II
Les exercices spirituels de l’année jubilaire 2000
17 mars 2000

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