Exhortation apostolique post-synodale « Amoris Laetitia » Chapitres 7 à 9
Suite de l’exhortation apostolique post Synodale : « Amoris Laetitia : La Joie de l’Amour »
Première partie, chapitres 1 à 6
SEPTIÈME CHAPITRE
Renforcer l’éducation des enfants
259. Les parents influent toujours sur le développement moral de leurs enfants, en bien ou en mal. Par conséquent, ce qui convient, c’est qu’ils acceptent cette responsabilité incontournable et l’accomplissent d’une manière consciente, enthousiaste, raisonnable et appropriée. Étant donné que cette fonction éducative des familles est si importante et qu’elle est devenue très complexe, je voudrais m’arrêter spécialement sur ce point.
Où sont les enfants ?
260. La famille ne peut renoncer à être un lieu de protection, d’accompagnement, d’orientation, même si elle doit réinventer ses méthodes et trouver de nouvelles ressources. Elle a besoin de se demander à quoi elle veut exposer ses enfants. Voilà pourquoi, elle ne doit pas éviter de s’interroger sur ceux qui sont chargés de leur divertissement et de leurs loisirs, sur ceux qui rentrent dans leurs chambres à travers les écrans, sur ceux à qui ils les confient pour qu’ils les guident dans leur temps libre. Seuls les moments que nous passons avec eux, parlant avec simplicité et affection des choses importantes, et les possibilités saines que nous créons pour qu’ils occupent leur temps, permettront d’éviter une invasion nuisible. Il faut toujours rester vigilant. L’abandon n’est jamais sain. Les parents doivent orienter et prévenir les enfants ainsi que les adolescents afin qu’ils sachent affronter les situations où il peut y avoir des risques d’agression, d’abus ou de toxicomanie, par exemple.
261. Mais l’obsession n’éduque pas ; et on ne peut pas avoir sous contrôle toutes les situations qu’un enfant pourrait traverser. Ici, vaut le principe selon lequel « le temps est supérieur à l’espace ».[291] C’est-à-dire qu’il s’agit plus de créer des processus que de dominer des espaces. Si un parent est obsédé de savoir où se trouve son enfant et de contrôler tous ses mouvements, il cherchera uniquement à dominer son espace. De cette manière, il ne l’éduquera pas, ne le fortifiera pas, ne le préparera pas à affronter les défis. Ce qui importe surtout, c’est de créer chez l’enfant, par beaucoup d’amour, des processus de maturation de sa liberté, de formation, de croissance intégrale, de culture d’une authentique autonomie. C’est seulement ainsi que cet enfant aura en lui-même les éléments nécessaires pour savoir se défendre ainsi que pour agir intelligemment et avec lucidité dans les circonstances difficiles. Donc, la grande question n’est pas : où se trouve l’enfant physiquement, avec qui il est en ce moment, mais : où il se trouve dans un sens existentiel, où est-ce qu’il se situe du point de vue de ses convictions, de ses objectifs, de ses désirs, de son projet de vie. Par conséquent, les questions que je pose aux parents sont : « Essayons-nous de comprendre ‘‘où’’ en sont réellement les enfants sur leur chemin ? Où est réellement leur âme, le savons-nous ? Et surtout, cela nous intéresse-t-il de le savoir ? »[292]
262. Si la maturité était uniquement le développement d’une chose au préalable contenue dans le code génétique, nous n’aurions pas beaucoup à faire. La prudence, le jugement sain et le bon sens ne dépendent pas de facteurs purement quantitatifs de croissance, mais de toute une chaîne d’éléments qui se synthétisent dans la personne ; pour être plus précis, au cœur de sa liberté. Il est inévitable que chaque enfant nous surprenne par les projets qui jaillissent de cette liberté, qui sortent de nos schémas, et il est bon qu’il en soit ainsi. L’éducation comporte la tâche de promouvoir des libertés responsables, qui opèrent des choix à la croisée des chemins de manière sensée et intelligente, de promouvoir des personnes qui comprennent pleinement que leur vie et celle de leur communauté sont dans leurs mains et que cette liberté est un don immense.
La formation morale des enfants
263. Même si les parents ont besoin de l’école pour assurer une instruction de base à leurs enfants, ils ne peuvent jamais déléguer complètement leur formation morale. Le développement affectif et moral d’une personne exige une expérience fondamentale : croire que ses propres parents sont dignes de confiance. Cela constitue une responsabilité éducative : par l’affection et le témoignage, créer la confiance chez les enfants, leur inspirer un respect plein d’amour. Lorsqu’un enfant ne sent plus qu’il est précieux pour ses parents bien qu’il ne soit pas sans défaut, ou ne perçoit pas qu’ils nourrissent une préoccupation sincère pour lui, cela crée des blessures profondes qui sont à l’origine de nombreuses difficultés dans sa maturation. Cette absence, cet abandon affectif, provoque une douleur plus profonde qu’une éventuelle correction qu’il reçoit pour une mauvaise action.
264. La tâche des parents inclut une éducation de la volonté et un développement de bonnes habitudes et de tendances affectives au bien. Cela implique qu’elles soient présentées comme des comportements désirables à apprendre et des tendances à développer. Mais il s’agit toujours d’un processus qui part de ce qui est imparfait vers ce qui est plus accompli. Le désir de s’adapter à la société ou l’habitude de renoncer à une satisfaction immédiate pour s’adapter à une norme et assurer une bonne cohabitation, est déjà en lui-même une valeur initiale qui crée des dispositions pour s’élever ensuite vers des valeurs plus hautes. La formation morale devrait toujours se réaliser par des méthodes actives et par un dialogue éducatif qui prend en compte la sensibilité et le langage propres aux enfants. En outre, cette formation doit se réaliser de façon inductive, de telle manière que l’enfant puisse arriver à découvrir par lui-même la portée de certaines valeurs, principes et normes, au lieu de se les voir imposées comme des vérités irréfutables.
265. Pour bien agir, il ne suffit pas de ‘‘bien juger’’ ou de savoir clairement ce qu’on doit faire – même si cela est prioritaire –. Bien des fois, nous sommes incohérents par rapport à nos propres convictions, même lorsqu’elles sont solides. La conscience a beau nous dicter un jugement moral déterminé, dans certaines circonstances d’autres choses qui nous attirent ont plus de pouvoir, si nous ne sommes pas parvenus à ce que le bien saisi par l’esprit s’enracine en nous en tant qu’une profonde tendance affective, comme une disposition au bien qui pèse plus que d’autres attractions, et qui nous conduise à percevoir que ce que nous considérons comme bien l’est également ‘‘pour nous’’ ici et maintenant. Une formation éthique efficace implique de montrer à la personne jusqu’à quel point il lui convient de bien agir. Aujourd’hui, ordinairement, il est inefficace de demander quelque chose qui exige un effort et des renoncements, sans indiquer clairement le bien qui peut en résulter.
266. Il est nécessaire de développer des habitus. De même, les habitudes acquises depuis l’enfance ont une fonction positive, en aidant à ce que les grandes valeurs intériorisées se traduisent par des comportements extérieurs sains et stables. On peut avoir des sentiments sociables et une bonne disposition envers les autres, mais si pendant longtemps on n’a pas été habitué, grâce à l’insistance des adultes, à dire ‘‘s’il vous plaît’’, ‘‘pardon’’, ‘‘merci’’, la bonne disposition intérieure ne se traduira pas facilement en ces expressions. Le renforcement de la volonté et la répétition d’actions déterminées construisent la conduite morale, et sans la répétition consciente, libre et valorisée de certains bons comportements, l’éducation à cette conduite n’est pas achevée. Les motivations, ou bien l’attraction que nous sentons pour une valeur déterminée, ne deviennent pas une vertu sans ces actes adéquatement motivés.
267. La liberté est une chose merveilleuse, mais nous pouvons l’abîmer. L’éducation morale est une formation à la liberté à travers des propositions, des motivations, des applications pratiques, des stimulations, des récompenses, des exemples, des modèles, des symboles, des réflexions, des exhortations, des révisions de la façon d’agir et des dialogues qui aident les personnes à développer ces principes intérieurs stables qui conduisent à faire spontanément le bien. La vertu est une conviction transformée en un principe intérieur et stable d’action. La vie vertueuse, par conséquent, construit la liberté, la fortifie et l’éduque, en évitant que la personne devienne esclave de tendances compulsives déshumanisantes et antisociales. En effet, la dignité humaine même exige que chacun « agisse selon un choix conscient et libre, mû et éterminé par une conviction personnelle ».[293]
La valeur de la sanction comme stimulation
268. De même, il est indispensable de sensibiliser l’enfant ou l’adolescent afin qu’il se rende compte que les mauvaises actions ont des conséquences. Il faut éveiller la capacité de se mettre à la place de l’autre et de compatir à sa souffrance lorsqu’on lui a causé du tort. Certaines sanctions – pour des comportements antisociaux agressifs – peuvent atteindre en partie cet objectif. Il est important d’orienter l’enfant avec fermeté afin qu’il demande pardon et répare le tort causé aux autres. Quand le parcours éducatif porte ses fruits dans une maturation de la liberté personnelle, l’enfant lui-même à un moment donné commencera à reconnaître avec gratitude qu’il a été bon pour lui de grandir dans une famille et même de souffrir des exigences liées à tout processus de formation.
269. La correction est une stimulation lorsqu’on valorise et reconnaît aussi les efforts et que l’enfant découvre que ses parents gardent une confiance patiente. Un enfant puni avec amour sent qu’il est pris en compte, perçoit qu’il est quelqu’un, réalise que ses parents reconnaissent ses possibilités. Cela n’exige pas que les parents soient sans défauts, mais qu’ils sachent reconnaître avec humilité leurs limites et montrent leurs propres efforts pour être meilleurs. Mais l’un des témoignages dont les enfants ont besoin de la part des parents est de voir que ceux-ci ne se laissent pas mener par la colère. L’enfant coupable d’une mauvaise action doit être repris, mais jamais comme un ennemi ou comme celui sur lequel l’on décharge sa propre agressivité. En outre, un adulte doit reconnaître que certaines mauvaises actions sont liées à la fragilité et aux limites propres à l’âge. Par conséquent, une attitude constamment répressive serait nuisible ; elle n’aiderait pas à se rendre compte de la gravité différente des actions et provoquerait du découragement ainsi que de l’irritation : « Parents, n’exaspérez pas vos enfants » (Ep 6, 4 ; cf. Col 3, 21).
270. Il est fondamental que la discipline ne devienne pas une inhibition du désir, mais une stimulation pour aller toujours plus loin. Comment allier la discipline à l’inquiétude intérieure ? Comment faire pour que la discipline soit une limite constructive du chemin qu’un enfant doit emprunter et non un mur qui l’annihile ou une dimension de l’éducation qui le castre ? Il faut savoir trouver un équilibre entre deux extrêmes pareillement nocifs : l’un serait de prétendre construire un monde à la mesure des désirs de l’enfant, qui grandit en se sentant sujet de droits mais non de responsabilités. L’autre extrême serait de l’amener à vivre sans conscience de sa dignité, de son identité unique et de ses droits, torturé par les devoirs et aux aguets pour réaliser les désirs d’autrui.
Réalisme patient
271. L’éducation morale implique de demander à un enfant ou à un jeune uniquement ces choses qui ne représentent pas pour lui un sacrifice disproportionné, de n’exiger de lui qu’une part d’effort qui ne provoque pas de ressentiment ou des actions trop forcées. Le parcours ordinaire est de proposer de petits pas qui peuvent être compris, acceptés et valorisés, et impliquent un renoncement proportionné. Autrement, en exigeant trop, nous n’obtenons rien. À peine la personne pourra-t-elle se libérer de l’autorité que, probablement, elle cessera de bien agir.
272. La formation éthique éveille parfois du mépris, du fait d’expériences d’abandon, de déception, de carence affective, ou à cause d’une mauvaise image des parents. Les conceptions déformées des figures des parents ou les faiblesses des adultes sont projetées sur les valeurs morales. Voilà pourquoi il faut aider les adolescents à faire de l’analogie : les valeurs se trouvent particulièrement réalisées dans certaines personnes vraiment exemplaires, mais elles se réalisent également de manière imparfaite et à divers degrés. Par ailleurs, vu que les résistances des jeunes sont fortement liées à de mauvaises expériences, il est nécessaire de les aider à faire un cheminement de guérison de ce monde intérieur blessé, en sorte qu’ils puissent arriver à comprendre et à se réconcilier avec les êtres humains et avec la société.
273. Lorsqu’on propose des valeurs, il faut aller progressivement, avancer de diverses manières selon l’âge et les possibilités concrètes des personnes, sans prétendre appliquer des méthodologies rigides et immuables. Les précieux apports de la psychologie et des sciences de l’éducation montrent la nécessité d’un progrès graduel dans l’obtention de changements de comportement, mais ils montrent aussi que la liberté exige des réseaux et des stimulations, car abandonnée à elle-même, elle ne garantit pas la maturation. La liberté en situation, réelle, est limitée et conditionnée. Elle n’est pas une pure capacité de choisir le bien dans une spontanéité totale. On ne distingue pas toujours clairement un acte ‘‘volontaire’’ d’un acte ‘‘libre’’. Quelqu’un peut vouloir une chose mauvaise avec une grande force de volonté, mais à cause d’une passion irrésistible ou d’une mauvaise éducation. Dans ce cas, sa décision est très volontaire, elle ne contredit pas l’inclinaison de son propre vouloir, mais elle n’est pas libre, parce qu’il lui est devenu impossible de ne pas opter pour ce mal. C’est ce qui arrive à un toxicomane compulsif, lorsqu’il veut de la drogue de toutes ses forces, mais est si conditionné que pour le moment il n’est pas capable de prendre une autre décision. Par conséquent, sa décision est volontaire, mais elle n’est pas libre. ‘‘Le laisser choisir librement’’ n’a pas de sens, puisque de fait il ne peut choisir, et l’exposer à la drogue ne fait qu’accroître la dépendance. Il a besoin de l’aide des autres et d’un parcours éducatif.
La vie familiale comme lieu d’éducation
274. La famille est la première école des valeurs, où on apprend l’utilisation correcte de la liberté. Il y a des tendances développées dans l’enfance, qui imprègnent l’intimité d’une personne et demeurent toute la vie comme une émotivité favorable à une valeur ou comme un rejet spontané de certains comportements. Beaucoup de personnes agissent toute la vie d’une manière donnée parce qu’elles considèrent comme valable cette façon d’agir qui a pris racine en elles depuis l’enfance, comme par osmose. ‘‘On m’a éduqué ainsi’’ ; ‘‘c’est ce qu’on m’a inculqué’’. Dans le milieu familial, on peut aussi apprendre à discerner de manière critique les messages véhiculés par les divers moyens de communication sociale. Malheureusement, bien des fois, certains programmes de télévision ou certaines formes de publicité ont un impact négatif et affaiblissent les valeurs reçues dans la vie familiale.
275. En ce temps, où règnent l’anxiété et la vitesse technologique, une tâche très importante des familles est d’éduquer à la patience. Il ne s’agit pas d’interdire aux jeunes de jouer avec les dispositifs électroniques, mais de trouver la manière de créer en eux la capacité de distinguer les diverses logiques et de ne pas appliquer la vitesse digitale à tous les domaines de la vie. Reporter n’est pas nier le désir mais retarder sa satisfaction. Lorsque les enfants ou les adolescents ne sont pas éduqués à accepter que certaines choses doivent attendre, ils deviennent des gens impatients, qui soumettent tout à la satisfaction de leurs besoins immédiats et grandissent avec le vice du ‘‘je veux et j’ai’’. C’est une grave erreur qui ne favorise pas la liberté, mais l’affecte. En revanche, quand on éduque à apprendre à reporter certaines choses et à attendre le moment convenable, on enseigne ce qu’est être maître de soi-même, autonome face à ses propres impulsions. Ainsi, lorsqu’un enfant expérimente qu’il peut se prendre lui-même en charge, l’estime qu’il a de lui-même s’affermit. En même temps, cela lui apprend à respecter la liberté des autres. Évidemment, ceci n’implique pas d’exiger des enfants qu’ils agissent comme des adultes, mais il ne faut pas non plus mépriser leur capacité à grandir dans la maturation d’une liberté responsable. Dans une famille saine, cet apprentissage s’effectue de manière ordinaire à travers les exigences de la cohabitation.
276. La famille est le lieu de la première socialisation, parce qu’elle est le premier endroit où on apprend à se situer face à l’autre, à écouter, à partager, à supporter, à respecter, à aider, à cohabiter. La tâche de l’éducation est d’éveiller le sentiment du monde et de la société comme foyer, c’est une éducation pour savoir ‘‘habiter’’, au-delà des limites de sa propre maison. Dans le cercle familial, on enseigne à revaloriser la proximité, l’attention et la salutation. C’est là qu’on brise la première barrière de l’égoïsme mortel pour reconnaître que nous vivons à côté d’autres, avec d’autres, qui sont dignes de notre attention, de notre amabilité, de notre affection. Il n’y a pas de lien social sans cette première dimension quotidienne, quasi microscopique : le fait d’être ensemble, proches, nous croisant en différents moments de la journée, nous préoccupant pour ce qui nous affecte tous, en nous secourant mutuellement dans les petites choses de chaque jour. La famille doit inventer quotidiennement de nouvelles manières de promouvoir la reconnaissance réciproque.
277. En famille, on peut aussi reconsidérer les habitudes de consommation pour sauvegarder ensemble la maison commune : « La famille est la protagoniste d’une écologie intégrale, parce qu’elle est le sujet social primaire, qui contient en son sein les deux principes bases de la civilisation humaine sur la terre: le principe de communion et le principe de fécondité ».[294] De même, les moments difficiles et durs de la vie familiale peuvent être très formateurs. C’est le cas, par exemple, lors d’une maladie, car « face à la maladie, même en famille, apparaissent des difficultés, à cause de la faiblesse humaine. Mais, en général, le temps de la maladie accroît la force des liens familiaux […]. Une éducation qui met à l’abri de la sensibilité envers la maladie humaine, rend le cœur aride. Et fait en sorte que les jeunes sont ‘‘anesthésiés’’ face à la souffrance des autres, incapables d’affronter la souffrance et de vivre l’expérience de la limite ».[295]
278. La rencontre éducative entre parents et enfants peut être facilitée ou affectée par les technologies de la communication et du divertissement, toujours plus sophistiquées. Lorsqu’elles sont utilisées à bon escient, elles peuvent être utiles pour unir les membres de la famille malgré la distance. Les contacts peuvent être fréquents et aider à remédier aux difficultés.[296] Cependant, il demeure clair qu’elles ne constituent ni ne remplacent le besoin du dialogue plus personnel et plus profond qui exige le contact physique, ou tout au moins la voix de l’autre personne. Nous savons que parfois ces moyens éloignent au lieu de rapprocher, comme lorsqu’à l’heure du repas chacun est rivé à son téléphone cellulaire, ou quand l’un des conjoints dort en attendant l’autre, qui passe des heures à jouer avec un dispositif électronique. En famille, tout cela doit être aussi objet de dialogues et d’ententes, qui permettent d’accorder la priorité à la rencontre de ses membres sans tomber dans des prohibitions irrationnelles. De toute manière, on ne peut ignorer les risques des nouvelles formes de communication pour les enfants et pour les adolescents, qu’elles convertissent parfois en abouliques, déconnectés du monde réel. Cet ‘‘autisme technologique’’ les expose plus facilement à la manipulation de ceux qui cherchent à entrer dans leur intimité pour des intérêts égoïstes.
279. Il ne convient pas non plus que les parents deviennent des êtres tout puissants pour leurs enfants, qui ne peuvent que leur faire confiance, car ainsi ils entravent le processus approprié de socialisation et de maturation affective. Pour rendre effectif ce prolongement de la paternité à un niveau plus vaste, « les communautés chrétiennes sont appelées à offrir leur soutien à la mission éducative des familles »,[297] surtout à travers la catéchèse de l’initiation. Afin de favoriser une éducation intégrale, il nous faut « raviver l’alliance entre la famille et la communauté chrétienne ».[298] Le Synode a voulu souligner l’importance des écoles catholiques, qui « remplissent une fonction vitale pour aider les parents dans leur devoir d’éducation de leurs enfants […]. Les écoles catholiques devraient être encouragées dans leur mission d’aider les élèves à grandir comme adultes mûrs, capables de voir le monde à travers le regard d’amour de Jésus et comprenant la vie comme un appel à servir Dieu ». [299] Par conséquent, il faut affirmer avec force la liberté de l’Église « d’enseigner sa propre doctrine et le droit à l’objection de conscience des éducateurs ».[300]
Oui à l’éducation sexuelle
280. Le Concile Vatican II envisageait la nécessité « d’une éducation sexuelle à la fois positive et prudente au fur et à mesure [que les enfants et les adolescents] grandissent » et « en tenant compte du progrès des sciences psychologique, pédagogique et didactique ».[301] Nous devrions nous demander si nos institutions éducatives ont pris en compte ce défi. Il est difficile de penser l’éducation sexuelle, à une époque où la sexualité tend à se banaliser et à s’appauvrir. Elle ne peut être comprise que dans le cadre d’une éducation à l’amour, au don de soi réciproque. De cette manière, le langage de la sexualité ne se trouve pas tristement appauvri, mais éclairé. L’impulsion sexuelle peut être éduquée dans un cheminement de connaissance de soi et dans le développement d’une capacité de domination de soi, qui peuvent aider à mettre en lumière les capacités admirables de joie et de rencontre amoureuse.
281. L’éducation sexuelle offre des informations ; mais il ne faut pas oublier que les enfants et les jeunes n’ont pas atteint une maturité pleine. L’information doit arriver au moment approprié et d’une manière adaptée à l’étape qu’ils vivent. Il ne sert à rien de les saturer de données sans le développement d’un sens critique face à l’invasion de propositions, face à la pornographie incontrôlée et à la surcharge d’excitations qui peuvent mutiler la sexualité. Les jeunes doivent pouvoir se rendre compte qu’ils sont bombardés de messages qui ne visent pas leur bien et leur maturation. Il faut les aider à reconnaître et à rechercher les influences positives, en même temps qu’ils prennent de la distance par rapport à tout ce qui déforme leur capacité d’aimer. De même, nous devons admettre que le « besoin d’un langage nouveau et plus approprié se fait surtout sentir au moment d’introduire le thème de la sexualité pour les enfants et les adolescents ».[302]
282. Une éducation sexuelle qui préserve une saine pudeur a une énorme valeur, même si aujourd’hui certains considèrent qu’elle est une question d’un autre âge. C’est une défense naturelle de la personne, qui protège son intériorité et évite qu’elle devienne un pur objet. Sans la pudeur, nous pouvons réduire l’affection et la sexualité à des obsessions qui nous focalisent uniquement sur la génitalité, sur des morbidités déformant notre capacité d’aimer et sur diverses formes de violence sexuelle qui nous conduisent à nous laisser traiter de manière inhumaine et à nuire aux autres.
283. Fréquemment, l’éducation sexuelle se focalise sur l’invitation à ‘‘se protéger’’, en cherchant du ‘‘sexe sûr’’. Ces expressions traduisent une attitude négative quant à la finalité procréatrice naturelle de la sexualité, comme si un éventuel enfant était un ennemi dont il faut se protéger. Ainsi, l’on promeut l’agressivité narcissique au lieu de l’accueil. Toute invitation faite aux adolescents pour qu’ils jouent avec leurs corps et leurs sentiments, comme s’ils avaient la maturité, les valeurs, l’engagement mutuel et les objectifs propres au mariage, est irresponsable. De cette manière, on les encourage allègrement à utiliser une autre personne comme objet pour chercher des compensations à des carences ou à de grandes limites. Il est important de leur enseigner plutôt un cheminement quant aux diverses expressions de l’amour, à l’attention réciproque, à la tendresse respectueuse, à la communication riche de sens. En effet, tout cela prépare au don de soi total et généreux qui s’exprimera, après un engagement public, dans le don réciproque des corps. L’union sexuelle dans le mariage se présentera ainsi comme signe d’un engagement plénier, enrichi par tout le cheminement antérieur.
284. Il ne faut pas tromper les jeunes en les conduisant à confondre les niveaux : l’attraction « crée, pour un moment, l’illusion de l’‘‘union’’, mais sans amour, une telle union laisse les inconnus aussi séparés qu’auparavant ».[303] Le langage du corps exige l’apprentissage patient qui permet d’interpréter et d’éduquer ses propres désirs pour se donner réellement. Lorsqu’on veut tout donner d’un coup, il est probable qu’on ne donne rien. Une chose est de comprendre les fragilités de l’âge ou ses confusions, et une autre d’encourager les adolescents à prolonger l’immaturité de leur façon d’aimer. Mais, qui parle aujourd’hui de ces choses ? Qui est capable de prendre les jeunes au sérieux ? Qui les aide à se préparer sérieusement à un amour grand et généreux ? On prend trop à la légère l’éducation sexuelle.
285. L’éducation sexuelle devrait inclure également le respect et la valorisation de la différence, qui montre à chacun la possibilité de surmonter l’enfermement dans ses propres limites pour s’ouvrir à l’acceptation de l’autre. Au-delà des difficultés compréhensibles que chacun peut connaître, il faut aider à accepter son propre corps tel qu’il a été créé, car « une logique de domination sur son propre corps devient une logique, parfois subtile, de domination sur la création […]. La valorisation de son propre corps dans sa féminité ou dans sa masculinité est aussi nécessaire pour pouvoir se reconnaître soi-même dans la rencontre avec celui qui est différent. De cette manière, il est possible d’accepter joyeusement le don spécifique de l’autre, homme ou femme, œuvre du Dieu créateur, et de s’enrichir réciproquement ».[304] Ce n’est qu’en se débarrassant de la peur de la différence qu’on peut finir par se libérer de l’immanence de son propre être et de la fascination de soi-même. L’éducation sexuelle doit aider à accepter son propre corps, en sorte que la personne ne prétende pas « effacer la différence sexuelle parce qu’elle ne sait plus s’y confronter ».[305]
286. On ne peut pas non plus ignorer que dans la configuration de sa propre manière d’être, féminine ou masculine, ne se rejoignent pas seulement des facteurs biologiques ou génétiques, mais de multiples éléments qui ont à voir avec le tempérament, l’histoire familiale, la culture, les expériences vécues, la formation reçue, les influences des amis, des proches et des personnes admirées, ainsi que d’autres circonstances concrètes qui exigent un effort d’adaptation. Certes, nous ne pouvons pas séparer le masculin du féminin dans l’œuvre créée par Dieu, qui précède toutes nos décisions et nos expériences, où il y a des éléments biologiques évidents. Mais il est aussi vrai que le masculin et le féminin ne sont pas quelque chose de rigide. Par conséquent, il est possible, par exemple, que la manière d’être homme du mari puissent s’adapter de manière flexible à la situation de l’épouse en ce qui concerne le travail. S’occuper de certains travaux de maison ou de certains aspects des soins aux enfants ne le rend pas moins masculin ni ne signifie un échec, une capitulation ni une honte. Il faut aider les enfants à considérer comme normaux ces sains ‘‘échanges’’, qui n’enlèvent aucune dignité à la figure paternelle. La rigidité devient une exagération du masculin ou du féminin, et n’éduque pas les enfants et les jeunes à une réciprocité concrète dans les conditions réelles du mariage. Cette rigidité, en retour, peut empêcher le développement des capacités de chacun, au point d’amener à considérer comme peu masculin de se dédier à l’art ou à la danse et peu féminin de s’adonner à une activité de conduite de voitures. Grâce à Dieu, cela a changé, mais à certains endroits, des conceptions inadéquates continuent de conditionner la liberté légitime et de mutiler le développement authentique de l’identité concrète des enfants ou de leurs potentialités.
Transmettre la foi
287. L’éducation des enfants doit être caractérisée par un cheminement de transmission de la foi, rendu difficile par le style de vie actuel, les horaires de travail, la complexité du monde contemporain où beaucoup vont à un rythme frénétique pour pouvoir survivre.[306] Toutefois, la famille doit continuer d’être le lieu où l’on enseigne à percevoir les raisons et la beauté de la foi, à prier et à servir le prochain. Cela commence par le baptême, où, comme disait saint Augustin, les mères qui conduisent leurs enfants « contribuent au saint enfantement »[307]. Ensuite, commence le cheminement de la croissance de cette vie nouvelle. La foi est un don de Dieu reçu au baptême, et elle n’est pas le résultat d’une action humaine ; cependant les parents sont des instruments de Dieu pour sa maturation et son développement. Donc, « c’est beau quand les mamans enseignent à leurs petits enfants à envoyer un baiser à Jésus ou à la Vierge. [Que] de tendresse se trouve en cela ! A ce moment le cœur des enfants se transforme en lieu de prière ».[308] La transmission de la foi suppose que les parents vivent l’expérience réelle d’avoir confiance en Dieu, de le chercher, d’avoir besoin de lui, car c’est uniquement ainsi qu’un âge à l’autre vantera ses œuvres, fera connaître ses prouesses (cf. Ps 145, 4) et que le père à ses fils fait connaître sa fidélité (cf. Is 38, 19). Cela demande que nous implorions l’action de Dieu dans les cœurs, là où nous ne pouvons parvenir. Le grain de moutarde, semence si petite, devient un grand arbre (cf. Mt 13, 31-32), et ainsi nous reconnaissons la disproportion entre l’action et son effet. Donc, nous savons que nous ne sommes pas les propriétaires du don mais ses administrateurs vigilants. Cependant notre engagement créatif est un don qui nous permet de collaborer à l’initiative de Dieu. Par conséquent, « il faut veiller à valoriser les couples, les mères et les pères, comme sujets actifs de la catéchèse […]. La catéchèse familiale est d’une grande aide, en tant que méthode efficace pour former les jeunes parents et pour les rendre conscients de leur mission comme évangélisateurs de leur propre famille ».[309]
288. L’éducation à la foi sait s’adapter à chaque enfant, car parfois les méthodes apprises ou les recettes ne fonctionnent pas. Les enfants ont besoin de symboles, de gestes, de récits. Les adolescents entrent généralement en crise par rapport à l’autorité et aux normes ; il convient donc d’encourager leurs propres expériences de foi et leur offrir des témoignages lumineux qui s’imposent par leur seule beauté. Les parents qui veulent accompagner la foi de leurs enfants sont attentifs à leurs changements, car ils savent que l’expérience spirituelle ne s’impose pas mais qu’elle se propose à leur liberté. Il est fondamental que les enfants voient d’une manière concrète que pour leurs parents la prière est réellement importante. Par conséquent, les moments de prière en famille et les expressions de la piété populaire peuvent avoir plus de force évangélisatrice que toutes les catéchèses et tous les discours. Je voudrais exprimer, de façon spéciale, ma gratitude à toutes les mères qui prient constamment, comme le faisait sainte Monique, pour leurs enfants qui se sont éloignés du Christ.
289. L’effort de transmettre la foi aux enfants, dans le sens de faciliter son expression et sa croissance, aide à ce que la famille devienne évangélisatrice, et commence spontanément à la transmettre à tous ceux qui s’approchent d’elle et même en dehors du cercle familial. Les enfants qui grandissent dans des familles missionnaires deviennent souvent missionnaires, si les parents vivent cette mission de telle manière que les autres les sentent proches et affables, et que les enfants grandissent dans cette façon d’entrer en relation avec le monde, sans renoncer à leur foi et à leurs convictions. Souvenons-nous que Jésus lui-même mangeait et buvait avec les pécheurs (cf. Mc 2, 16 ; Mt 11, 19), qu’il pouvait s’arrêter pour parler avec la samaritaine (cf. Jn 4, 7-26), et recevoir de nuit Nicodème (cf. Jn 3, 1-21), qu’il s’était fait oindre les pieds par une femme prostituée (cf. Lc 7, 36-50), et qu’il n’hésitait pas à toucher les malades (cf. Mc 1, 40-45 ; 7, 33). Ses apôtres faisaient de même ; ils n’étaient pas méprisants envers les autres, enfermés dans de petits groupes d’élite, isolés de la vie de leur peuple. Tandis que les autorités les accusaient, ils « avaient la faveur de tout le peuple » (Ac 2, 47; cf. 4, 21.33; 5, 13).
290. « La famille se constitue ainsi comme sujet de l’action pastorale à travers l’annonce explicite de l’Évangile et l’héritage de multiples formes de témoignage : la solidarité envers les pauvres, l’ouverture à la diversité des personnes, la sauvegarde de la création, la solidarité morale et matérielle envers les autres familles surtout les plus nécessiteuses, l’engagement pour la promotion du bien commun, notamment par la transformation des structures sociales injustes, à partir du territoire où elle vit, en pratiquant les œuvres de miséricorde corporelle et spirituelle ».[310] Cela doit se situer dans le cadre de la conviction la plus belle des chrétiens : l’amour du Père qui nous soutient et nous promeut, manifesté dans le don total de Jésus Christ, vivant parmi nous, qui nous rend capables d’affronter ensemble toutes les tempêtes et toutes les étapes de la vie. De même, au cœur de chaque famille il faut faire retentir le kérygme, à temps et à contretemps, afin qu’il éclaire le chemin. Tous, nous devrions pouvoir dire, à partir de ce qui est vécu dans nos familles : « Nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous » (1 Jn 4, 16). C’est seulement à partir de cette expérience que la pastorale familiale pourra permettre aux familles d’être à la fois des Églises domestiques et un ferment d’évangélisation dans la société.
HUITIÈME CHAPITRE
Accompagner, discerner et intégrer la fragilité
291. Les Père synodaux ont affirmé que, même si l’Église comprend que toute rupture du lien matrimonial « va à l’encontre de la volonté de Dieu, [elle] est également consciente de la fragilité de nombreux de ses fils ».[311] Illuminée par le regard de Jésus Christ, elle « se tourne avec amour vers ceux qui participent à sa vie de manière incomplète, tout en reconnaissant que la grâce de Dieu agit aussi dans leurs vies, leur donnant le courage d’accomplir le bien, pour prendre soin l’un de l’autre avec amour et être au service de la communauté dans laquelle ils vivent et travaillent ».[312] D’autre part, cette attitude se trouve renforcée dans le contexte d’une Année Jubilaire consacrée à la miséricorde. Bien qu’elle propose toujours la perfection et invite à une réponse plus pleine à Dieu, « l’Église doit accompagner d’une manière attentionnée ses fils les plus fragiles, marqués par un amour blessé et égaré, en leur redonnant confiance et espérance, comme la lumière du phare d’un port ou d’un flambeau placé au milieu des gens pour éclairer ceux qui ont perdu leur chemin ou qui se trouvent au beau milieu de la tempête ».[313] N’oublions pas que souvent la mission de l’Église ressemble à celle d’un hôpital de campagne.
292. Le mariage chrétien, reflet de l’union entre le Christ et son Église, se réalise pleinement dans l’union entre un homme et une femme, qui se donnent l’un à l’autre dans un amour exclusif et dans une fidélité libre, s’appartiennent jusqu’à la mort et s’ouvrent à la transmission de la vie, consacrés par le sacrement qui leur confère la grâce pour constituer une Église domestique et le ferment d’une vie nouvelle pour la société. D’autres formes d’union contredisent radicalement cet idéal, mais certaines le réalisent au moins en partie et par analogie. Les Pères synodaux ont affirmé que l’Église ne cesse de valoriser les éléments constructifs dans ces situations qui ne correspondent pas encore ou qui ne correspondent plus à son enseignement sur le mariage.[314]
La gradualité dans la pastorale
293. Les Pères se sont également penchés sur la situation particulière d’un mariage seulement civil ou même, toute proportion gardée, d’une pure cohabitation où « quand l’union atteint une stabilité consistante à travers un lien public, elle est caractérisée par une affection profonde, confère des responsabilités à l’égard des enfants, donne la capacité de surmonter les épreuves et peut être considérée comme une occasion à accompagner dans le développement menant au sacrement du mariage ».[315] D’autre part, il est préoccupant que de nombreux jeunes se méfient aujourd’hui du mariage et cohabitent en reportant indéfiniment l’engagement conjugal, tandis que d’autres mettent un terme à l’engagement pris et en instaurent immédiatement un nouveau. Ceux-là « qui font partie de l’Église ont besoin d’une attention pastorale miséricordieuse et encourageante ».[316] En effet, non seulement la promotion du mariage chrétien revient aux Pasteurs, mais aussi « le discernement pastoral des situations de beaucoup de gens qui ne vivent plus dans cette situation » pour « entrer en dialogue pastoral avec ces personnes afin de mettre en évidence les éléments de leur vie qui peuvent conduire à une plus grande ouverture à l’Évangile du mariage dans sa plénitude ».[317] Dans le discernement pastoral, il convient d’identifier « les éléments qui peuvent favoriser l’évangélisation et la croissance humaine et spirituelle ».[318]
294. « Le choix du mariage civil ou, dans différents cas, de la simple vie en commun, n’est dans la plupart des cas pas motivé par des préjugés ou des résistances à l’égard de l’union sacramentelle, mais par des raisons culturelles ou contingentes ».[319] Dans ces situations il sera possible de mettre en valeur ces signes d’amour qui, d’une manière et d’une autre, reflètent l’amour de Dieu.[320] Nous savons que « le nombre de ceux qui, après avoir vécu longtemps ensemble, demandent la célébration du mariage à l’Église, connaît une augmentation constante. Le simple concubinage est souvent choisi à cause de la mentalité générale contraire aux institutions et aux engagements définitifs, mais aussi parce que les personnes attendent d’avoir une certaine sécurité économique (emploi et salaire fixe). Dans d’autres pays, enfin, les unions de fait sont très nombreuses, non seulement à cause du rejet des valeurs de la famille et du mariage, mais surtout parce que se marier est perçu comme un luxe, en raison des conditions sociales, de sorte que la misère matérielle pousse à vivre des unions de fait ».[321] Mais « toutes ces situations doivent être affrontées d’une manière constructive, en cherchant à les transformer en occasions de cheminement vers la plénitude du mariage et de la famille à la lumière de l’Évangile. Il s’agit de les accueillir et de les accompagner avec patience et délicatesse ».[322] C’est ce qu’a fait Jésus avec la samaritaine (cf. Jn 4, 1-26) : il a adressé une parole à son désir d’un amour vrai, pour la libérer de tout ce qui obscurcissait sa vie et la conduire à la joie pleine de l’Évangile.
295. Dans ce sens, saint Jean-Paul II proposait ce qu’on appelle la ‘‘loi de gradualité’’, conscient que l’être humain « connaît, aime et accomplit le bien moral en suivant les étapes d’une croissance ».[323] Ce n’est pas une ‘‘gradualité de la loi’’, mais une gradualité dans l’accomplissement prudent des actes libres de la part de sujets qui ne sont dans des conditions ni de comprendre, ni de valoriser ni d’observer pleinement les exigences objectives de la loi. En effet, la loi est aussi un don de Dieu qui indique le chemin, un don pour tous sans exception qu’on peut vivre par la force de la grâce, même si chaque être humain « va peu à peu de l’avant grâce à l’intégration progressive des dons de Dieu et des exigences de son amour définitif et absolu dans toute la vie personnelle et sociale de l’homme ».[324]
Le discernement des situations dites ‘‘irrégulières’’[325]
296. Le Synode s’est référé à diverses situations de fragilité ou d’imperfection. À ce sujet, je voudrais rappeler ici quelque chose dont j’ai voulu faire clairement part à toute l’Église pour que nous ne nous trompions pas de chemin : « Deux logiques parcourent toute l’histoire de l’Église : exclure et réintégrer […]. La route de l’Église, depuis le Concile de Jérusalem, est toujours celle de Jésus : celle de la miséricorde et de l’intégration […]. La route de l’Église est celle de ne condamner personne éternellement ; de répandre la miséricorde de Dieu sur toutes les personnes qui la demandent d’un cœur sincère […Car] la charité véritable est toujours imméritée, inconditionnelle et gratuite ! »[326] Donc, « il faut éviter des jugements qui ne tiendraient pas compte de la complexité des diverses situations ; il est également nécessaire d’être attentif à la façon dont les personnes vivent et souffrent à cause de leur condition ».[327]
297. Il s’agit d’intégrer tout le monde, on doit aider chacun à trouver sa propre manière de faire partie de la communauté ecclésiale, pour qu’il se sente objet d’une miséricorde ‘‘imméritée, inconditionnelle et gratuite’’. Personne ne peut être condamné pour toujours, parce que ce n’est pas la logique de l’Évangile ! Je ne me réfère pas seulement aux divorcés engagés dans une nouvelle union, mais à tous, en quelque situation qu’ils se trouvent. Bien entendu, si quelqu’un fait ostentation d’un péché objectif comme si ce péché faisait partie de l’idéal chrétien, ou veut imposer une chose différente de ce qu’enseigne l’Église, il ne peut prétendre donner des cours de catéchèse ou prêcher, et dans ce sens il y a quelque chose qui le sépare de la communauté (cf. Mt 18, 17). Il faut réécouter l’annonce de l’Évangile et l’invitation à la conversion. Cependant même pour celui-là, il peut y avoir une manière de participer à la vie de la communauté, soit à travers des tâches sociales, des réunions de prière ou de la manière que, de sa propre initiative, il suggère, en accord avec le discernement du Pasteur. En ce qui concerne la façon de traiter les diverses situations dites ‘‘irrégulières’’, les Pères synodaux ont atteint un consensus général, que je soutiens : « Dans l’optique d’une approche pastorale envers les personnes qui ont contracté un mariage civil, qui sont divorcées et remariées, ou qui vivent simplement en concubinage, il revient à l’Église de leur révéler la divine pédagogie de la grâce dans leurs vies et de les aider à parvenir à la plénitude du plan de Dieu sur eux »,[328] toujours possible avec la force de l’Esprit Saint.
298. Les divorcés engagés dans une nouvelle union, par exemple, peuvent se retrouver dans des situations très différentes, qui ne doivent pas être cataloguées ou enfermées dans des affirmations trop rigides sans laisser de place à un discernement personnel et pastoral approprié. Une chose est une seconde union consolidée dans le temps, avec de nouveaux enfants, avec une fidélité prouvée, un don de soi généreux, un engagement chrétien, la conscience de l’irrégularité de sa propre situation et une grande difficulté à faire marche arrière sans sentir en conscience qu’on commet de nouvelles fautes. L’Église reconnaît des situations où « l’homme et la femme ne peuvent pas, pour de graves motifs – par exemple l’éducation des enfants -, remplir l’obligation de la séparation ».[329] Il y aussi le cas de ceux qui ont consenti d’importants efforts pour sauver le premier mariage et ont subi un abandon injuste, ou celui de « ceux qui ont contracté une seconde union en vue de l’éducation de leurs enfants, et qui ont parfois, en conscience, la certitude subjective que le mariage précédent, irrémédiablement détruit, n’avait jamais été valide ».[330] Mais autre chose est une nouvelle union provenant d’un divorce récent, avec toutes les conséquences de souffrance et de confusion qui affectent les enfants et des familles entières, ou la situation d’une personne qui a régulièrement manqué à ses engagements familiaux. Il doit être clair que ceci n’est pas l’idéal que l’Évangile propose pour le mariage et la famille. Les Pères synodaux ont affirmé que le discernement des Pasteurs doit toujours se faire « en distinguant attentivement »[331] les situations, d’un « regard différencié ». [332] Nous savons qu’il n’existe pas de « recettes simples ».[333]
299. J’accueille les considérations de beaucoup de Pères synodaux, qui sont voulu signaler que « les baptisés divorcés et remariés civilement doivent être davantage intégrés dans les communautés chrétiennes selon les diverses façons possibles, en évitant toute occasion de scandale. La logique de l’intégration est la clef de leur accompagnement pastoral, afin que non seulement ils sachent qu’ils appartiennent au Corps du Christ qu’est l’Église, mais qu’ils puissent en avoir une joyeuse et féconde expérience. Ce sont des baptisés, ce sont des frères et des sœurs, l’Esprit Saint déverse en eux des dons et des charismes pour le bien de tous. Leur participation peut s’exprimer dans divers services ecclésiaux : il convient donc de discerner quelles sont, parmi les diverses formes d’exclusion actuellement pratiquées dans les domaines liturgique, pastoral, éducatif et institutionnel, celles qui peuvent être dépassées. Non seulement ils ne doivent pas se sentir excommuniés, mais ils peuvent vivre et mûrir comme membres vivants de l’Église, la sentant comme une mère qui les accueille toujours, qui s’occupe d’eux avec beaucoup d’affection et qui les encourage sur le chemin de la vie et de l’Évangile. Cette intégration est nécessaire également pour le soin et l’éducation chrétienne de leurs enfants, qui doivent être considérés comme les plus importants ».[334]
300. Si l’on tient compte de l’innombrable diversité des situations concrètes, comme celles mentionnées auparavant, on peut comprendre qu’on ne devait pas attendre du Synode ou de cette Exhortation une nouvelle législation générale du genre canonique, applicable à tous les cas. Il faut seulement un nouvel encouragement au discernement responsable personnel et pastoral des cas particuliers, qui devrait reconnaître que, étant donné que « le degré de responsabilité n’est pas le même dans tous les cas »,[335] les conséquences ou les effets d’une norme ne doivent pas nécessairement être toujours les mêmes.[336] Les prêtres ont la mission « d’accompagner les personnes intéressées sur la voie du discernement selon l’enseignement de l’Église et les orientations de l’évêque. Dans ce processus, il sera utile de faire un examen de conscience, grâce à des moments de réflexion et de repentir. Les divorcés remariés devraient se demander comment ils se sont comportés envers leurs enfants quand l’union conjugale est entrée en crise ; s’il y a eu des tentatives de réconciliation ; quelle est la situation du partenaire abandonné ; quelles conséquences a la nouvelle relation sur le reste de la famille et sur la communauté des fidèles ; quel exemple elle offre aux jeunes qui doivent se préparer au mariage. Une réflexion sincère peut renforcer la confiance en la miséricorde de Dieu, qui n’est refusée à personne ».[337] Il s’agit d’un itinéraire d’accompagnement et de discernement qui « oriente ces fidèles à la prise de conscience de leur situation devant Dieu. Le colloque avec le prêtre, dans le for interne, concourt à la formation d’un jugement correct sur ce qui entrave la possibilité d’une participation plus entière à la vie de l’Église et sur les étapes à accomplir pour la favoriser et la faire grandir. Étant donné que, dans la loi elle-même, il n’y a pas de gradualité (cf. Familiaris consortio , n. 34), ce discernement ne pourra jamais s’exonérer des exigences de vérité et de charité de l’Évangile proposées par l’Église. Pour qu’il en soit ainsi, il faut garantir les conditions nécessaires d’humilité, de discrétion, d’amour de l’Église et de son enseignement, dans la recherche sincère de la volonté de Dieu et avec le désir de parvenir à y répondre de façon plus parfaite ».[338] Ces attitudes sont fondamentales pour éviter le grave risque de messages erronés, comme l’idée qu’un prêtre peut concéder rapidement des ‘‘exceptions’’, ou qu’il existe des personnes qui peuvent obtenir des privilèges sacramentaux en échange de faveurs. Lorsqu’on rencontre une personne responsable et discrète, qui ne prétend pas placer ses désirs au-dessus du bien commun de l’Église, et un Pasteur qui sait reconnaître la gravité de la question entre ses mains, on évite le risque qu’un discernement donné conduise à penser que l’Église entretient une double morale.
Les circonstances atténuantes dans le discernement pastoral
301. Pour comprendre de manière appropriée pourquoi un discernement spécial est possible et nécessaire dans certaines situations dites ‘‘irrégulières’’, il y a une question qui doit toujours être prise en compte, de manière qu’on ne pense jamais qu’on veut diminuer les exigences de l’Évangile. L’Église a une solide réflexion sur les conditionnements et les circonstances atténuantes. Par conséquent, il n’est plus possible de dire que tous ceux qui se trouvent dans une certaine situation dite ‘‘irrégulière’’ vivent dans une situation de péché mortel, privés de la grâce sanctifiante. Les limites n’ont pas à voir uniquement avec une éventuelle méconnaissance de la norme. Un sujet, même connaissant bien la norme, peut avoir une grande difficulté à saisir les « valeurs comprises dans la norme »[339] ou peut se trouver dans des conditions concrètes qui ne lui permettent pas d’agir différemment et de prendre d’autres décisions sans une nouvelle faute. Comme les Pères synodaux l’ont si bien exprimé, « il peut exister des facteurs qui limitent la capacité de décision ».[340] Saint Thomas d’Aquin reconnaissait déjà qu’une personne peut posséder la grâce et la charité, mais ne pas pouvoir bien exercer quelques vertus,[341] en sorte que même si elle a toutes les vertus morales infuses, elle ne manifeste pas clairement l’existence de l’une d’entre elles, car l’exercice extérieur de cette vertu est rendu difficile : « Quand on dit que des saints n’ont pas certaines vertus, c’est en tant qu’ils éprouvent de la difficulté dans les actes de ces vertus, mais ils n’en possèdent pas moins les habitudes de toutes les vertus ».[342]
302. En ce qui concerne ces conditionnements, le Catéchisme de l’Église catholique s’exprime clairement : « L’imputabilité et la responsabilité d’une action peuvent être diminuées voire supprimées par l’ignorance, l’inadvertance, la violence, la crainte, les habitudes, les affections immodérées et d’autres facteurs psychiques ou sociaux ».[343] Dans un autre paragraphe, il se réfère de nouveau aux circonstances qui atténuent la responsabilité morale, et mentionne, dans une gamme variée, « l’immaturité affective, […] la force des habitudes contractées, […] l’état d’angoisse ou [d’]autres facteurs psychiques ou sociaux ».[344] C’est pourquoi, un jugement négatif sur une situation objective n’implique pas un jugement sur l’imputabilité ou la culpabilité de la personne impliquée. [345] Au regard de ces convictions, je considère très approprié ce que beaucoup de Pères synodaux ont voulu soutenir : « Dans des circonstances déterminées, les personnes ont beaucoup de mal à agir différemment […]. Le discernement pastoral, tout en tenant compte de la conscience correctement formée des personnes, doit prendre en charge ces situations. Les conséquences des actes accomplis ne sont pas non plus nécessairement les mêmes dans tous les cas ».[346]
303. À partir de la reconnaissance du poids des conditionnements concrets, nous pouvons ajouter que la conscience des personnes doit être mieux prise en compte par la praxis de l’Église dans certaines situations qui ne réalisent pas objectivement notre conception du mariage. Évidemment, il faut encourager la maturation d’une conscience éclairée, formée et accompagnée par le discernement responsable et sérieux du Pasteur, et proposer une confiance toujours plus grande dans la grâce. Mais cette conscience peut reconnaître non seulement qu’une situation ne répond pas objectivement aux exigences générales de l’Évangile. De même, elle peut reconnaître sincèrement et honnêtement que c’est, pour le moment, la réponse généreuse qu’on peut donner à Dieu, et découvrir avec une certaine assurance morale que cette réponse est le don de soi que Dieu lui-même demande au milieu de la complexité concrète des limitations, même si elle n’atteint pas encore pleinement l’idéal objectif. De toute manière, souvenons-nous que ce discernement est dynamique et doit demeurer toujours ouvert à de nouvelles étapes de croissance et à de nouvelles décisions qui permettront de réaliser l’idéal plus pleinement.
Les normes et le discernement
304. Il est mesquin de se limiter seulement à considérer si l’agir d’une personne répond ou non à une loi ou à une norme générale, car cela ne suffit pas pour discerner et assurer une pleine fidélité à Dieu dans l’existence concrète d’un être humain. Je demande avec insistance que nous nous souvenions toujours d’un enseignement de saint Thomas d’Aquin, et que nous apprenions à l’intégrer dans le discernement pastoral : « Bien que dans les principes généraux, il y ait quelque nécessité, plus on aborde les choses particulières, plus on rencontre de défaillances […]. Dans le domaine de l’action, au contraire, la vérité ou la rectitude pratique n’est pas la même pour tous dans les applications particulières, mais uniquement dans les principes généraux ; et chez ceux pour lesquels la rectitude est identique dans leurs actions propres, elle n’est pas également connue de tous […]. Plus on entre dans les détails, plus les exceptions se multiplient ».[347] Certes, les normes générales présentent un bien qu’on ne doit jamais ignorer ni négliger, mais dans leur formulation, elles ne peuvent pas embrasser dans l’absolu toutes les situations particulières. En même temps, il faut dire que, précisément pour cette raison, ce qui fait partie d’un discernement pratique face à une situation particulière ne peut être élevé à la catégorie d’une norme. Cela, non seulement donnerait lieu à une casuistique insupportable, mais mettrait en danger les valeurs qui doivent être soigneusement préservées.[348]
305. Par conséquent, un Pasteur ne peut se sentir satisfait en appliquant seulement les lois morales à ceux qui vivent des situations ‘‘irrégulières’’, comme si elles étaient des pierres qui sont lancées à la vie des personnes. C’est le cas des cœurs fermés, qui se cachent ordinairement derrière les enseignements de l’Église « pour s’asseoir sur la cathèdre de Moïse et juger, quelquefois avec supériorité et superficialité, les cas difficiles et les familles blessées ».[349] Dans cette même ligne, s’est exprimée la Commission Théologique Internationale : « La loi naturelle ne saurait donc être présentée comme un ensemble déjà constitué de règles qui s’imposent a priori au sujet moral, mais elle est une source d’inspiration objective pour sa démarche, éminemment personnelle, de prise de décision ».[350] À cause des conditionnements ou des facteurs atténuants, il est possible que, dans une situation objective de péché – qui n’est pas subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement – l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse également grandir dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet effet l’aide de l’Église.[351] Le discernement doit aider à trouver les chemins possibles de réponse à Dieu et de croissance au milieu des limitations. En croyant que tout est blanc ou noir, nous fermons parfois le chemin de la grâce et de la croissance, et nous décourageons des cheminements de sanctifications qui rendent gloire à Dieu. Rappelons-nous qu’« un petit pas, au milieu de grandes limites humaines, peut être plus apprécié de Dieu que la vie extérieurement correcte de celui qui passe ses jours sans avoir à affronter d’importantes difficultés ».[352] La pastorale concrète des ministres et des communautés ne peut cesser de prendre en compte cette réalité.
306. En toute circonstance, face à ceux qui ont des difficultés à vivre pleinement la loi divine, doit résonner l’invitation à parcourir la via caritatis. La charité fraternelle est la première loi des chrétiens (cf. Jn 15, 12 ; Ga 5, 14). N’oublions pas la promesse des Écritures : « Avant tout, conservez entre vous une grande charité, car la charité couvre une multitude de péchés » (1P 4, 8). « Romps tes péchés par les œuvres de justice, et tes iniquités en faisant miséricorde aux pauvres » (Dn 4, 24). « L’eau éteint les flammes, l’aumône remet les péchés » (Si 3, 30). C’est aussi ce qu’enseigne saint Augustin : « Comme en danger d’incendie nous courons chercher de l’eau pour l’éteindre, […] de la même manière, si surgit de notre paille la flamme du péché et que pour cela nous en sommes troublés, une fois que nous est donnée l’occasion d’une œuvre de miséricorde, réjouissons-nous d’une telle œuvre comme si elle était une source qui nous est offerte pour que nous puissions étouffer l’incendie ».[353]
La logique de la miséricorde pastorale
307. Afin d’éviter toute interprétation déviante, je rappelle que d’aucune manière l’Église ne doit renoncer à proposer l’idéal complet du mariage, le projet de Dieu dans toute sa grandeur : « Les jeunes baptisés doivent être encouragés à ne pas hésiter devant la richesse que le sacrement du mariage procure à leurs projets d’amour, forts du soutien qu’ils reçoivent de la grâce du Christ et de la possibilité de participer pleinement à la vie de l’Église ».[354] La tiédeur, toute forme de relativisme, ou un respect excessif quand il s’agit de le proposer, seraient un manque de fidélité à l’Évangile et également un manque d’amour de l’Église envers ces mêmes jeunes. Comprendre les situations exceptionnelles n’implique jamais d’occulter la lumière de l’idéal dans son intégralité ni de proposer moins que ce que Jésus offre à l’être humain. Aujourd’hui, plus important qu’une pastorale des échecs est l’effort pastoral pour consolider les mariages et prévenir ainsi les ruptures.
308. Cependant, de notre prise de conscience relative au poids des circonstances atténuantes – psychologiques, historiques, voire biologiques – il résulte que « sans diminuer la valeur de l’idéal évangélique, il faut accompagner avec miséricorde et patience les étapes possibles de croissance des personnes qui se construisent jour après jour » ouvrant la voie à « la miséricorde du Seigneur qui nous stimule à faire le bien qui est possible ».[355] Je comprends ceux qui préfèrent une pastorale plus rigide qui ne prête à aucune confusion. Mais je crois sincèrement que Jésus Christ veut une Église attentive au bien que l’Esprit répand au milieu de la fragilité : une Mère qui, en même temps qu’elle exprime clairement son enseignement objectif, « ne renonce pas au bien possible, même [si elle] court le risque de se salir avec la boue de la route ».[356] Les Pasteurs, qui proposent aux fidèles l’idéal complet de l’Évangile et la doctrine de l’Église, doivent les aider aussi à assumer la logique de la compassion avec les personnes fragiles et à éviter les persécutions ou les jugements trop durs ou impatients. L’Évangile lui-même nous demande de ne pas juger et de ne pas condamner (cf. Mt 7, 1 ; Lc 6, 37). Jésus « attend que nous renoncions à chercher ces abris personnels ou communautaires qui nous permettent de nous garder distants du cœur des drames humains, afin d’accepter vraiment d’entrer en contact avec l’existence concrète des autres et de connaître la force de la tendresse. Quand nous le faisons, notre vie devient toujours merveilleuse ».[357]
309. Il est providentiel que ces réflexions aient lieu dans le contexte d’une Année Jubilaire consacrée à la miséricorde, car face également aux diverses situations qui affectent la famille, «l’Église a pour mission d’annoncer la miséricorde de Dieu, cœur battant de l’Évangile, qu’elle doit faire parvenir au cœur et à l’esprit de tous. L’Épouse du Christ adopte l’attitude du Fils de Dieu qui va à la rencontre de tous, sans exclure personne ».[358] Elle sait bien que Jésus lui-même se présente comme le Pasteur de cent brebis, non pas de quatre-vingt-dix-neuf. Il les veut toutes. Si on est conscient de cela, il sera possible qu’« à tous, croyants ou loin de la foi, puisse parvenir le baume de la miséricorde comme signe du Règne de Dieu déjà présent au milieu de nous ».[359]
310. Nous ne pouvons pas oublier que « la miséricorde n’est pas seulement l’agir du Père, mais elle devient le critère pour comprendre qui sont ses véritables enfants. En résumé, nous sommes invités à vivre de miséricorde parce qu’il nous a d’abord été fait miséricorde ».[360] Il ne s’agit pas d’une offre romantique ou d’une réponse faible face à l’amour de Dieu, qui veut toujours promouvoir les personnes, car « la miséricorde est le pilier qui soutient la vie de l’Église. Dans son action pastorale, tout devrait être enveloppé de la tendresse par laquelle on s’adresse aux croyants. Dans son annonce et le témoignage qu’elle donne face au monde, rien ne peut être privé de miséricorde ».[361] Certes, parfois « nous nous comportons fréquemment comme des contrôleurs de la grâce et non comme des facilitateurs. Mais l’Église n’est pas une douane, elle est la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile ».[362]
311. L’enseignement de la théologie morale ne devrait pas cesser d’intégrer ces considérations, parce que s’il est vrai qu’il faut préserver l’intégralité de l’enseignement moral de l’Église, on doit toujours mettre un soin particulier à souligner et encourager les valeurs plus hautes et centrales de l’Évangile, [363] surtout la primauté de la charité comme réponse à l’initiative gratuite de l’amour de Dieu. Parfois, il nous coûte beaucoup de faire place à l’amour inconditionnel de Dieu dans la pastorale. [364] Nous posons tant de conditions à la miséricorde que nous la vidons de son sens concret et de signification réelle, et c’est la pire façon de liquéfier l’Évangile. Sans doute, par exemple, la miséricorde n’exclut pas la justice et la vérité, mais avant tout, nous devons dire que la miséricorde est la plénitude de la justice et la manifestation la plus lumineuse de la vérité de Dieu. C’est pourquoi, il convient toujours de considérer que « toutes les notions théologiques qui, en définitive, remettent en question la toute-puissance de Dieu, et en particulier sa miséricorde, sont inadéquates ».[365]
312. Cela nous offre un cadre et un climat qui nous empêchent de développer une morale bureaucratique froide en parlant des thèmes les plus délicats, et nous situe plutôt dans le contexte d’un discernement pastoral empreint d’amour miséricordieux, qui tend toujours à comprendre, à pardonner, à accompagner, à attendre, et surtout à intégrer. C’est la logique qui doit prédominer dans l’Église, pour « faire l’expérience d’ouvrir le cœur à ceux qui vivent dans les périphéries existentielles les plus différentes ».[366] J’invite les fidèles qui vivent des situations compliquées, à s’approcher avec confiance de leurs pasteurs ou d’autres laïcs qui vivent dans le dévouement au Seigneur pour s’entretenir avec eux. Ils ne trouveront pas toujours en eux la confirmation de leurs propres idées ou désirs, mais sûrement, ils recevront une lumière qui leur permettra de mieux saisir ce qui leur arrive et pourront découvrir un chemin de maturation personnelle. Et j’invite les pasteurs à écouter avec affection et sérénité, avec le désir sincère d’entrer dans le cœur du drame des personnes et de comprendre leur point de vue, pour les aider à mieux vivre et à reconnaître leur place dans l’Église.
NEUVIÈME CHAPITRE
Spiritualité matrimoniale et familiale
313. La charité présente des nuances différentes, selon l’état de vie auquel chacun a été appelé. Il y a quelques décennies, lorsque le Concile Vatican II se référait à l’apostolat des laïcs, il soulignait la spiritualité qui jaillit de la vie familiale. Il affirmait que la spiritualité des laïcs « doit revêtir des caractéristiques particulières suivant les conditions de vie de chacun », y compris l’état de « vie conjugale et familiale » [367] et que les préoccupations familiales ne doivent pas être étrangères à leur style de vie spirituel.[368] Donc, il importe de nous arrêter brièvement à décrire certaines notes fondamentales de cette spiritualité spécifique qui se déploie dans le dynamisme des relations de la vie familiale.
Spiritualité de la communion surnaturelle
314. Nous avons toujours parlé de l’inhabitation divine dans le cœur de la personne qui vit dans sa grâce. Aujourd’hui, nous pouvons dire également que la Trinité est présente dans le temple de la communion matrimoniale. Tout comme elle habite dans les louanges de son peuple (cf. Ps 22, 4), elle vit intimement dans l’amour matrimonial qui lui rend gloire.
315. La présence du Seigneur se manifeste dans la famille réelle et concrète, avec toutes ses souffrances, ses luttes, ses joies et ses efforts quotidiens. Lorsqu’on vit en famille, il est difficile d’y feindre et d’y mentir ; nous ne pouvons pas porter un masque. Si l’amour anime cette authenticité, le Seigneur y règne avec sa joie et sa paix. La spiritualité de l’amour familial est faite de milliers de gestes réels et concrets. Dans cette variété de dons et de rencontres qui font mûrir la communion, Dieu établit sa demeure. Ce don de soi associe à la fois « l’humain et le divin »,[369] car il est plein de l’amour de Dieu. En définitive, la spiritualité matrimoniale est la spiritualité du lien habité par l’amour divin.
316. Une communion familiale bien vécue est un vrai chemin de sanctification dans la vie ordinaire et de croissance mystique, un moyen de l’union intime avec Dieu. En effet, les exigences fraternelles et communautaires de la vie en famille sont une occasion pour ouvrir de plus en plus le cœur, et cela rend possible une rencontre toujours plus pleine avec le Seigneur. La Parole de Dieu dit que « celui qui hait son frère est dans les ténèbres, il marche dans les ténèbres » (1 Jn 2, 11), « il demeure dans la mort » (1 Jn 3, 14) et « il n’a pas connu Dieu » (1 Jn 4, 8). Mon prédécesseur Benoît XVI a dit que « fermer les yeux sur son prochain rend aveugle aussi devant Dieu » [370] et que l’amour est au fond l’unique lumière « qui illumine sans cesse à nouveau un monde dans l’obscurité ».[371] C’est seulement « si nous nous aimons les uns les autres, [que] Dieu demeure en nous, [qu’]en nous son amour est accompli » (1 Jn 4,12). Puisque « la personne humaine a dans sa structure naturelle une dimension sociale » [372] et que « l’expression première et originelle de la dimension sociale de la personne, c’est le couple et la famille », [373] la spiritualité se concrétise dans la communion familiale. Donc, ceux qui sont animés de profonds désirs de spiritualité ne doivent pas croire que la famille les éloigne de la croissance dans la vie de l’Esprit, mais qu’elle constitue un chemin que le Seigneur choisit pour les conduire aux sommets de l’union mystique.
Ensemble en prière à la lumière de Pâques
317. Si la famille parvient à se concentrer dans le Christ, il unifie et illumine toute la vie familiale. Les douleurs et les angoisses sont vécues en communion avec la Croix du Seigneur, et l’embrasser permet d’affronter les pires moments. Dans les jours difficiles pour la famille, il y a une union avec Jésus abandonné qui peut aider à éviter une rupture. Les familles atteignent peu à peu, « avec la grâce de l’Esprit Saint, leur sainteté à travers la vie conjugale, en participant aussi au mystère de la croix du Christ, qui transforme les difficultés et les souffrances en offrande d’amour ».[374] D’autre part, les moments de joie, le repos ou la fête, et même la sexualité, sont vécus comme une participation à la vie pleine de sa Résurrection. Les conjoints constituent par divers gestes quotidiens ce « lieu théologal où l’on peut faire l’expérience de la présence mystique du Seigneur ressuscité ».[375]
318. La prière en famille est un moyen privilégié pour exprimer et renforcer cette foi pascale.[376] On peut réserver quelques minutes chaque jour afin d’être unis devant le Seigneur vivant, de lui dire les préoccupations, prier pour les besoins de la famille, prier pour quelqu’un qui traverse un moment difficile, afin de demander de l’aide pour aimer, rendre grâce pour la vie et pour les choses bonnes, pour demander à la Vierge de protéger par son manteau de mère. Par des mots simples, ce moment de prière peut faire beaucoup de bien à la famille. Les diverses expressions de la piété populaire sont un trésor de spiritualité pour de nombreuses familles. Le chemin communautaire de prière atteint son point culminant dans la participation à l’Eucharistie ensemble, surtout lors du repos dominical. Jésus frappe à la porte de la famille pour partager avec elle la cène eucharistique (cf. Ap 3, 20). Les époux peuvent toujours y sceller de nouveau l’alliance pascale qui les a unis et qui reflète l’Alliance que Dieu a scellée avec l’humanité à travers la Croix.[377] L’Eucharistie est le sacrement de la nouvelle Alliance où est actualisée l’action rédemptrice du Christ (cf. Lc 22, 20). Ainsi, on se rend compte des liens intimes existant entre la vie matrimoniale et l’Eucharistie.[378] La nourriture de l’Eucharistie est une force et un encouragement pour vivre chaque jour l’alliance matrimoniale comme « Église domestique ».[379]
Spiritualité de l’amour exclusif et libre
319. Dans le mariage, on vit également le sens de l’appartenance complète à une seule personne. Les époux assument ce défi et le désir de vieillir et de se consumer ensemble et ainsi ils reflètent la fidélité de Dieu. Cette ferme décision, qui caractérise un style de vie, est une « une exigence intérieure du pacte d’amour conjugal »,[380] car « il est difficile que celui qui ne décide pas d’aimer pour toujours, puisse aimer vraiment pour un seul jour ».[381] Mais cela n’aurait pas de sens spirituel s’il s’agissait uniquement d’une loi vécue avec résignation. C’est une appartenance du cœur, où Dieu seul voit (cf. Mt 5, 28). Chaque jour, en se réveillant, on renouvelle devant Dieu cette décision de fidélité, quoi qu’il arrive tout au long de la journée. Et chacun, lorsqu’il va dormir, espère se réveiller pour continuer cette aventure, en se recommandant à l’aide du Seigneur. Ainsi, chaque conjoint est pour l’autre un signe et un instrument de la proximité du Seigneur qui ne nous laisse pas seuls : « Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20).
320. Il y a un point où l’amour des conjoints atteint sa plus grande libération et devient un lieu d’autonomie saine : lorsque chacun découvre que l’autre n’est pas sien, mais qu’il a un maître beaucoup plus important, son unique Seigneur. Personne ne peut plus vouloir prendre possession de l’intimité plus personnelle et secrète de l’être aimé et seul le Seigneur peut occuper le centre de sa vie. En même temps, le principe de réalisme spirituel fait que le conjoint ne veut plus que l’autre satisfasse complètement ses besoins. Il faut que le cheminement spirituel de chacun – comme l’indiquait si bien Dietrich Bonhoeffer – l’aide à « se défaire de ses illusions » sur l’autre, [382] à cesser d’attendre de cette personne ce qui est uniquement propre à l’amour de Dieu. Cela exige un dépouillement intérieur. L’espace exclusif que chacun des conjoints réserve à ses relations dans la solitude avec Dieu, permet non seulement de guérir des blessures de la cohabitation, mais aussi permet de trouver dans l’amour de Dieu le sens de sa propre existence. Nous avons besoin d’invoquer chaque jour l’action de l’Esprit pour que cette liberté intérieure soit possible.
Spiritualité de l’attention, de la consolation et de l’encouragement
321. « Les époux chrétiens sont l’un pour l’autre, pour leurs enfants et les autres membres de leur famille, les coopérateurs de la grâce et les témoins de la foi ». [383] Dieu les appelle à procréer et à protéger. C’est pourquoi la famille « est depuis toujours l’‘‘hôpital’’ le plus proche ».[384] Prenons soin les uns des autres, soutenons-nous et encourageons-nous les uns les autres, et vivons tout cela comme faisant partie de notre spiritualité familiale. La vie en couple est une participation à l’œuvre féconde de Dieu, et chacun est pour l’autre une provocation permanente de l’Esprit. L’amour de Dieu trouve « une expression significative dans l’alliance nuptiale réalisée entre l’homme et la femme ».[385] Ainsi, les deux sont entre eux reflets de l’amour divin qui console par la parole, le regard, l’aide, la caresse, par l’étreinte. Voilà pourquoi « vouloir fonder une famille, c’est se décider à faire partie du rêve de Dieu, choisir de rêver avec lui, vouloir construire avec lui, se joindre à lui dans cette épopée de la construction d’un monde où personne ne se sentira seul ». [386]
322. Toute la vie de la famille est un ‘‘mener paître’’ miséricordieux. Chacun, avec soin, peint et écrit dans la vie de l’autre : « Notre lettre, c’est vous, une lettre écrite en nos cœurs […] écrite non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant » (2 Co 3, 2-3). Chacun est un « pêcheur d’hommes » (Lc 5, 10), qui au nom de Jésus jette les filets (cf. Lc 5, 5) dans les autres, ou un laboureur qui travaille cette terre fraîche que sont ses proches, en stimulant le meilleur en eux. La fécondité matrimoniale implique de promouvoir, car « aimer un être, c’est attendre de lui quelque chose d’indéfinissable, d’imprévisible ; c’est en même temps lui donner en quelque façon le moyen de répondre à cette attente ».[387] Il s’agit d’un culte à Dieu, parce que c’est lui qui a semé de nombreuses bonnes choses dans les autres en espérant que nous les fassions grandir.
323. C’est une profonde expérience spirituelle de contempler chaque proche avec les yeux de Dieu et de reconnaître le Christ en lui. Cela demande une disponibilité gratuite qui permette de valoriser sa dignité. On peut être pleinement présent à l’autre si l’on se donne, sans justification, en oubliant tout ce qu’il y a autour de soi. Ainsi, l’être aimé mérite toute l’attention. Jésus était un modèle, car lorsqu’une personne s’approchait pour parler avec lui, il arrêtait son regard, il regardait avec amour (cf. Mc 10, 21). Personne ne se sentait négligé en sa présence, puisque ses paroles et ses gestes étaient l’expression de cette question : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » (Mc 10, 51). Cela est vécu dans la vie quotidienne de la famille. Là, nous nous souvenons que cette personne vivant avec nous mérite tout, puisqu’elle possède une dignité infinie parce qu’elle est objet de l’amour immense du Père. Ainsi jaillit la tendresse, capable de « susciter en l’autre la joie de se sentir aimé. Elle s’exprime en particulier en se tournant avec attention et délicatesse vers l’autre dans ses limites, spécialement quand elles apparaissent de façon évidente ».[388]
324. Sous l’impulsion de l’Esprit, le cercle familial non seulement accueille la vie en la procréant dans son propre sein, mais il s’ouvre, sort de soi pour répandre son bien sur d’autres, pour les protéger et chercher leur bonheur. Cette ouverture se révèle surtout dans l’hospitalité,[389] encouragée par la Parole de Dieu d’une manière suggestive : « N’oubliez pas l’hospitalité, car c’est grâce à elle que quelques-uns, à leur insu, hébergèrent des anges » (He 13, 2). Lorsque la famille accueille et va vers les autres, surtout vers les pauvres et les abandonnés, elle est « symbole, témoignage, participation de la maternité de l’Église ».[390] L’amour social, reflet de la Trinité, est en réalité ce qui unifie le sens spirituel de la famille et sa mission extérieure, car elle rend présent le kérygme avec toutes ses exigences communautaires. La famille vit sa spiritualité en étant en même temps une Église domestique et une cellule vitale pour transformer le monde.[391]
***
325. Les paroles du Maître (cf. Mt 22, 30) et celles de saint Paul (cf. 1 Cor 7, 29-31) sur le mariage sont insérées – et ce n’est pas un hasard – dans l’ultime et définitive dimension de notre existence, que nous avons besoin de revaloriser. Ainsi, les mariages pourront reconnaître le sens du chemin qu’ils parcourent. En effet, comme nous l’avons rappelé plusieurs fois dans cette Exhortation, aucune famille n’est une réalité céleste et constituée une fois pour toutes, mais la famille exige une maturation progressive de sa capacité d’aimer. Il y a un appel constant qui vient de la communion pleine de la Trinité, de la merveilleuse union entre le Christ et son Église, de cette communauté si belle qu’est la famille de Nazareth et de la fraternité sans tache qui existe entre les saints du ciel. Et, en outre, contempler la plénitude que nous n’avons pas encore atteinte, nous permet de relativiser le parcours historique que nous faisons en tant que familles, pour cesser d’exiger des relations interpersonnelles une perfection, une pureté d’intentions et une cohérence que nous ne pourrons trouver que dans le Royaume définitif. De même, cela nous empêche de juger durement ceux qui vivent dans des conditions de grande fragilité. Tous, nous sommes appelés à maintenir vive la tension vers un au-delà de nous-mêmes et de nos limites, et chaque famille doit vivre dans cette stimulation constante. Cheminons, familles, continuons à marcher ! Ce qui nous est promis est toujours plus. Ne désespérons pas à cause de nos limites, mais ne renonçons pas non plus à chercher la plénitude d’amour et de communion qui nous a été promise.
Prière à la Sainte Famille
Jésus, Marie et Joseph
en vous, nous contemplons la splendeur de l’amour vrai,
en toute confiance nous nous adressons à vous.
Sainte Famille de Nazareth,
fais aussi de nos familles
un lieu de communion et un cénacle de prière,
d’authentiques écoles de l’Évangile
et de petites Églises domestiques.
Sainte Famille de Nazareth,
que plus jamais il n’y ait dans les familles
des scènes de violence, d’isolement et de division ;
que celui qui a été blessé ou scandalisé
soit, bientôt, consolé et guéri.
Sainte Famille de Nazareth,
fais prendre conscience à tous
du caractère sacré et inviolable de la famille,
de sa beauté dans le projet de Dieu.
Jésus, Marie et Joseph,
Écoutez, exaucez notre prière
Amen !
Donné à Rome, près de Saint Pierre, à l’occasion du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde, le 19 mars, Solennité de saint Joseph, de l’an 2016, le quatrième de mon Pontificat.
Franciscus
[291] Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 222 : AAS 105 (2013), p. 1111.
[292] Catéchèse (20 mai 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 21 mai 2015, p. 2.
[293] Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 17.
[294] Catéchèse (30 septembre 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 1er octobre 2015, p. 2.
[295] Catéchèse (10 juin 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 11 juin 2015, p. 2.
[296] Cf. Relatio finalis 2015, n. 67.
[297] Catéchèse (20 mai 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 21 mai 2015, p. 2.
[298] Catéchèse (9 septembre 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 10 septembre 2015, p. 2.
[299] Relatio finalis 2015, n. 68.
[300] Ibid, n. 58.
[301] Déclaration Gravissimum educationis, sur l’éducation chrétienne, n. 1.
[302] Relatio finalis 2015, n. 56.
[303] eriCh fromm, The Art of loving, New York 1956, p. 54.
[304] Lettre enc. Laudato siʼ (24 mai 2015), n. 155.
[305] Catéchèse (15 avril 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 16 avril 2015), p. 2.
[306] Cf. Relatio finalis 2015, nn. 13-14.
[307] De sancta virginitate, 7, 7 : PL 40, 400.
[308] Catéchèse (26 août 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 27 août 2015), p. 2.
[309] Relatio finalis 2015, n. 89.
[310] Ibid, n. 93.
[311] Relatio Synodi 2014, n. 24.
[312] Ibid, n. 25.
[313] Ibid, n. 28.
[314] Cf. Ibid, n. 41.43 ; Relatio finalis 2015, n. 70.
[315] Ibid, n. 27.
[316] Ibid, n. 26.
[317] Ibid, n. 41.
[318] Ibid.
[319] Relatio finalis 2015, n. 71.
[320] Cf. Ibid.
[321] Relatio Synodi 2014, n. 42.
[322] Ibid, n. 43
[323] Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 34 : AAS 74 (1982), p. 123.
[324] Ibid, n. 9 : AAS 74 (1982), p. 90.
[325] Cf. Catéchèse (24 juin 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 25 juin 2015, p. 2.
[326] Homélie à l’occasion de l’Eucharistie célébrée avec les nouveaux cardinaux (15 février 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 19 février 2015, p. 8.
[327] Relatio finalis 2015, n. 51.
[328] Relatio Synodi 2014, n. 25.
[329] Jean-Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 84 : AAS 74 (1982), p. 186. Dans ces situations, connaissant et acceptant la possibilité de cohabiter ‘‘comme frère et sœur’’ que l’Église leur offre, beaucoup soulignent que s’il manque certaines manifestations d’intimité «la fidélité peut courir des risques et le bien des enfants être compromis » (Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 51).
[330] Jean-Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 84 : AAS 74 (1982), p. 186.
[331] Relatio Synodi 2014, n. 26.
[332] Ibid, n. 45.
[333] benoît xvi, Discours à la VIIème Rencontre Mondiale des Familles, Milan (2 juin 2012), réponse n. 5 : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 7 juin 2012, p. 11.
[334] Relatio finalis 2015, n. 84.
[335] Ibid, n. 51.
[336] Pas davantage en ce qui Concerne la discipline sacramentelle, étant donné que le discernement peut reconnaître que dans une situation particulière il n’y a pas de faute grave. Ici, s’applique ce que j’ai affirmé dans un autre document : cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), nn. 44.47 : AAS 105 (2013), pp. 1038.1040.
[337] Relatio finalis 2015, n. 85.
[338] Ibid, n. 86.
[339] Jean-Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 33 : AAS 74 (1982), p. 121.
[340] Relatio finalis 2015, n. 51.
[341] Cf. Somme Théologique I-II, q. 65, art. 3, ad. 2 ; De Malo, q. 2, a. 2.
[342] Ibid, ad 3.
[343] N. 1735.
[344] Cf. Ibid, n. 2352 ; cf. ConGréGation Pour La doCtrine de La foi, Déclaration Iura et bona, sur l’euthanasie (5 mai 1980), II : AAS 72 (1980), p. 546. Jean-Paul II, critiquant la catégorie de l’“option fondamentale”, reconnaissait que « sans aucun doute il peut y avoir des situations très complexes et obscures sur le plan psychologique, qui ont une incidence sur la responsabilité subjective du pécheur » : Exhort. ap. ReConciliatio et paenitentia (2 décembre 1984), n. 17 : AAS 77 (1985), p. 223.
[347] Somme Théologique I-II, q. 94, art. 4.
[348] Dans un autre texte, en se référant à la connaissance Générale de la norme et à la connaissance particulière du discernement pratique, saint Thomas arrive à affirmer que « s’il n’y a qu’une seule des deux connaissances, il est préférable que ce soit la connaissance de la réalité particulière qui s’approche plus de l’agir » : Thomas d’Aquin, Sententia libri Ethicorum, vi, 6 (éd. Leonina, t. XLVII, p. 354).
[349] Discours à l’occasion de la clôture de la XIVème Assemblée générale ordinaire du Synode des Evêques (24 octobre 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 29 octobre 2015, p. 8.
[350] À la recherche d’un éthique universelle : nouveau regard sur la loi naturelle (2009), n. 59.
[351] Dans certains cas, il peut s’agir aussi de l’aide des sacrements. Voilà pourquoi, « aux prêtres je rappelle que le confessionnal ne doit pas être une salle de torture mais un lieu de la miséricorde du Seigneur » : Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 44 : AAS 105 (2013), p. 1038. Je souligne également que l’Eucharistie « n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles » (Ibid, n. 47 : p. 1039).
[352] Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 44 : AAS 105 (2013), pp. 1038-1039.
[353] De catechizandis rudibus, I, 14, 22 : PL 40, 327 ; cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 193 : AAS 105 (2013), p. 1101.
[354] Relatio Synodi 2014, n. 26.
[355] Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n.44 : AAS 105 (2013), p. 106.
[356] Ibid, n. 45 : AAS 105 (2013), p. 1039.
[357] Ibid, n. 270 : AAS 105 (2013), p. 1128.
[358] Bulle Misericordiae Vultus (11 avril 2015), n. 12 : ASS 107 (2015), p. 407.
[359] Ibid, n. 5 : p. 402.
[360] Ibid, n. 9 : p. 405.
[361] Ibid, n. 10: p. 406.
[362] Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n.47 : AAS 105 (2013), p. 108.
[363] Cf. Ibid, nn. 36-37: AAS 105 (2013), p. 1035.
[364] Peut-être par scrupule, sous couvert d’un grand souci de fidélité à la vérité, certains prêtres exigent-t-ils des pénitents une promesse d’amendement sans aucune ombre, et ainsi la miséricorde est ensevelie par la recherche d’une justice supposée pure. À ce sujet, il vaut la peine de rappeler l’enseignement de saint Jean-Paul II qui a affirmé que la probabilité d’une nouvelle chute « ne nuit pas à l’authenticité de la résolution » : (Lettre au Card. William W. Baum à l’occasion du cours annuel sur le for interne organisé par la Pénitencerie Apostolique (22 mars 1996), n. 5 : Insegnamenti, XIX, 1 [1996], p. 589).
[365] Commission théoLoGique internationaLe, L’espérance de salut pour les enfants qui meurent sans baptême (19 avril 2007), n. 2.
[366] Bulle Misericordiae Vultus (11 avril 2015), n. 15 : ASS 107 (2015), p. 409.
[367] Décr. Apostolicam actuositatem, sur l’apostolat des laïcs, n. 4.
[368] Cf. Ibid.
[369] Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 49.
[370] Lettre enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), n. 16 : AAS 98 (2006), p. 230.
[371] Ibid, n. 39 : AAS 98 (2006), p. 250.
[372] Jean-Paul II, Exhort. ap. post-syn. Christifideles laici (30 décembre 1988), n. 40 : AAS 81 (1989), p. 468.
[373] Ibid.
[374] Relatio finalis 2015, n. 87.
[375] Jean-Paul II, Exhort. ap. post-syn. Vita consecrata (25 mars 1996), n. 42 : AAS 88 (1996), p. 416.
[376] Cf. Relatio finalis 2015, n. 87.
[377] Cf. Jean-Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 57 : AAS 74 (1982), p. 150.
[378] N’oublions pas que l’Alliance de Dieu avec son peuple est désignée comme des fiançailles (cf. Ez 16, 8.60 ; Is 62, 5 ; Os 2, 21-22), et la nouvelle Alliance est également présentée comme un mariage (cf. Ap 19, 7 ; 21,2 ; Ep 5, 25).
[379] Conc. Œcum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, sur l’Église, n. 11.
[380] Jean-Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 11 : AAS 74 (1982), p. 93.
[381] id, Homélie à l’occasion de l’Eucharistie célébrée pour les familles à Córdoba – Argentine (8 avril 1987), n. 4 : Insegnamenti 10/1 (1987), pp. 1161-1162.
[382] Cf. Gemeinsames Leben, Müchen 1973, p. 18.
[383] Conc. Œcum. Vat. II, Décr. Apostolicam actuositatem, sur l’apostolat des laïcs, n. 11.
[384] Catéchèse (10 juin 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 11 juin 2015, p. 2.
[385] Jean-Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 12 : AAS 74 (1982), p. 93.
[386] Discours à la Fête des Familles et la veillée de prière, Philadelphie (26 septembre 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 8 octobre 2015, p. 12.
[387] GabrieL marCeL, Homo viator : prolégomènes à une métaphysique de l´espérance, (Aubier Edition Montaigne) Paris 1944, p. 63.
[388] Relatio finalis 2015, n. 88.
[389] Cf. Jean-Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 44 : AAS 74 (1982), p. 136.
[390] Ibid, n. 49 : AAS 74 (1982), p. 141.
[391] En ce qui concerne les dimensions sociales de la famille, cf. Conseil Pontifical « JustiCe et Paix », Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, nn. 248-254.