Étudiants : une précarité matérielle, relationnelle et de formation
Face aux détresses des étudiants, les services diocésains de pastorale des jeunes partagent tous les mêmes constats. Les équipes s’organisent et s’engagent pour développer une présence auprès des étudiants, les soutenir et les encourager. Exemples à Lyon et à Toulouse. Par Florence de Maistre.
“La pression des études et l’incertitude quant à l’avenir sont le lot de tous les étudiants. Ils en sont, en temps ordinaire, déjà bien préoccupés. Aujourd’hui la situation sanitaire les empêche de trouver un équilibre auprès de leurs amis, en faisant de nouvelles rencontres, en fréquentant les lieux sympas de la vie étudiante. À Lyon, nous sommes marqués par la tentative de suicide de deux jeunes en Fac de droit, à trois jours d’écart, début janvier”, indique Clémence Pasquier, coordinatrice des projets étudiants de la pastorale du diocèse de Lyon. La précarité matérielle des jeunes s’installe, avec une recrudescence du nombre de ceux qui font appel à l’aide alimentaire, mais elle reste taboue. La précarité relationnelle, elle, ne l’est plus, tant elle touche largement. Selon les chiffres du sondage Ifop du 23 janvier dernier, 28 % des 18-24 ans indiquent se sentir toujours ou souvent seuls et les trois-quarts d’entre eux font souvent ou parfois l’expérience de la solitude. Contrairement aux idées reçues, ils en souffrent davantage (27 %) que leurs aînés (10 % pour les 65-74 ans).
La situation reste difficile pour tous les étudiants, même pour ceux qui ont déjà expérimenté le premier confinement l’an dernier. Elle est évidemment encore plus compliquée pour les nouveaux, ceux qui changent d’université (première année de master) et les étudiants étrangers. Clémence Pasquier de penser à cette jeune interne en médecine, encore étudiante, nouvellement arrivée à Lyon en novembre pendant le confinement. Avec le couvre-feux qui a suivi, elle n’a, en dehors de l’hôpital, aucune possibilité de créer un réseau de connaissances.
“Je vois des jeunes qui s’isolent de plus en plus. L’un d’eux me disait qu’après 39 heures de cours en visio cette semaine, il ne pouvait plus rien faire d’autre. Ils se mettent beaucoup de pression. Il faut avoir de la vertu pour suivre des cours parfois très techniques, de façon théorique par écrans interposés pendant un an ! Nombreux sont ceux qui décrochent. Ils perdent le goût des études et le sens de l’effort. Ils ont l’impression d’en faire déjà d’énormes pour survivre”, lance l’abbé Damien Verley, responsable de la pastorale étudiante de Toulouse. Quelles qu’en soient les raisons, rupture amoureuse, conflit familial, dépression, les risques de décrochage sont, cette année, tels que le recteur de l’académie d’Aix-Marseille a alerté Mgr Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, sollicitant l’aide de l’Église pour soutenir et accompagner les jeunes qui quittent leurs études en cours de formation. Des projets sont en cours d’élaboration, dont un soutenu par les enseignants de l’enseignement catholique diocésain. Victoire de Lamotte, membre de la pastorale étudiante à Rennes relève : “Oui, nous voyons des étudiants déprimés et nous sommes démunis face à la situation. Nous voyons aussi ceux qui ne baissent pas les bras et se battent. Ils sont plein d’espérance et nous encouragent !”
A Lyon, rompre l'isolement des jeunes
Quelques mots de bienveillance, une note gourmande, un contact si besoin pour se changer les idées : l’initiative de la pastorale étudiante à Lyon, ouverte à tous les étudiants, est aussi portée dans la prière. Par Florence de Maistre
“Nous agissons avec les mouvements et services de nos réseaux. Nous sommes dans l’accompagnement. Face à la situation actuelle, nous avons choisi de réfléchir différemment et d’envoyer une bouteille à la mer”, explique Clémence Pasquier, membre de la pastorale étudiante de Lyon. Ou plutôt des lettres et des boîtes de chocolat ! Une grande journée de prière et d’adoration pour les étudiants, avec une messe présidée par Mgr Olivier de Germay, archevêque de Lyon, a été proposée le 21 janvier en l’église Saint-André de La Guillotière. Même jour, même lieu : lancement de l’opération de parrainage pour rompre l’isolement des jeunes.
À peine trois jours avant, un appel aux diocésains a été lancé. Pour exprimer leur soutien aux étudiants, toutes les bonnes volontés ont été invitées à écrire quelques mots, un “je pense à toi”, sans connaître le destinataire, catholique ou non, en y joignant si possible une boîte de douceurs. Seuls engagements à tenir : indiquer un moyen de contact, proposer un temps d’échange ou de rencontre, et se rendre disponible en cas de réponse.
“C’était le jeudi de la manifestation étudiante en Auvergne-Rhône-Alpes. Le mot est passé ! L’église est en plein quartier populaire. Elle donne juste sur l’arrêt de tram, dès que ses portes sont ouvertes des passants entrent”, précise la coordinatrice des projets étudiants. Dans l’après-midi, un jeune musulman a demandé l’autorisation d’entrer. Après un échange avec l’équipe d’accueil, il est reparti avec son petit colis solidaire. À l’intérieur : une lettre d’encouragement, une boîte de chocolat, ainsi qu’une feuille d’information du Crous mentionnant toutes les structures d’aide et de soutien matériel ou psychologique. Une quarantaine de colis ont été reçus et donnés ce jour-là. Depuis tous les jeudis de 12 h 00 à 14 h 00, une équipe se tient, disponible, à l’accueil de l’église et plus de 220 colis ont déjà été offerts. Pendant les vacances de février, l’équipe jeune de la Société Saint-Vincent de Paul tiendra des permanences pour l’épicerie solidaire dans cette même église et distribuera sans doute les derniers colis.
Oser la fraternité
En amont de la démarche, Clémentine Pasquier est allée à la rencontre des syndicats étudiants pour sonder leurs états d’esprit et leurs besoins, sûre qu’elle pouvait mobiliser des familles et des jeunes déjà engagés. L’organisation d’une distribution de panier-repas a été évoquée. Seulement, la pastorale étudiante ne dispose pas d’une logistique efficace en la matière, contrairement aux épiceries solidaires dont elle relaie les initiatives. “Symboliquement, nous avons souhaité offrir la boîte de chocolat avec la lettre, ça fait toujours plaisir ! Nous avons cherché à créer les conditions d’un lien fraternel. Nous, chrétiens, avons la chance de vivre en communauté à la différence de nombreux étudiants isolés et nous avons souhaité leur faire bénéficier de notre fraternité au-delà de nos cercles habituels”, souligne Clémence Pasquier.
L’équipe de la pastorale étudiante ne connaît pas le nombre et les relations qui ont été nouées par son entremise. L’étudiant recevant le colis étant libre de sa réponse, de développer un lien ou non. Certaines lettres ont été adressées par mail à l’équipe, à charge pour elle de les mettre en forme. Leurs teneurs sont très variables. Certains évoquent leurs propres années estudiantines, se présentent rapidement, partagent quelques mots sur leurs quotidiens et leurs préoccupations. Près de la moitié des auteurs sont des étudiants. Il y a aussi des familles qui ajoutent des dessins d’enfant et des personnes âgées, venues déposer leurs colis discrètement. “La plupart des participants sont largement inquiets de la situation sans savoir comment agir. Les jeunes qui reçoivent les colis nous remercient autant que ceux qui les déposent ! C’est très encourageant et très touchant : les gens n’attendent que de se mettre à la disposition de ceux qui en ont besoin ! La solidarité est toujours en question. Au-delà de la pandémie, la précarité étudiante se généralise et ne fait que commencer”, alerte Clémence Pasquier. D’évoquer encore les mots du pape dans son encyclique Fratelli tutti : “Notre existence à tous est profondément liée à celle des autres : la vie n’est pas un temps qui s’écoule, mais un temps de rencontre.”
À Toulouse : l’audace fraternelle
Un accompagnement attentif, une solide formation et l’envoi en mission : les trois piliers de la pastorale étudiante à Toulouse servent toute la communauté estudiantine. Par Florence de Maistre
“Pour mieux répondre aux besoins des étudiants, je crois profondément qu’il faut d’abord mieux les accompagner sur leurs lieux de vie”, commence l’abbé Damien Verley, nommé depuis l’an dernier responsable de la pastorale étudiante pour le diocèse de Toulouse. Son constat est simple : nombre de colocations étudiantes n’ont pas survécu au premier confinement du printemps dernier. Certains vivant parfois côte à côte, de façon sinistre, sans rien partager. D’autres forcés de supporter les relations intimes des camarades de chambrées. Le tout tournant au cauchemar. Deux fraternités, c’est-à-dire des étudiants qui partagent une vie commune et de prière, accompagnés par un prêtre et une famille, au service de la pastorale existaient déjà l’an dernier. Elles ont été doublées. Une quarantaine d’autres colocations a été développée et concerne environ 200 jeunes, qui bénéficient également d’un accompagnement privilégié. “Je suis allé dans chaque lieu de vie pour bénir les appartements et mettre le Bon Dieu chez les étudiants au cœur du confinement en novembre dernier. J’ai également intronisé chez eux Notre-Dame de La Daurade, protectrice de Toulouse et église de la paroisse étudiante”, poursuit l’abbé.
S’encourager mutuellement
Le deuxième point d’attention particulier de l’équipe de la pastorale étudiante à Toulouse touche à la formation des jeunes. “Il s’agit de permettre à tous d’avancer sur le chemin de la sainteté, de mieux vivre ensemble, de se stimuler”, précise le curé de la paroisse étudiante. Comme dans de nombreux autres diocèses, les groupes de jeunes, mouvements et services d’Église traversent une période d’hibernation, certains adaptant leurs actions à la situation sanitaire tant bien que mal. D’autres se développent, comme ici l’équipe des catéchumènes qui compte vingt-cinq étudiants. “Je reçois de nombreuses demandes de baptême. Avec ces jeunes, nous proposons un déjeuner tous les mardis. Il est préparé par des bonnes volontés qui se sont manifestées pour rendre service. Nous avons aussi des rencontres en visio, mais nous essayons d’éviter ce mode, c’est un non-sens pour ceux qui luttent tous les jours afin de suivre leurs cours ainsi », indique l’abbé Damien Verley.
La vie interne, préservée, de la paroisse étudiante a permis le lancement début janvier d’un groupe de jeunes hommes “Exodus 90” : un soutien spirituel pour gagner en liberté et lutter contre les addictions aux écrans ou à la pornographie. Autre idée d’encouragement : le parrainage entre étudiants “ange-gardien” pendant l’Avent ou les prochains “copains de Carême”. Chacun est invité à prier et veiller sur une personne attribuée. Il est également possible de demander cette attention. À l’occasion de l’Épiphanie, une soixantaine de jeunes s’est réunie et les anges-gardiens se sont révélés. “C’était un lieu de joie assez extraordinaire ! Nous sommes en train de lancer copain de Carême : nous avons quelque chose à jouer pour éviter la solitude affective et permettre de vraies rencontres”, partage l’abbé Damien Verley. La solidarité avec les plus démunis n’est pas en reste. Les maraudes organisées en lien avec la Société Saint-Vincent de Paul et l’Ordre de Malte rassemblent des étudiants de plus en plus nombreux, heureux de sortir et de servir !
Porter l’espérance
L’évangélisation est le troisième pilier de la pastorale étudiante toulousaine. La cité universitaire est le lieu de mission des jeunes. À Noël, ils ont cuisiné et confectionné des coffrets cadeaux, qu’ils sont allés offrir, avec les dons d’autres paroisses, aux étudiants, qui restaient sur place pour les fêtes. Le tout, en proposant la messe de Noël et un réveillon solidaire. “Cette démarche a été une source de joie immense ! Ils ont tous été accueillis très positivement ! Nous avons décidé de recommencer avec chaque spécialité culinaire en lien avec le temps liturgique”, sourit le responsable de la pastorale étudiante. Le samedi précédant la Chandeleur, les missionnaires sont allés frapper aux portes des chambres et inviter à descendre dans le hall. Là, des crêpes attendaient les étudiants ! En amont, les voisins de la paroisse étudiante avaient gracieusement déposé tous les ingrédients nécessaires à la préparation. L’opération devrait être réitérée pour la mi-carême. “C’est un apostolat d’amitié ! Nous avons l’espérance et une communauté, ce que les autres n’ont pas. Si nous n’allions pas à leur rencontre, ce serait de la non-assistance à personne en danger”, assure l’abbé. D’évoquer, choqué, les nombreuses demandes d’entretien qu’il reçoit et les questions liées au suicide, à l’avortement, au ras-le-bol des études et du contexte politique, au mal-être des camarades voire à leur changement de sexe.
“La période que nous traversons est malsaine. Il y a une tendance des jeunes à s’enfermer chez eux, le confinement ne fait qu’entériner une situation de fait. Il est urgent de sortir !”, lance le responsable des étudiants qui a choisi d’arrêter de publier des vidéos et invite à “être alternatif et remettre du réel dans les relations”. Avec les jeunes, il multiplie les virées à la mer, à la montagne, dans le village de François près de Toulouse. Et ce 13 février, grâce à des voitures et minibus prêtés par des familles, c’est à Lourdes qu’il appelle les jeunes pour confier tous les étudiants à Notre-Dame. L’abbé Damien Verley insiste : “Les étudiants catholiques se mettent en mode survie. Il faut les pousser à être audacieux, les envoyer au service des autres étudiants ! Cela peut être source de quelques frictions, mais ils découvrent une joie immense. Nous avons la chance de les voir se révéler, se redéployer”.