Interview de Mgr Emmanuel Lafont, évêque de Cayenne

Comme ses prédécesseurs restés longtemps en poste, Monseigneur Lafont connait très bien ce territoire qui invite à convertir son regard sur la Création.

04 novembre 2011 : Mgr Emmanuel LAFONT, évêque de Cayenne, Guyane Française

04 novembre 2011 : Mgr Emmanuel LAFONT, évêque de Cayenne, Guyane Française

Quelles ont été vos premières impressions en arrivant en Guyane en 2004 ?

Je n’étais jamais venu en Guyane avant d’y prendre mes fonctions en 2004. J’ai découvert une « colonie-monde » : c’est une population très colorée et très bigarrée, composée de communautés asiatiques, afro-américaines, d’ethnies amérindiennes dont 70 000 bushinengués, les noirs de la forêt qui vivent dans l’Ouest guyanais. J’ai également été touché par la fragilité sociale de la jeunesse, qui touchée par un fort taux de chômage, devient un vivier de transporteurs pour les trafiquants de drogue. Ce phénomène est une véritable plaie, source de nombreuses tensions sociales.

 

Quel est votre regard sur votre mission qui s’achèvera l’année prochaine ?

Je retiendrais la gentillesse des gens, la dévotion de la population sous le regard de la Vierge Marie et de son Cœur immaculée, fêtée le 22 août. Il y a également un intérêt grandissant pour la Parole de Dieu. C’était un objectif que je m’étais fixé en arrivant il y a 15 ans : mettre la Parole au cœur de la vie pastorale et missionnaire du diocèse. Cet objectif est atteint, c’est une démarche dont les diocésains se sont emparés avec bonheur car la Parole de Dieu a une saveur que peu d’autres livres ont, pour peu qu’on fasse l’effort de l’apprivoiser peu à peu, de la pratiquer régulièrement. La Bible est une vieille dame, aux charmes non-immédiats, intérieurs.  Nous avons par exemple fait éditer une bible en français fondamental, aux couleurs de la Guyane et nous l’avons distribuée comme outil de prière aux 30 000 enfants catéchisés. Toutes les rencontres, paroissiales, épiscopales, commencent par un partage sur la Parole de Dieu. De même, nous avons fait en sorte que la Parole de Dieu entendue le dimanche soit lue et priée avant l’office du Dimanche, de manière à ce que la connaissance du Christ se fasse davantage à travers la méditation de la Parole de Dieu.

Quels enjeux et quels défis attendent les pasteurs et les fidèles guyanais ?

Le synode diocésain que nous avons vécu de 2010 à 2012 a rappelé l’importance pour les paroisses d’être des familles chaleureuse et ouvertes. Et c’est un clou que nous n’avons eu de cesse d’enfoncer depuis puisque les responsables pastoraux du diocèse ont partagé en 2018 une session de travail sur ce que nous appelons « les éléments fondamentaux d’une communauté chrétienne », les cinq essentiels dont il est question dans les livres des Actes (2, 42-47) : la fidélité à l’enseignement des apôtres, la prière commune, la charité mutuelle, le service des pauvres et la dimension missionnaire. Il s’agit d’un gros défi, car chaque paroisse, chaque groupe, chaque noyau de communauté chrétienne doit vivre ces cinq vérités essentielles. On imagine mal une chorale d’une communauté chrétienne qui ne ferait que chanter sans jamais partager la Parole de Dieu, ou un service du Secours Catholique qui ne ferait que servir les pauvres sans jamais communier ou vivre un partage fraternel.

Un des autres thèmes de ce synode, c’est l’éducation des enfants. Nous avons fait un effort pour que la catéchèse soit une école de prière, de rencontre du Christ à travers la Parole de Dieu et non une formation doctrinale. La catéchèse ne prend sa valeur que lorsqu’elle nous fait rentrer dans une communion personnelle avec Jésus. Nous apprenons aux enfants que la prière n’est pas une récitation de mots mais une adresse directe et personnelle à Dieu. En 2015, nous avons un congrès des catéchistes qui a abouti à la création d’une charte des parents chrétiens, signée au moment du baptême. La famille est une première église. Elle doit former et accompagner les jeunes dans les sacrements.  Un défi qu’il faut continuer de mettre en œuvre, car 43% de la population a moins de 20 ans.

On ne peut pas être missionnaire si on n’a pas la Parole dans le cœur.

En 2017, nous nous sommes engagés dans une démarche missionnaire qui nous amené à relire l’exhortation apostolique du Pape François Evangelii Gaudium qui nous rappelle qu’un disciple qui n’est pas missionnaire n’est pas un disciple. C’est pourquoi nous éditons les supports liturgiques dans plusieurs langues, notamment un livret missionnaire « Ce Jésus que j’aime » édités en français, créoles haïtiens et guyanais, en portugais brésilien.

Nous nous sommes lancés dans une pastorale de mission à l’extérieur de l’Eglise, en formant avec des personnes de tous âges des groupes missionnaires qui vont de porte en porte annoncer la bonne nouvelle de l’amour de Jésus. C’est une expérience très frappante, nous nous sommes rendus compte que c’est plus facile de parler de Dieu qu’on ne le croyait. Quand on aime Jésus, nul besoin d’avoir fait beaucoup de théologie pour en parler. Beaucoup de personnes nous accueillent avec joie en nous disant « enfin des catholiques ». Notre démarche missionnaire trouve un essor particulier lors des fêtes de la Pentecôte, ou des grands temps de sacrements comme les confirmations en mai.

Ce travail d’Eglise en sortie, lancé il y a deux ans, se perpétue dans le mois missionnaire extraordinaire d’octobre 2019 voulu par le Pape François. Le défi est qu’il ne s’arrête plus, de faire en sorte que chaque fête soit l’occasion d’aller revisiter un quartier, de relancer des invitations, de proposer un parcours chaleureux de redécouverte de la foi.

Que l’Esprit Saint accompagne tous ceux qui vont à la rencontre des autres pour proclamer le cœur de l’évangile : le Christ qui sauve.

 

L’Église continue-t-elle de jouer un rôle social, deux ans après la crise des 500 frères ?

Mgr Emmanuel LAFONTLe mouvement social de 2017, à la fois étonnamment calme et très déterminé, comptait dans ses rangs bon nombre de catholiques. La population s’est emparée du devoir de se lever contre le malaise social, contre les violences dues au trafic de drogue, contre les retards structurels, contre les promesses d’infrastructures notamment scolaires non tenues.

Le Secours catholique continue aujourd’hui de faire ce qu’il peut pour accueillir les habitants des bidonvilles, pour accueillir les sans-papiers. Les institutions scolaires catholiques reçoivent un nombre très important de jeunes migrants.

Vous avez publié en septembre une lettre aux prêtres de Guyane. Quelles sont les spécificités du presbyterium guyanais ?

Quatre prêtres sont originaires du diocèse, les prêtres venant de métropole sont deux en me comptant, la plupart du reste vient d’Afrique et d’Haïti. La grande diversité de ces provenances est à la fois une richesse et un défi, car les formations sont très différentes, les cultures d’origines. Le clergé de Guyane est volontaire et fraternel, il fait vaillamment face aux spécificités du diocèse comme par exemple les grandes distances à couvrir, en pirogue notamment !

Quelle est la place faite au dialogue interreligieux dans le diocèse ?

Nous entretenons des relations régulières avec les communautés musulmanes de Cayenne et de Saint Laurent. Le dialogue le plus important et le plus difficile est le dialogue œcuménique, en particulier avec les évangéliques de Guyane. Nous avons du mal à toucher les quartiers isolés, les communautés immigrées éparpillées, alors que les temples évangéliques sont mieux répartis sur le territoire.

Comment garder le lien avec vos frères métropolitains ?

11 novembre 2014 : Messe annuelle des Antillais de France.

11 novembre 2014 : Messe annuelle des Antillais de France.

Je me rends à l’Assemblée plénière de la Conférence des évêques de France chaque année en automne. Je fais également partie de la Conférence des évêques des Antilles qui discute de questions qui préoccupent les continents sud-américains, notamment les questions écologiques. Nous sommes au contact des populations qui ont un regard sur la Terre et la Création très différent de celui qu’ont les européens.

À l’heure où est publié cet entretien, le Synode sur l’Amazonie bat son plein. Qu’en attendez-vous ? Est-il encore l’heure de changer de cap ?

J’en attend beaucoup de choses et je suis heureux que l’Église se soit mise à l’écoute de ce que les peuples de la forêt vivent et pensent. Qu’on écoute enfin la façon dont ils racontent leur histoire et la façon dont ils ont vécu l’évangélisation depuis quatre siècles qui n’est pas notre façon de raconter leur histoire. Je pense que ce synode n’est pas seulement important pour les évêques d’Amazonie dont je fais partie, mais pour les églises du monde entier et en particulier européennes, qui comprennent la théologie avec leur regard européen, leur tradition et leur histoire. Il est temps que l’Eglise accueille une autre manière de dire la foi, de concevoir spirituellement la vie et la Vérité. Ce travail avait commencé Vatican II et doit se poursuivre de manière beaucoup plus forte. Voyez à quel point le centre de gravité de l’Eglise a basculé du Nord vers le Sud avec l’arrivée d’un Pape du Sud, avec son expérience du Sud.

Sachez par exemple que ce qui se passe en Amazonie a beaucoup de résonance dans le bassin du Congo et dans les jungles d’Asie : le Sud est mal connu du Nord, il a été colonisé plus qu’écouté, il se réveille avec la volonté qu’on reconnaisse que leur sagesse et leur regard sur la Création vient également de Dieu.

L’Église se fait familière, partenaire et remet la périphérie au centre, comme dans les Évangiles. Il n’est jamais trop tard pour se mettre en route, les ouvriers de la onzième heure ont été gratifiés autant que les ouvriers de la première !  S’il y a bien un mot qui n’existe pas dans l’Évangile, c’est celui de « trop tard » sauf à la fin !

Je souhaite que ce Synode que nous préparons depuis deux ans prolonge le défi qui est fait à nos vieilles églises et parvienne aux oreilles de toute l’Église.

C’est un défi pour l’Église catholique aussi en Guyane, très peu visible. Du fait de la dispersion des villages amérindiens et de la barrière de la langue, les prêtres ici ont du mal vivre leur mission à la manière de Jésus, en circulant de villages en villages, en se faisant proche des agneaux, et en n’étant pas seulement des distributeurs de sacrements. L’Eglise catholique en Guyane est donc provoquée par ce Synode, elle doit se convertir si elle veut prendre un visage amazonien.

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