« J’essaie de découvrir humblement les réalités du diocèse »
Monseigneur Jean-Claude Boulanger est évêque de Bayeux-Lisieux depuis 2010. L’occasion de faire le point sur ses actions à travers son bilan et ses projets futurs. Interview.
Vous avez été nommé évêque de Bayeux-Lisieux en mai 2010, quel regard portez-vous sur ces années écoulées ?
J’étais au Sanctuaire d’Ars quand le nonce apostolique m’a appelé pour m’annoncer que le Pape Benoît XVI me nommait évêque de Bayeux-Lisieux. Je n’ai pas hésité un instant même s’il était douloureux de quitter le diocèse de Séez. Pendant les deux premières années, j’ai consacré mes semaines à visiter les 51 paroisses du diocèse en rencontrant les prêtres, les collaborateurs, les mouvements et les communautés religieuses. Aujourd’hui encore, j’essaie de découvrir humblement les réalités du diocèse qui sont très diverses, regroupant aussi bien l’agglomération caennaise que des zones rurales composées du Pays d’Auge, du Bessin ou du Bocage Virois. Le diocèse a aussi la spécificité d’avoir deux cathédrales à Bayeux et à Lisieux ainsi qu’un sanctuaire.
Après deux ans de visite pastorale, vous avez lancé « Cap 2012 », un chantier qui a fixé pour 5 ans les orientations diocésaines jusqu’en 2017. Quels axes de travail avez-vous mis en place ? Quel bilan faites-vous ?
La démarche « Cap 2012 » a fixé les priorités du diocèse des cinq dernières années. Nous avons mis en place les orientations diocésaines pastorales à travers une assemblée synodale d’environ 250 fidèles issus de paroisses ou de services. De cette concertation a découlé une feuille de route basée sur cinq chantiers parmi lesquels la transmission de la foi, la place des plus pauvres ou l’évangélisation des jeunes.
La réorganisation du diocèse a commencé par la création de 10 pôles missionnaires. Des pôles qui regroupent les 51 paroisses du diocèse. Quelles sont leurs fonctions et leurs exigences ?
Le périmètre de la paroisse est aujourd’hui trop limité. En accord avec le conseil épiscopal et les prêtres du diocèse, nous avons regroupé les paroisses en dix pôles missionnaires. Les prêtres, tout en restant curé de leur paroisse, sont à la tête d’un pôle. Par exemple, à Vire, ils se retrouvent une fois par semaine pour prier, déjeuner, et partager sur les problématiques de la vie pastorale. Ils ont mutualisé leurs forces pour la préparation au mariage ou les funérailles.
La question de la vie fraternelle concerne aussi bien les fidèles que les prêtres. Combien de prêtres sont-ils présents dans le diocèse ? Comment vivent-ils cette fraternité ?
On compte 200 prêtres dont 90 en activité. La spécificité du diocèse réside dans sa diversité : 40% d’entre eux ne sont pas originaires du diocèse. De nombreux prêtres sont issus de congrégations : les Eudistes, les Salésiens ou les Prémontrés. L’abbaye de Juaye Mondaye est d’ailleurs l’une des abbayes qui accueille le plus de jeunes prêtres. L’évêque doit être celui qui cherche la fraternité, il n’est pas le supérieur des religieux. Leur supérieur peut les détacher dans un autre diocèse, ce qui est à la fois une chance mais aussi une fragilité. Le diocèse compte également 16 prêtres africains qui viennent de Madagascar, du Bénin ou du Rwanda.
Depuis octobre 2017, de nouvelles orientations ont été lancées avec les petites fraternités locales missionnaires où des chrétiens sont appelés à se retrouver régulièrement autour de la Parole de Dieu. Pour quel objectif ?
Les petites fraternités locales missionnaires ou « maisonnées paroissiales » ont pour but de permettre à un petit groupe de 6 à10 personnes de se regrouper autour de la prière et d’un repas. L’objectif est de se réunir régulièrement dans les communes ou les quartiers. Elles doivent s’ouvrir aux autres chrétiens ou d’autres personnes qui veulent découvrir la foi. Bien sûr, chaque fraternité devra trouver sa charte et son propre rythme dans les mois à venir.
Un autre chantier important qui vous tient à cœur est celui de la jeunesse. Votre action s’inscrit tout particulièrement dans le Synode des évêques sur la jeunesse, la foi et le discernement.
L’accent a été mis sur les jeunes car ils sont l’avenir de l’Église. L’Université de Caen-Normandie compte 30 000 étudiants pour un département de 700 000 habitants. L’aumônerie étudiante est riche d’environ 300 jeunes. La pastorale des jeunes et vocations, dirigée par Pascale Clerval, a impulsé plusieurs actions en aménageant de nouveaux locaux et en créant de nombreux temps forts comme les pèlerinages ou le voyage à Rome-Assise pour les confirmands.
Vous avez baptisé lors de la veillée pascale, trente-trois catéchumènes et 40 personnes demandent la confirmation chaque année dans le diocèse… Ces sacrements répondent-ils à une forte attente spirituelle ?
La devise épiscopale du diocèse est : « N’ayez pas peur ». Dans ce monde sécularisé qui semble indifférent à la foi, j’invite les chrétiens à faire confiance au Seigneur et à l’Esprit Saint. Il s’agit de voir comment il nous précède et touche le cœur des gens. Nous constatons que de plus en plus de jeunes demandent le baptême à l’adolescence. L’enseignement catholique est devenu un lieu d’évangélisation. Certains confirmands font un vrai chemin comme des catéchumènes. Ils demandent la confirmation pour être renforcés dans leur foi. Enfin, douze jeunes hommes ou femmes s’engagent comme prêtres, religieux ou religieuses au service de l’Église cette année, c’est exceptionnel !
L’accueil des personnes pauvres et des migrants est aussi un enjeu important. Comment appréhendez-vous cette question ?
Le diocèse pourrait agir plus et mieux au niveau de la solidarité. La diaconie au service des plus pauvres n’est pas présente dans toutes les paroisses. Nous voudrions d’une part instaurer une péréquation des richesses pour que les paroisses aisées aident celles qui connaissent le plus de difficultés. D’autre part, je propose une collaboration entre les paroisses autour d’un repas partagé une fois par mois le dimanche pour les personnes âgées ou migrantes. Concernant les migrants, même si l’association Le temps d’un toit a été créée en 2013, il reste encore du chemin à parcourir, car cette question reste très sensible. En parallèle, il faut privilégier une coordination pour que des initiatives se multiplient au niveau du pôle missionnaire, notamment dans le monde rural.
Le diocèse de Bayeux-Lisieux est fortement marqué par la ruralité. Vous avez participé pour la deuxième fois au Salon de l’agriculture en février 2018 avec une délégation d’évêques. Est-ce important d’apporter votre soutien aux agriculteurs ?
Témoigner mon soutien au monde agricole qui est en crise est très important car cela renvoie à mon histoire personnelle. Je suis fils de paysan. Ma plus grande joie, c’est que le Pape François avec Laudato Si’ nous montre que nous sommes faits pour communier à la terre et nous devons le rappeler à nos contemporains. La crise du lait survenue en 2016 reflète le profond malaise des agriculteurs. Je les ai invités à l’évêché pour les écouter. Je n’ai pas toujours les solutions mais ils étaient heureux de voir l’évêque s’exprimer car ils ont l’impression de ne pas être entendus dans cette société. Dernièrement, j’ai ressenti un coup de poing. Dans les campagnes, j’entendais les habitants me dire : « L’Église va-t-elle nous abandonner comme la société nous a abandonnés ? » J’ai été frappé par le dépérissement des bourgs ruraux victimes de la fermeture des commerces, des classes ou même par l’absence de transports publics. C’est une vraie souffrance car j’aime ce monde rural. À Lourdes, lors de l’Assemblée plénière de mars 2018, nous avons eu plusieurs rencontres entre évêques pour évoquer les réalités du monde rural et confronter nos problèmes.
Les portes du séminaire Saint-Jean Eudes de Caen se sont fermées en 2015. Les futurs prêtres bas-normands se forment désormais à Rennes et le Centre d’études théologiques (CET) à Caen a pris un nouveau tournant. Pourquoi avoir opté vers cette évolution ?
Les futurs prêtres diocésains n’étaient plus qu’une quinzaine tous cycles confondus. La formation des candidats au sacerdoce est importante mais nous n’avions plus les moyens ni suffisamment de formateurs disponibles. Avec Monseigneur Laurent Le Bouc’h, évêque de Coutances-Avranches et Monseigneur Jacques Habert, évêque de Séez, nous avons décidé de transférer le séminaire à Rennes où les futurs prêtres diocésains sont aujourd’hui une quarantaine. Quant au Centre d’études théologiques (CET), il a désormais pris une autre orientation. Situé à Caen, il se décline également dans les diocèses de Séez et de Coutances-Avranches où des formations sont données aux laïcs.
Vous travaillez avec des laïcs. Les femmes ont notamment un grand rôle dans votre diocèse…
Les femmes ont toute leur place dans l’Église. Plusieurs postes à responsabilités sont occupés par des femmes à la maison diocésaine de Caen : Orlane Simon dirige la maison et la pastorale des jeunes est animée par Pascale Clerval. Il y a aussi deux femmes présentes au Conseil épiscopal.
Le diocèse Bayeux-Lisieux se caractérise par un tourisme de mémoire qui amènent des milliers de visiteurs chaque année en Normandie. En quoi ce tourisme impacte-t-il le diocèse ?
Le tourisme de mémoire est une réalité spécifique du département. Les plages du Débarquement attirent de nombreux touristes : Français, Anglais, Américains. La cathédrale de Bayeux, reçoit un million de visiteurs par an. Le tourisme est une ressource financière indéniable. Par exemple, l’Église Sainte-Catherine de Honfleur avec ses 2,3 millions de visiteurs vend quasiment autant de bougies que le Sanctuaire de Lisieux. Les dons des Parisiens représentent 14% du denier de l’église locale. Ils aident le diocèse à vivre et animent nos paroisses le week-end et pendant les vacances scolaires. Les prêtres peuvent difficilement partir en vacances l’été. Certaines paroisses comme Cabourg multiplient leurs fidèles par dix.
Le patrimoine religieux du diocèse a été répertorié et photographié dans le diocèse. Dans quel but ?
Le Père Jean-Louis Angué, responsable de l’Art sacré a réalisé un inventaire des mille églises et chapelles du diocèse. L’inventaire était nécessaire pour éviter les vols ou recels. Des objets religieux avaient été revendus illégalement à des antiquaires en 2008 dans le diocèse de Séez. C’est ce qui a motivé mon engagement. Il y a vingt ou trente ans, nous étions moins soucieux du patrimoine qu’aujourd’hui. Nous redécouvrons cette richesse extraordinaire.
Le sanctuaire de Lisieux a amené près de 800 000 pèlerins en 2017. Que signifie pour vous la figure de Sainte Thérèse de Lisieux ?
Sainte-Thérèse de l’Enfant Jésus a toujours eu une grande place dans ma vie. Avant d’être ordonné évêque, je venais prier chaque année sur la tombe de Louis et Zélie Martin, ses parents qui n’étaient alors ni béatifiés ni canonisés. J’ai été nommé évêque à Séez où est née Thérèse puis je suis arrivé dans le diocèse de Bayeux-Lisieux où a vécu Thérèse comme carmélite. C’est un signe.
Ses fonctions nationales
Au sein de la Conférence des évêques de France (CEF), Monseigneur Boulanger a d’abord été rattaché au service de la catéchèse de 2002 à 2005. Il a aussi été membre du Conseil permanent de 2010 à 2016. Depuis 2016, il est à la tête du Conseil pour les mouvements et associations de fidèles où il accompagne notamment l’Action Catholique des Femmes (ACF) et le mouvement chrétien des retraités.
Carte des diocèses
Vous trouverez sur cette carte les informations détaillées de chaque diocèse en cliquant sur la zone correspondante.
Attention : ne pas confondre diocèse et évêché.
L'évêché est le lieu de résidence de l'évêque.
Le diocèse prend le nom du lieu où se trouve la cathédrale.