Une communauté de vie et de paix entre Russes et Ukrainiens
À Épinay-sous-Sénart, dans le diocèse d’Évry, le séminaire orthodoxe Sainte-Geneviève accueille des jeunes hommes qui se préparent à devenir prêtre au service des communautés du patriarcat de Moscou en Europe occidentale, orientale, ou ailleurs dans le monde entier. Dans ce lieu de formation et de rencontre, unique en France, Russes et Ukrainiens vivent en harmonie. Par Florence de Maistre.
“La communauté compte une vingtaine de personnes, dont l’équipe de formateurs, les séminaristes et trois épouses de séminaristes : c’est une de nos particularités orthodoxes ! La moitié des séminaristes sont originaires de Russie, l’autre moitié d’Ukraine. Il y a aussi un Haïtien, un Lituanien et quelques autres qui viennent des Pays baltes. Par le passé, nous avions encore des étudiants d’autres nationalités. Nous avons un fonctionnement extrêmement cosmopolite”, explique le P. Alexandre Siniakov, recteur du séminaire orthodoxe russe Sainte-Geneviève à Épinay-sous-Sénart depuis 2008. Sur place, il n’y a pas de cours ou d’enseignement à proprement parler : il s’agit avant tout de partager une communauté de vie, avec la liturgie quotidienne et différents engagements (mission d’évangélisation, accompagnement spirituel, catéchèse, rencontre œcuménique, pèlerinage, etc.). Parmi les étudiants et futurs prêtres orthodoxes, certains formulent le choix personnel et conjoint avec leur communauté religieuse d’origine, diocèse ou paroisse, de rejoindre après un temps de discernement le séminaire Sainte-Geneviève en France. Ce, de la même façon qu’un jeune homme catholique exprime son désir de devenir prêtre avant d’entrer en année de propédeutique. D’autres séminaristes ont déjà plusieurs années d’études à leur actif et viennent en région parisienne compléter leur formation.
Les étudiants orthodoxes suivent les cours des grandes écoles ou des universités parisiennes comme La Sorbonne, l’École pratique des hautes études, l’Institut catholique de Paris, l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge, entre autres. “Tous viennent ici élargir leur horizon, apprendre une nouvelle langue, vivre une expérience différente de vie chrétienne, s’ouvrir à tous les possibles : à tout ce qui peut donner du sens à leur futur ministère de prêtre”, précise le recteur du séminaire. Quelques séminaristes sont particulièrement engagés dans l’art et le chant liturgique, qu’ils étudient au conservatoire. Ils découvrent plus profondément la tradition musicale occidentale.
Désir de fraternité
Le séminaire orthodoxe Sainte-Geneviève est le premier et, aujourd’hui encore, l’unique établissement de formation des membres du clergé de l’Église orthodoxe russe en Europe occidentale. Son objectif ? Être au service de la formation et de la rencontre des chrétiens d’Orient et d’Occident. Sa création, à l’initiative du P. Alexandre, remonte à seize ans. En 2008, les premiers membres de la communauté s’installent, avec le soutien des évêques d’Île-de-France et en particulier celui de Mgr Éric Aumônier, évêque émérite de Versailles, dans les anciens locaux des Sœurs auxiliatrices du purgatoire. “Depuis, la situation a pas mal changé sur les plans politique et religieux”, relève le P. Alexandre.
Le 9 mars 2022, quelques jours après le début de l’invasion russe en Ukraine, le recteur publie, au nom du séminaire, un message clair et précis, dans lequel il déclare : “Nous n’avons pas d’autre camp que celui des innocentes victimes”. Une posture réfléchie dans la durée. “C’est en amont que nous avons employé tous les moyens pour éviter une mise en avant de nos origines et leur préférer notre foi et notre ministère”, explique le responsable du séminaire. Il poursuit en citant la lettre de saint Paul aux Galates (3, 28) : “Dès nos débuts, nous nous sommes appuyés sur cette Parole : Il n’y a plus ni juif, ni grec, il n’y a plus ni esclave, ni homme libre, (…) ni russe, ni ukrainien. Nous sommes avant tout réunis au nom de notre foi, animés du même désir de servir notre communauté chrétienne. Quand le conflit a éclaté, nous étions déjà unis. Certains sont très affectés par la perte de leur maison, de leurs amis, et leurs proches mobilisés. Je n’ai jamais observé d’hostilité entre les séminaristes. Il y a des discussions, des débats, mais surtout le désir de fraternité et celui de nous projeter au-delà du conflit. Car tout conflit est forcément suivi d’une réconciliation. Nous n’avons pas d’autres options que d’être du côté des victimes”. Les liens directs entretenus par des jeunes séminaristes avec leur pays se sont distendus du fait de la complexité des voyages. Nombreux sont ceux qui souhaitent éviter l’enrôlement : difficile de se destiner au ministère presbytéral et de commencer par faire la guerre. Géographiquement loin de leur famille, ils maintiennent certaines relations grâce aux réseaux. Quant au plan institutionnel, le supérieur du séminaire assure : “les relations avec le patriarcat de Moscou sont paisibles, même si nous ne partageons pas la même vision des évènements. Notre foi est commune, nos réactions circonstanciées”.
Ouverture sur le monde
Le séminaire Sainte-Geneviève a depuis sa création développé des liens forts d’amitié avec le séminaire Saint-Sulpice d’Issy-les-Moulineaux. Pendant quelques années, un jumelage actif d’échange de séminaristes a même été mis en place et des temps de prières célébrés en commun. “Lorsque j’étais séminariste, j’ai participé à ce jumelage. Puis, j’ai continué à me rendre à Épinay-sous-Sénart de temps en temps pour les vêpres le dimanche soir et les fêtes pascales. La plupart des séminaristes que j’ai connus alors sont devenus prêtres, certains sont retournés dans leur pays, mais je suis resté attaché au séminaire Sainte-Geneviève et sensible à l’œcuménisme”, partage le P. Jordan Peretel, ordonné en juin 2019, coopérateur de la paroisse Père Laval – Louviers – boucle de Seine, dans le diocèse d’Évreux et accompagnateur de l’équipe diocésaine pour l’œcuménisme. L’an dernier à l’occasion de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, il a invité le P. Alexandre et quelques séminaristes à venir chanter les vêpres en la cathédrale d’Évreux. L’office, présidé par Mgr Olivier de Cagny, évêque d’Évreux, a été suivi d’une conférence par le P. Alexandre sur la spiritualité des chrétiens d’Orient. “Ça a été un beau moment pour faire découvrir cette liturgie et la qualité musicale du chœur du séminaire russe orthodoxe à nos diocésains. Lorsque j’étais séminariste, nous avons aussi vécu le grand projet de CD “Les voix de l’unité” (2018) et chanté ensemble. Je me rappelle que Sergeï, l’ancien chef de chœur, a beaucoup travaillé pour essayer d’adapter en français des pièces slaves”, souligne le P. Jordan.
Le 17 novembre 2024, le chœur du séminaire orthodoxe Sainte-Geneviève se produisait encore en l’église voisine, Saint-Médard de Brunoy, à l’occasion du 17ème festival d’orgue de Brunoy sur le thème Pax Mundi. Aussi, avec le diocèse d’Évry et l’Église locale, les relations du séminaire Sainte-Geneviève prennent différentes formes. “Nous accueillons très régulièrement la communauté paroissiale en pèlerinage chez nous. Nous nous déplaçons aussi dans les diocèses d’Île -de-France ou à Reims. À chaque fois, nous célébrons un temps de prière selon la liturgie orthodoxe ou en commun”, indique le P. Alexandre. De fait, les paroissiens, les groupes de catéchuménat, les scouts et équipes diverses du secteur pastoral du Brunoy Val d’Yerres apprécient de se rendre au séminaire d’Épinay-sous-Sénart pour son parc, sa prière, son accueil. “Certaines personnes aiment prendre un temps de pause particulier et prier les vêpres solennelles avec les séminaristes orthodoxes. La liturgie, la spiritualité, la musicalité : tout est superbe”, confie le P. Thierry David, responsable du secteur pastoral du Brunoy Val d’Yerres. Le séminaire est-il un lieu de paix ? “En tous les cas, les problèmes extérieurs n’y sont pas manifestés. Dans nos rencontres de travail ou conviviales, il n’y a jamais d’allusion au conflit. La prise de parole de 2022, pour que tout le monde trouve la paix, est un témoignage fort. Ce ne sont pas que des mots”, poursuit le P. Thierry. La proximité du séminaire et les actions des associations de solidarité encouragent les catholiques du secteur à porter les peuples russes et ukrainiens dans leurs prières, comme tous les peuples qui traversent tourmentes et épreuves. L’équipe d’animation pastorale du Brunoy Val d’Yerres a décidé pour tout le temps de l’Avent qui s’annonce de prier particulièrement pour la paix dans le monde. Le P. Alexandre reprend : “Notre objectif est de former des futurs prêtres capables d’affronter les événements de notre époque. Je crois que tout enfermement sur soi est néfaste et dangereux. L’annonce de l’Évangile, crédible et efficace dans le monde actuel, passe par la rencontre, le partage d’expériences des différentes traditions chrétiennes”.
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