Mgr Sviatoslav Schevchuk, archevêque majeur de l’Église gréco-catholique ukrainienne reçu pour la première fois à la Conférence des évêques de France
L’invitation en octobre 2024 de Mgr Sviatoslav Shevchuk, Primat de l’Eglise gréco-catholique ukrainienne à Paris pour la première fois à la Conférence des évêques de France (CEF) revêt une importance symbolique et politique majeure dans le contexte des relations internationales de l’Église catholique.
Cette visite renforce aussi les liens fraternels entre l’Église catholique de France et celle d’Ukraine. Car au-delà de la dimension religieuse, la venue de Mgr Shevchuk s’inscrit dans une démarche diplomatique plus large, où l’Église se positionne comme une voix influente sur la scène internationale pour sensibiliser l’opinion publique à la situation en Ukraine.
Dans le cadre de la guerre en Ukraine, la CEF a multiplié les initiatives de soutien et de solidarité envers le peuple ukrainien, notamment par le biais de visites de haut niveau et d’appels à la prière et à la mobilisation pour la paix. En septembre 2022, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la CEF, s’est rendu en Ukraine avec une délégation pour témoigner de la solidarité de l’Église de France envers les populations touchées par le conflit.
discours de Mgr Eric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et Président de la Conférence des évêques de France
Béatitude,
Bienvenue à vous, dans ce lieu qui est le siège de la Conférence des évêques de France ; bienvenue à ceux et celles qui vous accompagnent. Je suis ému d’être ici la voix de tous les évêques de France et, avec le secrétaire général, le P. Hugues de Woillemont, le porte-parole des collaboratrices et collaborateurs qui travaillent ici pour soutenir la vie des diocèses et contribuer à la représentation de l’Église catholique en France. Beaucoup sont en vacances, ils et elles s’unissent à nous en ce moment.
En septembre 2022, vous nous aviez accueillis, le P. de Woillemont et moi, venus jusqu’à vous avec l’aide de S. Exc. Mgr Hlib Lonchyna que je suis heureux de saluer particulièrement, administrateur apostolique de l’éparchie de Saint-Volodymyr le Grand, éparchie de votre Église en France, membre de notre Conférence épiscopale, et de Mme Ségolène Mykolenko, chef du bureau épiscopal à Paris, cheville ouvrière de tant de choses. Vous nous aviez reçus dans votre belle maison patriarcale et consacré beaucoup de votre temps alors que votre présence était urgente en tant de lieux.
Au tout début de l’offensive russe de février de cette année, Kiyv avait failli être prise par surprise et avait été sauvée par l’ingéniosité et par le courage de l’armée et de la population ukrainiennes. Après six mois de guerre, l’étau russe avait été desserré et la contre-offensive avançait de victoire en victoire. Le P. de Woillemont et moi, outre des rencontres avec l’Ambassadeur et plusieurs responsables d’Église, avions pu visiter les villes douloureuses d’Irpin et Bouchka. Nous gardons en mémoire les traces des obus et des balles sur les immeubles, les voitures, tant et tant d’objets, et le récit glaçant des sévices subis par quelques hommes qui avaient défendu leur patrie, et la vision de tant de tombes au cimetière, tant de morts jeunes et moins jeunes. Nous avions été impressionnés par l’atmosphère générale qui semblait porter tout le monde vers un avenir qui s’annonçait encore meilleur. Le dimanche, vous nous aviez emmenés participer à la divine liturgie au Séminaire ; elle comprenait l’ordination d’un prêtre. C’était, en cette période où tout paraissait possible, un signe d’espoir et même d’espérance ajouté à beaucoup d’autres, l’espérance que l’épreuve de la guerre achève le travail de régénération de la société ukrainienne, libérée de toute trace de soviétisme et aussi pleinement reconnue dans son originalité propre.
C’est qu’à bien des égards les temps présents sont pour l’Ukraine des temps de nouvelle naissance, la renaissance d’une nation, son affirmation en tout cas parmi toutes les nations et la prise de conscience par tous, espérons-le, de sa mission propre.
L’offensive avait été lancée le 22 février 2022, poursuivant et accentuant la conquête entamée en 2014 avec l’annexion de la Crimée puis l’attaque et la sécession du Donbass. Ce mois de février 2022 marquait le centième anniversaire de la création de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), car M. Poutine a de la mémoire. Il veut refaire l’histoire, la ramener à ce qu’à son estime, elle n’aurait pas dû cesser d’être. Il reprend la politique qui a été parfois celle de l’impérialisme tsariste et qui a connu son apogée avec Staline : celle qui consiste à nier toute particularité ukrainienne, à contraindre les Ukrainiens à être des Russes comme les autres. Sous couvert du fédéralisme de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, cette tentation a muté en programme politique, qui a culminé dans l’Holodomor, l’atroce famine de 1933, qui a provoqué la mort de plusieurs millions de personnes et blessé pour longtemps l’âme ukrainienne. Aux effets désastreux de la dékoulakisation menée sur l’ensemble du territoire de l’Union soviétique et d’une politique agricole improvisée s’était ajoutée en effet la volonté délibérée de détruire toute culture ukrainienne propre jusqu’en son germe. Votre Église a failli disparaître dans cette persécution organisée, la volonté de Staline la visant très expressément, l’obligeant à se fondre dans l’Église orthodoxe, elle-même prise dans la volonté forte d’instaurer un athéisme scientifique dans tous les esprits.
Ce n’est pas sans raison, c’est plutôt avec de grandes raisons, qu’un philosophe bien connu chez vous mais aussi ici en France, Constantin Sigov, a pu, avec beaucoup d’autres, exprimer l’indépendance gagnée par l’Ukraine en 1991 en termes anthropologiques et non pas seulement politiques. Dans un entretien à la revue Esprit, il disait que, depuis 1991, deux considérations anthropologiques fondamentales avaient motivé la construction ukrainienne : pouvoir ne plus avoir peur de la violence et avoir le droit de dire la vérité.
En ce sens, l’indépendance de l’Ukraine, non seulement par rapport au projet soviétique mais aussi par rapport à la Russie, concerne vraiment l’humanité entière. Nous voulons entendre dans toute sa force l’expression qui dit aujourd’hui que le combat de votre pays est un combat pour notre liberté à nous, Européens. Cette maison et notre assemblée d’évêques a eu le temps de réfléchir à cela, grâce à la présence de Mgr Michel Hrynchyshyn puis de Mgr Borys Gudziak. Ce dernier, en particulier, avait vécu intensément la « révolution orange » de 2004 et, plus encore, la « révolution de Maïdan » en 2014, révolution de la dignité, dans laquelle il a vu un effort formidable de la société ukrainienne, en particulier de la jeunesse ukrainienne, pour se guérir de l’homo sovieticus et accéder à l’homo dignus, pour reprendre encore des expressions de Constantin Sigov.
Mgr Gudziak nous a souvent expliqué ce mouvement intérieur et il nous en a décrit les fruits. J’ai eu, à son invitation, comme quelques autres évêques de France, l’honneur de pouvoir m’en approcher lors d’une visite à Lviv en septembre 2018, à l’Université catholique d’Ukraine, lieu de formation à la liberté intellectuelle et à la liberté spirituelle, étroitement unies l’une à l’autre, avec une audace pédagogique qui fait envie.
Aucune de ces révolutions n’a tout à fait atteint de tels objectifs. La résistance y fut forte, et aussi les contraintes de la vie ordinaire et des nécessités économiques. La guerre lancée en Crimée et dans le Donbass a mobilisé des énergies, détruit des vies, obligé à des arbitrages douloureux. Mais l’offensive russe, déclenchée il y a deux ans, a transformé encore les données du problème. Elle a fait apparaître une unité du peuple ukrainien, un sens commun de la responsabilité de chacun à l’égard de tous, qui ont renouvelé les espoirs et fait l’admiration des esprits libres à travers le monde.
Vous, Béatitude, dès le lendemain de ce jour, vous avez entrepris de vous adresser quotidiennement au peuple ukrainien, sur le territoire comme à l’étranger où tant de personnes ont dû fuir, et vous continuez ce travail. Vous donnez des nouvelles de la situation, vous décrivez l’action de l’Église, mais surtout, vous avez consacré la première année à écrire, étape par étape, jour après jour, un véritable traité de vie spirituelle pour un chrétien en temps de guerre.
Vous y avez commenté les grands mystères de la foi, les dix commandements, les vertus cardinales et théologales, les sacrements, la prière, c’est-à-dire l’intégralité du Catéchisme de l’Église catholique, à partir des riches traditions des églises byzantines, en l’éclairant par la situation vécue par l’Ukraine et en y puisant des ressources pour vivre le temps de guerre avec une âme de chrétiens, en vrais disciples du Prince de la Paix, engagés dans la milice du Messie d’Israël, le Serviteur souffrant qui attend du Père seul son exaltation. Permettez-moi de le dire ici, et de le dire en lecteur du Père Henri de Lubac : je vois là un formidable travail de résistance spirituelle. Résistance à l’agresseur, assurément, mais aussi résistance à la haine ou au ressentiment qui peut toujours venir abîmer de l’intérieur les plus nobles réactions humaines. Je forme le vœu que ces textes, déjà traduits en français, puissent être réunis et publiés. Ils seront utiles à beaucoup dans les temps à venir, dont on peut craindre qu’ils ne soient exigeants pour le ressort intérieur de beaucoup d’êtres humains.
Vous vous appuyez, pour trouver la juste attitude, sur la longue tradition de votre Église. À travers les heurs et malheurs de l’histoire, elle a choisi la fidélité. Non pas seulement la coutume, le poids qui peut être écrasant ou stérilisant du passé, mais la fidélité comme recherche et choix de ce qui est vrai, quel que soit le prix à payer.
L’exposition de l’Œuvre d’Orient, œuvre présente en Ukraine depuis 100 ans, qui orne cet atrium en préparation de votre visite, raconte l’histoire de cette fidélité. Ceux et celles qui passeront ici y apprendront beaucoup, au-delà des faits eux-mêmes, quant à la vérité d’une fidélité maintenue. Ils y découvriront les liens intrinsèques de votre Église avec l’Ukraine comme réalité culturelle propre, faite d’une grande diversité religieuse et confessionnelle acquise au long des siècles, avec une mention particulière de la présence essentielle de traditions juives. En retraçant l’histoire de votre Église, au-delà d’elle, cette exposition raconte la continuité de la réalité ukrainienne à travers les transformations politiques et religieuses, les déplacements volontaires ou imposés, les périodes d’autonomie ou de soumission forcée. Elle renforce le vœu que votre nation prenne pleinement sa stature et sa place au milieu de toutes les autres, qu’elle puisse être un exemple de construction d’une nation et d’un État dans une fraternité choisie, unissant justice et vérité, paix et charité.
Dans vos entretiens, vous vous référez souvent aux archevêques qui vous ont précédé, avec une prédilection marquée pour votre cher Andrij Sheptytsky, mort en 1944, dont vous espérez la béatification. Il a connu les temps bénis où l’Ukraine a bénéficié d’une certaine indépendance politique, il a fortifié ses fidèles partout dans le monde, il a enraciné la fidélité de l’Église dont il était issu et qui lui avait été confiée dans une spiritualité ample et forte, exigeante dans la vie quotidienne comme dans la vie sociale, mais surtout pleine de sève, nourrissante, humanisant les relations entre les êtres humains en les plaçant au niveau de la relation de Dieu avec les humains, selon ce que l’histoire d’Israël la rapporte et selon la manière dont Jésus l’accomplit. Il semble possible de penser qu’il avait providentiellement enraciné la fidélité de votre Église au plus profond, au plus près de la pierre angulaire qu’est le Christ, et le Christ au cœur transpercé, préparant beaucoup de personnes, ses successeurs au premier chef et tant et tant d’évêques, de familles, de personnes cultivées ou simples, de prêtres, de religieuses et religieux, à traverser sans faiblir des décennies redoutables, avec une fidélité courageuse, nourrie d’espérance. Cette fidélité a permis une renaissance étonnante lorsqu’en 1991 l’Ukraine a pu s’émanciper enfin, et votre Église retrouver le grand jour. Vous héritez, et vous le savez, du courage de beaucoup, notamment de celui de vos prédécesseurs sur le siège de l’Archevêque majeur, du cardinal Josef Slpipyj, Myroslav Ivan Lioubatchivsky et Lubomyr Husar. Avec ce dernier, vous portez la conviction que votre Église peut parler à tous les Ukrainiens et pour eux tous, en promouvant la diversité des appartenances dans la conscience partagée de l’unité à former et à vivre.
L’Ukraine est debout, l’Ukraine prie, l’Ukraine se bat !
Béatitude, et vous tous, Mesdames et Messieurs, chers amis, un Français qui visite Kiyv ne peut que s’émerveiller, entrant dans Sainte-Sophie qui domine la ville et la boucle du Dniepr, de se voir désigner ce qui pourrait être une image d’Anne, fille de Iaroslav le Sage, et reine de France au XIème siècle L’archevêque de Reims se doit ici de rappeler le mariage célébré alors dans la ville où il siège mais il doit confesser aussi qu’il y a laissé moins de souvenirs que le départ d’Anne pour la France. Depuis octobre dernier, une brigade de l’armée ukrainienne, entraînée en France, porte son nom, vous le savez, Béatitude. L’histoire de la Rus’ de Kiyv, dont le centre s’est transporté progressivement vers l’Est, est complexe. Elle enfante plusieurs peuples dont les destinées politiques s’entrecroisent avec les choix ecclésiaux. De l’unique baptême de Vladimir dans les eaux du Dniepr, sont sortis des fils divers qui ont tout à gagner à vivre fraternellement dans leur diversité où se reflètent les nuances infinies de la sagesse, la Sophia, de Dieu. L’Ukraine elle-même est multiple. Certains de ses citoyens sont juifs ou musulmans, beaucoup sont sans religion, la grande majorité est chrétienne, orthodoxes et aussi catholiques et, parmi ceux-ci, des gréco-catholiques dont vous êtes le « père et chef » ainsi que des Latins.
En vous invitant à Paris et à Lourdes, Mgr Ulrich et moi-même avons voulu vous manifester notre fraternelle admiration et, à travers vous, permettre au peuple ukrainien d’éprouver un peu la fraternité des Français à son endroit. En vous recevant dans cette maison, maison de la Conférence des évêques, nous vous exprimons notre gratitude pour l’honneur que vous nous faites. Nous sommes émus de pouvoir prier avec vous pour la paix dans la justice et la vérité, émus à la perspective de pouvoir porter avec vous et pour vous cette intention devant notre Dame de Lourdes. La paix pour que, de toutes les horreurs de la guerre : les soldats tués, blessés, mutilés, emprisonnés, traumatisés ; les civils hommes et femmes et enfants, tués, blessés, mutilés, pris en otages, eh oui, même des enfants ; les maisons, les ponts, les hôpitaux, les écoles, les usines, les centrales électriques, détruits ou abîmés, les drames qui se voient et ceux qui ne se voient, que, de tout cela, par la puissance de Dieu que rien ne lasse, par l’intercession infatigable de la Mère de Dieu qui porte devant lui et pour lui tous ses enfants, tant ukrainiens que russes, tant chrétiens que d’autres religions ou sans religion, tant orthodoxes que catholiques, sorte une humanité plus forte, plus décidée à la vérité, à la dignité, au respect d’autrui, en toutes conditions. Émus parce que prier pour vous et avec vous est aussi prier pour nous qui découvrons nos faiblesses, nos lâchetés, notre attachement à notre confort et à nos sécurités pourtant bien fragiles.
Béatitude, vous l’écrivez chaque semaine depuis 141 semaines : « L’Ukraine est debout, l’Ukraine prie, l’Ukraine se bat ! ». Vive l’Ukraine.
Mgr Eric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et
Président de la Conférence des évêques de France
Mgr Sviatoslav Shevchuk, archevêque majeur de l’Église gréco-catholique #ukrainienne, a débuté ce lundi une série de visites officielles en France. Nous sommes honorés de le recevoir lors de notre assemblée épiscopale qui se tient la semaine prochaine à Lourdes. pic.twitter.com/tR0VGBRWLn
— Mgr Eric de Moulins-Beaufort (@Mgr_EMB) October 29, 2024
sa Béatitude Sviatoslav Schevchuk à la Conférence des évêques de France, le 28 octobre 2024
Nous marchons tous ensemble. L’Ukraine et la France. La guerre dure déjà depuis 1000 jours. Je suis venu chez vous en tant que témoins de l’Espérance.
à la cathédrale Saint Volodymyr-le-Grand de Paris
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