Choisir l’espérance avec le Festival Brother Sun

Deux cents jeunes professionnels et étudiants sont attendus au festival Brother Sun, organisé par les Franciscains à l’occasion des 800 ans du Cantique de Frère Soleil. Le rendez-vous festif, prévu au sein du sanctuaire Notre-Dame de Reinacker (Alsace) du 28 au 31 août 2025, propose une réflexion autour de l’écologie intégrale, entre temps de ressourcement et de fraternité. Par Florence de Maistre.
“L’idée du festival Brother Sun est vraiment intéressante ! Non seulement, il s’agit de fêter l’anniversaire du Cantique de Frère Soleil, mais c’est aussi une manière de découvrir les intuitions de la spiritualité franciscaine et de voir comment elle répond aux préoccupations écologiques et sociales du monde actuel”, lance Jeanne, 28 ans, étudiante en doctorat de sociologie à Strasbourg et membre de l’équipe d’organisation du festival. Du jeudi 28 au dimanche 31 août 2025, les 18 – 35 ans proches ou non des Franciscains sont invités à rejoindre l’Alsace pour participer à ce festival-anniversaire inédit, dans le cadre du huitième centenaire du Cantique des Créatures (ou de Frère Soleil) écrit par saint François d’Assise. Une cinquantaine d’organisateurs, bénévoles, témoins, frères et sœurs franciscains sont déjà à pied d’œuvre et deux cents festivaliers sont attendus. Ils seront accueillis en plein air, pour camper au sein du sanctuaire Notre-Dame de Reinacker, labellisé Église verte et animé par une communauté des sœurs de saint François d’Assise.
“Ce qui caractérise ce festival ? Il reflète la spiritualité franciscaine ! Il propose un esprit de simplicité, d’ouverture et d’accueil, qui est très important pour moi. Il s’inscrit dans une grande cohérence : avec le choix du lieu, en pleine nature, dans un beau paysage vallonné d’Alsace. Mais aussi avec les engagements de ce lieu : au-delà du label, le sanctuaire développe une façon d’être en lien avec les réalités locales. Le tout, pour réfléchir autour des enjeux socio-écologiques. Une grande diversité d’intervenants et de témoins nous aidera à sortir des clichés”, poursuit Jeanne. Carrefours de partage et d’échanges, ateliers pratiques, artistiques, temps de contemplation sont au programme “pour passer de la tête au cœur”, souligne la jeune femme en reprenant les mots des Franciscains. Deux soirées forment le clou du festival : un concert de reggae chrétien avec le groupe Les Guetteurs et une veillée aux étoiles, entre louange, contemplation et poésie. “C’est très prometteur !”, s’enthousiasme l’étudiante. Ceux qui voyagent en train pourront entrer dans la démarche pèlerine, en montant à pied depuis la gare de Saverne jusqu’au site de Reinacker. Les Strasbourgeois qui le souhaitent peuvent rejoindre l’évènement à vélo. Le festival se conclura par la messe du 31 août, présidée par Mgr Pascal Delannoy, archevêque de Strasbourg.
Désirer la fraternité
Depuis 2017, les Franciscains vont de célébrations en célébrations : 800 ans de la règle de l’Ordre des frères mineurs, 800 ans de l’arrivée des premiers frères en France, etc. Cette décennie de fêtes se conclura avec les 800 ans de l’anniversaire de la mort de saint François d’Assise en octobre 2026. Dans le même temps, de nombreux étudiants et jeunes professionnels se sont rapprochés des frères, en particulier autour des questions environnementales et de la lecture de l’encyclique Laudato si’ : un véritable aiguillon. C’est tout naturellement que les Franciscains ont souhaité manifester avec les jeunes l’importance du Cantique de Frère Soleil composé par leur fondateur et proposer un temps fort, fédérateur de leurs différents réseaux. “Nous avons vraiment voulu célébrer ce Cantique de façon synodale. Nous pourrions être tentés de vivre notre charisme comme un patrimoine à protéger. Or, nous voulons célébrer cet anniversaire de façon différente. Ce texte parle à tout le monde de façon différente. Chacun a sa manière particulière de s’approcher de saint François ou de son Cantique. En le proposant à des intervenants d’autres traditions, nous entendrons comment il est reçu et comment ce texte les met en mouvement. Le festival sera marqué par cette diversité. Il n’y aura pas de cours magistraux des Franciscains, mais des personnes différentes engagées dans une dynamique, comme la pasteure Caroline Ingrand-Hoffet ou encore l’auteur Makan Fofana,”, indique Fr. Frédéric-Marie Le Méhauté, ofm, provincial des frères mineurs de France et de Belgique.
Il y a deux ans environ, les frères partagent leur désir de festival avec les jeunes. Une dizaine d’entre eux se lance alors à leurs côtés. Le premier challenge ? Ils ont carte blanche pour imaginer ces trois jours ! Les mois de préparation ont été marqués par cette phase de rêve, chère au pape François, et ce partage profond de confidences et de préoccupations personnelles entre frères, jeunes étudiants et professionnels. Petit à petit, dans le dialogue, le projet du festival prend forme autour de ces aspirations : entendre telle personnalité ou expérimenter telle forme de prière. Plusieurs week-end à Reinacker ont permis à toute l’équipe de vivre ensemble, en fraternité, ce que tous les festivaliers seront invités à vivre aussi fin août. “Je suis assez admiratif de ces jeunes qui en plus de leur travail et de leurs engagements associatifs ont pris à bras le corps cet évènement. Ils ont vraiment posé l’architecture du festival”, partage Fr. Frédéric-Marie.
Il s’agit de réussir l’alliance entre l’attention à la Création
et à l’environnement plus social, aux personnes exclues
Jeanne a rejoint l’équipe, il y a six mois et y apporte la touche locale. “J’ai entendu parler du festival l’été dernier à l’issue d’une retraite fondamentale à Brive-la-Gaillarde. Je suis heureuse de m’investir au service des Franciscains. De leurs côtés, ils savent entendre mes limites, nous nous ajustons bien”, précise-t-elle. Elle a récemment organisé une conférence à Strasbourg avec le Fr. Frédéric-Marie, sur le thème de l’engagement écologique avec le prisme de la spiritualité franciscaine. L’occasion de faire connaître le festival ! Outre les réseaux habituels de sa paroisse, de l’aumônerie étudiante et de la pastorale diocésaine des jeunes, elle reconnaît ses difficultés pour toucher ses contemporains hors de Strasbourg ou du maillage connu. “C’est un défi que le festival essaie de relever. Il s’agit de réussir l’alliance entre l’attention à la Création et à l’environnement plus social, aux personnes exclues. Il s’agit de vivre en Église et de prendre soin de notre maison commune, tous ensemble. Nous avons un message d’espérance à partager”, souligne la doctorante en sociologie.
Approfondir avec le Cantique des Créatures
Si elle confesse ne pas prier avec le Cantique en lui-même, elle assure néanmoins trouver magnifique le texte de 1225, qui influence sa façon de contempler. “J’ai récemment mieux compris les enjeux de la traduction de l’italien au français, lorsque finalement c’est “par” qui a été choisi au lieu de “pour” [Loué sois-tu, mon Seigneur, par sœur Lune et les Étoiles ; par frère Vent, etc.]. L’idée est de non seulement rendre grâce, mais aussi de louer Dieu, de le contempler à travers tous les éléments de la Création. C’est une manière de méditer qui me touche”, confie Jeanne. Fr. Frédéric-Marie l’assure : il existe plusieurs niveaux de lecture du Cantique des Créatures. Il y a d’abord, la figure de saint François d’Assise, associée au saint des oiseaux et de la nature. Un saint accessible, avec son petit grain de folie et de naïveté, légèrement distant de l’Église institutionnelle. Somme toute, un saint sympathique !
“Soyons attentifs au deuxième niveau de lecture : ce texte porte une profondeur tout à fait étonnante. Il a un puissant rapport à la mort. Nombre d’expériences ont été partagées à ce sujet”, commence le Provincial des frères mineurs, en évoquant le célèbre texte de Fr Éloi Leclerc. Ce dernier raconte qu’au moment de sa déportation vers l’Allemagne, entassé dans les wagons avec des personnes qui meurent les unes sur les autres et avec un autre frère sur le point de mourir, la seule prière, qui est venue devant l’abominable, l’inhumanité de la situation, est justement ce Cantique des Créatures. Le Provincial reprend : “Cela semble paradoxal, mais ce Cantique n’est pas un hymne à la vie. Aucun animal n’est cité. Saint François loue tous les éléments que l’on ne peut enfermer, ni s’approprier : le soleil, la lune, le vent, l’eau, etc. De fait, il loue les éléments de la Création pour leur gratuité, pour ouvrir nos mains. Il n’évoque pas la fraternité, mais ceux qui pardonnent par amour. Il n’évoque pas non plus la vie, mais notre sœur la Mort corporelle à laquelle nul homme vivant ne peut échapper… pour mieux tomber dans les mains de Dieu. Tel est le cœur spirituel du Cantique, qui est un hymne à la désappropriation, aux mains ouvertes, à la non-domination”. Une façon de présenter le Cantique qui rencontre le questionnement des jeunes et qui résonne avec de nombreuses problématiques fondamentales dans la pensée écologique. Les notions d’interdépendance et de liberté sont interrogées, les relations pensées comme des éléments qui font grandir ou qui entravent. “Le Cantique dit que c’est ça être frère et soeur. Toute tradition est interpellée par la liberté de l’autre. On parle beaucoup de l’aspect pauvreté chez saint François, mais ce n’est qu’une étape pour mettre en œuvre cette dimension de non-domination, de non-pouvoir : cette vie de mineur”, résume Fr Frédéric-Marie.
Vivre sa vocation
Original, le festival Brother Sun n’a pas vocation à être réédité. Il pourra toutefois être une porte d’entrée vers d’autres propositions de la pastorale des jeunes et des vocations des Franciscains. Comme le parcours saint Bonaventure, une retraite qui offre aux jeunes de puiser la présence de Dieu dans la Création, ou encore comme la route d’Assise sur les pas de saint François. Le plus important, le leitmotiv de l’équipe d’organisation est que “chaque participant puisse repartir en se disant qu’il n’est pas tout seul. Qu’il trouve là une espérance, une joie et une fraternité. Au-delà des activités proposées, je souhaite que chacun expérimente cette fraternité possible, même avec des personnes différentes. Cette joie possible, même dans ce monde difficile et surtout pour les jeunes. Cette espérance possible, car Dieu est toujours présent”, révèle Fr Frédéric-Marie. Quand Jeanne attend surtout de ce grand week-end de belles rencontres, l’initiative du festival Brother Sun donne déjà de la joie et de l’énergie au Provincial. Il ponctue : “Je contemple avec les jeunes que le charisme franciscain a quelque chose à dire et qu’il est attendu. Nul besoin d’être activiste, j’ai simplement à vivre ma vocation de frère. Quelque chose est déjà donné et fait écho avec les jeunes. Chacun à notre place, nous découvrons ensemble une nouvelle profondeur. J’ai donné ma vie pour ça”.