Déclaration de repentance des évêques de France
La Conférence des évêques de France réunit à Drancy (Seine-Saint-Denis) le 30 septembre 1997 reconnaissait les « silences » de la hiérarchie et son « repli ». La déclaration de repentance des évêques de France a été lue par Mgr Olivier de Berranger, ancien évêque de Saint-Denis au Mémorial de Drancy.
Événement majeur de l’histoire du XXème siècle, l’entreprise d’extermination du peuple juif par les nazis pose à la conscience des questions redoutables qu’aucun être humain ne peut écarter. L’Église catholique, loin d’en appeler à l’oubli, sait que la conscience se constitue par le souvenir et qu’aucune société, comme aucun individu, ne peut vivre en paix avec lui-même sur un passé refoulé ou mensonger.
L’Église de France s’interroge. Elle y est conviée comme les autres Églises par le Pape Jean Paul II à l’approche du troisième millénaire : « Il est bon que l’Église franchisse ce passage en étant clairement consciente de ce qu’elle a vécu (…). Reconnaître les fléchissements d’hier est un acte de loyauté et de courage qui nous aide à renforcer notre foi, qui nous fait percevoir les tentations et les difficultés d’aujourd’hui et nous prépare à les affronter »1.
Après la célébration cette année du 50ème anniversaire de la Déclaration de Seelisberg (5 août 1947), petit village de Suisse où au lendemain de la guerre des juifs et des chrétiens avaient posé les jalons d’un enseignement nouveau à l’égard du judaïsme, les évêques de France soussignés, en raison de la présence de camps d’internement dans leur diocèse, à l’occasion de l’anniversaire dans quelques jours du premier statut des juifs décidé par le gouvernement du Maréchal Pétain (3 octobre 1940), désirent accomplir un pas nouveau.
Ils le font pour répondre aux exigences de leur conscience éclairée par le Christ. Le temps est venu pour l’Église de soumettre sa propre histoire durant cette période en particulier, à une lecture critique, sans hésiter à reconnaître les péchés commis par ses fils et à demander pardon à Dieu et aux hommes.
En France la persécution violente n’a pas commencé tout de suite. Mais très vite, dès les premiers mois qui ont suivi la défaite de 1940, a sévi un antisémitisme d’État qui privait les juifs français de leurs droits et les juifs étrangers de leur liberté, entraînant dans l’application des mesures édictées l’ensemble des corps constitués de la nation.
En février 1941, 40 000 juifs environ, se trouvaient dans les camps d’internement français. A un moment où dans un pays partiellement occupé, abattu et prostré, la hiérarchie considérait comme son premier devoir de protéger ses fidèles, d’assurer au mieux la vie de ses institutions, la priorité absolue assignée à ces objectifs, en eux mêmes légitimes, a eu malheureusement pour effet d’occulter l’exigence biblique de respect envers tout être humain créé à l’image de Dieu.
A ce repli sur une vision étroite de la mission de l’Église s’est ajouté, de la part de la hiérarchie, un manque de compréhension de l’immense drame planétaire en train de se jouer, qui menaçait l’avenir même du christianisme. Pourtant, parmi les fidèles et chez beaucoup de non catholiques l’attente était considérable de paroles d’Eglise rappelant au milieu de la confusion des esprits le message de Jésus-Christ.
Dans leur majorité, les autorités spirituelles, empêtrées dans un loyalisme et une docilité allant bien au-delà de l’obéissance traditionnelle au pouvoir établi, sont restées cantonnées dans une attitude de conformisme, de prudence et d’abstention, dictée pour une part par la crainte de représailles contre les œuvres et les mouvements de jeunesses catholiques. Elles n’ont pas pris conscience du fait que l’Église, alors appelée à jouer un rôle de suppléance dans un corps social disloqué, détenait en fait un pouvoir et une influence considérables et que dans le silence des autres institutions, sa parole pouvait par son retentissement faire barrage à l’irréparable. On doit s’en souvenir : au temps de l’Occupation on ignorait encore la véritable dimension du génocide hitlérien. S’il est vrai qu’on peut citer en abondance des gestes de solidarité, on doit se demander si des gestes de charité et d’entraide suffisent à honorer les exigences de la justice et le respect des droits de la personne humaine.
Ainsi, face à la législation antisémite édictée par le gouvernement français – à commencer par le statut des juifs d’octobre 1940 et celui de juin 1941 qui ôtaient à une catégorie de Français leurs droits de citoyens, qui les fichaient et qui faisaient d’eux des êtres inférieurs au sein de la nation – face aux décisions d’internement dans des camps de juifs étrangers qui avaient cru pouvoir compter sur le droit d’asile et sur l’hospitalité de la France, force est de constater que les évêques de France ne se sont pas exprimés publiquement acquiesçant par leur silence à ces violations flagrantes des droits de l’homme et laissant le champ libre à un engrenage mortifère.
Nous ne jugeons ni les consciences ni les personnes de cette époque, nous ne sommes pas nous-mêmes coupables de ce qui s’est passé hier, mais nous devons apprécier les comportements et les actes. C’est notre Église et nous sommes obligés de constater aujourd’hui objectivement que des intérêts ecclésiaux entendus d’une manière excessivement restrictive l’ont emporté sur les commandements de la conscience et nous devons nous demander pourquoi.
Au delà des circonstances historiques que nous venons de rappeler, nous avons en particulier à nous interroger sur les origines religieuses de cet aveuglement. Quelle fut l’influence de l’antijudaïsme séculaire? Pourquoi dans le débat dont nous savons qu’il a existé, l’Église n’a-t-elle pas écouté la voix des meilleurs des siens ? Avant la guerre à plusieurs reprises dans des articles ou des conférences publiques Jacques Maritain s’est efforcé d’ouvrir les Chrétiens à un autre regard sur le peuple juif. Il les mettait aussi en garde avec vigueur contre la perversité de l’antisémitisme qui se développait. Dès la veille de la guerre, Mgr Saliège recommandait aux catholiques du XXème siècle de chercher la lumière dans l’enseignement de Pie XI plutôt que dans tel édit d’Innocent III au XIIIème siècle. Pendant la guerre des théologiens et exégètes à Lyon et à Paris mettaient prophétiquement en relief les racines juives du christianisme, en soulignant que la tige de Jessé avait fleuri en Israël, que les deux Testaments étaient indissociables, que la Vierge, le Christ, les Apôtres étaient juifs et que le christianisme est lié au judaïsme comme la branche au tronc qui l’a portée. Pourquoi de telles paroles furent-elles si peu écoutées ?
Certes, sur le plan doctrinal, l’Église était fondamentalement opposée au racisme pour des raisons à la fois théologiques et spirituelles que Pie XI avait exprimées fortement dans l’encyclique Mit brennender Sorge qui condamnait les principes de base du national socialisme et mettait en garde les chrétiens contre les dangers du mythe de la race et de la toute puissance de l’État. Dès 1928, le Saint-Office avait condamné l’antisémitisme. En 1938, Pie XI déclarait avec force : « Spirituellement nous sommes des sémites ». Mais de quel poids pouvaient peser de telles condamnations, de quel poids pouvait peser la pensée des quelques théologiens évoqués plus haut par rapport aux stéréotypes antijuifs constamment répétés dont nous retrouvons la trace même après 1942 dans des déclarations qui par ailleurs ne manquaient pas de courage.
Force est d’admettre en premier lieu le rôle, sinon direct du moins indirect, joué par des lieux communs antijuifs coupablement entretenus dans le peuple chrétien dans le processus historique qui a conduit à la Shoah. En effet, en dépit (et en partie à cause) des racines juives du christianisme, ainsi que de la fidélité du peuple juif à témoigner du Dieu unique à travers son histoire, la « séparation originelle» surgie dans la seconde moitié du Ier siècle a conduit au divorce, puis à une animosité et une hostilité multiséculaire entre les chrétiens et les juifs. Sans nier par ailleurs le poids des données sociales, politiques, culturelles, économiques dans le long itinéraire d’incompréhension et souvent d’antagonisme entre juifs et chrétiens, un des fondements essentiels du débat demeure d’ordre religieux. Cela ne signifie pas que l’on soit en droit d’établir un lien direct de cause à effet entre ces lieux communs antijuifs et la Shoah car le dessein nazi d’anéantissement du peuple juif a d’autres sources.
Au jugement des historiens, c’est un fait bien attesté que pendant des siècles a prévalu dans le peuple chrétien jusqu’au Concile Vatican II, une tradition d’antijudaïsme marquant à des niveaux divers la doctrine et l’enseignement chrétiens, la théologie et l’apologétique, la prédication et la liturgie. Sur ce terreau a fleuri la plante vénéneuse de la haine des juifs. De là un lourd héritage aux conséquences difficiles à effacer – jusqu’en notre siècle. De là des plaies toujours vives.
Dans la mesure où les pasteurs et les responsables de l’Église ont si longtemps laissé se développer l’enseignement du mépris et entretenu dans les communautés chrétiennes un fonds commun de culture religieuse qui a marqué durablement les mentalités en les déformant, ils portent une grave responsabilité. Même quand ils ont condamné les théories antisémites dans leur origine païenne, on peut estimer qu’ils n’ont pas éclairé les esprits comme ils l’auraient dû parce qu’ils n’avaient pas remis en cause ces pensées et ces attitudes séculaires.
Dès lors, les consciences se trouvaient souvent endormies et leur capacité de résistance amoindrie quand a surgi avec toute sa violence criminelle l’antisémitisme national socialiste, forme diabolique et paroxysmale de haine des juifs, fondée sur les catégories de la race et du sang et visant ouvertement l’élimination physique du peuple juif—« une extermination inconditionnelle (…) mise en oeuvre avec préméditation » selon les termes du Pape Jean Paul II.
Par la suite, quand la persécution s’est aggravée et que s’est enclenchée sur le territoire français la politique de génocide du IIIème Reich, relayée par les autorités de Vichy mettant à la disposition de l’occupant ses services de police, quelques évêques courageux 2 ont su élever la voix pour protester avec éclat, au nom des droits de la personne contre les rafles de populations juives. Ces paroles publiques alors peu nombreuses furent entendues par beaucoup de chrétiens. On ne saurait oublier les nombreuses démarches accomplies par les autorités ecclésiastiques pour sauver des hommes, des femmes, des enfants en danger de mort, ni le flux de charité chrétienne qui s’est déployé à la base, avec une générosité multiforme et en courant les plus grands risques, pour le sauvetage de milliers et de milliers de juifs.
De leur côté et bien avant ces interventions, sans hésiter à choisir la voie de la clandestinité, des religieux, des prêtres, des laïcs ont sauvé l’honneur de l’Église, souvent de manière discrète et anonyme. Ils l’ont fait aussi, en particulier dans les Cahiers du Témoignage chrétien, en dénonçant avec force le poison nazi qui menaçait les âmes de toute sa virulence néo-païenne, raciste et antisémite, et en rappelant en toute occasion la parole de Pie XI : « Spirituellement nous sommes des sémites ». C’est un fait historique établi que grâce à toutes ces actions de sauvetage venues des milieux catholiques ainsi que du monde protestant et des organisations juives, la survie d’un grand nombre de juifs a pu être assurée.
Il n’en reste pas moins que, si parmi les chrétiens, clercs, religieux ou laïcs, les actes de courage n’ont pas manqué pour la défense des personnes, nous devons reconnaître que l’indifférence l’a largement emporté sur l’indignation et que devant la persécution des juifs, en particulier devant les mesures antisémites multiformes édictées par les autorités de Vichy, le silence a été la règle et les paroles en faveur des victimes, l’exception.
Aujourd’hui nous confessons que ce silence fut une faute. […] Nous confessons cette faute. Nous implorons le pardon de Dieu et demandons au peuple juif d’entendre cette parole de repentance.
Pourtant, comme l’a écrit François Mauriac, «un crime de cette envergure retombe pour une part non médiocre sur tous les témoins qui n’ont pas crié et quelles qu’aient été les raisons de leur silence » 3.
Le résultat, c’est que la tentative d’extermination du peuple juif, au lieu d’apparaître comme une question centrale sur le plan humain et sur le plan spirituel est restée à l’état d’enjeu secondaire. Devant l’ampleur du drame et le caractère inouï du crime, trop de Pasteurs de l’Église ont par leur silence offensé l’Église elle-même et sa mission.
Aujourd’hui nous confessons que ce silence fut une faute. Nous reconnaissons aussi que l’Église en France a alors failli à sa mission d’éducatrice des consciences et qu’ainsi elle porte avec le peuple chrétien la responsabilité de n’avoir pas porté secours dès les premiers instants quand la protestation et la protection étaient possibles et nécessaires, même si par la suite il y eut d’innombrables actes de courage.
C’est là un fait que nous reconnaissons aujourd’hui. Car cette défaillance de l’Église de France et sa responsabilité envers le peuple juif font partie de son histoire. Nous confessons cette faute. Nous implorons le pardon de Dieu et demandons au peuple juif d’entendre cette parole de repentance.
Cet acte de mémoire nous appelle à une vigilance accrue en faveur de l’homme dans le présent et pour l’avenir.
Mgr Olivier de Berranger
Evêque de Saint Denis
Mgr Gaston Poulain
Président du Comité épiscopal pour les relations avec le Judaïsme
– L’Épiscopat allemand et l’Épiscopat polonais ont fait une déclaration sur l’attitude de leur Église pendant la guerre à l’occasion du 50ème anniversaire de la libération d’Auschwitz. D.C., n° 2110, p. 188 -191.
– La législation de Vichy et notamment les statuts de 1940 et de 1941. se trouvent dans Les juifs sous l’occupation, Recueil des textes officiels français et allemands, 1940/1944 réédité par l’Association « Les fils et les filles des déportés juifs de France / F.F.D.J.F. » – 1982, ainsi que dans l’ouvrage de Michaël R. Marrus-Robert O. Paxton, Vichy et les juifs, Calmann-Lévy, 1981 .
– Les principales prises de position du protestantisme se trouvent dans Spiritualité, théologie et résistance, Presse Universitaire de Grenoble, 1987, p. 151 à 182.
1 – JEAN PAUL II, Lettre Apostolique Tertio Millennio Adveniente, §33, D.C., n°2105, 4 déc. 1994, p. 1025.
2 – Cinq archevêques et évêques de la zone sud ont protesté en 1942 contre les violations des droits de l’homme résultant des rafles : Monseigneur SALIEGE archevêque de Toulouse, Monseigneur THÉAS évêque de Montauban, le Cardinal GERLIER archevêque de Lyon, Monseigneur MOUSSARON archevêque d’Albi et Monseigneur DELAY évêque de Marseille.
En zone occupée, Mgr VANSTEENBERGHE évêque de Bayonne publia une protestation en lère page du bulletin diocésain le 20/09/42.
3 – Préface de François Mauriac à l’ouvrage de Léon Poliakov, Bréviaire de la haine, 1951, p. 3.
Cette déclaration a été signée par les 16 évêques dont les diocèses ont eu un camp de rétention.
- Mgr de Berranger, Saint-Denis en France, camp d’internement : Drancy
- Mgr Thomazeau, Beauvais, camp d’internement : Compiègne
- Mgr Picandet, Orléans, camp d’internement : Pithiviers et Beaune-la-Rolande
- Mgr Orchampt, Angers, camp d’internement : Angers
- Mgr Rouet, Poitiers, camp d’internement : Poitiers
- Mgr le Cat Eyt, Bordeaux, camp d’internement : Mérignac
- Mgr Molères, Bayonne, camp d’internement : Gurs
- Mgr Marcus, Toulouse, camp d’internement : Récébédou et Noé
- Mgr Fort, Perpignan, camp d’internement : Rivesaltes, Argelès et Saint Cyprien
- Mgr Ricard, Montpellier, camp d’internement : Agde
- Mgr Panafieu, Marseille, camp d’internement : Aubagne
- Mgr Billé, Aix-en-Provence, camp d’internement : Les Milles
- Mgr Balland, Lyon, cap d’internement : Vénissieux
- Mgr de Monléon, Pamiers, camp d’internement : Le Vernet
- Mgr Meindre, Albi, camp d’internement : Saint-Sulpice, Brens
- Mgr Soulier, Limoges, camp d’internement : Nexon
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