Discours d’ouverture de l’Assemblée plénière de novembre 2013
Le Message de Toussaint
Il y a quelques jours, dans nos cathédrales, nous célébrions la fête de Toussaint. Avec de nombreux baptisés, nous relisions le beau récit de l’Apocalypse qui nous présentait cette foule immense que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, races, peuples et langues proclamant d’une voix forte la gloire de Dieu. La liturgie et, en son sein, l’écoute de la Parole de Dieu nous ouvraient un horizon immense, l’horizon qui se présente à l’humanité : une humanité non pas enfermée dans les limites de cette vie terrestre, mais une humanité appelée à se retrouver unie, apaisée, sauvée de ses peurs, de ses divisions, des obscurités de sa pensée, par la contemplation de la lumineuse profondeur de l’amour de Dieu, de ce Dieu-Père, source de toute vie, de Jésus le Christ, notre frère en humanité et notre sauveur, de l’Esprit sanctificateur. Et Saint Jean, le disciple bien-aimé, en tirait les conséquences : par la volonté et la grâce de Dieu, nous sommes enfants de Dieu. Voilà l’espérance qui rend pur comme Dieu lui-même est pur. Quel bonheur de proclamer cette espérance dans nos cathédrales certes, mais aussi dans des chapelles d’hôpitaux, dans des célébrations à l’intérieur de diverses prisons, dans nos églises paroissiales, dans les communautés contemplatives. Et cela, en communion avec le Pape François, mais aussi avec nos frères chrétiens de par le monde qui, pour certains, ont célébré leur foi et leur espérance sous la menace de bombes trop proches.
Quand on sait où l’on va, il est plus facile de préciser le chemin qui y conduit! Le récit des Béatitudes nous a décliné ce chemin qui mène au bonheur, à travers des choix de vie humanisants, sources de plénitude pour ceux qui les empruntent. Le visage du Christ nous est apparu, du Christ, pauvre de cœur, pur, doux, compatissant, assoiffé de justice, miséricordieux, artisan de paix, persécuté par ceux dont l’horizon du bonheur demeurait replié sur eux-mêmes et borné par leurs peurs !
C’est dans cette foi que nous puisons notre lumière pour discerner les attitudes les meilleures et les engagements en harmonie avec cette destinée de l’homme fait pour Dieu et pour une vie fraternelle.
En communion avec le Pape François
Notre Pape François nous stimule en ce temps de grâce. Il ne cesse de nous inviter à une vie en conformité toujours plus grande avec notre foi. Son récent pèlerinage à Assise pour honorer son saint patron et rendre grâce pour cette figure évangélique missionnaire en a été une riche occasion.
A nous, Evêques, il nous recommande d’avoir une vie simple, personnellement et en Eglise, où la pauvreté choisie prenne toute sa place. Il nous invite à la compassion, à la charité, à la miséricorde. Il remet au centre de notre contemplation le visage d’un Dieu qui s’est fait homme pour guérir et sauver, pour relever et embrasser, pour réconforter et panser les plaies diverses de la vie d’ici-bas. Son usage naturel d’images suggestives lui a fait présenter l’Eglise « comme un hôpital de campagne, après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol et un taux de sucre trop haut ! Nous devons soigner les blessures. Ensuite nous pourrons parler de tout le reste. Soigner les blessures, soigner les blessures… » (Interview aux revues culturelles jésuites publiée dans Etudes, oct. 2013, p.14). Nous sommes stimulés pour vivre notre ministère proches de tous en étant quand il le faut en tête du troupeau, parfois derrière ou au milieu, souvent à genoux pour écouter, jamais sans lui ou loin de lui et recevant même de lui le secours de son expérience et de sa collaboration. Et avec lui, nous avons à sortir de nos communautés pour vivre avec audace l’annonce de l’amour de Dieu pour tout homme.
Aux jeunes adultes rassemblés pour les Journées Mondiales de la Jeunesse à Rio de Janeiro, le Saint- Père a proposé la suite du Christ comme le roc solide sur lequel bâtir leur vie et leurs engagements. Il les a remerciés pour leur enthousiasme et leur générosité. Il les a invités à s’impliquer dans la construction d’un monde juste et fraternel. Il les a stimulés pour une vie missionnaire reposant sur des choix de vie conformes à leur foi, sur une vie ecclésiale nourrissante, sur l’annonce du Christ auprès de leurs amis et de leurs proches. Dans sa dernière homélie, il les envoyait en leur disant : « Allez, sans peur, pour servir ! » Plusieurs parmi nous ont vécu ces Journées Mondiales de la Jeunesse avec les jeunes de leur diocèse. D’autres ont participé à des temps forts ici en France. Chaque fois nous avons rendu grâce pour la profondeur de la foi de ces jeunes adultes, pour leur joie de croire, leur désir de témoigner et leur engagement avec des plus pauvres.
Le récent rassemblement des catéchistes à Rome s’est inscrit dans l’élan de la nouvelle évangélisation. Tous les participants ont reçu un encouragement profond de la part du Saint-Père. Nous avons décidé de diffuser largement auprès d’eux et de ceux qui n’ont pas pu y aller le texte de ses interventions.
Regarder la vie du monde à partir des souffrants
Le discernement spirituel est l’acte de notre ministère le plus important et le plus délicat. Le Pape François nous rappelle qu’il s’agit de sentir les choses du point de vue de Dieu. Quel décentrement ! Quel exercice ! Nous ne pouvons le faire ni trop rapidement, ni tout seuls. Nous nous y entraidons.
S’agissant des choses de ce monde, nous savons que la manière du Christ a été de partir des plus pauvres, des petits, des affligés. Regarder la vie du monde à partir d’eux, de leurs besoins, de leurs cris humanise, invite à des choix qui privilégient la fraternité, la justice et la solidarité. Nous avons essayé de le faire lors de la démarche appelée « Diaconia » qui a eu son point culminant lors du rassemblement du mois de mai, ici à Lourdes et qui se poursuit maintenant dans nos diocèses. L’expérience de la vie en petites fraternités, l’écoute de la parole des plus pauvres, le partage de la Parole de Dieu, l’audace de la vie fraternelle nous ont indiqué des voies évangéliques à poursuivre ou à initier dans la vie ordinaire de nos communautés paroissiales. C’est une nécessité humaine et évangélisatrice.
Nous sommes particulièrement attentifs au sort qui est fait aux populations d’origine bulgare ou roumaine venues vivre dans notre pays. Depuis deux ou trois ans nous ne voyons se dessiner aucune politique autre que celle de leur refuser un accueil réalisable et souhaité par le plus grand nombre d’entre eux. Des expériences ici ou là le prouvent : des enfants, quand cela est rendu possible, s’intègrent bien en milieu scolaire ; des adultes soutenus par des associations souvent admirables quand elles leur offrent leur compétence sans les instrumentaliser, apprennent notre langue ; des projets naissent. Mais tout cela est vite interrompu par l’insuffisance des moyens que notre société accepte de mettre pour l’accompagnent de ceux qui se comportent de manière raisonnable et pacifique. Le problème de l’habitat comme celui du travail sont cruciaux. Détruire un bidonville peut sûrement se justifier pour des raisons évidentes d’hygiène. Mais le détruire est-il plus urgent qu’abandonner, sans perspective, à une nouvelle errance ceux qui y avaient fait un refuge familial provisoire ? Et que dire des propos haineux à leur égard, prononcés sans aucune retenue ? Que dire des violences qu’ils subissent ? Nous ne pensons pas que notre société se grandisse par de tels propos ni par ce refus de solidarité et de fraternité, même si nous n’ignorons pas la complexité de la question, ses exigences compréhensibles et sa dimension européenne évidente à prendre en compte avec leurs pays d’origine. Quand on ne veut pas se faire frère des plus démunis, on les stigmatise puis on les éloigne et enfin on les ignore. Quand on se fait proche d’eux, et nous en avons de multiples témoignages, voilà que l’amitié naît et que les peurs s’estompent. Nous nous réjouissons de voir de nombreux chrétiens choisir ce dernier chemin, avec bien d’autres d’ailleurs. Comment ne pas redouter que le sort fait à ces femmes, ces enfants, ces grands-parents, ces hommes ne soit en fait trop influencé par des surenchères politiciennes locales ou nationales ?
Les temps que nous vivons sont difficiles pour beaucoup. Dans nos visites pastorales, dans nos rencontres avec les élus, avec les membres des associations caritatives confessionnelles ou non, dans notre attention régulière à la vie des gens, nous sommes touchés par l’angoisse de beaucoup par rapport à leur avenir. Que ce soit en milieu urbain ou en zones rurales. Et voilà qu’en même temps on nous informe sur le fossé qui se creuse encore et encore entre les plus riches et les plus pauvres de notre pays, comme entre les pays de la planète. L’aveuglement est grave. C’est une injure faite aux plus démunis. Quand retrouverons-nous le sens minimum d’une fraternité et d’une solidarité réelles ? Quand s’arrêtera la course au toujours plus pour quelques-uns afin que chacun ait ce qu’il lui faut pour vivre ? Il y va de la cohésion de nos sociétés et de la paix dans le monde. Nous voulons dire tous nos encouragements à tous ceux qui, dans leurs responsabilités, s’emploient à trouver les chemins d’une société plus juste : hommes politiques, élus, cadres d’entreprises, responsables syndicaux, membres si divers de la vie associative, citoyens conscients et solidaires.
Notre regard à partir des plus fragiles et notre compassion nous conduisent à penser aux enfants et aux personnes en fin de vie.
Là encore, ne manque-t-il pas aux adultes une conscience plus réelle et exigeante de leur responsabilité ? Que d’enfants soumis aux choix personnels de leur père ou de leur mère ? Que de souffrances constatées par les éducateurs, les psychologues, les médecins, les prêtres ! La stabilité des couples s’est fragilisée et ceux qui en sont les premières victimes sont les plus faibles : les enfants. En même temps, le désir légitime d’avoir un enfant veut devenir un droit à l’enfant et tous les moyens seraient bons pour l’obtenir. Faut-il s’en remettre aux seules techniques pour vivre et traverser les limites de nos existences ? La fécondité de notre vie ne peut-elle pas trouver d’autres chemins pour se déployer ? Au printemps dernier, beaucoup se sont manifestés en faveur de la défense de la famille et des droits des enfants. Chrétiens, nous nous savons appelés à entendre les cris de ceux qui vivent toutes sortes de souffrances dans la société et à donner aussi le témoignage heureux d’une vie en famille, ouverte à l’accueil des enfants, de tous les enfants, où l’amour sait traverser les épreuves et leur donner sens dans une fidélité féconde et sans cesse renouvelée. Nous nous réjouissons de la décision prise par le Pape François de convoquer une Assemblée Générale Extraordinaire du Synode des Evêques en octobre prochain sur le thème : « Les défis pastoraux de la famille dans le contexte de l’évangélisation. »
C’est encore en pensant à la dignité de tout être humain que nous invitons au respect total, à la solidarité durable, à l’attention sans faille à l’égard des personnes en fin de vie. Que nul ne puisse douter de l’affection et de l’estime des siens. Que la confiance soit faite au corps médical pour accompagner de son savoir-faire et de son éthique le soulagement de la douleur, sans jamais pourtant, pouvoir guérir celle, extrême et mortifère, de se sentir abandonné par ses proches ! Une loi sage et équilibrée a donné l’outil législatif nécessaire en ce domaine. Avant de légiférer encore, qu’on se demande si ce serait pour donner un signe plus grand du respect de la personne humaine, d’une solidarité avec elle ou bien plutôt celui d’un nouvel affaissement de nos solidarités familiales et sociales, exigeantes parfois, porteuses de fruits toujours.
Si nous nous exprimons au sujet de toutes ces questions prégnantes qui marquent notre société, c’est avec beaucoup d’humilité et avec la conscience vive que nos paroles doivent s’accompagner d’actes et d’initiatives. L’Eglise catholique, dans sa longue histoire, a su en prendre de multiples en bien des domaines et continue de le faire. Ce n’est pas contrevenir à la séparation des Eglises et de l’Etat qui préside de manière nécessaire à la vie ordinaire d’une société pluraliste. C’est bien l’Etat qui dans son fonctionnement se doit d’observer une neutralité bienveillante. L’Etat est laïc. Mais la société, elle, est composée de personnes et de groupes aux convictions diverses qui doivent apprendre à dialoguer, à se respecter, à ne jamais aller au-delà de ce qui pourrait troubler la vie publique ou exprimer une volonté d’hégémonie. L’Etat se doit de permettre ce vivre ensemble dans le respect de tous. Qu’il me soit permis de rassurer ceux qui pourraient en douter : croyants en Christ, nous sommes des citoyens qui aiment leur pays. Nous recherchons sans cesse ce qui est le meilleur pour tous. Notre foi chrétienne nous en fait une obligation.
Au-delà de nos frontières
Au programme de notre assemblée
Parmi les sujets qui vont nous occuper durant ces quelques jours, certains nourriront notre devoir de discernement au sujet de réalités de la vie de notre monde. Je pense au regard que nous porterons sur le phénomène social de l’avortement et ses conséquences souvent indicibles, ainsi que sur l’éducation des jeunes à l’affectivité. Grâce à l’intervention de Mme Sylvie Goulard, nous prendrons un temps de réflexion sur l’Europe à quelques mois des prochaines élections si importantes pour la solidarité et la paix sur notre continent. Nous mettrons un terme à nos travaux conduits par le groupe de travail sur la présence des catholiques dans la société contemporaine dont la nôtre, bien évidemment. Enfin nous évaluerons la manière dont se déploient la diaconie, la charité, la place et le service des plus pauvres dans la vie de nos Eglises diocésaines.
Touchant plus spécifiquement la vie de nos communautés chrétiennes, la formation des futurs prêtres retiendra toute notre attention. Comment ne pas exprimer aux séminaristes toute notre affection et redire notre confiance aux équipes de formateurs ? Comment ne pas adresser un salut paternel aux prêtres de nos diocèses qui, avec nous, portent le souci de l’appel aux vocations et collaborent à la formation des séminaristes lors des divers stages pastoraux ? Notre souci de la mise en œuvre de l’évangélisation nous conduira à regarder comment elle se déploie lors de la rencontre des fiancés et tout au long de la préparation à la célébration du mariage chrétien. Enfin le temps consacré à la pastorale des jeunes adultes reviendra sur les récents événements et envisagera déjà ceux qui vont advenir.
Je ne voudrais pas terminer mon propos sans exprimer à Mgr Nicolas Brouwet toute notre amitié et la part que nous avons prise à l’émotion provoquée par les fortes inondations du printemps dernier. Nous n’oublions pas tous les villages pyrénéens qui portent encore les stigmates et les traumatismes provoqués par cette catastrophe. Mais chacun comprendra que ce qui s’est passé ici à Lourdes nous ait atteints d’une manière particulièrement profonde. Merci à tous ceux qui, de quelque manière, contribuent à la remise en état de ce sanctuaire si important pour nous tous et merci à tous ceux qui y collaborent grâce à leurs dons.
Chers Amis, nous voilà à pied d’œuvre ! Nous allons nous y mettre avec beaucoup d’humilité et de confiance, sachant que c’est le Seigneur qui donne la croissance ! Il veut bien se servir de nos humbles forces, de celles de notre Eglise particulièrement. Que les Béatitudes proclamées et vécues par Jésus soient notre source d’inspiration. Le suivre et l’annoncer à tous sont notre désir. Nous savons bien que nous ne pourrons le faire qu’en portant un amour de prédilection pour tous les hommes, nos frères, les plus éprouvés particulièrement. Que la Vierge Marie accompagne de sa maternelle tendresse nos travaux de ces jours qui viennent.
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