La synodalité. Expérience de fraternité et de communion | Documents épiscopat

En 2021, le Pape ouvrait une démarche synodale. En France, après une phase qui a mobilisé les diocèses, une Assemblée plénière extraordinaire a réuni évêques et référent diocésains en juin 2022. S’ouvrant sur une réflexion sur l’histoire et la pratique de la synodalité dans l’Eglise, ce numéro se fait l’écho des deux phases déjà vécues et présente les textes transmis en vue de la phase continentale qui aura lieu en 2023.

Édito de Mgr Alexandre Joly

Mgr Joly, éléments de méthode de discernement synodal

En convoquant l’Église tout entière à participer au synode des évêques sur la synodalité, le pape François a ouvert un nouveau temps pour l’Église. Il a mis en route un processus, un processus qui s’ajuste au fur et à mesure de son déroulement. Il a osé convoquer l’Église à ce grand événement parce qu’il a perçu, dans le discernement propre à la mission que le Christ lui a confiée de veiller sur l’Église universelle aujourd’hui, que la synodalité est le défi que le Seigneur attend pour son Église du troisième millénaire [1].

Ici et là, l’annonce n’a pas rencontré le même accueil : certains se sont mis en route avec enthousiasme, heureux de pouvoir faire entendre ce qu’ils portent au fond d’eux-mêmes pour une amélioration ou un changement dans l’Église, d’autres ont suivi avec une indifférence parfois teintée de fatalisme ou de découragement, quand d’autres encore ont laissé manifester, parfois tardivement, leur peur ou leur rejet devant tout ce qui est dit ici et là.

S’il s’agit du défi que le Seigneur attend pour son Église au troisième millénaire, c’est qu’il y a là un sujet de conversion : le Seigneur ne demande pas les changements de structures mais la conversion des cœurs ; les changements de structure sont au service de la conversion des cœurs et non l’inverse. Les cœurs sont convoqués pour entreprendre un chemin de conversion qui va leur donner d’être plus ajustés à ce que le Seigneur attend d’eux, donnant à l’Église d’être plus ajustée à sa vocation d’épouse et de mère. En convoquant l’ensemble du Peuple de Dieu au processus synodal, le pape François renvoie chacun à sa manière de vivre la communion dans l’Église, à sa participation réelle à la vie et à la mission de celle-ci, et à sa dimension de disciple-missionnaire qui donne à la communauté tout entière d’être missionnaire, première raison d’être de l’Église.

L’Église est avant tout le corps même du Christ, constituée de tous les membres que nous sommes.

Prise de conscience du mystère de l’église

Avant de se poser la question de la gouvernance à laquelle on a parfois réduit la réflexion synodale, chacun des fidèles, laïc, personne consacrée, ministre ordonné, est invité à percevoir le mystère de l’Église. L’Église n’est pas d’abord une société humaine chargée de traduire dans le temps présent le Royaume de Dieu, dont Jésus ne cesse de nous dire qu’il dépasse toutes nos conceptions humaines. L’Église ne peut pas être comprise comme une simple organisation religieuse mise en place pour porter la nouveauté de l’Évangile apporté par le Christ. L’Église est avant tout le corps même du Christ, constituée de tous les membres que nous sommes. Au point de départ de notre place et de notre mission dans l’Église se trouvent les sacrements de baptême et de confirmation, et la célébration du mystère de l’Eucharistie, source et sommet de toute la vie de l’Église.

L’Église a été fondée par le Christ lui-même et elle est animée, mue, éclairée, façonnée par l’Esprit Saint lui-même. La synodalité nous invite à regarder l’Église conduite par l’Esprit Saint, l’Église qui est le corps du Christ, un corps réel, celui que le Christ se constitue tout au long de l’histoire pour le faire entrer dans le mystère de l’amour éternel qu’est Dieu lui-même.

Dans le mystère de l’Église, corps du Christ, chacun a sa place, la place que lui donne l’Esprit lui-même, afin de faire grandir le corps tout entier. Nul n’est inutile, nul n’est superflu. Dieu a choisi de confier l’œuvre de sa grâce à l’Église, chacun contribuant à diffuser la grâce qui vient de Dieu au reste du corps et donc aux autres membres, selon sa place, sa mission, sa propre vie chrétienne. Le principe premier de l’Église est la communion : communion qui vient de Dieu, que nous puisons dans le mystère de l’Eucharistie, que nous cherchons à vivre dans le concret de nos relations fraternelles. Cette communion est hiérarchisée par le don du ministère épiscopal : Jésus a confié son Église à Pierre et aux autres apôtres, donnant à l’Église d’être une communion structurée par les sacrements et l’action du Christ lui-même. Sa vie et sa mission se déploient « au sein d’une communauté hiérarchiquement structurée » [2]. Le synode nous invite à regarder le mystère même de l’Église, telle que le Christ lui-même l’a fondée.

L’écoute, le dialogue et le discernement

Avec la redécouverte du mystère de l’Église, du sens de l’Église peuple de Dieu et corps du Christ, la synodalité nous invite également à percevoir l’action de l’Esprit et à nous laisser façonner par lui. L’Esprit nous conduit pour une juste participation à la vie et à la mission de l’Église. C’est là une question de foi car nous croyons que l’Esprit est à l’œuvre aujourd’hui dans l’Église du Christ : « Je crois en l’Esprit Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie. »

Se mettre à l’écoute de l’Esprit exige un vrai chemin spirituel. Il ne suffit pas de l’invoquer au début d’un temps ecclésial pour que nos cœurs soient réellement disponibles à ce qu’Il attend de nous. Cette disponibilité à l’œuvre de l’Esprit commence par l’écoute : l’écoute de Dieu, de sa Parole, l’écoute de la foi transmise dans et par l’Église. Cette écoute prend du temps : nous avons besoin de temps pour que le bruit de nos préoccupations laisse place au silence du cœur qui peut alors entendre le délicat souffle de la brise légère (cf. 1 R 19).

L’écoute de l’Esprit se concrétise également par l’écoute de l’Église et l’écoute de nos frères et de nos sœurs. Là encore, écouter l’autre en vérité exige du temps, le « martyre de la patience » dont parlait le cardinal Agostino Casaroli, grand diplomate de l’Église au siècle dernier. Notre écoute de l’autre est polluée par nos préjugés, par notre propre système de pensée, par nos peurs de ce que nous ne connaissons pas ; en revanche, laisser à l’autre le temps de parler, l’écouter en vérité, accepter de se laisser surprendre par lui, permet d’écouter plus réellement ce que l’Esprit nous dit à travers la parole de l’autre.

L’écoute n’est pas la dernière étape, elle laisse place au dialogue et au discernement. Trop souvent, dans nos échanges, nous cherchons à savoir qui a raison, ou bien nous cherchons une sorte de juste milieu, ou bien encore nous optons pour des arrangements. L’Esprit nous conduit à aller plus loin, à dépasser ce qui peut nous opposer pour découvrir une réalité plus belle, supérieure. Discerner ce qui conduit au bien et que nous devons promouvoir, discerner ce qui conduit au mal et que nous devons écarter. Discerner, au milieu de nos émotions, de nos affects, ce qui est juste, ce qui est vrai, ce qui est beau. Ce discernement, dans l’Esprit, est un don de Dieu et nécessite d’être exercé régulièrement pour devenir un habitus, pour s’inscrire réellement dans notre être.

Le ministère ordonné au service du sacerdoce commun

Le travail de discernement est un acte communautaire : la communauté ecclésiale tout entière est appelée à exercer le don de discernement reçu de l’Esprit, à le mettre en œuvre. Le discernement nécessite une vraie disponibilité au travail de l’Esprit, un profond respect les uns des autres, un profond respect de la parole de chacun. Le discernement ne suit pas la majorité ; l’Écriture sainte le rappelle souvent, ce n’est pas le plus grand nombre qui indique automatiquement la vérité. Ce qui est bon et juste peut être exprimé par un petit nombre, voire quelques personnes. C’est ainsi que des prophètes se sont levés de tout temps pour exprimer la parole de Dieu ; dans l’histoire de notre ère, on peut penser à saint François d’Assise et à sainte Catherine de Sienne qui ont eu la parole juste pour donner à l’Église tout entière de reprendre un chemin plus conforme à ce que Dieu attend de son peuple, alors que la majorité suivait un chemin non ajusté.

Dans ce travail de discernement ecclésial, la coresponsabilité entre les fidèles laïcs et les ministres ordonnés est essentielle : chacun est partie prenante de la vie et de la mission de l’Église, en raison de son baptême. Cette coresponsabilité est déjà à l’œuvre en France, de bien des manières. Les diocèses et les paroisses ont de multiples conseils où des avis divers peuvent être exprimés, et des responsabilités sont portées à plusieurs. On conçoit souvent cette coresponsabilité dans un même sens : la personne qui a reçu la responsabilité se fait aider et écoute l’avis d’autres fidèles, souvent sous forme de conseils. Dans cette perspective, le sacerdoce baptismal est au service de la bonne mise en œuvre de la mission du sacerdoce ministériel.

On peut développer davantage une autre perspective : le ministère ordonné est fondamentalement au service du peuple de Dieu. Qu’il est beau de voir les fidèles prendre au sérieux la grâce reçue lors de leur baptême et de leur confirmation, renouvelée dans la célébration de l’eucharistie, et contribuer à la vie de l’Église ! Un style plus synodal conduit à inverser la dynamique ; non plus les laïcs qui aident les prêtres dans leur mission mais les prêtres qui aident les laïcs à vivre pleinement de leur baptême. Ce style synodal peut se traduire concrètement en travaillant ensemble, cherchant ensemble ce que Dieu attend de la communauté chrétienne aujourd’hui, discernant ensemble ce qui semble juste et bon, fabriquant une décision que pourront prendre ceux qui en ont reçu la responsabilité [3]. La synodalité bien vécue permet de bien comprendre et de bien interpréter le ministère des pasteurs dans l’Église. La synodalité et le ministère des évêques ont besoin l’un de l’autre : les deux dimensions de synodalité et de collégialité des évêques s’éclairent l’une l’autre, se soutiennent, s’authentifient, elles s’impliquent mutuellement.

Le Sensus Fidei

Cette coresponsabilité dans l’Église n’est autre que la mise au service de toute l’Église des dons reçus. « La participation se fonde sur le fait que tous les fidèles sont habilités et appelés à mettre au service les uns des autres les dons respectifs reçus du Saint-Esprit » [4]. Les dons que l’Esprit fait à son Église sont nombreux et variés. Tous les fidèles ont reçu le sensus fidei, cet instinct pour la vérité, un instinct surnaturel, un don de Dieu.

Certes, ce don peut être altéré par beaucoup de choses : notre histoire, nos émotions, le contexte culturel dans lequel nous évoluons. Il ne peut pas s’exercer de manière solitaire : nous avons besoin des autres pour l’exercer de manière juste, ce que nous appelons le sensus fidelium, ce don reçu par tous les fidèles et mis en œuvre ensemble. Le sensus fidei a besoin d’une vie chrétienne régulière, de la pratique des sacrements, de l’accueil de l’enseignement de l’Église, de l’accueil de la mission des pasteurs, pour pouvoir porter du fruit.

Comme tous les dons de l’Esprit, il ne peut s’exercer en vérité et avec fécondité que dans le cœur d’une personne profondément ancrée dans le Christ, habitée par l’Esprit, tournée vers le Père, qui aime l’Église et lui fait confiance.

Une juste articulation au cœur de l’Église synodale

La synodalité manifeste et met en œuvre l’être de communion, propre à l’Église, dans le fait de cheminer ensemble. Elle exprime le fait que les fidèles sont des sujets actifs dans l’Église, mais également le rôle spécifique du ministère épiscopal auxquels participent les prêtres, collaborateurs de l’évêque, et les diacres dans leur mission de service. Le concile Vatican II rappelle que les laïcs sont invités à participer au gouvernement de l’Église « selon leurs tâches, leurs rôles et leurs manières propres » [5] ; la synodalité implique la participation et l’implication de tout le peuple de Dieu dans la vie et la mission de l’Église. Le concile Vatican II rappelle également la mission des évêques, qui forment le collège épiscopal ; la mission des évêques se vit en communion avec le Pape et sous son autorité, cum Petro et sub Petro, le Pape étant chargé de l’unité de l’Église tout entière [6].

Pour être pleinement synodale, l’Église met en œuvre une circularité entre la synodalité, la collégialité des évêques et la primauté de l’évêque de Rome. S’il manque un élément, l’Église ne vit pas pleinement ce que Dieu attend d’elle. Voilà ce que rappelle la Commission théologique internationale : « Un exercice adéquat de la synodalité doit contribuer à mieux articuler le ministère de l’exercice personnel et collégial de l’autorité apostolique avec l’exercice synodal du discernement de la part de la communauté » [7].

Il y a une circularité, un échange entre le sensus fidei de tous les fidèles, le discernement exercé de manière communautaire notamment dans l’exercice de la synodalité, et l’autorité de ceux qui ont reçu le ministère de l’unité et du gouvernement (le pape, les évêques, les prêtres). Une juste compréhension de cette circularité ne met pas les uns sur un piédestal pendant que les autres seraient sans cesse rabaissés : le Pape le rappelle souvent en exprimant que l’évêque est à la fois maître et disciple, celui qui enseigne et celui qui écoute.

Invitation à poursuivre le chemin

Le chemin de la synodalité n’est pas nouveau mais il n’a pas atteint sa maturité. C’est la raison pour laquelle le pape François a convoqué un synode sur la synodalité. Afin de mieux vivre cet être synodal qui caractérise la vie et la mission de l’Église et traduit ce qu’elle est en réalité, il faut du temps et un vrai chemin de conversion.

Le chemin passe par l’abandon de certaines conceptions de la vie de l’Église pour entrer dans ce que Dieu attend de nous aujourd’hui. Ce chemin doit affronter des peurs parfois profondément inscrites en nous. Il nous situe dans la confiance : confiance en Dieu qui guide son Église, confiance dans les pasteurs qui exercent la mission reçue de Dieu, confiance dans les fidèles et leur instinct surnaturel appelé le sensus fidei, confiance en l’autre, confiance en soi. Il n’est vrai que si nous sommes ancrés dans le Christ et si nous vivons jour après jour de l’amour du Christ. Ce chemin de la synodalité prend du temps, du temps pour apprendre à écouter l’autre en vérité, sans peur, parce que nous écoutons Dieu qui parle « au cœur de Jérusalem » (Is 40, 2) ; du temps pour apprendre à discerner ce que l’Esprit dit à l’Église aujourd’hui (cf. Ap 2, 29). Dieu attend que son Église mette davantage en œuvre la synodalité pour vivre pleinement la communion, la participation et la mission, ce qui n’est autre que l’œuvre de l’Esprit dans le cœur et dans la vie de l’Église.

Mgr Alexandre Joly,
évêque de Troyes

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