“Le Christ est une force pour les temps de crise”
Le dimanche 13 décembre 2020, Monseigneur Luc Ravel, archevêque de Strasbourg, célébre l’ouverture du Grand jubilé de sainte Odile, en ce jour du 1300e anniversaire de son départ vers le ciel. La démarche proposée jusqu’en décembre 2021 est placée sous la conduite de l’Esprit saint. Entretien. Par Florence de Maistre.
En quoi est-ce important de célébrer cet anniversaire ?
Je vois une raison fondamentale. L’homme individuellement et communautairement a besoin de temps forts. Ce n’est pas propre à l’Église, nous avons à sortir des temps réguliers et monotones. Les temps forts sont inscrits dans la Parole de Dieu comme dans notre histoire sociale. J’en veux pour preuve que même les médecins les plus prudents et le gouvernement constatent qu’on ne peut pas ne pas fêter Noël, quelles que soient les contraintes sanitaires. La fête appartient au corps social, même si le sens de Noël a été perdu. Il est important pour la vie diocésaine de célébrer aussi des temps forts. D’autant plus avec cette date anniversaire des 1300 ans de la mort de sainte Odile. Déclarée sainte patronne de l’Alsace, et pas seulement du diocèse, elle est témoin, protectrice, marraine de tous les Alsaciens. Je souligne volontiers cette dimension. Ce Grand jubilé a été pensé comme un moment très fort de vie spirituelle, de retrouvailles, de fraternité et de joie, ainsi que son nom l’indique.
Comment l’ouverture de l’évènement ce 13 décembre va-t-elle se vivre ?
Nous nous sommes posés la question de l’opportunité de vivre un jubilé dans la période que nous traversons. Est-ce vraiment le moment de faire la fête ? Le Grand jubilé de sainte Odile est prévu de longue date, bien avant la Covid-19, à tel point que c’est la troisième fois qu’on le prépare ! Initialement, il devait se clore en ce 13 décembre 2020 et nous avions prévu un jubilé-pèlerinage au Mont-Sainte-Odile par groupe : celui des élus, des jeunes, de chaque zone pastorale, etc. Tout a été annulé et nous avons échafaudé un deuxième plan. À la suite du premier confinement, les incertitudes étant colossales, j’ai décidé que quoi qu’il arrive, j’ouvrirai ce Grand jubilé ce 13 décembre, même si ce n’est qu’avec trois personnes dans ma chapelle épiscopale ! Finalement, j’ouvrirai la porte du jubilé au sein du sanctuaire du Mont-Sainte-Odile ce dimanche. La célébration aura lieu en présence de quelques dizaines de personnes et sera retransmise en direct sur les ondes de RCF Alsace et par vidéo sur Facebook. La prière universelle, les chants, quelques éléments de prédication ont été partagés à tous les curés de paroisse pour vivre ce dimanche particulier, troisième dimanche de l’Avent, en communion.
À quoi les Alsaciens, les pèlerins sont-ils invités ?
Pour l’instant, il est urgent d’attendre ! On verra si l’on peut envisager un rassemblement l’été prochain. Mais d’ici là, si les Alsaciens ne peuvent venir à sainte Odile, alors c’est elle qui va venir à eux dès le printemps. Nous préparons des visitations des reliques de la sainte patronne des Alsaciens avec tout un parcours auprès des paroisses. Et puis pour se rendre au Mont-Saint-Odile, qui se gravit, nous avons réinvesti les chemins traditionnels. Tous ceux qui résident à moins de 20 km, selon les consignes actuelles, peuvent choisir, seul ou en famille, un chemin et monter faire leur démarche jubilaire. Nous nous tenons sous la conduite de l’Esprit saint et des circonstances. Faire et défaire, c’est toujours travailler. Et en cela, nous montrons une fidélité à nos projets, c’est déjà le vivre. Est-il opportun de lancer cette démarche alors que tout le monde se bat, que les liens sociaux de proximité se dégradent de plus en plus ? La réponse est : oui ! Parce que le Christ et ce qu’il nous propose est une force pour les temps de crise ! C’est sans doute ce que je vais rappeler dans mon homélie de dimanche. Sainte Odile aussi est arrivée au cœur d’une période tragique à la fin du VIIe et au début du VIIIe siècle, entre le déclin de l’Empire romain et la recomposition du haut Moyen-Âge.
Qu’est-ce qui caractérise la figure de sainte Odile ?
Elle est née vers 660, aveugle et avec la double malchance d’être une femme, quand son père souhaitait un héritier. Il la rejette et souhaite la faire mourir. Sa mère la confie à une nourrice puis l’envoie loin près du couvent de Palma. Des récits anciens rapportent qu’Odile est baptisée vers l’âge de 12 ans et qu’alors ses yeux s’ouvrent. Elle revient chez elle et son frère cadet plaide en sa faveur auprès de son père. De colère, ce dernier frappe et tue son fils : c’est un drame épouvantable, une blessure terrible. Odile a beaucoup pleuré, d’où la présence de la chapelle des larmes en son sanctuaire. Son père finit par l’accueillir du bout des lèvres. Et en voyant sa bonté, il se convertit. Il lui donne Hohenbourg, “la citadelle d’en haut”, dont elle fait un monastère. C’est important ! À cette époque, les monastères, essentiellement bénédictins, fleurissent dans toute l’Europe. Ils portent l’Évangile hors de villes et des paroisses où il restait reclus. Ils montrent un dynamisme et un rayonnement extraordinaires ! Une dynamique qu’il nous faut réinventer ! Odile devient abbesse et jusqu’à aujourd’hui la vie religieuse est toujours présente au Mont. Très vite, elle s’aperçoit que certains pèlerins, pauvres ou infirmes, ne peuvent gravir le chemin escarpé jusqu’au monastère. Elle en fonde un second en bas “Niedermunster”, beaucoup plus facile d’accès, dont les ruines sont toujours visibles. Cette charité d’Odile me touche beaucoup. Elle rayonne bien au-delà de l’Alsace. Elle meurt le 13 décembre 720, en la fête de sainte Lucie, fête des lumières. Ce n’est pas un hasard. Celle qui a retrouvé et partagé la lumière du Christ meurt entourée de ses sœurs, après avoir prié pour le salut de son père.
En quoi cette figure de sainteté est-elle toujours actuelle ?
Les saints sont toujours porteurs de l’Évangile dans plusieurs dimensions. On pourrait regarder sainte Odile et s’intéresser à sa vie religieuse, sa vie fraternelle, sa charité ou encore insister sur son caractère de maitresse-femme. Nous avons choisi de lui demander de guérir nos cécités. De nous faire redécouvrir la puissance, l’illumination de la foi, de la révélation reçue au jour de notre baptême. Dans notre société telle qu’elle est aujourd’hui, nous avons un fort besoin d’ouvrir les yeux à la présence du Seigneur. J’appelle tous les baptisés : retrouvez la dynamique de votre baptême et ce regard différent sur Dieu, le monde et vos frères ! J’appelle tous ceux qui n’ont pas la foi : venez trouver la consolation, la joie, la lumière véritable, pour reprendre les mots très forts avec lesquels les catéchumènes et les confirmands s’expriment ! Au moment où les crises se superposent, sanitaire, psychologique, économique et sociale, je souhaite que nous devenions des semeurs de joie. Alors nous vivrons pleinement l’Évangile et notre mission !
Prière
Sainte Odile, Patronne de l’Alsace, nous te remettons
Tous ceux qui vivent dans la plaine, sur les crêtes et les coteaux.
Et aussi tous ceux qui passent auprès de votre tombeau.
Ouvre nos yeux à la splendeur de notre terre.
Ouvre nos esprits à la dignité de notre personne.
Ouvre nos cœurs à l’Amour qui ne finit jamais.
Ouvre nos mains aux faims de nos frères.
Allume en nous ce Feu étrange
Qui dévore ceux qui le retiennent
Qui transforme ceux qui le propagent
Qui fait naître de nouveau,
Les enfants de l’éternel Amour. Amen.
(Mgr Luc Ravel, archevêque de Strasbourg, Lettre pastorale sur le Grand jubilé de sainte Odile)