Trois-cent-cinquantième anniversaire de l’Église de Québec, homélie de Mgr Aveline

Le Cardinal Aveline au Quebec pour le 350e anniversaire

Homélie de Mgr Jean-Marc Aveline, Archevêque de Marseille pour le trois-cent-cinquantième anniversaire de l’Église de Québec.

Chers amis,

Lorsque le pape François m’a demandé d’être son représentant pour la célébration du trois-cent-cinquantième anniversaire de la fondation de votre diocèse, j’ai compris que cet événement lui tenait particulièrement à cœur, parce que, depuis des années, et spécialement depuis son inoubliable voyage apostolique chez vous il y a deux ans, il a montré beaucoup d’estime pour votre Église, désirant l’accompagner avec sollicitude, l’aider à traverser courageusement les tempêtes, avancer avec elle sur un chemin pénitentiel à l’égard des peuples autochtones, tout en lui recommandant de regarder vers l’avenir, en s’attachant plus encore au Christ et à l’espérance que nous donne son appel.

Pour ma part, j’avais déjà appris à aimer votre peuple, grâce au fait que, pendant plusieurs années, j’ai pu bénéficier d’un projet de recherche à l’Université Laval pour mes études de doctorat et que, le dimanche, j’allais aider à la paroisse Sainte-Ursule, du côté de Sainte-Foy. C’est pendant ces séjours répétés que j’ai pu découvrir les charmes de votre pays, splendide et austère à la fois, chaleureux dans son accueil, fier de son immensité, tout en restant lucide sur ses multiples précarités. Au fil des années, j’ai pu tisser de belles et durables amitiés avec des personnes de chez vous, qui non seulement m’ont fait découvrir et aimer cette Belle Province, mais qui m’ont aussi aidé, et qui m’aident encore, à avancer sur le chemin de la vie. À cause de ces personnes devenues des amis, je te suis redevable, Église de Québec, et je voudrais ajouter à ton action de grâce de ce jour, l’humble témoignage de ma reconnaissance. Dans cet esprit de respect et de gratitude, permettez-moi de vous offrir, comme en cadeau d’anniversaire, quelques réflexions et quelques conseils, à partir de ma propre expérience à Marseille.

D’abord, il me semble que nous devons nous souvenir que, fondamentalement, la mission de l’Église est d’être au service de l’amour dont Dieu aime le monde. « Dieu a tant aimé le monde, écrit saint Jean, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas mais ait la vie éternelle » (Jn 3, 16). Une telle façon de vivre la mission décentre l’Église d’elle-même, l’obligeant à ne pas se laisser obnubiler par le souci de sa propre survie, mais plutôt à laisser vivre en elle ce Jésus qui est « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6), qui est capable de la renouveler sans cesse, et qu’elle est chargée d’annoncer, non pas tant par des actions d’éclat que par une présence, une proximité, une attention à chacun, spécialement aux plus petits. Nous ne sommes pas au centre, mais au service d’une relation d’amour, qui nous dépasse et pourtant nous requiert. « La mission, pour nous, ce sont d’abord les relations de voisinage », me disaient les deux frères « rescapés » de Tibhirine, quand j’allais les rencontrer à la Trappe de Midelt au Maroc. Et ils savaient jusqu’où cette fidélité toute simple les avait entraînés, à cause du Christ Jésus.

Église de Québec, n’oublie pas que ta mission n’est pas de devenir un musée, afin de conserver un patrimoine ! Même s’il te revient de faire mémoire des actes des apôtres qui t’ont précédée sur cette terre – et ils sont nombreux et souvent admirables, comme j’ai pu m’en rendre compte en découvrant ton histoire – ta mission, aujourd’hui, c’est de te laisser, comme eux, envoyer sur les routes, ouverte à toutes rencontres. Tiens-toi en priorité sur les lignes de fracture qui traversent la société québécoise aujourd’hui, qu’elles soient d’ordre économique, culturel ou religieux. Ne laisse pas se creuser les écarts qui abandonnent tant de pauvres sur le bord du chemin, victimes du fanatisme de l’indifférence. Prends ta part de la lutte contre l’injustice. Sois proche de ceux qui souffrent d’être abandonnés, incompris, rejetés, méprisés. Souviens-toi, comme le disait de saint Jacques dans son épître, que les guerres et les conflits proviennent, la plupart du temps, de la convoitise et de la jalousie.

Il nous faut aborder ces peuples avec douceur et patience, en leur montrant l’exemple de la vie chrétienne avant même de leur en enseigner les préceptes

Église de Québec, médite l’exemple que t’a donné ton premier évêque, saint François de Laval, qui multiplia les visites pastorales dans son immense diocèse pour se rendre proche, au prix de longues marches, épuisantes et périlleuses, de tous ces peuples divers, en particulier les autochtones, que le Seigneur lui confiait. « Il nous faut aborder ces peuples avec douceur et patience, en leur montrant l’exemple de la vie chrétienne avant même de leur en enseigner les préceptes », disait-il.  À vous, frères et sœurs, d’aimer les hommes et les femmes qui constituent le Québec d’aujourd’hui, non pas un Québec rêvé, mais le Québec réel. À vous de montrer le Christ par votre vie, avant de l’annoncer par vos paroles. À vous de vivre de telle façon qu’en vous voyant vivre, on en vienne à s’interroger sur Celui qui vous fait vivre. Beaucoup, parmi les Québécois d’aujourd’hui, ne connaissent pas le Christ, ou, ce qui est pire, n’en connaissent que des caricatures. À vous d’écouter avec patience leurs joies et leurs tristesses, leurs espoirs et leurs angoisses, à vous de les porter dans votre prière et de leur offrir la force qui vient du Christ et que vous recevez à chaque eucharistie. Même s’ils ne savent pas nommer ce à quoi ils aspirent en profondeur, ne doutez pas que ces hommes et ces femmes, ces jeunes et ces enfants, dans le secret de leurs cœurs souvent desséchés ou anesthésiés, sont pourtant, comme la femme de Samarie, en recherche d’eau vive, en attente d’une réponse à leurs questions existentielles, désireux de trouver un sens à leur vie, un salut à leur avenir.

Église de Québec, c’est bien d’élaborer des projets missionnaires, mais ne reste surtout pas rivée sur tes problèmes internes d’organisation. Décentre-toi ! Mets au centre le Christ et les pauvres : ainsi, tu es sûre de ne pas te tromper ! N’oublie pas l’essentiel du message qui t’a été confié, à savoir l’amour dont Dieu aime le monde, jusqu’à donner sa vie, en son Fils, pour notre salut. Offre à Dieu l’hospitalité de ton cœur, afin d’offrir à tes frères un visage à ce message. Sois vraie, afin que « ceux qui méditent le mal » comme les désignait tout à l’heure le livre de la Sagesse, ne trouvent pas de prises sur toi quand ils éprouveront ta patience et chercheront à voir ce que vaut ta douceur ! Et n’oublie pas que les rencontres que Dieu suscite, si elles sont vécues en vérité, transforment tout autant celui qui reçoit l’Évangile que celui qui l’annonce.

Et puis, Église de Québec, n’oublie pas que toute culture est apte à exprimer, selon son génie propre, le message de l’Évangile. Ne confonds pas expansion missionnaire avec impérialisme culturel, comme ont pu le laisser croire les liens dangereux trop souvent établis entre mission et colonisation, tant les étroitesses d’une éducation qui prétendait nous donner la « seule » vraie civilisation, ont fermé nos yeux à l’intelligence des beautés que l’homme a développées sous d’autres cieux. Le pèlerinage pénitentiel du pape François t’a encouragé à scruter les traces du désir de Dieu dans l’histoire culturelle et religieuse de l’humanité, spécialement chez les peuples autochtones. Continue ce travail, sans rester bloquée sur une culpabilité morbide, mais en ayant le courage, après avoir reconnu tes torts, d’aller avec joie à la découverte du travail de l’Esprit dans ces cultures qui, certes, ne sont ponctuées d’aucun signe chrétien, mais qui peuvent cependant t’aider, et aider toute l’Église, à découvrir comment le mystère de Dieu est encore plus grand que ce que l’on croyait savoir à son sujet. C’est cela, apprendre à devenir catholique !

Car la catholicité de l’Église, qui est à la fois un don et une mission qui concerne tous les chrétiens, quelle que soit leur confession, ne se mesure pas à l’étendue d’une surface sociale qui serait sans cesse à agrandir, mais à la saveur du sel, au rayonnement de la lampe, à la fécondité du levain. L’Église était déjà catholique au matin de Pentecôte, alors que tous ses membres tenaient dans une seule petite salle, au Cénacle ! En effet, ce n’est qu’en acceptant d’être fondée sur le mystère pascal, mystère de mort et de résurrection, que l’Église a reçu sa mission. C’est ce que Jésus, pour la deuxième fois, essayait d’enseigner à ses disciples dans le passage d’Évangile que la liturgie de l’Église nous a offert en cadeau ce matin. Mais les disciples ne comprennent toujours pas. Ils se souviennent de ce que Jésus avait dit après la première annonce de sa Passion : « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ». Et cette fois-ci, il ajoute : « Celui qui veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. »

Église de Québec, n’aie pas peur de te dépouiller de ce qui t’encombre et de t’attacher sans réserve au Christ dans le mystère de sa mort et de sa résurrection, pour le salut du monde. N’oublie pas que ce mystère de salut te dépasse, car « l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associés au mystère pascal », comme l’exprimaient nos pères au concile Vatican II (Gaudium et spes, 22, 5). Mais n’oublie pas non plus que ce mystère de salut te requiert car, avec tes précarités et tes faiblesses, avec tes errances et même tes déviances, Dieu t’a pourtant appelée à être, dans ce pays, le « sacrement du salut », c’est-à-dire, dans le Christ, « le signe et le moyen de l’union intime de l’homme avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Lumen gentium, 1).

Chère Église de Québec, sois remerciée pour le beau témoignage que tu as déjà rendu à l’Évangile de Jésus Christ. Tant de sainteté a déjà fleuri sur les rives du fleuve ! Poursuis ton pèlerinage en apprenant à marcher ensemble, avec tous ceux qui te sont donnés comme compagnons de route, comme t’y invite le pape François, dans la belle lettre qu’il t’a envoyée.

Bon anniversaire, Église de Québec ! Et que Dieu, qui t’aime, te bénisse et te garde !

Amen !

+ Jean-Marc Aveline

350e anniversaire de la création de l’archidiocèse métropolitain de Québec

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