À Senlis comme à Rennes, les catholiques toujours mobilisés aux côtés des Ukrainiens
Après la forte mobilisation solidaire et généreuse des premières heures, les initiatives diocésaines en faveur des Ukrainiens s’inscrivent désormais davantage dans des projets à long terme. La prière reste un soutien majeur. Focus à Senlis et à Rennes. Par Florence de Maistre.
“Tous les Ukrainiens connaissent Senlis : c’est le centre spirituel occidental de l’Ukraine !”, lance Benoît Desjardin, fidèle de la paroisse-cathédrale Saint-Rieul, à Senlis dans le diocèse de Beauvais. Il y a deux ans et demi, face à la mobilisation exceptionnelle des paroissiens en faveur des Ukrainiens et face à l’affluence des dons de biens matériels, Benoît propose son aide au P. Yuriy Leshchynsky, curé de la paroisse gréco-catholique ukrainienne Saints-Borys-et-Hlib, située dans le centre historique de Senlis. D’ordinaire cette petite communauté compte sept à huit familles, rassemble environ soixante personnes le dimanche et en accueille le double les jours de fête. Son réseau s’étend du sud de l’Oise au nord parisien. “Ce culte est magnifique. Il faut venir voir cette petite communauté et cette foi : la présence du Christ est manifeste”, révèle le catholique latin. Au lendemain du début des hostilités, à l’issue de la messe dominicale, une foule ininterrompue de Senlisiens apporte des produits de première nécessité. “Benoit s’est occupé de toute la logistique. Anna a pris le relais pour l’accueil des réfugiés. Et moi, j’ai un peu managé l’ensemble en essayant de répondre avant tout, aujourd’hui encore, aux besoins spirituels. J’ai reçu un grand soutien de la part du diocèse et de Mgr Jacques Benoit-Gonnin”, indique le P. Yuriy. Grâce aux relations des paroissiens, à l’engagement de bénévoles, aux écoles de l’enseignement catholique et aux communautés amies, l’activité humanitaire est lancée. Senlis est un centre logistique intéressant. Pendant trois mois, des camions acheminent les dons vers l’Est européen. “Aujourd’hui les actions à moyens et longs termes sont plus difficiles à mettre en œuvre. Les enfants sont les premiers miracles, ils ont appris très vite le français !”, assure Benoît Desjardin.
Aujourd’hui les actions à moyens et longs termes sont plus difficiles à mettre en œuvre
Une histoire d’amour
Entre l’Ukraine et Senlis la médiévale, l’histoire remonte au XIe siècle : au mariage d’Henri Ier, petit-fils d’Hugues Capet, avec la princesse Anne de Kiev (ou Kyiv). La reine des Francs vit à Senlis entre 1051 et 1073. Elle y fonde notamment l’abbaye Saint-Vincent, dont les murs abritent aujourd’hui le lycée du même nom. Chaque année, la journée Anne de Kyiv rassemble à Senlis les Ukrainiens de France, les représentants des deux pays et des Églises pour rappeler le mariage du mois de mai 1051, entre célébrations festives et religieuses, autour du monument dédié à la reine et de la plaque commémorative de l’Holodomor (la grande famine de 1932-1933). Il y a une quinzaine d’années, le P. Stéphan Janssens, alors curé archiprêtre de la paroisse Saint-Rieul, accueille favorablement le projet d’achat d’une église dans le vieux centre de Senlis par l’Église orientale. Il y trouve une heureuse occurrence. En 2013, l’ancienne chapelle de la charité devient l’Église Saints-Borys-et-Hlib de l’Éparchie Saint Volodymyr le Grand de Paris. Un an plus tard, le centre culturel Anne de Kyiv, ONG franco-ukrainienne, est fondé. Dès 2014, alors que le Donbass est envahi, les relations se tissent. Désormais, la paroisse gréco-catholique de Senlis et le centre culturel Anne de Kyiv sont des points de repère et des lieux emblématiques pour les Ukrainiens en France et dans le monde, des relais d’informations et d’accueil. “Cette paroisse ouverte il y a une dizaine d’années porte les noms des deux premiers saints du territoire de l’Est, qui étaient les oncles d’Anne de Kyiv. Ce lien a du sens ! Naturellement, les femmes et les enfants démunis ont appelé le centre et la paroisse pour demander de l’aide et peut-être, au regard de l’Histoire, trouver une terre d’accueil sur le sol français. Et naturellement, nous nous sommes organisés avec l’énorme soutien de la paroisse Saint-Rieul”, explique Anna Cantet, co-fondatrice du centre Anne de Kyiv et de l’association Terre d’Ukraine.
Depuis 2022, les collectes impressionnantes sont devenues trop difficiles à gérer. Elles ont été confiées au Secours Catholique. Quant à l’accueil, trois à quatre cents familles sont passées par Senlis. “Les catholiques sont très présents ici, ils ont impulsé l’action solidaire. Ils donnent le “la” aux autres acteurs qui s’engagent à leurs côtés. Cela me touche beaucoup. Je vis cette situation en écho à la fuite de ma propre mère d’Ukraine en 1944. Une solidarité profonde se vit ici. Chacun essaie de se mettre dans la position de l’autre”, partage Anna Cantet. L’association Terre d’Ukraine, créée aux premiers jours du conflit, accompagne et soutient le quotidien de la vingtaine de familles restées sur place. Ce qui compte avant tout ? Outre les démarches pour obtenir un logement pérenne, s’y retrouver dans le parcours administratif ou médical, postuler à un emploi, etc., ce sont les relations créées. “Chaque famille rencontrée est différente, tous les cas de figure se présentent. Nous partageons des moments très précieux et tellement riches sur le plan humain ! Même avec les familles qui sont reparties, le lien est maintenu a minima sur les réseaux sociaux. D’autres ont mis un terme à nos échanges. C’est trop douloureux pour ces personnes. Avec le centre culturel, Terre d’Ukraine et la paroisse gréco-catholique, nous réfléchissons à la meilleure gestion de ce temps long. Les Français décrochent et nous essayons de les remobiliser. Senlis est vraiment une terre d’accueil et forte de son histoire d’amour”, poursuit Anna.
Veiller et prier
Sur les conseils de l’œuvre d’Orient, un parrainage des réfugiés est mis en place. Il s’agit de s’engager pour une personne, une famille ou un enfant et de prendre soin de lui : accompagnement au cours d’une promenade ou lors d’un rendez-vous administratif, explications guidées sur le fonctionnement des services français, ou autre. “Les Ukrainiens sont très traumatisés. Le quotidien, c’est l’ennui. On ne voit pas d’issue au conflit. Nous veillons sur eux et désirons les sortir de l’aide et de l’assistanat. Nous manquons d’hommes. Certaines femmes se sont vite intégrées avec leurs enfants, d’autres ont plus de difficultés”, précise Benoît. Anna et son équipe travaillent en lien avec de nouvelles associations pour élargir les champs d’action et développer les propositions. Des cours de français, par niveaux, vont être à nouveau proposés, après une période de flottement. La première urgence pour les réfugiées était de trouver un emploi. Au fil des mois, de l’inscription de la situation précaire dans la durée, les femmes se rendent compte de l’importance de maîtriser un peu mieux la langue. “Nous espérons ensemble, nous prions ensemble, nous échangeons ensemble. Des liens durables se tissent dans l’engagement, non seulement pour maintenant mais aussi forcément pour demain”, confie Anna.
Au pèlerinage national ukrainien à Lourdes ces 11, 12 et 13 octobre dernier, le P. Yuriy a confié spécialement à Notre-Dame la tristesse et les angoisses de ses paroissiens, qui ont souvent un frère, un beau-frère, un père au front. Lui-même a perdu plusieurs amis de lycée et voit maintenant en facebook un site de nécrologies. Il invoque l’espérance malgré la fatigue : “Notre Seigneur est notre espérance. C’est Lui qui nous donne la force. Il nous donne des frères et des sœurs pour tenir bon. N’oublions pas les personnes qui souffrent de la guerre et du mal. Je prie pour la paix en Ukraine et dans le monde entier. Dans la liturgie byzantine de saint Jean de Chrysostome, nous invoquons une grande litanie de la paix. J’en comprends plus profondément le sens”.
À Rennes, un désir d’engagement
Un choc. Vincent Massart, diacre permanent et délégué général de la Diaconie brétillienne, l’association de solidarité du diocèse d’Ille-et-Vilaine, se souvient tout d’abord du choc reçu aux premiers jours du conflit et du désir de l’Église locale d’être partie prenante dans l’accueil de réfugiés ukrainiens. “Au nom de l’évêque, nous avons pris contact avec toutes les diaconies paroissiales, les curés et leurs équipes, de façon à répertorier les logements disponibles. Les paroisses ont bien joué le jeu”, indique Vincent Massart. Parmi les réponses reçues, une sélection d’hébergement envisageables sur le long terme est d’emblée effectuée. Puis très vite, moins d’un mois après le début de la guerre, le diocèse décide d’affréter un car de 50 places pour rejoindre un camp de réfugiés à Varsovie, en Pologne. L’association Bretagne-Ukraine fournit une remorque remplie du nécessaire d’urgence. Des contacts sont pris sur place avec les structures All for Ukraine et Les Français à l’étranger. Le P. Olivier Gazeau, vicaire général, Vincent Massart, et le père Michal Misiuda, vicaire à Janzé, Polonais parlant russe, sont du voyage.
Sur place, les hangars d’accueil sont impressionnants, tout comme les personnes qui se décident en quelques minutes à peine à partir en Italie, en Espagne ou en France. Le car se remplit vite, mais la remorque reste vide. “Tous sont partis dans la panique. Une jeune femme de 28 ans avait en tout et pour tout son sac de broderie. Une famille n’avait qu’une seule valise pour six”, rapporte le délégué de la Diaconie. Les 32 heures du trajet Varsovie-Rennes sont pesantes. Vincent poursuit : “Ce silence ! je m’en rappellerai longtemps. Les passagers ne savaient pas où ils allaient et ils ne posaient aucune question”. La composition du groupe est transmise aux correspondants bretons, à charge pour eux de répartir les déplacés ukrainiens dans les paroisses. À l’arrivée, en sortant du car, les femmes se sont mises à chanter devant toutes les familles d’accueil présentes sur le parvis de la maison diocésaine à Rennes. “C’était un très beau moment. En quittant la Pologne, le temps était gris et encore hivernal. Nous sommes arrivés en France avec un rayon de soleil printanier sur la campagne verdoyante. J’ai vraiment eu l’impression d’avoir traversé la Mer rouge et de vivre quelque chose de l’ordre du Salut. J’en suis encore très touché”, confie le diacre. Ensuite, chaque paroisse s’est organisée à sa façon. Certaines ont œuvré très en lien avec leur commune. Dans d’autres lieux, un collectif informel s’est formé. Au sein de la paroisse Sainte-Catherine de Sienne en Tizé, la diaconie a accueilli trois foyers : une mère et ses trois enfants, une mère et sa fille, une jeune femme seule. “Il y a parmi les réfugiés des gens très débrouillards et des personnes très loin socialement. Tous traversent des situations de survie”, témoigne Vincent.
Une dynamique créée
La première famille est la voisine du diacre. La dame a fui autant la guerre que son mari. Elle semble venir du Quart monde. Elle a trouvé un nouveau compagnon ukrainien, mais pas encore de travail. “Les enfants ont été immédiatement scolarisés. J’accompagne régulièrement des migrants et je reste bluffé par la capacité d’accueil qui a été développée pour les Ukrainiens”, souffle le responsable de la Diaconie. Les deuxièmes accueillies viennent d’un milieu plutôt intellectuel. Elles ont tout de suite appris le français. La mère a trouvé un petit boulot qui lui permet d’être autonome et de payer son loyer. Sa fille a intégré une scolarité ordinaire. Elle est même arrivée première de sa classe, y compris en français, et vient d’entrer en première année de médecine. Quant à la jeune femme seule, elle est restée en terres bretonnes pendant un an, avant de rejoindre sa sœur au Canada. “Elle a tout quitté, l’entreprise qu’elle avait créée en Ukraine, et elle a fait le choix de se rapprocher de sa famille. Mais c’est difficile pour elle de recommencer à nouveau”, partage le diacre.
Dans le pauvre, l’étranger, celui qui a faim et soif, c’est le Christ que je rencontre. Cette rencontre-là fait vivre !
Des temps de prière ont été proposés pour rassembler accueillis et accueillants, mais ils n’ont pas été suivis. “Nous n’avons jamais réussi à nous réunir même pour un temps de discussion. Les familles arrivées ensemble le 7 avril 2022 n’ont pas envie de se revoir. Le car reste un mauvais souvenir”, indique Vincent Massart. En revanche, des fruits se laissent percevoir au niveau des paroisses : une dynamique qui n’existait pas auparavant a été créée. Si les appels à la solidarité étaient, un peu facilement, relégués aux équipes du Secours Catholique, désormais les paroissiens s’engagent eux-mêmes personnellement pour un accompagnement ou un service de soutien. En créant un collectif et en sollicitant leurs communes, les paroissiens de Sainte-Catherine de Sienne de Tizé ont ainsi découvert l’existence d’un hôtel social de 180 personnes qui jouxte l’église. Tous les mercredis après-midi un barnum est monté et un café proposé. Des bénévoles jouent au ballon avec les enfants. “Je vois là un vrai moteur pour les paroisses : à partir du moment où la charité est en œuvre, un souffle nouveau apparaît. L’exercice de la charité nous fait ressentir quelque chose du royaume de Dieu : c’est mobilisateur !”, s’exclame le diacre. Il ponctue : “L’accueil de l’autre, de l’étranger continue de m’interroger. Et l’on voit bien ce qui change dès que l’on s’appelle et se reconnaît par son nom. Dans le pauvre, l’étranger, celui qui a faim et soif, c’est le Christ que je rencontre. Cette rencontre-là fait vivre !”
À noter
Mgr Sviatoslav Schevchuk, primat de l’Église gréco-catholique ukrainienne et archevêque majeur de Kyiv et de Galicie sera prochainement à Paris. Il interviendra notamment le 29 octobre 2024 au Collège des Bernardins sur le thème : Quelle spiritualité en temps de guerre ? Il ouvrira également les travaux de l’Assemblée plénière des évêques à Lourdes le 5 novembre 2024 par une célébration de la liturgie byzantine.