Homélie de Mgr Laurent Ulrich au rassemblement des Eglises diocésaines

Homélie de Mgr Laurent Ulrich, Archevêque de Lille, Vice-président de la Conférence des évêques de France, samedi 24 mars 2012, au rassemblement des Eglises diocésaines à Lourdes pour les 50 ans de Vatican II.

Lecture du livre de Jérémie (11, 18-20), Psaume 7, Évangile de Jésus Christ selon saint Jean (7, 40-53).
 

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Au fur et à mesure de notre avancée dans ce temps de Carême, nous sentons monter la tension dramatique autour de Jésus, la contestation de son autorité, l’interrogation même sur sa personnalité, sur son identité. Et sur ce qu’il fait comprendre de sa mission. Le chapitre 7 de l’évangile de Jean est typique et exemplaire de la question que Jésus suscite dans le cœur de ceux qui l’approchent : est-il un prophète, voire le prophète espéré ? Le Messie ou un obscur Galiléen ? Le fils de David ou un imposteur qu’il faut empêcher de parler ? Dira-t-on de lui que « jamais homme n’a parlé comme cet homme », ou doit-on penser qu’il est un séducteur ? Méritera-t-il qu’on l’écoute, simplement parce que tout homme doit pouvoir être écouté ? Telle est l’objection de Nicodème auquel on oppose un argument de convenance : dans ce monde, la dignité ou l’honorabilité paraissent relatives, notamment à l’origine sociale ou géographique.
Ce chapitre de l’évangile de Jean est un concentré de toutes les discussions que l’on peut avoir sur le Christ et sur l’Eglise. Et encore aujourd’hui. Ces lignes sont toujours décisives pour le croyant, ou pour celui qui marche sur le chemin où il a entendu l’appel du maître. Sur le chemin d’un chrétien en devenir – je veux dire d’un chrétien au quotidien, et non pas seulement d’un catéchumène -, cette épreuve de la discussion sur l’identité de Jésus est redoutable. Il faut pouvoir répondre : est-il un sage dont l’exemple m’intéresse ? Est-il un docteur dont la parole m’enchante ? Que pourrais-je me répondre, à moi-même déjà, si l’on me dit qu’il n’est qu’un beau parleur ? Ou si l’on veut me persuader qu’il est admirable, lui, mais non pas son Eglise si notoirement imparfaite ? Et tellement empêtrée dans les contradictions historiques, depuis vingt siècles, qu’elle n’est plus crédible ni fiable.

Le comble c’est qu’au terme de la discussion, ils rentrèrent chacun chez soi. C’est-à-dire sans conclure, chacun restant sur son quant-à-soi, sans être vraiment entrés en dialogue, sans s’écouter les uns les autres. Chacun est resté sur sa position, sans ouverture : les uns poursuivant leur raisonnement pour faire taire ce Jésus, les autres indécis, quelques uns prêts cependant à témoigner en sa faveur : Nicodème est le seul, dans cette scène, à poursuivre son chemin d’adhésion encore obscur. Il est le fidèle inattendu, au milieu d’une société hostile, et il reparaîtra pour l’ensevelissement de Jésus, ultime geste de reconnaissance et d’honneur, parole silencieuse de foi.
Or, comme nous venons de l’entendre au long de cette belle matinée qui nous rend plus familière et actuelle la parole de l’Eglise en ce siècle, à travers l’enseignement et l’événement même du Concile de Vatican II : le Christ est lumière du monde. Il s’agit d’un acte de foi, et c’est la manifestation d’une immense confiance. Nous n’annexons pas le Christ à nos projets, nous ne disons pas cela à notre bénéfice, nous ne croyons pas qu’il soit la lumière seulement pour ceux qui disent leur foi en Lui. Autrement dit, il n’est pas le Dieu des chrétiens parce qu’il nous conviendrait mieux que d’autres. Nous croyons vraiment qu’Il choisit de s’adresser à tout homme, d’une façon qui nous demeure inconnue et mystérieuse, mais véridique : « cela ne vaut pas seulement pour ceux croient au Christ, mais bien tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce ». (Gaudium et Spes, 22)

Voila bien une clé étonnante pour comprendre ce que signifie l’évangélisation à laquelle nous sommes invités de façon particulière et nouvelle, en ce temps. Proposer la foi dans la société actuelle, comme nous, évêques de France, le disons depuis plus de quinze ans, c’est croire que le temps de la profession de notre foi, sans prosélytisme et sans crainte aussi, est venu pour nous, en réponse aux interrogations majeures de nos contemporains. A nous d’être prêts à montrer la source de nos engagements, si on nous le demande ; à nous d’être prêts à entrer dans un dialogue respectueux avec tous ceux qui cherchent des raisons de vivre. Acceptons tout simplement de ressembler à Dieu qui noue avec l’humanité entière ce dialogue d’alliance. Et de nous soumettre à tous les jugements possibles, à toutes les interprétations, comme Jésus accepte de le faire au dire de l’évangéliste dont nous venons d’entendre le témoignage à l’instant. C’est ainsi que nous nous préparerons à dire : « Jamais homme n’a parlé comme cet homme ! »

Nous verrons cet après-midi que l’Eglise porte en elle également ce projet qui nous dépasse, et dont nous voyons mal comment il se réalise tant nous connaissons les faiblesses et les fragilités de ses membres, dont nous sommes : nous la croyons pourtant signe de Dieu et annonciatrice de paix. Nous dirons demain que le service du Seigneur, dans la confiance en Lui, exige de nous une incomparable attention à chaque homme, et à l’homme dans toutes les dimensions de son existence, dans tous les moments. Et surtout les plus fragiles, ceux où il s’éprouve dans la plus grande dépendance : de la conception, de la maladie, du handicap ou de l’approche de la mort.

Ainsi donc, celui qui entre dans la démarche de la foi à l’égard de Jésus est soumis aux pressions et aux questions. Il ne s’appuie pas sur un parti pris idéologique, des convictions morales ou des valeurs. Mais il rend compte d’un attachement libre et raisonné à celui qui donne la vie et appelle à espérer pour soi et pour tous. Attachement à celui qui est au milieu de nous comme celui qui sert et fait grandir l’humanité de l’homme. Attachement à un être capable de procurer la lumière aux vivants que nous sommes, et la joie même au milieu des soucis et des douleurs.

Un jour, et tous les jours, le croyant est capable de dire : je sais bien que je peux lui manquer et ne pas être intégralement fidèle, mais je sais que Lui, il demeurera fidèle. Je sais et je l’ai compris : le Sauveur, Lui, travaille pour que ce monde soit juste, et que les hommes se respectent, qu’ils recherchent ensemble les voies de la fraternité. Tout croyant, rencontrant cette affirmation de Vatican II, l’éprouve et l’approuve : « L’ensemble de ceux qui regardent avec la foi vers Jésus, auteur du Salut, principe d’unité et de paix, Dieu les a appelés, il en a fait l’Eglise, pour quelle soit, pour tous et pour chacun, le sacrement visible de cette unité salutaire. » (Lumen Gentium 9)

Voila pourquoi le croyant se sait participant à une immense aventure qui le dépasse. Une aventure qui n’emporte pas seulement sa propre vie, qui ne le conduit pas à désirer une vie bonne et sensée pour lui seul, mais lui fait espérer d’entrer dans le projet de Dieu qui aime tout homme et aime cette humanité qu’il appelle à ressembler à son Fils Jésus. Et voici pourquoi l’Eglise poursuit avec conviction le dialogue avec les frères chrétiens d’autres églises et communautés, eux qui étaient présents à Rome tout au long du Concile, et dont la présence parmi nous de Mgr Emmanuel et du Pasteur Baty est encore le signe.

Le croyant se sait choisi pour choisir : il n’est pas l’auteur de sa profession de foi, mais il se reconnaît membre d’un peuple appelé à chanter la louange du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Tant de catéchumènes que nous accompagnons, qui nous surprennent et réveillent l’Eglise, font cette expérience de découvrir des frères qui font la même expérience qu’eux sur un chemin où ils se croyaient étrangers ou bizarres. Mais aussi nous invitons les chrétiens à ne pas rester sur une affirmation si intime de leur foi que leurs rassemblements dominicaux ne leur importeraient plus guère : la foi n’aurait-elle plus à s’exposer dans le grand le corps de la société ? L’expression publique et rituelle de la foi serait-elle à notre avis, si éloignée de la profession de la foi ? Ne devons-nous pas nous rendre disponibles à un renouveau par ailleurs désiré ?
Le croyant se sait choisi pour servir et voici que nous sommes pris dans un grand mouvement de l’Eglise en France qui nous conduira d’ici un peu plus d’un an à nous retrouver ici -ce sera Diaconia 2013 – pour montrer une Eglise qui s’associe avec ceux qui servent la Fraternité, une Eglise qui appelle à servir. C’est pourquoi également nous avons lancé un appel, il y a six mois, pour que la perspective des élections, dans notre pays, soit saisie et que les débats nous rendent sensibles à la justice, à la dignité de tous, à l’avenir de notre terre et à celui des jeunes.

Voila la vie de l’Eglise en ce moment où nous célébrons ces cinquante années de l’ouverture du Concile Vatican II, l’Eglise qui professe sa foi en Jésus Sauveur et qui se fonde sur sa Parole. Voila la vie de cette Eglise qui sait combien elle a reçu un dynamisme nouveau dans l’expérience et l’enseignement du Concile. Ce Concile qui la préparait à comprendre et intégrer les immenses mutations qui se profilaient dans le monde qui est le nôtre désormais, concile prophétique, la « boussole » pour notre temps, comme l’ont dit Jean-Paul II et Benoît XVI.

Voici l’Eglise que le père de Lubac invitait à aimer toujours pour louer le Seigneur, en reprenant Claudel dans le récit de sa conversion (la Mère, aux genoux de qui nous avons tout appris) : « Louée soit cette grande Mère, pour le mystère divin qu’elle nous communique, nous y introduisant par la double porte, constamment ouverte de sa doctrine et de sa liturgie !
Louée soit-elle pour le pardon qu’elle nous assure !
Louée soit-elle pour les foyers de vie religieuse qu’elle suscite, qu’elle protège et dont elle entretient la flamme !
Louée soit-elle pour l’univers intérieur qu’elle nous découvre, et dans l’exploration duquel sa main nous guide !
Louée soit-elle pour le désir et l’espérance qu’elle entretient en nous !
Louée soit-elle aussi pour tout ce qu’elle démasque et dissipe en nous d’illusions !
Louée soit cette grande Mère ! » (Méditations sur l’Eglise, p.237-238)

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