Vatican II, soixante ans de réception

Ce 8 décembre 2025, l’Église fête le soixantième anniversaire de la clôture du concile œcuménique Vatican II, après trois années de rencontres entre les évêques du monde entier. Historique, l’événement s’est inscrit également très vite au cœur de la vie des fidèles et continue de se déployer dans la vie diocésaine aujourd’hui. Par Florence de Maistre.
“Nous n’avons pas fini d’accueillir le concile Vatican II, nous vivons en plein dedans : toute notre vie diocésaine en est imprégnée ! Nous avons à en travailler sans cesse les textes pour en comprendre tout le sens et l’importance. Rappelons-nous à quel point les textes du concile s’appuient sur la Révélation, qui est la seule source. À quel point, il est essentiel de se recentrer dessus. Soixante après, la réflexion n’est pas terminée”, indique Claire Yon, responsable du service formation du diocèse d’Angers. Ouvert le 11 octobre 1962 par le pape Jean XXIII, le deuxième concile œcuménique du Vatican termine ses travaux le 8 décembre 1965 sous l’égide de Paul VI. Depuis ces soixante dernières années, l’Église en reçoit toujours l’enseignement. Certains aspects sont désormais vécus de manière naturelle, devenue habituelle. D’autres demandent encore à être convertis.
“Le discours de clôture du pape Paul VI du 7 décembre 1965 est le meilleur texte pour comprendre le concile Vatican II”, assure le P. Gabriel Planchez, responsable du service formation du diocèse d’Arras, docteur en théologie et maître de conférence à la faculté de théologie de Lille. “La figure du bon Samaritain y est évoquée comme le modèle et la règle de spiritualité du concile. Je retiens aussi cette formule : La religion du Dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu. Nous ne nous situons plus du tout dans une posture de domination et de morale par rapport au monde, mais nous nous mettons au chevet du monde souffrant. C’est un véritable changement et encore un point de discorde très mal vécu par les intégristes”, souligne le théologien. Le rapport de l’Église, des diocèses et des paroisses, au monde et à la société déchristianisée est profondément modifié. La compréhension que l’Église a d’elle-même aussi.
Comprendre l’Église
L’enjeu de la réception du concile touche concrètement la vie paroissiale. Mais l’expression du Magistère ordinaire qui enseigne le peuple de Dieu, a été reçue à la fois avec une forme d’incompréhension et une forme d’impatience quant aux changements. “Je crois que le peuple n’était pas prêt à l’accueillir, notamment en ce qui concerne la réforme liturgique. Elle a donné lieu autant à des crispations qu’à des expressions désordonnées. Il semble que les évêques aient sous-estimé l’accompagnement de leurs diocésains. Aujourd’hui encore en paroisse, conduire la mise en œuvre du concile non encore aboutie est un de mes points d’attention”, indique le P. Planchez. Le prêtre du diocèse d’Arras, comme nombre de ses homologues chargés de la formation dans les diocèses, pointe la grande méconnaissance des catholiques, qui n’ont pour la plupart ni lu, ni étudié les constitutions conciliaires qui orientent toute la vie des croyants et la vie en Église. “Pourtant, nous avons de la chance d’avoir une Église qui donne des enseignements ! Les encycliques des papes sont aussi en grande partie un approfondissement des textes de Vatican II”, précise-t-il. Entre deux dérives, se protéger du monde ou vouloir le transformer, les baptisés redécouvrent leur rôle : être témoin du salut dans le monde, et ce monde tel qu’il est. “Notre vocation de chrétien est d’être signe du salut pour le monde, qui en a ô combien besoin au regard de la violence, des injustices, des tensions de nos sociétés. Soyons les signes du projet de Dieu, qui est un bon projet pour l’humanité. Voilà un point marquant à honorer de ce concile Vatican II”, poursuit le docteur ès théologie.
Jusque dans les années 90 et malgré la dynamique impulsée par le pape Jean-Paul II, une période de flottement caractérise la compréhension du concile entre un rejet en bloc schismatique et ceux qui ont été appelés progressistes, ces derniers cherchant moins à annoncer le salut au monde qu’à adapter le monde. Les changements ont souvent été imposés aux fidèles sans qu’ils n’en comprennent vraiment les raisons et le sens. Depuis une vingtaine d’années, une nouvelle génération de chrétiens, indemne de ces tensions-là, revient aux fondements et de fait au concile. “C’est intéressant, pour nous formateurs, de voir à quel point les générations ont changé. Que ce soit en lien avec la liturgie, la participation active des fidèles, les rituels, etc., les trentenaires et les quadras sont surpris de voir à quel point l’Église vivante bénéficie des grands axes de Vatican II, à quel point le concile a transformé la vie des fidèles. Il est important pour la mission et la place de chacun que les personnes engagées comprennent ce que l’Église dit d’elle-même : elle passe d’une conception hiérarchique à un regard spirituel et ecclésial”, note la responsable de la formation du diocèse d’Angers. Le mouvement n’est pas homogène, mais le constat du retour de cette intelligence du projet de salut pour le monde est perceptible. En particulier dans cette perspective : l’institution devient le lieu où vivre la sacramentalité de l’Église. “Nous avons évidemment à nous organiser à l’échelle géographique, mais nous devons d’abord être des instruments du salut et non plus seulement des administrateurs. Je vois bien dans le processus actuel de transformation pastorale, les aînés qui s’inquiètent de l’heure de la messe, quand les moins de cinquante ans se demandent comment être missionnaire. Cela touche à la conception de la paroisse entre structure organisationnelle et lieu où devenir disciple du Christ”, insiste le P. Planchez. L’Église comme sacrement et l’Église comme peuple de Dieu forment les deux versants du grand tournant opéré par le concile et vécu dans les diocèses.
Le concile Vatican II est une mise à jour,
un aggiornamento
Redécouvrir le baptême
“L’invitation à vivre son baptême de manière active devient un élément incontournable en France. Être baptisé selon Vatican II, c’est être engagé”, relève Isabelle Morel, responsable de la formation du diocèse de Besançon et professeur au Theologicum, Institut catholique de Paris. Claire Yon complète : “dès que l’on reçoit le baptême, on devient acteur du corps du Christ”. Les Laïcs, hommes et femmes, participent de plus en plus naturellement aux instances de gouvernance. Les paroisses, les doyennés, les diocèses sont notamment animés par des dizaines de bénévoles. Et ce n’est pas seulement un effet de la baisse du nombre de prêtres, mais d’abord un principe théologique. “Le concile Vatican II est une mise à jour, un aggiornamento. Il n’est pas arrivé par hasard. Il tient compte des évolutions de la société, mais aussi de la nouvelle manière de comprendre la place des hommes et des femmes. Il y a une nécessité d’évoluer pour rester fidèle à la tradition”, explique Isabelle Morel. Cette participation active des baptisés s’accompagne aujourd’hui d’une forte conscience de l’égale dignité de tous et de tous les baptisés qu’ils soient prêtres, religieux ou laïcs. C’est la vocation baptismale qui est à considérer sérieusement et à approfondir, et avec elle l’appel à la sainteté.
Faire connaître le Christ, l’annoncer et vivre de lui, telle est la finalité de l’Église qui l’oblige continuellement à se décentrer. “Alors qu’une image de rigidité lui est souvent associée, c’est beau de voir que l’Église ne cesse de se transformer. Elle est toujours dans cette dynamique à la suite des Pères conciliaires et se remet en cause avec cet axe de réflexion : est-ce bien ce que demande le Christ ?”, commente la responsable diocésaine angevine. Le concile interroge ainsi tous les chrétiens, les paroisses, le peuple de Dieu. En 1986, lors d’un entretien avec le card. Angelo Scola, le théologien suisse Balthasar interpelle encore l’Église, et par elle chaque croyant, sur ce qu’elle doit faire, sur sa priorité*. “C’est un bel héritage du concile. Quarante ans après, la question reste à s’approprier de façon personnelle : à quoi ma vie devrait ressembler pour que les gens comprennent quelque chose du projet de Dieu ?”, interpelle le P. Gabriel Planchez, en livrant son témoignage. “Avec le concile Vatican II, nous tendons vers notre vocation, la sainteté et vers le retour du Christ. C’est très fort dans l’enseignement. Quand j’étais curé, j’essayais de discerner avec cette finalité-là : est-ce que je suis capable de rendre compte de tel ou tel choix devant le Seigneur ? J’ai parfois pris des décisions autres que spontanées. Je dois ça à la lecture des textes du concile. L’enjeu du salut engage nos choix. En tant que curé cela devient une énergie qui n’est pas pour nous-même”.
Appartenir à un corps
Pour apaiser nombre de crispations encore sensibles, en particulier au sujet de la liturgie, il est un remède : revenir aux textes du concile, s’intéresser à ses fondements. Les formateurs diocésains sont d’accord. En comprenant le sens des gestes et des rituels, tout s’éclaire ! Mais cet effort reste à faire. À travers l’action liturgique, le fidèle redécouvre la conception de l’Église. Dieu prend l’initiative de rassembler son peuple et il le conforme à son image. “Il y a toujours des tensions avec des personnes qui s’approprient la liturgie. Il y a un grand travail de pastorale à mener pour sa bonne compréhension. C’est réellement le lieu où Dieu agit. Sa grâce est à l’œuvre pour nous laisser transformer, sanctifier par lui, en tant que peuple, corps social… et nous n’en profitons pas, faute d’ignorance”, s’exclame le prêtre du diocèse d’Arras. Il poursuit en développant la notion de participation active, dont la conscience transmise par le concile est très aigüe.
Dans les prières du Je confesse à Dieu ou du Je crois en Dieu, le “je” n’est pas personnel, mais celui de l’Église. C’est comme membre du corps du Christ que le croyant peut dire je crois. L’individu ne s’exprime pas seulement par lui-même, mais dans son rapport à Dieu, à ses frères et sœurs. La participation active se manifeste également dans le silence, qui est l’attitude de l’accueil du don de Dieu, commun et partagé. “Je plaisante parfois avec mes paroissiens. Pour répondre d’une seule voix, il faut écouter son voisin, prendre conscience du corps de l’Église en train d’être configuré. Être attentif au corps, répondre en chœur, nul besoin d’ajouter quoi que ce soit d’autre. Être chrétien, c’est appartenir au corps du Christ. Il nous emmène sur de beaux chemins. Je vois de grands enjeux pour notre Église”, confie le théologien.
Lire la Bible
Les parcours de formation théologique sur Vatican II proposés aux baptisés des diocèses d’Angers, d’Arras ou de Besançon, et en particulier aux acteurs de la mission, s’articulent autour de plusieurs rencontres sur les quatre grandes constitutions du concile. “L’intervention sur Dei Verbum permet de saisir la chance que nous avons d’accéder directement à l’Écriture. D’ailleurs depuis plus de vingt ans, les parcours bibliques se sont développés, en différents lieux et différentes formules. C’était inimaginable avant le concile !”, rappelle Claire Yon. Les chrétiens sont désormais invités à recevoir la Parole de Dieu, en faisant attention à la manière de la lire. Une interprétation est nécessaire pour éviter de tomber dans le fondamentalisme. Cet apprentissage est toujours à poursuivre.
“Parmi les grands chantiers, la formation des baptisés reste à mettre en œuvre. Elle ne peut s’arrêter au catéchisme de l’enfance. Le renouveau des catéchumènes, par exemple, dit quelque chose de la soif spirituelle de nos contemporains. Mais nous devons être attentifs à les former au sens des Écritures, au sens de la liturgie, etc. Une formation permanente est nécessaire au risque sinon de se cristalliser sur d’autres manières de comprendre l’Église”, insiste la responsable du diocèse de Besançon. Elle rappelle qu’avant le concile Vatican II, les “simples baptisés” n’étaient pas encouragés à lire la Bible. Et s’ils l’osaient, ils pouvaient se voir taxés de protestantisme ! La redécouverte de la Bible est à la fois le fruit de la constitution Dei Verbum et le résultat de la grande avancée de l’oecuménisme avec le décret Unitatis redintregratio. La théologienne bisontine ponctue : “la veillée de prière oecuménique qui a précédé l’ouverture du synode sur la synodalité manifeste cette ouverture et dit quelque chose de la recherche de l’unité sans uniformité. Entre peur de la diversité et séparation, l’enjeu est d’accepter nos différences et de rester unis”.
Vivre la synodalité
L’actualité du concile a de quoi surprendre encore soixante ans après, notamment au regard du vocabulaire employé dans Gaudium et spes et malgré un contexte mondial très différent. Sont évoqués dans cette derrière constitution pastorale les termes de coopération, dialogue, collégialité, de frère et de sœur, etc. “Ce texte est un peu le symbole du style Vatican II et utilise des mots qui nous parlent encore. Il s’appuie sur la dignité de la personne humaine. C’est une vision très actuelle, un regard presque prophétique des pères du concile”, signale Claire Yon, en mentionnant dans la même dynamique la dimension synodale insufflée par les textes du concile. Renouvelé récemment par le pape François, l’apport de la synodalité reste à transformer et à mettre en œuvre. “Pour moi, la notion de synode marque le début de la maturité de Vatican II”, souffle la directrice de l’ISPC.
Les catholiques sont incités à se mettre ensemble à l’écoute des joies et des espoirs de ce temps, ouverts à la Révélation, à l’écoute de la Parole, en co-responsabilité différenciée, avec la participation de tous. Autant d’éléments d’une approche fortement imprégnée de l’esprit de Vatican II qui débute et devrait se déployer davantage. L’idée renvoie encore à celle de la constitution du corps tout en rappelant l’importance de se mettre à l’écoute de l’Esprit saint, qui protège la vie de l’Église du Christ. “La synodalité est intéressante. Elle mérite d’être non pas encore un mode de gouvernance, mais une vraie conversion spirituelle dans l’écoute commune de l’Esprit saint qui se donne à l’Église”, confirme le responsable de la formation du diocèse d’Arras. À noter, un groupe de travail rassemblant des théologiens et des théologiennes de différents horizons par les facultés Loyola Paris œuvre actuellement sur la question synodale à l’échelle nationale, de façon à proposer un service à tous les diocèses en France. Enfin, plus que des mots, c’est peut-être les images du concile pour la première fois filmé par la télévision qui sont encore les plus parlantes. Isabelle Morel retient particulièrement cette archives du pape Jean XXIII, qui, interrogé sur l’ouverture du concile, se déplace vers la fenêtre et dit : “j’ai voulu un grand bol d’air”. La théologienne reprend : “il évoque la nécessité d’évoluer pour rester fidèle à la tradition, le besoin de se laisser renouveler. C’est sans doute notre héritage à tous pour aujourd’hui : consentir au travail de l’Esprit”.
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- Se former à Vatican II du diocèse d’Arras
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200 équipes ont testé l’an dernier les modules d’accompagnement pour lire les textes du concile Vatican avec la plateforme numérique Theophile. Des vidéos, des clés de lecture sont accessibles en ligne pour partager en petite équipe toutes les découvertes et réactions. L’expérience est renouvelée de façon à continuer à recevoir ce concile !
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- Se former à Vatican II avec le diocèse d’Angers
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Le parcours de formation se déroule sur trois ans, à raison d’une journée par mois soit 150 heures de cours. En partenariat avec l’Université catholique de l’Ouest, la formation est validée par un diplôme en théologie. Il permet à ceux qui le souhaitent de poursuivre un cursus universitaire.
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- Se former à Vatican II avec le diocèse de Besançon
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La formation ThéoFIL Vatican II – introduction à l’ecclésiologie se déroule en six séances de deux heures, en journée ou en soirée, à la demande d’un groupe ou d’une paroisse. Elle s’inscrit dans un cursus de formation initiale en partenariat avec l’IER – Institut catholique de Paris. Un bagage qui donne envie d’approfondir !
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- Se former à Vatican II en ligne avec le collège des Bernardins
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*L’Église en tant qu’institution n’intéresse à proprement parler personne, tandis qu’on connaît bien le mot d’ordre courant : ‘Le Christ : oui, l’Église : non’. Il n’y a pas de tâche plus importante pour l’Église aujourd’hui, que de montrer que le Christ n’existe pas en vérité sans son Église, sans elle, on ne peut pas Le suivre, on ne peut pas vivre de Lui. De sorte que la seule question que l’Église devrait se poser aujourd’hui est la suivante : à quoi devrais-je ressembler pour que les hommes puissent à travers moi trouver le vrai Christ ? La réponse ne réside évidemment pas dans la transformation de structures d’Église, dont on ne s’occupe malheureusement que trop, mais bien dans la manière dont l’Église peut devenir dans son existence une référence unique au Christ, ce qu’elle est déjà depuis sa fondation » (Hans Urs von Balthasar, 1986, « Éprouvez toutes choses et gardez ce qui est bon. Entretien sur l’Église », dans Angelo Scola (dir.), Entretiens sur l’Église, Paris, Cerf, 2022, p. 25-26.)




