Mégadonnées (Big Data)
Fiche proposée par le groupe de travail « bioéthique », de la Conférence des évêques de France.
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Eléments scientifiques et juridiques
Le Comité International de Bioéthique (CIB) de l’UNESCO a adopté un rapport sur les mégadonnées le 15 septembre 2017, qui constitue une synthèse importante sur ce sujet[1]. Les mégadonnées sont des données à très grande échelle rassemblées sur un support numérique. Elles ont cinq caractéristiques : leur volume très important, la variété de leurs sources, la vitesse avec laquelle elles sont traitées, leur validité, c’est-à-dire la pertinence de leur contenu et leur degré de précision et leur valeur, c’est-à-dire leur utilité. Ces mégadonnées sont notamment utilisées dans le domaine de la santé. Leur traitement passe par des algorithmes et peuvent rejoindre les individus par le biais d’applications liées à la prise en charge, à la prévention ou au mode de vie.
À ce jour il n’existe pas de cadre spécifique national ou international pour les mégadonnées. La réglementation de leur utilisation peut néanmoins se faire à partir des règles relatives à la protection des données personnelles. Par exemple, l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme dispose : « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes[2]». Les Nations Unies ont adopté en 1990 des principes directeurs pour la réglementation des fichiers informatisés qui font autorité[3].
La France s’est dotée dès 1978 d’une loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés[4].
Elle a connu plusieurs modifications. En février 2018, un projet de loi est discuté à l’Assemblée Nationale notamment pour ajuster notre droit au Règlement Général européen de Protection des Données personnelles[5] applicable au 25 mai 2018. Ce « GDPR[6] » demande entre autres qu’aucune donnée ne soit collectée sans consentement explicite et positif (art. 7), que la personne ait le droit de savoir à quoi servent ses données (art. 13 et 14), qu’elle ait le droit à demander que ses données soient supprimées (art. 17), qu’elles soient gérées uniquement en vue d’une certaine finalité (art. 5).
Selon le rapport du CIB : « Les mégadonnées dans le domaine de la santé peuvent se concevoir comme une médecine globale et personnalisée sur la base de preuves[7], une médecine appelée médecine de précision sur la base de stratification de populations, une médecine qui combine les meilleures connaissances scientifiques disponibles avec l’expérience professionnelle des professionnels de santé au bénéfice du patient individuel » (§22). L’idée est de rassembler à la fois des données biologiques (résultats d’analyses médicales), d’imagerie médicale (radio, scanner), de comportement (sport, alimentation), d’environnement social (famille, travail), pour mieux prévenir et traiter les maladies. Un des bénéfices attendus est de favoriser une médecine personnalisée, incluant la prévention et le traitement à distance (télémédecine, données transmises sur smartphone). Le traitement des mégadonnées devrait aussi aider les politiques de santé publique.
Questions anthropologiques et éthiques
L’utilisation des mégadonnées pour la recherche suscite bien des espoirs, notamment dans le domaine de la santé, même si une prudence est de mise par rapport à ce qui pourrait devenir un « marché mondial de la promesse », c’est-à-dire faire de l’argent sur des promesses de traitements et de guérisons éventuels dans un futur incertain . A ce propos, le rapport du CIB, tout en soulignant le potentiel bénéfique de l’utilisation des mégadonnées en santé, note : « L’enthousiasme suscité par le phénomène des mégadonnées risque d’entraîner des surestimations et des prévisions irréalistes, ainsi que de commercialisation de produits et de services n’ayant pas encore fait la preuve de leur pertinence. En outre, cela peut mener à un déséquilibre des priorités en termes de politiques de santé ce qui peut avoir des effets particulièrement nocifs pour les pays où l’accès aux services essentiels n’est pas garanti » (§45).
Une question clé est celle du consentement. Pour faciliter la recherche, le principe du « consentement global » est envisagé, c’est-à-dire le consentement à l’utilisation des données « dans le cadre des différents projets de recherche susceptibles d’être menés dans une branche ou un domaine particulier[8]». Selon ce modèle, après une opération chirurgicale par exemple, un patient consentirait à l’utilisation d’échantillons prélevés sur son corps en une fois pour tous types de recherche susceptibles d’utiliser les données de ces échantillons. Un autre modèle proposé est celui du « consentement dynamique ». Ici, « le sujet donne son consentement initial, mais il est tenu informé de l’utilisation qui est faite de ses données et peut choisir de refuser ou d’autoriser certaines utilisations[9]».
Ces propositions sont à considérer avec beaucoup de prudence afin que ne s’affaiblisse pas l’attention au respect de la personne protégée par le principe du consentement éclairé. Une juste régulation internationale devrait garantir que les données ne soient pas utilisées de sorte que la personne s’en trouve affectée (discrimination en matière de soins et de contrat d’assurance par exemple). En ce sens, l’application du « GDPR » à partir d’une interprétation stricte, ou encore le suivi de la recommandation CM/Rec (2016)6 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, qui demande le recours au consentement de la personne ayant préalablement cédé du matériel biologique à la recherche en cas de changement de finalité ou de gestion des données biologiques est souhaitable[10].
Encourager la recherche biomédicale ne veut pas dire céder à la logique du « corps capital », où le corps devient l’enjeu de choix économiques et financiers. Que les citoyens renoncent au principe du consentement éclairé constituerait un retournement de la conscience morale qui a conduit au « Code de Nuremberg », au lendemain de la seconde guerre mondiale[11]. Ce n’est pas la personne qui doit renoncer au plein exercice de sa liberté face aux ambitions d’une médecine « de la promesse ».
Ce sont plutôt les ambitions d’une telle médecine qui doivent se conformer au respect de la liberté de chacun pour être sûres d’être au service du bien personnel et du bien commun.
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[1] On trouve le rapport sur la page http://www.unesco.org/new/fr/social-and-human-sciences/themes/bioethics/international-bioethics-committee/reports-and-advices/
[2] Nations Unies, 1948.
[3] Cf. http://hrlibrary.umn.edu/instree/french/Fq2grcpd.html
[4] Loi n°78-17 du 6 janvier 1978.
[5] http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32016R0679&from=FR
[6] « General Data Protection Regulation ».
[7] Evidenced Based Medicine.
[8] Rapport du CIB, §52.
[9] Rapport du CIB, §55.
[10] Cf. https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=090000168064e900
[11] Cf. C. Lafontaine, Les enjeux de la bioéconomie du corps humain, in D. Folscheid, A. Lécu, B. de Malherbe (dir.),
Critique de la raison transhumaniste, Cerf/Collège des Bernardins, 2018, p. 55-65.
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