Saint-Denis : « Le Département est marqué par une grande diversité culturelle »
Monseigneur Pascal Delannoy est évêque de Saint-Denis depuis 2009. L’occasion de faire le point sur ses actions à travers son bilan et ses projets futurs. Interview.
Vous êtes vice-président de la Conférence des évêques de France (CEF), quelles sont vos missions dans ce cadre ?
Ma mission est d’épauler le Président, Monseigneur Georges Pontier dans ses responsabilités. Je viens au Conseil permanent tous les mois à Paris, je prépare les assemblées plénières de Lourdes et l’animation de celles-ci. Au titre de la vice-présidence, je participe au Conseil représentatif des cultes en France (CRCF) où se retrouvent les musulmans, juifs, bouddhistes et chrétiens. J’accompagne aussi plus particulièrement le groupe de travail sur la présence de « l’Église en périphérie », qui sortira bientôt son troisième rapport sur « L’enfance ».
Vous êtes évêque de Saint-Denis depuis 2009. Quel moment marquant gardez-vous en tête ?
Le 50e anniversaire du diocèse en 2016 a été un évènement très marquant. À cette occasion, j’ai promulgué les orientations pour les cinq années à venir : 2015 – 2020.
Quelles sont les orientations que vous avez mises en place ?
Je suis pour une Église qui se veut proche des personnes qui habitent le territoire. La première manifestation de la proximité est celle de la charité. D’autant plus nécessaire que nous sommes sur un territoire marqué par de grandes pauvretés. D’où la présence de nombreuses antennes du Secours catholique, des aumôneries d’hôpitaux ou de maisons de retraite dans lesquels de nombreux chrétiens dans le tissu associatif. La maison d’arrêt de Villepinte en est un autre exemple.
Comment les chrétiens agissent-ils au quotidien contre la pauvreté ?
Plusieurs paroisses du diocèse travaillent à l’économie solidaire notamment durant la période hivernale. D’ici un an, j’espère que nous pourrons inaugurer en concertation avec la conférence Saint-Vincent-de-Paul un accueil de jour à Pantin. Ce centre permettra aux personnes en grande marginalité sociale de trouver un espace pour reprendre leur souffle, se restaurer et surtout de bénéficier de services à la personne. Nous avons déposé le permis de construire. L’ouverture est prévue fin 2019.
Suite à vos visites pastorales dans les cités en 2011-2012 où vous avez parcouru plus de vingt villes du diocèse, vous avez expérimenté l’expérience de la fraternité. Quelle était votre objectif précis ?
Une fois par mois, un temps d’échange, de prières ou de méditation de l’Évangile se déroule dans une quarantaine de communautés de quartier du diocèse. De nombreux chrétiens me disaient qu’ils souffraient de ne pas pouvoir se retrouver pendant la semaine à cause de l’éloignement de la paroisse ou des difficultés de transports en soirée. Autant de problématiques qui m’ont poussé à créer de nouveaux lieux de rencontre. Cela permet de maintenir le lien social et aussi d’avoir une petite présence visible au cœur des cités. Dans les années 1960 et 1970, la présence de l’Église dans les cités se manifestait par la présence des communautés religieuses. Le diocèse regroupe encore une cinquantaine de communautés. Malheureusement le nombre de religieux et religieuses diminue et leur présence est moins importante qu’autrefois. Notre Dieu s’est fait proche de l’Homme, il est bien normal que l’Église se fasse proche.
Le territoire se caractérise par sa jeunesse. Près de 450 000 jeunes de 15 à 29 ans vivent en Seine-Saint-Denis. Est-ce une force ?
La priorité portée aux jeunes va de soi dans ce département qui le plus jeune de France. 43,3% d’entre eux a moins de 20 ans. Trois mouvements d’églises s’adressent aux adolescents et aux jeunes : le scoutisme, le Mouvement Eucharistique des Jeunes (MEJ) et la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC). Le scoutisme est celui qui se développe le plus fortement car il apporte un certain nombre de repères précis au niveau de sa pédagogie. La pastorale des jeunes se décline autour des aumôneries qui sont souvent présentes dans les paroisses. Elle rassemble souvent des ados pendant les catéchèses et un peu partout fleurissent des groupes de jeunes adultes qui prennent des initiatives ; ils demandent un prêtre pour les accompagner. Ce sont des jeunes âgés de 18 à 30 ans qui souhaitent se retrouver pour approfondir et creuser leur foi.
Pour les jeunes qui souhaitent approfondir leur foi, vous proposez une formation appelée « disciple-missionnaire ». En quoi consiste-t-elle ?
Cette formation vise à répondre à une demande, celle de mieux connaitre la foi chrétienne et son contenu pour pouvoir en témoigner. Autrement dit, progresser dans la connaissance de la foi pour être aussi bien « disciple » que « missionnaire ». La quête de sens croise aussi la quête de connaissance. Il s’agit de découvrir également comment la foi donne sens à notre vie.
« L’année Saul » s’adresse aux jeunes âgés de 18 à 30 ans. Pouvez-vous nous expliquer cette démarche ?
Pendant un an, les jeunes sont accompagnés spirituellement avec des rendez-vous mensuels. Le but est d’opérer un discernement spirituel et de répondre à la question suivante : « Qu’est-ce que Dieu attend de moi ? » La réponse ne passe pas forcément par une vocation spécifique mais par le fait de se marier, de fonder une famille ou de s’épanouir dans son milieu professionnel.
La richesse de ce département s’exprime à travers la diversité des nationalités. Vous souhaitez qu’on pose un autre regard sur le diocèse. Qu’est-ce que cela apporte ?
Avec ses 150 nationalités, le Département est marqué par une grande diversité culturelle. Environ un Séquano-Dionysien sur quatre est étranger. L’Afrique est le continent le plus représenté (55%) suivi de l’Europe (22%), l’Asie (20%) et l’Amérique (3%). Toutes ces nationalités se retrouvent au sein des communautés chrétiennes faisant face au défi de l’unité. Il est intéressant de mettre en œuvre ce que le Pape François ne cesse de promouvoir à savoir le dialogue entre cultures et l’enrichissement mutuel. Le chemin de la rencontre interculturelle est parfois difficile mais je combats les préjugés. La réciprocité doit être totale. L’arrivant doit s’ouvrir à la culture du pays d’accueil.
Quelle place pour le dialogue interreligieux en Seine-Saint-Denis ?
Il a une place très importante car les communautés musulmanes sont très nombreuses dans le département. Ce dialogue est plus difficile que dans les années 1970-1980. D’une part, il peut y avoir des courants plus identitaires qui traversent l’islam. D’autre part, un certain nombre de musulmans ont le sentiment de ne pas être reconnu de la société française, ce qui créé un malaise. Nous sommes dans une période difficile pour le dialogue interreligieux mais pas impossible. Nous œuvrons et continuons à dialoguer.
Dans ce contexte parfois un peu difficile, comment poursuivez-vous avec confiance le chemin de la rencontre et du dialogue au service de la paix ?
Le Service diocésain des relations avec les musulmans a réalisé un guide : « Comment vivre la rencontre avec les musulmans, comment entrer en dialogue avec eux ? » pour donner des points de repères sur la manière de dialoguer au quotidien avec les musulmans : rencontre de tous les jours, repas convivial, réalisation de carte de vœux pour l’Aïd-El Fitr (fin du Ramadan) à distribuer aux voisins. Cette opération fonctionne d’ailleurs très bien ! Par ailleurs, des rencontres avec les responsables juifs et musulmans sont organisés autour d’un thème donné comme la place du pèlerinage ou la place de la solidarité dans nos religions. Cette année, nous promouvons une rencontre imam-prêtre.
Vous intéressiez-vous aux questions interreligieuses avant d’être dans le diocèse de Saint-Denis ?
J’ai eu la chance de réaliser mes dix premières années de ministère à Roubaix (Diocèse de Lille. NDLR). C’est une ville qui est fortement marquée par les courants migratoires d’Afrique du Nord lié par son passé textile dans les années 1960. Roubaix est également confrontée à la question de l’accueil du migrant et à la question du dialogue interreligieux.
Quel est le sort des migrants en Seine-Saint-Denis ?
En partenariat avec le Conseil diocésain de la mission ouvrière et la Pastorale des migrants, nous avons mis en œuvre dans un document les quatre verbes du Pape François : accueillir, promouvoir, protéger et intégrer les migrants. Il s’agit de montrer comment les bénévoles sont engagés sur le terrain à travers l’alphabétisation, l’accueil des femmes en difficulté ou l’aide pour l’obtention de papiers administratifs.
Depuis plusieurs décennies, le territoire accueille de nombreux migrants. Selon les estimations de l’INSEE, la Seine-Saint Denis accueillait 427 875 migrants en 2011 en raison des conflits, catastrophes naturelles, persécutions ou misères économiques…
Rappelons en premier lieu la définition d’un migrant. C’est celui qui est présent sur le territoire et qui est né en dehors du territoire. La Seine-Saint-Denis est un territoire qui a toujours connu des courants migratoires pendant l’entre-deux-guerres et après la Seconde Guerre mondiale, issus essentiellement d’Espagne, du Portugal et d’Italie. Aujourd’hui, les migrants sont originaires d’Afrique, du Moyen-Orient ou des Pays de l’Est. Nombre d’entre eux ne sont pas comptabilisés dans les chiffres officiels car ils sont en attente de régularisation.
Nous célébrions le 29 juin la fête des Saints Pierre et Paul. Combien d’ordinations en 2018 en Seine-Saint-Denis?
Aucune malheureusement. La question des vocations est une de nos préoccupations. En neuf ans, j’ai eu la joie d’ordonner une seule fois trois prêtres. Et un seul séminariste sera ordonné en 2020. Il faut permettre aux jeunes issus des courants migratoires d’envisager de devenir prêtre.
Comment remédier à cette crise des vocations ?
L’année 2019-2020 sera une année vocationnelle. Le souci des vocations est l’affaire de tous. C’est ensemble que nous devons porter la dimension vocationnelle : familles, paroisses et aussi chaque chrétien. L’année 2019-2020 est propice car elle bénéficiera des fruits du Synode sur les jeunes, la foi et le discernement vocationnel.
Quels rapports avez-vous avec les prêtres de votre diocèse ?
Je me déplace pour des missions ou des temps forts dans les paroisses. Avec ses 236 km2, le diocèse n’est pas si étendu mais les temps de déplacement peuvent être très longs. Le Conseil presbytéral se réunit quatre ou cinq fois dans l’année. Le Mardi Saint, juste avant la Messe Chrismale, nous avons une demi-journée de réflexion tous ensemble. Deux retraites annuelles sont aussi proposées en novembre et en en février à l’Abbaye de La-Pierre-qui-Vire. Je suis toujours présent en novembre pour pouvoir échanger.
Quelles difficultés les curés et les prêtres rencontrent-ils au quotidien ? Comment s’investir pleinement dans le diocèse ?
Je rassemble les curés trois fois par an pour échanger sur les initiatives pastorales qui portent leurs fruits et sur celles qui ont du mal à se développer. Il est très difficile de trouver des bénévoles qui s’engagent de manière durable dans des équipes d’animations paroissiales, de catéchèses ou d’accompagnement d’adultes vers le catéchuménat. Les emplois du temps très morcelés, les horaires de travail de moins en moins réguliers ou l’augmentation de familles monoparentales expliquent ce désengagement. L’engagement dans la durée fait peur. Les craintes sont liées au manque de stabilité dans la vie professionnelle comme dans la vie familiale. Il faut résister à ce que pourrait être la tentation d’une centralisation ecclésiale. Nous devons être force de propositions pour être au plus proche des personnes. Cela passe par la catéchèse dans les cités ou la présentation des mouvements scouts dans les quartiers périphériques. Par ailleurs, nous avons la chance d’avoir des lieux de culte au cœur de nos cités. Même s’ils ne réunissent que 25, 30 ou 40 fidèles, la création de petites aumôneries ou des groupes de prières permet d’avoir d’autres temps que la messe dominicale.
Quelles sont vos attentes et vos objectifs futurs ?
J’aimerais travailler sur la rencontre des cultures parce qu’il y a là un défi pour notre diocèse et plus largement pour notre société. Il n’y aura pas moins de migrants dans les années à venir. Mon premier objectif est que nous creusions toujours davantage la manière d’annoncer l’Évangile aujourd’hui. Nous attendons trop souvent que les autres viennent vers nous. Nous devons multiplier des propositions qui nous permettent d’aller à la rencontre des autres. Il faut se laisser habiter par la certitude que l’Évangile peut toucher et transformer des personnes et des vies dans le sens du bonheur voulu par Dieu pour l’Homme.
Carte des diocèses
Vous trouverez sur cette carte les informations détaillées de chaque diocèse en cliquant sur la zone correspondante.
Attention : ne pas confondre diocèse et évêché.
L'évêché est le lieu de résidence de l'évêque.
Le diocèse prend le nom du lieu où se trouve la cathédrale.