Michel Guillaud, prêtre fidei donum en terre d’islam
Père Michel Guillaud, prêtre du diocèse de Lyon arrive en 2006 dans le diocèse de Constantine et Hippone (Algérie). Après sept années à Batna, dans les Aurès, il est envoyé à Constantine et Skikda. Depuis 2014, il est vicaire général de son diocèse et depuis 2015, secrétaire de la Conférence épiscopale d’Afrique du Nord.
Les chrétiens représentent moins de 1% de la population en Algérie et sont dispersés sur les 2,5 millions de km² du territoire algérien. Au cours d’une journée, ceux qui sonnent à ma porte ou que je rencontre sont donc en majorité musulmans. Avec eux, je suis mis au défi d’une existence cohérente avec la foi que je professe ; je suis au service de leur croissance humaine et spirituelle ; je suis aussi témoin des fruits de l’Esprit dans leur vie et cela nourrit ma prière. Ma mission avec eux est fondamentalement la même qu’avec quiconque, même s’ils n’identifient et ne célèbrent pas le dieu trinitaire comme source de leur vie.
Comme prêtre, il peut m’arriver de vivre toute la semaine sans rencontrer de chrétiens, et n’avoir qu’une poignée de chrétiens à la messe dominicale qui se tient le plus souvent un vendredi, jour de congé hebdomadaire.
Comme étranger, je dois fournir un effort important pour aller à la rencontre de l’autre, parler sa langue (faute de quoi je ne rencontrerais que des vieux ou des riches).
De manière exceptionnelle, l’un ou l’autre peut demander à devenir chrétien. Je l’accueille avec joie pour faire chemin ensemble, sans augurer du terme qu’aura son cheminement, tant sont grandes dans la vie sociale les difficultés pour celui qui fait un tel choix, même si les autorités du pays n’y font pas obstacle.
Le frère universel
L’Église vient, le 15 mai 2022, de célébrer la canonisation de Charles de Foucauld, qui a vécu l’essentiel de sa vie de prêtre en Algérie. Tout en étant vraiment un homme de prière et de générosité, cet homme issu de la noblesse française et de formation militaire était profond imprégné de l’esprit colonial ; il ne distinguait guère la civilisation française de l’Évangile, même s’il était lucide sur les défauts de ses ambassadeurs. Il eût été totalement anachronique et scandaleux de le canoniser s’il n’avait connu une transformation décisive lorsqu’en 1908, manquant mourir de fatigue et du scorbut, il est sauvé par les Touaregs qui se mobilisent pour chercher dans toute la région de quoi refaire ses forces. Il réalise alors que sa mission n’est pas d’abord de les éduquer, de les « civiliser » et d’en faire des chrétiens, mais que l’Esprit l’a précédé auprès d’eux, qu’il s’agit d’abord d’y être attentif, d’en rendre grâce et de vivre l’Évangile avec eux. L’Esprit fera ce qu’il doit faire. C’est ainsi que Charles de Foucauld meurt en 1916, sans compagnon dans sa mission, et sans avoir baptisé un seul Touareg. Mais il aura une postérité spirituelle magnifique et marquera profondément l’Église du XXe siècle. Plus de vingt groupes ou congrégations s’inscrivent dans sa spiritualité. S’il était mort en 1908, jamais il n’aurait été canonisé. Sa deuxième conversion, celle de 1908, est au contraire à l’origine d’un nouveau « paradigme missionnaire », qui ne pense pas la mission comme expansion numérique, et d’abord comme apport à l’autre de quelque chose qu’il n’aurait pas, mais comme découverte avec lui de ce que « le royaume de Dieu est proche » (Mc 1, 15).
La canonisation de Charles de Foucauld vient confirmer, valider ce qu’a vécu l’Église d’Algérie depuis l’indépendance, et la vie missionnaire des 19 béatifiés d’Oran en décembre 2018, Mgr Pierre Claverie et ses compagnons martyrs des années 1994-96.
Et les quelques Algériens qui deviennent chrétiens, conduits vers nous par un appel intérieur alors qu’ils ne nous connaissaient pas, que nous accueillons mais n’avons pas appelés nous-mêmes, confirment que l’Esprit fait son œuvre, sa part.
Père Michel Guillaud
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