Homélie du dimanche 7 juin

Comme dimanche dernier, la fête du Sacrement du Corps et du Sang du Christ n’est pas une fête de dévotion. C’est la confession de notre foi vivante dont l’énoncé, d’ailleurs, ne se trouve pas dans le « Credo ».

Les prières et les chants de la liturgie actuelle ont pour auteur saint Thomas d’Aquin. Cet office est l’expression d’un amour intime et enthousiaste, un chef d’oeuvre de doctrine théologique et de poésie, un exemple de goût littéraire sobre et d’une densité toute particulière.

C’est également un témoignage. Par humble attachement à la tradition liturgique, saint Thomas d’Aquin a employé, pour cette création, une partie des antiennes et des répons déjà en usage dans quelques-unes des Eglises particulières. Il voulait ainsi rassembler la diversité de ces richesses dans cette unique liturgie.

QUELQUES ETAPES SIGNIFICATIVES

Dans les premiers siècles, il n’y avait aucune célébration particulière pour l’Eucharistie. Elle était solennisée durant la « Grande Semaine », au jour du Jeudi-Saint qui connaissait trois messes : l’une pour la réconciliation des pénitents, une autre pour la consécration des Saintes Huiles et la troisième « In coena Domini », la Cène du Seigneur.

Avec le temps, les rites de la réconciliation et ceux des Saintes Huiles se compénétrèrent en une seule messe matinale et la commémoration de la Cène se reporta au soir. Puis la messe du Jeudi-Saint, comme l’on disait couramment il y a encore quelques années, fut célébrée le jeudi matin. Vatican II est revenu à l’antique tradition du « Repas du Seigneur » sans pour autant réduire le sens du sacrifice.

Le Moyen Age connut des doctrines qui, sans mettre en cause la « Présence réelle » du Seigneur, en discutaient, parfois d’une manière hérétique, les modalités, en particulier la doctrine théologique de Bérenger (998-1088), archidiacre d’Angers. Devant leur extension, la foi et la piété populaires réagirent spontanément pour souligner la présence réelle et permanente du Seigneur.

Naquirent alors, à partir du 11ème siècle, les processions eucharistiques dites de la « Fête-Dieu », les « saluts du Saint-Sacrement » et les expositions publiques de l’Hostie consacrée qui voulaient souligner la présence réelle et permanente. C’est ainsi que l’Eglise demanda à saint Thomas d’Aquin, le théologien dominicain de l’Université de Paris de rédiger les textes liturgiques de cette fête, instituée par le pape Urbain IV en 1264.

Cette présence n’est pas limitée dans le temps où s’accomplit le rite liturgique, comme l’affirment les Réformés. Elle n’est pas une simple souvenance qui réactive la grâce du Christ, comme le pensent les Eglises évangéliques.

Avec nos frères orthodoxes, nous affirmons que c’est le Christ lui-même, le Christ ressuscité, qui se rend présent en ce mystère, par une transformation « réelle » du pain et du vin dont la réalité d’être du pain et du vin n’est pas détruite. Saint Paul (1 Corinthiens 11. 27 et 29) nous demande de savoir discerner le fait que la réalité divine du Seigneur ne détruit pas la réalité humaine du Christ.

LES INSISTANCES LITURGIQUES

Dans le cycle liturgique de cette année, les trois lectures et le psaume orientent la méditation du fidèle vers la dimension sacrificielle de l’Eucharistie, sans supprimer les autres dimensions de ce mystère : fraction du pain, repas communautaire, présence réelle, communion. Ces dimensions sont reprises dans les deux autres cycles liturgiques. Les textes de saint Thomas d’Aquin sont les mêmes chaque année et nous font ainsi pénétrer au cœur du mystère.

Ce qui est souligné cette année, c’est que l’Eucharistie est un sacrifice de louange et d’action de grâces comme l’étaient les sacrifices de l’Ancienne Alliance, parce qu’elle est un sacrifice de réconciliation dans le sang de l’Agneau offert et immolé, un sacrifice de l’Alliance entre Dieu et son Peuple.

Par elle-même, la mort n’est pas rédemptrice. C’est notre attitude devant la mort qui peut le devenir. Dieu veut arracher son Serviteur à la mort. C’est le Serviteur qui, par son offrande, la fait devenir expiation et glorification. (Isaïe 53. 10) C’est ce qu’exprime par ailleurs la première prière eucharistique : « Nous t’offrons, ou ils t’offrent pour tous les leurs, ce sacrifice de louange, pour leur propre rédemption, pour le salut qu’ils espèrent. Et ils te rendent cet hommage, à toi, Dieu éternel, vivant et vrai. »

La Lettre aux Hébreux développe ce thème du sacrifice de réparation de l’Ancien Testament, évoquant la célébration particulièrement solennelle du « Jour de l’Expiation » (Le Yom Kippour) « Le sang du Christ fait bien davantage. » Il est le grand-prêtre de l’Alliance nouvelle. « Le Christ ressuscité ne meurt plus.»

L’Evangile de saint Marc nous met dans le contexte de la nuit pascale. Il nous donne la vie, comme le Père nous donne la vie qu’il a offerte pour nous et qui est désormais victorieuse de la mort. Le Christ donne l’ordre de célébrer ce mémorial jusqu’au jour du Royaume de Dieu, car cette victoire n’est pas celle que d’un jour.

« De même que le Christ ressuscité est présent, bien que nos yeux ne voient que du pain, de même toute l’Eglise est concernée par l’eucharistie, même si nous ne sommes que quelques-uns. L’Eglise catholique toute entière, celle du temps présent et celle de tous les temps, dans une communion des « saints » qui dépasse toute frontière. » (Jacques Perrier)

Ceux qui participent à l’eucharistie, unis au Christ, représenté par le prêtre, offrent à Dieu l’acte sauveur par excellence, la Croix et la Résurrection. Ils s’y associent eux-mêmes, ils y associent la « multitude » pour laquelle le sang de l’Alliance a été versé.

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C’est ainsi que, depuis le soir du Jeudi-Saint et depuis le Calvaire, chaque célébration eucharistique est significative et signifiante de la présence permanente, réelle et agissante du Christ mort et ressuscité.

Saint Thomas le dit dans les oraisons de ce jour, selon sa concision merveilleuse et plein de richesse, car il était poète, docteur et mystique. Mais il est à noter que, contrairement à la tradition liturgique qui adresse toute prière au Père, par Jésus, ton fils bien-aimé, il s’adresse directement au Christ, au Fils de Dieu venu parmi les hommes pour les ouvrir à la vie éternelle qui est la sienne.

« Donne-nous de vénérer d’un si grand amour le mystère de ton corps et de ton sang que nous puissions recueillir, sans cesse, le fruit de ta rédemption. »

« Fais que nous possédions, Seigneur Jésus, la jouissance éternelle de ta divinité, car nous en avons dès ici-bas l’avant-goût, puisque nous recevons ton corps et ton sang. »

En 2025, nous sommes en année liturgique C