Jean Rodhain et l’Aumônerie générale des Prisonniers de guerre

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Monseigneur Jean Rodhain (1900-1977) met en place dès l’été 1940 l’Aumônerie des prisonniers de guerre. Il organise le secours spirituel pour les prisonniers en Allemagne (oflags et stalags) et fait parvenir à ses confrères détenus des « valises-chapelles » dotées d’hosties, de vin de messe, de linge d’autel, de missels ou d’Évangiles…  Lumière sur l’histoire du « Diocèse des barbelés » grâce aux archives de l’Aumônerie générale des prisonniers de guerre, conservées actuellement au Centre national des archives de l’Eglise de France (CNAEF), à Issy-les-Moulineaux.

Jean RodhainReconnue par le Comité central d’Assistance aux prisonniers de guerre, l’Aumônerie générale des Prisonniers de guerre est active dès 15 septembre 1940. Elle a été créée par le Cardinal Emmanuel Suhard (1874-1949) archevêque de Paris, et confiée à l’abbé Jean Rodhain, prêtre issu du diocèse de Saint-Dié dans les Vosges.

Né à Remiremont en 1900, Jean Rodhain est d’abord vicaire à Epinal, dans le diocèse de Saint-Dié. En 1934, son diocèse le prête à celui de Paris. Il devient l’aumônier fédéral de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC). En 1939, il est l’aumônier fédéral de la Jeunesse ouvrière chrétienne féminine (JOCF) de Paris-Sud. Aumônier de la 3e division cuirassée de réserve, il est capturé le 16 juin 1940 par les Allemands. Il s’évade peu après, et rejoint Paris pour prendre en main l’Aumônerie des prisonniers de guerre. Il commence avec les moyens du bord à visiter les prisonniers de guerre. Le Cardinal Suhard lui demande officiellement de continuer son action.

Soutenir l’activité apostolique des prêtres

Affiche RodhainL’orientation majeure du travail de l’Aumônerie a été de soutenir l’activité apostolique des prêtres. Pendant cinq ans, l’Aumônerie générale s’est occupée des prisonniers et des déportés (Français contraint d’aller travailler en Allemagne, des Français emprisonnés par les occupants ou des Français déportés en Allemagne). Par la suite, l’abbé Jean Rodhain a été chargé d’organiser l’aumônerie des travailleurs étrangers (1942), l’Aumônerie des internés et déportés (1943) et l’Aumônerie des prisonniers de Guerre de l’Axe (1944).

Un soutien spirituel pour les prisonniers

Toutes les missions de l’Aumônerie sont coordonnées par l’abbé. Sa mission principale est d’apporter du soutien spirituel aux travailleurs, aux déportés et aux prisonniers. Outre l’envoi de colis liturgiques, de colis de vivres et autres matériaux, des aumôniers sont également envoyés dans les camps. Pour des raisons pratiques, l’Aumônerie travaillait en relation avec le gouvernement français, le nonce apostolique, et la Croix-Rouge. Ce diocèse de la captivité recense pendant ces cinq années un clergé de 2200 prêtres et un nombre égal de séminaristes.

Les prêtres visiteurs réguliers sont pour la plupart des aumôniers militaires officiels ou officieux, libérés sur place ou évadés, qui agissent de leur propre initiative car ils n’ont reçu aucun ordre de la Direction générale de l’aumônerie militaire. Avec l’appui du Cardinal Suhard, ils s’organisent pour se répartir les tâches et se réclament de cette aumônerie inexistante auprès des Allemands, obtenant ainsi plus facilement des « Ausweis », des papiers d’identités et laisser-passer.

Prenant connaissance de la situation des prisonniers et des prêtres, avec comme priorité la vie religieuse des prisonniers, les équipes de l’abbé Jean Rodhain assurent le ravitaillement, notamment le ravitaillement liturgique, recensent les sépultures lors de leurs périples avec des listes des décédés et communiquent les informations obtenues aux divers services gouvernementaux.

Jean RodhainAvant de sillonner les camps en France et à l’étranger, l’abbé Jean Rodhain se ravitaille dans les institutions religieuses : en vin de messe et hosties chez les Filles de la Charité, les Sœurs de la Visitation, les Carmélites et les Sœurs de Saint Thomas de Villeneuve. Installé dans un immeuble, son siège social est localisé dès mars 1944 au 120 rue du Cherche-Midi dans le 6e arrondissement de Paris, et les bureaux d’où avait lieu l’envoi des colis se trouvaient au 2 rue Leneveux, dans le 14e arrondissement de Paris.

Jean Rodhain et Germaine BlanchetAu rez-de-chaussée de la rue Leneveux, il engage comme collaboratrice Germaine Blanchet au secrétariat de l’aumônerie des prisonniers de guerre. Il recrute pour le Centre national de renseignements et son travail, des jeunes filles jocistes que la défaite a mise au chômage. Elles préparent et expédient les colis, répondent au courrier, ou enregistrent les dons. Fin 1943, une soixantaine d’employés y travaillait.

Du matériel pour la liturgie

Chaque colis emporte la valise avec tout ce qui est nécessaire pour la célébration de la messe, les saintes huiles, des Évangiles et des exemplaires de « Soldat du Christ » (des éditions ouvrières). En 1944, l’Aumônerie générale de guerre peut afficher un bilan considérable dans la mesure où les prêtres prisonniers ont célébré trois millions de messes et l’Aumônerie générale a envoyé dans les camps 3000 valises-chapelles, 200 000 litres de vin de messe, 835 000 évangiles, 750 000 livres de prières, 700 000 livres d’études ou de travail représentant ainsi 131 000 colis ainsi que 12 000 colis de vivres, et tout cela grâce notamment aux dons de fidèles.

Après la débâcle

Jean RodhainJean Rodhain rencontre des difficultés à partir d’août 1940 pour pénétrer dans les camps. Des négociations sont entreprises par la délégation parisienne du Service des prisonniers de guerre, avec les organismes de Vichy. Jean Rodhain a besoin d’officialiser, il a des difficultés à faire entrer des personnes extérieures, ils se basent sur les prêtres déjà sur place. Progressivement, les prisonniers sont transférés des camps de prisonniers de l’Armée allemande sur le territoire français (Frontstalags) en Allemagne.

Les accréditations nécessaires sont délivrées mi-septembre. Le 15 septembre, le Comité central d’assistance aux prisonniers de guerre est reconnue. Le 19 novembre Jean Rodhain obtient de l’Armeefeldpostmesiter, un « Supervaguemestre de l’Etat-major » des Forces d’occupation, un papier précieux qui stipule qu’il n’y a : « rien à objecter à l’envoi d’objets liturgiques destinés à la grand-messe, aux prêtres se trouvant dans les camps. Les envois doivent être adressés aux commandants de camps, qui remettront les objets aux prêtres ». Une phrase inscrite à la fois sur les couvercles des valises-chapelles, sur les étiquettes de colis et sur la couverture des livres de prières.

Pour faire officiel en plus des placards imprimés avec cette inscription, il fait imprimer des accusés de réception à son adresse. Les valises-chapelles sont adressées aux commandants des camps, à qui on demande de la remettre à l’aumônier désigné. Au fur et à mesure des retours d’accusés et de courrier, l’Aumônerie apprend les adresses des camps. La plupart du temps les prêtres répondent eux-mêmes aux envois.

La visite des camps en Allemagne

Mgr Rodhain demande en vain l’autorisation de visiter les camps d’Allemagne. Il essaye de faire admettre sa présence au cœur de l’ambassade de Berlin auprès de Georges Scapini, ambassadeur du gouvernement de Vichy auprès des prisonniers de guerre. En décembre 1942, il obtient un laisser-passer pour visiter les camps en Allemagne. A la suite de la défaite, 1 300 000 Français sont retenus en captivité, dans des camps situés sur le territoire français. Le 6 juillet 1940, alors que la plupart des services administratifs ont quitté la capitale pour se replier dans le centre et l’Ouest de la France, le préfet de la Seine prend l’initiative de créer le Centre national d’information sur les prisonniers de guerre sous la responsabilité du directeur des Archives de France, Pierre Caron. Une sorte de bureau de renseignement chargé de fournir aux familles les premiers éléments d’information qui pourraient être obtenus sur les prisonniers. Le 22 juillet, Léon Noel, ambassadeur de France, délégué général du gouvernement pour les territoires occupés créé le Comité central d’assistance aux prisonniers de guerre. Le 28 juillet, le gouvernement de Vichy crée le Service des prisonniers de guerre.

Les administrateurs locaux, les membres de la Croix-Rouge, de la Société de Secours aux blessés militaires, des associations féminines (Association des dames françaises et Union des femmes françaises), des prêtres et des pasteurs, des volontaires, des scouts, des jocistes et jacistes s’efforcent d’inventorier des camps de leur région et d’y pénétrer pour y apporter des secours. Les Missions vaticanes, qui gèrent des hôpitaux voisins d’anciens camps de concentration, assurent des missions de rapatriement, de recherche de disparus, d’aide spirituelle et matérielle aux personnes déplacées.

La question de l’après-guerre

En décembre 1944, est créé un « Comité international de l’Aumônerie Catholique » pour organiser les opérations de rapatriements, et l’abbé Jean Rodhain en est le responsable. Ce Comité est devenu le comité catholique de Secours et a fusionné en 1946 avec le Secours catholique international » pour former le « Secours catholique » dont l’abbé Jean Rodhain est le secrétaire général. La fondation du Secours catholique a en septembre 1946 entrainé la dissolution de l’Aumônerie générale des prisonniers de guerre.

Le saviez-vous ?

photocnaefLe Centre national des archives de l’Eglise de France (CNAEF) dispose depuis 1985 du fonds d’archives Jean Rodhain. Au moment de la dissolution de l’Aumônerie générale, les archives ont été versées au Secours catholique. Elles sont passées au Secrétariat général du secours catholique par les soins de Charles Klein faisant office de secrétaire particulier de Mgr Jean Rodhain. Le dépôt a été effectué au CNAEF en 1985. Le fonds était précédemment conservé sur trois sites différents au Secours catholique (rue du Bac à Paris, à Vanves, et rue Vauquelin).

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