Assemblée plénière de printemps 2018 : discours d’ouverture de Mgr Georges Pontier
Mardi 20 mars, Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille et Président de la Conférence des évêques de France a inauguré l’Assemblée plénière de printemps avec le discours d’ouverture.
Avec les membres de nos communautés chrétiennes, nous sommes entrés dimanche dans la quinzaine de la Passion qui nous conduira à la semaine sainte et au triduum pascal. Ce sont de grands moments. Ce sont les plus grandes célébrations chrétiennes de l’année. Nous y accompagnerons plus de quatre mille catéchumènes adultes qui, dans la nuit de Pâques, seront baptisés au terme d’une préparation qui enrichit et stimule la vie de nos paroisses. Nous célébrons ce Dieu qui s’est fait si proche de nous en son Fils Jésus-Christ. Nous contemplons derrière le moment de la Croix l’immense amour qu’Il porte à cette humanité qu’Il ne cesse de créer et de recréer par son Esprit de vie et d’amour. Humblement mais avec confiance, nous lui ouvrons les portes de nos cœurs pour qu’Il les introduise dans ce mystère de Salut. Nous y accueillons le fruit de sa miséricorde infinie. Nous sommes rendus capables d’entrer en communion avec Lui et entre nous. Les portes de la mort ne se ferment plus sur nous. Nous découvrons notre dignité de fils de Dieu. Nous comprenons que la dignité de tout être humain trouve là son fondement : dans ce mystère de filiation divine, de vie éternelle, de fraternité accueillie, de solidarité vécue jusqu’au bout. C’est à cette bienheureuse lumière que nous nous éclairons, lumière inespérée, lumière rayonnante sur le visage du Bien-Aimé qui dit à son voisin du Calvaire : « Aujourd’hui avec moi tu seras dans le paradis » (Luc 23,43). Oui, notre Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais celui des vivants !
Chers amis, tel est bien ce trésor que nous portons dans les vases d’argile que nous sommes. Comme dit l’apôtre Paul (2 Cor.4,7), c’est pour qu’apparaisse mieux que ce trésor ne vient pas de nous mais de la volonté d’amour de Dieu. C’est pour cela que nous nous faisons les défenseurs de tout être humain que nous savons connu et aimé de Dieu. Sa dignité ne dépend ni de la longueur de sa vie, ni de la fragilité de sa vie commençante, ni de la faiblesse de son existence finissante. C’est dans la fragilité de la Croix que le Christ laisse apparaître l’immense amour de Dieu pour tout homme en faisant de sa vie un don de miséricorde pour tous.
Les Etats généraux de la bioéthique
Dans notre pays se déroulent durant cette année une grande réflexion sur le monde que nous voulons, sur la vie que nous souhaitons et cela en relation avec les progrès de la science et les possibilités qu’elle offre. Sans hésiter nous disons que nous voulons un monde fraternel, un monde d’espérance, un monde où personne n’est laissé seul, un monde où les solidarités font cesser les pensées de mort, de découragement, d’abandon. Nous nous réjouissons des progrès scientifiques qui permettent à la médecine d’être toujours plus performante dans l’exercice du soin, dans le soulagement de la douleur, dans l’accompagnement des uns et des autres. C’est là sa grandeur. Elle est au service de la vie dans le respect des plus fragiles. Dès sa conception, l’embryon mérite le respect dû à toute personne humaine. Il ne peut être considéré comme un matériau disponible pour des recherches ou des expériences qui ne respecteraient pas sa dignité profonde. A aucun moment de sa vie l’être humain ne peut être considéré indépendamment du caractère profond de sa dignité. Ne pas respecter cette dignité serait risquer d’aller vers une société où l’eugénisme deviendrait légitime, où la personne ayant le moindre handicap se sentirait de trop, où l’on déciderait pour elle qu’elle n’a pas sa place dans la société, où l’on ne saurait plus reconnaître ce que nous apportent ceux et celles qui sont fragiles, âgés, dépendants. Seuls, nous ne sommes rien. Nous sommes des êtres humains confiés les uns aux autres du tout début jusqu’à la fin naturelle de notre existence terrestre. Quand cette solidarité ne se vit plus, ce sont des solutions de mort qui sont alors envisagées et même présentées comme des solutions de progrès et de liberté. Choisir ou donner la mort ne peut être que le signe du désespoir et d’une solitude profonde. Nous invitons au courage de la tendresse et de la présence fraternelle qui permettent à celui qui en bénéficie de se reconnaitre aimé jusqu’au bout et digne d’affection. Nous entrons sereinement et avec toute la richesse de la tradition chrétienne dans ce temps de dialogue voulu par le gouvernement au moment où sont évaluées les questions liées aux lois de bioéthique et aux recherches touchant l’avenir de l’homme. Le plus grand service à rendre est de favoriser une réflexion permettant au plus grand nombre de dépasser des évidences trompeuses. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut percevoir les risques pour notre société de s’engager sur des chemins où les seuls désirs des uns et des autres feraient loi sans se soucier de ce que cela signifierait pour le plus grand nombre, pour les plus fragiles en particulier. On ne peut pas toucher à l’être humain, à sa conception, à sa filiation, à sa fin de vie sans se demander quel monde nous sommes en train de construire. Ce ne serait plus un monde humain et fraternel, mais un monde où le « chacun pour soi » se construirait sur le destin des autres. On ne peut accepter que tout progrès technique doive nécessairement déboucher sur une mise en œuvre concrète au risque de porter atteinte à la dignité incomparable de l’être humain et aux fondements même de la vie sociale. Durant ces jours, nous prendrons le temps de partager sur la manière dont nous sommes engagés dans ces débats de société avec le désir de faire reconnaître avec d’autres les chemins porteurs de vie et d’espérance, les décisions qui rappellent qu’on ne peut avancer sur un chemin tant qu’on n’a pas pu vérifier tous les risques qu’il comporte pour l’avenir des générations futures. C’est ce qu’on pratique dans d’autres domaines et qu’on appelle : le principe de précaution.
Les migrations dans le monde et la situation des migrants en France
Durant cette assemblée, nous aurons un long temps de travail au sujet des migrations dans le monde, en Europe et dans notre pays. C’est une réalité difficile et douloureuse. Nous la regarderons dans son ensemble grâce à l’apport de plusieurs spécialistes de la question. Puis nous partagerons entre nous les initiatives qui se vivent dans nos diocèses, les difficultés qu’elles rencontrent, les fruits qu’elles portent. Nous n’ignorons pas le droit pour un État de définir sa politique en ce domaine. Mais nous savons aussi nos devoirs dans l’accueil des migrants qui sont à nos portes et l’enrichissement qui peut s’en suivre si les conditions d’un accueil coordonné, volontaire et généreux sont créées. Le pape François nous y invite de manière récurrente et voit en ce domaine le lieu d’un engagement conforme à l’Évangile. Résonnent à nos oreilles les multiples invitations de la Bible et du Nouveau Testament à prendre soin de l’étranger : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli » (Mt 25,35). Nous voulons encourager tous ceux qui s’activent pour prendre leur part dans cet accueil des migrants, des mineurs en particulier. Parmi les causes de ces migrations, nous pouvons nommer celles qui viennent des grandes pauvretés, des évolutions climatiques, des guerres et des conflits violents dans le monde ainsi que de leurs conséquences douloureuses. Dans bien des endroits de notre planète, les réalités politiques et humaines sont inquiétantes. Nous ne pouvons pas oublier ce qui se passe en Syrie au mépris du respect des lois internationales. Nous pensons à toutes les victimes civiles et nous nous reconnaissons un devoir doublement fraternel à l’égard des fidèles des communautés chrétiennes qui donnent en cette épreuve le témoignage lumineux de leur foi en la fidélité du Dieu de la Vie. Nous n’oublions pas non plus le pays d’Israël et de la Palestine, la Terre Sainte où Jésus, le Christ a vécu et a inauguré les temps nouveaux, ceux où la réconciliation, le respect du droit et de la justice, le refus de la violence permettent l’avènement d’une paix que Lui seul sait donner, une paix qui passe par le cœur de chacun. Puissent les protagonistes de ce trop long conflit s’engager délibérément dans des décisions qui permettront l’avènement d’une paix juste et durable.
Nous souhaitons également dire notre proximité et notre encouragement aux Églises de la République démocratique du Congo, de la Centrafrique, du Rwanda et d’autres pays africains qui sont aujourd’hui engagés en faveur d’une avancée de la démocratie, du respect des institutions, de la justice et de la paix dans leur pays. Un profond travail de réconciliation est nécessaire, mais aussi de respect de la constitution que se sont donnés ces pays. Quand on ne recherche pas le bien commun, on s’enferme dans la seule recherche du profit individuel et de celui de son clan ou de ses relations.
Le synode sur les jeunes, la foi et le discernement des vocations
Au mois d’octobre prochain se tiendra le synode ordinaire des évêques à Rome sur « les jeunes, la foi et le discernement des vocations ». Sa préparation permet dans nos diocèses des initiatives diverses et encourageantes. Dimanche prochain, il en sera question dans nos diocèses en pensant aussi aux prochaines journées mondiales de la jeunesse qui auront lieu en janvier 2019 au Panama. Ces jours-ci, plusieurs centaines de jeunes venus du monde entier seront réunis à Rome pour partager leurs expériences et être écoutés par ceux qui ont en charge l’organisation du prochain synode des évêques. Des étudiants et des jeunes professionnels expriment leurs questions, leur recherche de Dieu, celle aussi de communautés chrétiennes vivantes, nourrissantes, ouvertes aux plus petits et aux plus fragiles. De riches expériences se vivent. Nous les partagerons, ainsi que les initiatives aidant les uns et les autres à regarder leur avenir à la lumière de leur foi et des appels de Dieu à cheminer avec lui et à s’engager au service des autres. Nous percevons bien que la vie chrétienne, vécue dans le mariage, dans la vie consacrée, dans le ministère presbytéral est un chemin de bonheur pour ceux et celles qui les vivent, mais également un lieu de témoignage nécessaire à l’annonce de l’Évangile, peut-être le meilleur, en n’oubliant pas celui rendu par ceux qui vivent un célibat non choisi. « Les hommes d’aujourd’hui ont plus besoin de témoins que de maîtres. Et lorsqu’ils suivent des maîtres, c’est parce que leurs maîtres sont devenus des témoins. » disait le pape Paul VI au Conseil des laïcs en 1974. Avec les jeunes générations, nous voulons entendre ces appels du Christ à Le suivre comme L’ont entendu les premiers qui L’ont suivi. Nous voulons répercuter la Bonne Nouvelle de Le connaître, de L’écouter, de Le rencontrer, de Le choisir comme « chemin, vérité et vie » (Jean 14,6). Nous rencontrons aujourd’hui des jeunes adultes insatisfaits par ce que leur offre la seule perspective du profit et de l’accumulation des richesses. Ils veulent donner un sens à leur vie avec la découverte de la joie que donne le service des plus pauvres, des personnes ayant un handicap, celle qui jaillit de l’approfondissement de la vie spirituelle, de la joie de croire et de se savoir aimé par Dieu.
Le statut de l’Enseignement catholique
Voici cinq ans, nous votions un nouveau statut de l’Enseignement catholique en France. Nous voilà engagés dans une évaluation de ce qu’il a permis, dans un repérage des faiblesses qu’il a pu révéler, dans les ajustements qu’il nécessite. C’est une tâche importante pour notre Église qui prend sous cette forme sa part dans l’enseignement et l’éducation de l’enfance et de la jeunesse de notre pays. Beaucoup de familles françaises lui confient leurs enfants. Le caractère propre de nos établissements n’est pas toujours perçu de la juste manière. Un profond travail de formation et d’information auprès des enseignants et des parents est essentiel et nécessaire. La réalité de sa présence n’est pas la même suivant nos provinces. Les contraintes budgétaires nécessitent des choix judicieux. L’ouverture à tous demeure une ambition partagée. C’est incontestablement un lieu d’évangélisation et de rencontre que diocèses et congrégations religieuses portent ensemble.
Faire Église ensemble
Un événement récent nous a fait percevoir la nécessité de soigner l’accompagnement des mouvements de laïcs, des jeunes particulièrement. Les évêques en charge de cette importante et délicate mission ont su vivre le dialogue, l’interpellation nécessaire, la proposition de formations renouvelées permettant de mieux percevoir le mystère et la mission de l’Église ainsi que la nécessité de vivre dans la communion ecclésiale. Notre difficulté de nommer partout des aumôniers a fragilisé l’accompagnement ecclésial. Il nous faut regarder de plus près ce dont ont besoin les mouvements de jeunes en particulier pour grandir dans leur dimension missionnaire et dans l’accueil de la lumière venant de l’Evangile et de l’enseignement de l’Église. Nous leur redisons nos encouragements et aussi notre désir de les accompagner sur le chemin de leur vie chrétienne. Cela nous engage dans une attitude pleine de bienveillance et de patience, de lucidité et de questionnement sans oublier le travail de l’Esprit dans le cœur de chacun et dans l’action commune. Nous ne sommes pas une Église de parfaits. Le Seigneur est venu guérir et sauver un peuple de pécheurs. C’est sa miséricorde inépuisable qui nous sauve. C’est elle qui déploie une dimension missionnaire qui réveille et touche les cœurs de ceux qui reconnaissent leur faiblesse et leur péché. Le Seigneur a connu les faiblesses de ses apôtres. C’est à eux qu’Il a renouvelé sa confiance et envoyé son Esprit.
Le 13 mars dernier était le jour du cinquième anniversaire de l’élection du Pape François. Nous lui adressons l’assurance de notre reconnaissance et de notre prière filiales. Nous le remercions pour l’élan nouveau qu’il donne à la vie de nos Églises. Ses interventions comme ses voyages apostoliques sont le plus souvent tournés vers ceux qui ont la vie la plus difficile. Il nous invite à nous ouvrir à la présence de Dieu, à reconnaître en Christ le visage du Dieu invisible, à aimer tout homme comme un frère, à regarder chacun avec espérance, à ouvrir des chemins de fraternité et de soutien. Avec lui, nous faisons nôtres ces verbes qu’il emploie souvent : « accueillir, accompagner, discerner, intégrer ». Nous lui renouvelons la joie que nous aurions à l’accueillir dans notre pays pour un voyage apostolique qui ne manquerait pas de stimuler la vie de nos Églises. Que le Seigneur lui accorde santé, courage et fidélité.
La lutte contre la pédophilie
Les drames liés aux abus sexuels commis par des clercs ou des religieux continuent à être pour l’Église entière une occasion de honte et un scandale. Il y a deux ans, nous avons pris des mesures pour permettre un meilleur accompagnement et une réelle écoute des victimes, pour redire notre désir de coopérer pleinement avec la justice de notre pays, pour développer des actions de prévention. Des formations ont été organisées dans bien des diocèses, des rencontres du presbyterium ont porté sur ce thème, des outils ont été mis en place et il serait injuste d’insister toujours sur des faits dont nous mesurons bien l’horreur en taisant tout ce qui a été entrepris pour y remédier. Je remercie ceux qui au sein de notre conférence portent particulièrement cette mission au niveau national. Nous savons bien que ce n’est pas parce que nous avons édicté des mesures que cette question est réglée. Les victimes sont là : elles nous disent que la souffrance ne se prescrit pas. Il nous faut sans cesse être vigilants, prendre soin des victimes et ne pas oublier les auteurs. Le père Hans Zollner, directeur du Centre de protection des mineurs de l’Université Grégorienne, nous aidera à continuer à avancer dans la manifestation de notre compassion vis-à-vis de ceux dont nous savons qu’ils sont marqués à vie. Il nous rappellera également la nécessité de la prévention à laquelle nous attachons une importance particulière.
Conclusion
Permettez-moi, pour conclure, de revenir à la fête de Pâques qui approche, et d’y revenir en regardant la Vierge Marie, dont la présence est notée à plusieurs moments dans l’Évangile. Nous ne pouvons pas oublier sa présence douloureuse et espérante au pied de la Croix ni celle avec la communauté des disciples attendant le don que le Christ avait promis. Elle est pour nous un modèle de foi, d’espérance et d’amour. Vénérée ici à Lourdes comme celle qui a parlé à Bernadette, elle nous invite à rejoindre les plus pauvres et les plus humbles. Récemment, l’Église, par la voix de Mgr Jacques Benoit-Gonin vient de reconnaître la guérison miraculeuse dont a bénéficié Sœur Bernadette Moriau en 2008. Elle est signe d’espérance et de fidélité de notre Dieu.
Que la célébration des jours de la Passion nous introduise dans la joie de la Résurrection de Jésus, le Christ, le Sauveur bienveillant des hommes.