Pendant le Carême et le temps pascal, l’Eglise nous rappelle notre baptême
Directeur du Service national de la pastorale liturgique et sacramentelle, le P. Bruno Mary apporte son éclairage sur le Carême et les étapes du chemin vers Pâques. Il évoque les défis liturgiques à venir.
Cette année, le Carême commence tôt ! Pourquoi ?
Le Carême temps est fondamental de la vie chrétienne dans la mesure où il nous ramène aux fondamentaux de notre foi. Le but du Carême est de vivre Pâques, de participer à la Résurrection du Christ. La date de Pâques est calée sur le dimanche qui suit la pleine lune de printemps. Or cette année, elle arrive tôt, ce qui explique que la fête de Pâques soit le 27 mars.
Cela bouleverse le calendrier liturgique, notamment la fête de l’Annonciation…
Habituellement fêtée le 25 mars, l’Annonciation aurait dû avoir lieu en pleine Semaine Sainte. Or tout ce qui touche Marie prend sens par rapport au Christ, mort et ressuscité. Il a donc priorité sur sa mère – la vocation de Marie est qu’on aille vers son Fils. La fête de l’Annonciation aura lieu après la première semaine de Pâques, lundi 4 avril.
Comment comprendre la Semaine Sainte, ces jours qui précèdent Pâques ?
Quand parle-t-on de semaine dans la Bible ? Notamment dans les récits de la création, au livre de la Genèse. Les deux récits de la Création se déroulent sur une semaine. La Semaine Sainte nous donne un des sens de la fête de Pâques : c’est une sorte de re-Création. Avec la mort et la Résurrection du Christ, un monde nouveau est en train d’advenir, un homme nouveau est en train de naître. D’autre part, la Semaine Sainte est liée au mystère de l’incarnation. C’est-à-dire que Jésus est venu nous sauver en partageant notre condition humaine et nous commémorons des événements qui ont eu lieu : le dernier repas, l’arrestation, la Passion, la mort sur la croix. Ce n’est pas simplement symbolique : ces événements ont eu lieu dans l’histoire d’un homme, de ses disciples et des croyants d’Israël. La foi chrétienne est toujours incarnée dans l’histoire des hommes et l’histoire du Christ en premier lieu.
Comment comprendre le chemin de croix du Vendredi Saint ?
Le chemin de croix s’est développé, au Moyen Age, avec les pèlerins occidentaux qui allaient à Jérusalem. Quand on aime bien quelqu’un, on aime aussi visiter les lieux où il a vécu, parce que cela permet de mieux le connaître et de mieux l’aimer. La démarche du chemin de croix fait partie de cette dynamique. Le mot « chemin » nous rappelle que toute vie chrétienne est un chemin de foi. Nous sommes pèlerins à la suite du Christ. Le but de cette marche est d’apprendre à nous recevoir et à nous donner de Dieu. De la même manière qu’à travers sa mort et sa Passion, le Christ s’est complètement reçu de son Père et s’est complètement donné, et à son Père, et aux hommes. Le chemin de croix participe de cette pédagogie d’Eglise qui nous permet très concrètement – on marche, on chante, on s’arrête, on prie – d’unifier notre personne, pour que tout notre être marche vers Dieu – la tête, le coeur et les jambes.
Dans son message, le pape François lie Carême et Jubilé de la Miséricorde…
Le Carême et le temps pascal sont les grands temps que nous propose l’Eglise pour nous rappeler que nous sommes baptisés. D’ailleurs, pour les catéchumènes qui se préparent au baptême, ce sont les temps de l’ultime préparation et de la célébration du baptême. Le fait de revenir aux fondamentaux peut nous aider. Et parmi ces fondamentaux, le Pape nous rappelle que la Miséricorde n’est pas un détail dans l’identité de Dieu mais qu’elle constitue le profond de sa personne et de ce pourquoi Il est venu au milieu de nous. Si Jésus est venu au milieu de nous, c’est pour être témoin de la Miséricorde de son Père. Le premier à avoir fait des œuvres de Miséricorde, c’est Lui ! Par ses paroles et par ses gestes, je dirais que c’est Lui qui la rend possible. La Miséricorde reste quand même un défi. Il ne faut pas en faire quelque chose d’évident : la Miséricorde ne va pas du tout de soi ! D’une part, ouvrir son cœur aux misères de l’autre sans condescendance ni misérabilisme et d’autre part, accueillir le regard de l’autre sur nos propres misères. L’Eglise propose des temps forts comme autant d’aides pour entrer dans cette perspective. Le Pape François rappelle que la première témoin parmi les hommes est la Vierge Marie. Le mot « miséricorde » veut dire « ouvrir son cœur ». Marie a appris, avec la force de l’Esprit, à s’ouvrir à l’amour de Dieu. D’ailleurs, la fête de l’Annonciation célèbre l’accueil d’une nouvelle qui la dépasse complétement. Elle nous dépasse également. Le Pape nous redit que toute l’histoire de l’Alliance avec Dieu est une histoire de Miséricorde. Dieu est fidèle à sa parole – « Tu es le Dieu fidèle éternellement » dit un chant liturgique. Cela fait partie de nos convictions profondes. Et nous les hommes, sommes relativement inconstants, pour ne pas dire infidèles.
Sur quelles expériences vous appuyez-vous pour cette mission et quels défis vous attendent ?
Sur mon expérience pastorale notamment de curé. J’ai également fait des études à l’Institut Supérieur de Liturgie à Paris, puis à Saint-Anselme à Rome. D’autre part, depuis l’an 2000, j’étais délégué à la Pastorale liturgique et sacramentelle du diocèse de Lille. Depuis au moins 5 ans, je faisais partie du comité de rédaction de Célébrer, une revue du SNPLS actuellement en cours de refonte.
La liturgie est un grand lieu d’Eglise, dans le sens où ce qui fait la beauté de la liturgique, ce n’est pas tant des gestes extérieurs ou une esthétique extérieure, c’est une justesse des liens entre les gens et avec Dieu. C’est une question de justesse de liens. Le premier défi de la liturgie est de vivre la communion en Eglise, parce que la liturgie est un lieu passionnel et passionnant mais qui peut être aussi un lieu de division et d’opposition. De fait, le défi que représente la réception de la nouvelle édition du Missel romain est de l’ordre ecclésial, parce qu’il n’y a pas de traduction idéale ou parfaite. On espère, à travers cette publication, permettre à l’ensemble des membres du peuple de Dieu de visiter leur art de célébrer. Au-delà du faire, c’est tout une manière d’être : vivre de l’intérieur les gestes qu’on pose à l’extérieur. Une devise liturgique dit : « Que ton esprit soit accordé à tes lèvres ». C’est tout le défi de l’unité : unité ecclésiale et unité intérieure se dynamisent mutuellement.
Comme Paul Claudel, devenir chrétien par la liturgie ?
« Devenir chrétien par la liturgie » : c’était le thème du récent colloque de l’ISL (Institut Supérieur de Liturgie). « La liturgie peut être un lieu de rencontre. Que fait-on dans la liturgie ? On s’adresse à Dieu. On dialogue avec Lui. Et donc on est amené à Le rencontrer ». La liturgie est « une action » commente-t-il, en rappelant les racines étymologiques communes avec…la métallurgie ! Il y a « un travail » qui se fait : « Le célébrant et l’assemblée sont appelés à se mettre à disposition. C’est un travail de lâcher-prise, d’oser s’abandonner… Travail paradoxal. L’assemblée chrétienne qui participe à la liturgie continue à être travaillée par, entre autres, l’action liturgique ».