« Il nous partage l’intimité même de sa vie de croyant et de chrétien », commentaire du Père Vincent Feroldi
Pour la sortie de la publication de l’encyclique « Fratelli Tutti » du pape François, le Père Vincent Feroldi, directeur du service national pour les relations avec les musulmans, commente ce texte majeur sur la fraternité et l’amitié sociale.
Dans cette lettre encyclique sur la fraternité et l’amitié sociale où il trace « des chemins d’espoir », propose une « mystique de la fraternité » et qu’il qualifie lui-même d’« encyclique sociale » et « modeste contribution à la réflexion » (cf. § 6), le pape François non seulement nous donne l’un des textes majeurs de son pontificat, mais encore nous partage l’intimité même de sa vie de croyant et de chrétien, profondément marqué par celui dont il a pris le nom, à savoir François d’Assise.
Il doit à ce dernier d’avoir inspiré les pages de cette troisième encyclique et permis de rêver à une société fraternelle. Au Poverello, il reprend cette idée que seul l’homme qui accepte de rejoindre d’autres êtres dans leur vie particulière, non pour les retenir à soi, mais pour les aider à devenir un peu plus eux-mêmes, devient réellement père. Il faut se libérer de tout désir de suprématie sur les autres, se faire l’un des derniers et chercher à vivre en harmonie avec tout le monde (cf. § 4).
C’est aussi la commémoration en 2019 de l’un des épisodes de la vie de François d’Assise, à savoir sa rencontre en Égypte, en 1219, avec le Sultan Malik-el-Kamil, qui va stimuler le pape François à oser se risquer à un geste prophétique qu’il évoque dans l’encyclique, à savoir la rédaction avec le Grand Iman Ahmad Al-Tayyeb d’un Document sur la fraternité pour la paix mondiale et la coexistence commune [1] qui sera donné au monde à Abou Dhabi, le 4 février 2019. Aux yeux du pape François, ce texte est d’importance puisqu’il le cite neuf fois et qu’il conclue l’encyclique, aux § 285-287, en reproduisant « l’appel à la paix, à la justice et à la fraternité » que le Pape et le Grand Imam avaient rédigé ensemble. Cette écriture commune n’était pas pour lui un simple acte diplomatique, mais une réflexion faite dans le dialogue et fondée sur un engagement commun. Il écrit même que la présente encyclique rassemble et développe des thèmes importants abordés dans le document d’Abu Dhabi, ce qui confirme combien ce document est devenu à ses yeux un document-source. Notons en particulier les thématiques de la pleine citoyenneté (§ 131), de la violence (§ 281-284) et de la paix (ch. 7 : Des parcours pour se retrouver).
Cela est vrai. Depuis février 2019, le Service national pour les relations avec les musulmans est témoin de la fécondité de ce texte dans le dialogue islamo-chrétien et interreligieux. D’autres autorités religieuses et acteurs du dialogue ont souhaité apporter leur contribution à la réflexion : Charte de la Mecque [2] (mai 2019) soutenue par 1.200 religieux musulmans du monde entier, contribution d’une vingtaine de religieux musulmans soufis sur « la fraternité pour la connaissance et la coopération »[3] (juillet 2019), Mémorandum d’entente et d’amitié [4] (septembre 2019) et Charte de la Nouvelle Alliance de la Vertu [5] (décembre 2019) signés par des responsables juifs, chrétiens et musulmans… Et aujourd’hui l’encyclique !
Mais, dans cette dynamique d’enrichissement mutuel, il y a plus qu’une affaire de texte. Il y a l’importance des personnes et de la rencontre. En effet, au paragraphe 5, après avoir souligné que, pour la rédaction de Laudato si’, il avait trouvé une source d’inspiration chez son frère Bartholomée, Patriarche orthodoxe, promoteur avec beaucoup de vigueur de la sauvegarde de la création, il déclare qu’il s’est particulièrement senti encouragé par le Grand Iman Ahmad Al-Tayyeb, cité cinq fois, pour rappeler que Dieu « a créé tous les êtres humains égaux en droits, en devoirs et en dignité, et les a appelés à coexister comme des frères entre eux ». Cela souligne pour François l’importance de la rencontre personnelle entre les personnes, de la « culture de la rencontre » développée dans le chapitre 6 : Dialogue et amitié sociale et tout particulièrement les paragraphes 215-221 et du témoignage personnel de chacun. Cela sera apparaît nettement dans les dernières pages, au paragraphe 286, quand il évoque l’influence qu’ont eu sur lui « d’autres frères » comme Martin Luther King, Desmond Tutu et Mahatma Mohandas Gandhi. Il prend même le temps de consacrer deux paragraphes à la figure d’un homme qui a vécu de nombreuses années au milieu des musulmans et qui sera canonisé en 2021, à savoir le bienheureux Charles de Foucauld « qui, grâce à son expérience intense de Dieu, a fait un cheminement de transformation jusqu’à se sentir le frère de tous les hommes et femmes » (cf. § 286-287).
Le dernier chapitre (ch. 8) a pour titre : « Les religions au service de la fraternité humaine ». Le paragraphe 271 évoque la nature de leur contribution : « Les différentes religions, par leur valorisation de chaque personne humaine comme créature appelée à être fils et fille de Dieu, offrent une contribution précieuse à la construction de la fraternité et pour la défense de la justice dans la société. Le dialogue entre personnes de religions différentes ne se réalise pas par simple diplomatie, amabilité ou tolérance. Comme l’ont enseigné les évêques de l’Inde, “l’objectif du dialogue est d’établir l’amitié, la paix, l’harmonie et de partager des valeurs ainsi que des expériences morales et spirituelles dans un esprit de vérité et d’amour” ».
Tout en insistant sur l’importance pour l’Église de témoigner de la joie de l’Évangile, le pape François souligne que « l’Église valorise l’action de Dieu dans les autres religions et “ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui […] reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes”» [6] (§ 277).
Il insiste également sur la liberté religieuse : « Cette liberté affirme que nous pouvons “trouver un bon accord entre cultures et religions différentes ; elle témoigne que les choses que nous avons en commun sont si nombreuses et si importantes qu’il est possible de trouver une voie de cohabitation sereine, ordonnée et pacifique, dans l’accueil des différences et dans la joie d’être frères parce que enfants d’un unique Dieu” [7]» (§ 279).
Vu le contexte international, il consacre enfin un long développement à l’idée qu’un cheminement de paix est possible entre les religions, n’hésitant pas à rappeler ses propos tenus dans le film Le Pape François – Un homme de parole. L’espérance est un message universel de Wim Wenders (2018) car « Dieu ne regarde pas avec les yeux, Dieu regarde avec le cœur » (§ 281). Pour lui, les croyants ont besoin de trouver des espaces où discuter et agir ensemble pour le bien commun et la promotion des plus pauvres. Ils doivent se concentrer sur l’essentiel : l’adoration de Dieu et l’amour du prochain, de manière à ce que certains aspects de nos doctrines, hors de leur contexte, ne finissent pas par alimenter des formes de mépris, de haine, de xénophobie, de négation de l’autre.
Condamnant terrorisme et violence fondamentaliste, il rappelle que les religions doivent « reconnaître les valeurs fondamentales de la commune humanité, valeurs au nom desquelles on peut et on doit collaborer, construire et dialoguer, pardonner et grandir, en permettant à l’ensemble des diverses voix de former un chant noble et harmonieux, au lieu de hurlements fanatiques de haine » [8].
Aussi, en conclusion, formule-t-il de nouveau « l’appel à la paix, à la justice et à la fraternité » écrit avec le Grand Imam Ahmad Al-Tayyeb. Tous deux témoignent ainsi par leur vie de la fraternité et de l’amitié sociale. Ils manifestent que de la rencontre de personnes aux cultures et croyances différentes peut jaillir une dynamique pleinement inspirée par l’Esprit de Dieu.
[1] Le Service national pour les relations avec les musulmans (SNRM) de la Conférence des évêques de France a publié, d’une part, ce document et, d’autre part sa présentation, accompagnée d’un guide de lecture pour l’étudier, dans En Dialogue, n° 10, mai-septembre 2019. A commander sur https://publications.cef.fr/ et à snrm@cef.fr.
[3] https://www.christians-muslims.com/fr/document
[6] Conc. Œcum.. Vat. II, Déclaration Nostra aetate sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes, n. 2.
[7] Discours aux Autorités, Bethleem – Palestine (25 mai 2014).
[8] Discours aux Autorités, Sarajevo – Bosnie-Herzégovine (6 juin 2015).
Fratelli Tutti
Saint-Siège
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La tendresse c’est l’amour qui se fait proche et se concrétise. C’est un mouvement qui part du cœur et arrive aux yeux, aux oreilles, aux mains. La tendresse est le chemin à suivre par les femmes et les hommes les plus forts et les plus courageux. #FratelliTutti
— Pape François (@Pontifex_fr) October 13, 2020
Tous Frères, #FratelliTutti, encyclique du #PapaFrancesco, sur la fraternité et l’amitié sociale : Heureux celui qui aime l’autre autant lorsqu’il serait loin de lui comme quand il serait avec lui. pic.twitter.com/eI08ltiv5x
— Père Hugues de Woillemont (@HdWoillemont) October 4, 2020
Encyclique #FratelliTutti https://t.co/t0mLUQABdx pic.twitter.com/FhDYzXYfcr
— Pape François (@Pontifex_fr) October 4, 2020
My brother, Pope Francis’ message, "We are all brothers and sisters" is an extension to the Human Fraternity Document that exposes a flawed global reality in terms of stances and decisions. The vulnerable and marginalized pay the toll for that flawed reality.
— أحمد الطيب (@alimamaltayeb) October 4, 2020
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