1963, l’aventure du concile se concrétise

Riche en évènements, l’année conciliaire 1963 connaît le décès du pape Jean XXIII, l’arrivée de Paul VI et la deuxième session plénière du concile Vatican II. Retour soixante ans après sur ces mois décisifs avec le P. Daniel Moulinet, docteur en théologie et en histoire, professeur d’histoire moderne et contemporaine à la faculté de théologie de l’université catholique de Lyon, auteur de plusieurs ouvrages sur le concile Vatican II *. Par Florence de Maistre.

Dans quel contexte l’année 1963 s’inscrit-elle ?

Vatican II

En histoire, comme au saut en longueur, il faut commencer par reculer pour prendre de l’élan ! Le premier évènement : c’est l’annonce de l’ouverture du concile. Le 25 janvier 1959, Jean XXIII (Angelo Giuseppe Roncalli) tout juste élu pape fait quatre annonces. Dans les trois premières, il s’inscrit dans une continuité. Et puis à la surprise générale, il propose la convocation d’un concile oecuménique pour l’Église universelle : la nouvelle est de taille ! Jusqu’en 62, la période est décevante pour les journalistes. Le travail est d’ordre souterrain, mais il est important. Les commissions se mettent en place, les principes du concile sont posés. Il fonctionnera sur le modèle de la vie parlementaire, hérité du premier concile oecuménique du Vatican et des conciles américains de Baltimore. Les commissions préparatoires présentent un projet appelé schéma que les pères conciliaires peuvent amender. Les modifications sont adoptées ou refusées par l’assemblée. Quand elles sont acceptées, la commission en charge du schéma les intègrent au texte qui revient à l’assemblée. Voilà ce qui est essentiel pour bien comprendre le travail mené.

Que se passe-t-il à l’ouverture du concile ?

L’ouverture du concile Vatican II, le 11 octobre 1962, a quelque chose de spectaculaire : plus de 2000 évêques du monde entier sont présents. On compte plus d’un millier de journalistes pour couvrir l’événement et aussi nombre d’ambassadeurs, ceux déjà accrédités auprès du Saint-Siège, mais également des délégations extraordinaires, celle du Conseil européen par exemple. L’événement a d’emblée un impact mondial. Pour preuve, ce signe : le nombre d’ambassadeurs auprès du Saint-Siège aura doublé à l’issue du concile. Ils ont été établis dans la foulée. Quelques éléments sont à repérer dans la première session du concile qui se tient jusqu’en décembre. En arrière-plan, il y a la maladie de Jean XXIII. Son cancer s’est déclaré peu avant l’ouverture du concile et s’est aggravé en décembre. Mais l’opinion publique n’en est pas informée. Autre point marquant de cette première session plénière : le blocage autour du schéma sur la révélation divine. Les discussions montrent de forts clivages. Selon le vote et le règlement, les pères auraient dû travailler dessus et bien que Jean XXIII souhaitait avant tout leur laisser une grande liberté, il intervient. Dans son encyclique Ad Petri cathedram de juin 59, il a clairement donné cette double orientation au concile : pastorale et oecuménique. Or, cette première version du texte est considérée comme non conforme à l’orientation oecuménique. Le Pape retire ce schéma et le confie à une nouvelle commission mixte de travail. À charge pour elle de le rendre compatible avec l’orientation demandée. Avec cette décision, Jean XXIII donne de l’air et un nouveau départ au concile.

Comment cette première session se conclut-elle ?

Douze jours avant la clôture de la première session, aucun texte n’est mené à son terme. Un seul chapitre du schéma sur la liturgie est validé et soixante-dix schémas sont prévus ! Face à cette ampleur et cette vitesse de travail, le Card. Léon-Joseph Suenens (Malines-Bruxelles) prend la parole et propose de centrer la constitution sur l’Église ad intra et ad extra, c’est-à-dire : Église, que dis-tu de toi-même et de ton rapport au monde ? Le lendemain, dans sa prise de parole, le Card. Giovanni Battista Montini [futur Paul VI] va dans le même sens. Tous les pères se disent donc que Jean XXIII approuve cette démarche. Le Card. Montini bénéficiait de certains privilèges comme nul autre, dont celui d’être hébergé dans les appartements du Vatican. Son intervention est perçue comme étant désirée par Jean XXIII. Ce dernier n’était pas présent pendant les travaux du concile, mais il pouvait les suivre grâce à une télévision en circuit fermé. Et l’on imagine aisément le Card. Montini et le Pape commenter les discussions du jour au cours de leur dîner. Dans son allocution d’ouverture de la deuxième session du concile, après la mort de Jean XXIII, Paul VI redonnera ce cadre de l’Église dans son rapport au Christ, ce qui annonce les deux grandes constitutions à venir : Lumen Gentium et Gaudium et Spes.

Qu’en est-il de l’actualité internationale ?

La politique internationale est marquée par la crise des fusées de Cuba. La tension est à son comble, la troisième guerre mondiale s’invite dans les gros titres de la presse. En coulisse, Jean XXIII est intervenu auprès de Khrouchtchev et de Kennedy. Et c’est peut-être le premier qui l’a le plus écouté. De façon totalement inattendue, le Pape reçoit en mai 63 le prix Blazan, remis par l’URSS, pour son engagement en faveur de la paix. La visite du gendre du chef de l’Union soviétique, qui n’est pas lui-même chef de gouvernement, mais dont le geste est sans équivoque, choque doublement la curie romaine, héritière de Pie XII. Ce dernier, foncièrement anti-communiste, a vécu l’attitude de la Russie, qui étendant son empire persécute les chrétiens, comme une blessure tout au long de son pontificat. Jean XXIII, qui n’est pas communiste, reçoit le prix dans la simplicité. Il le voit comme un geste de bonne volonté qu’il faut accueillir. C’est toute la spiritualité roncallienne qui s’exprime là : une spiritualité centrée sur l’Esprit saint, qui peut même parler au cœur de Khrouchtchev ! Au printemps 63, Jean XXIII écrit Pacem in terris, une encyclique très importante. Son message fondamental : la paix ne peut résulter d’un équilibre de la terreur. Même si la bombe atomique a permis d’éviter des guerres, elle ne suffit pas pour vivre la paix. Le Pape précise : la vraie paix ne peut être établie sur la détention de l’arme nucléaire. Il s’inscrit à la suite de ses prédécesseurs depuis Pie XI, Pie XII et même Benoît XV pour qui la paix est enracinée dans le cœur et ne peut être fondée que sur la justice et l’amour.

Comment l’encyclique Pacem in terris a-t-elle été reçue ?

Pacem in terris souligne la dignité de l’homme et servira de base à la déclaration de la fin du concile Dignitatis humanae, sur la liberté religieuse. Ce texte est novateur, or tout texte conciliaire a besoin de s’appuyer sur des références, en particulier sur les Écritures. Jésus n’ayant jamais évoqué la liberté de religion, et pour cause, les pères se sont intéressés à son comportement. Au-delà de la Bible, ils se sont également référés au magistère de l’Église dont Pacem in terris, qui est en quelque sorte le testament de Jean XXIII. Cette lettre qui a pu poser quelques problèmes aux évêques américains, très patriotiques, a porté du fruit au concile. La mort de Jean XXIII révèle sa popularité. Lorsqu’il est devenu Pape, les impressions étaient mitigées, il était assez conservateur. Mais nombre de petits gestes, comme sa visite aux prisonniers à la prison de Regina Coeli et celle aux enfants de l’hôpital Bambino Gesu, ont touché l’opinion tout au long de son pontificat. Jusqu’alors la figure du Pape était essentiellement hiératique avec d’énormes cérémonials, elle est aujourd’hui plus proche des fidèles. La simplicité roncallienne a modifié l’Église toute entière. Certains fidèles coincés par la remise du prix Balzan sont restés surpris par la ferveur de tout le pays pour Jean XXIII.

Qu’est-ce qui change avec l’élection de Paul VI ?

L’élection du Card. Montini à la suite de Jean XXIII s’inscrit dans une continuité, sans surprise. Tous deux étaient originaires du Nord de l’Italie et partageaient une réelle connivence. Même s’il s’agit de deux hommes différents par leur culture. Le premier est fils de paysan, le père du second était avocat à Brèche. Tous deux étaient francophiles. Jean XXIII avait été nonce à Paris et y avait noué des relations humaines. Paul VI avait une approche plus intellectuelle. L’élection du nouveau Pape a permis la reprise des travaux du concile. Paul VI ouvre donc le concile en se concentrant sur l’Église, la constitution Lumen Gentium étant le plus grand texte du concile. Pour plus d’efficacité, il change le règlement et nomme quatre modérateurs à la place des dix cardinaux qui formaient une sorte de conseil constitutionnel. Il s’agit des Card. Léon-Joseph Suenens (Malines-Bruxelles), Giacomo Lercaro (Bologne), Julius Döpfner (Munich) et Grégoire Agagianian (Cilicie, Liban). Les pères du concile les ont comparé aux quatre évangélistes, avec les trois synoptiques, c’est-à-dire ceux qui parlent le même langage, et saint Jean. Or, ce dernier est toujours représenté imberbe et le Card. Agagianian était très barbu ! Quoi qu’il en soit, trois sont sur la même ligne, le quatrième est conservateur. Les modérateurs n’ont pas de pouvoir. Ils décident de poser des questions dès le début de la deuxième session pour éclairer les votes d’orientation. Une négociation préalable présidait à la rédaction de ces questions afin de ne porter aucune ombre sur ce qui était déjà admis. Le règlement promulgué par Paul VI laisse place à la contestation, mais il reste très vigilant pour réduire les oppositions au texte conciliaire Lumen Gentium. Il prépare une note préalable au vote qui précise en particulier la signification entendue par la notion de collège épiscopal, l’un des grands points de divergence. La démarche de questionnement des modérateurs a été menée jusqu’au terme du concile.

Quels sont les autres faits notables ?

Dès son élection, Paul VI décide d’un pèlerinage en Terre sainte. Le patriarche de Constantinople souhaite également le rencontrer. Les faits vont éclipser ce pèlerinage de janvier 1964, mais il faut se rappeler que cette annonce est faite dès 1963. Paul VI rencontre le roi Hussein de Jordanie, c’est lui qui l’accompagne à Jérusalem alors sous occupation jordanienne, nous sommes avant la guerre des six jours. Cette initiative aura un certain impact. L’année suivante, le texte Nostra Aetate sur les relations de l’Église avec les religions non-chrétiennes provoque une forte réaction des évêques du Moyen-Orient : il semble être reçu dans leurs pays comme une opposition à l’État d’Israël. Le parlement jordanien était vent debout. Toutes les ambassades sont consultées pour connaître la position des gouvernements face à ce texte. Finalement, seul l’Irak est contre. La Jordanie ne s’y est pas opposée. J’y vois la modération du roi Hussein et le fruit des démarches et rencontres de janvier 64.

 

À savoir :

Un bureau de presse existait dès l’ouverture du concile avec un téléscripteur et un téléphone pour l’international. Antoine Wenger, assomptionniste, rédacteur en chef de La Croix, a réussi à plaider la cause des journalistes auprès de Jean XXIII. La deuxième session voit un assouplissement du secret conciliaire. À voir, le film “Vatican II – des images, des témoins”, réalisé par Véronick Beaulieu Mathivet avec Le jour du Seigneur à partir de rushes d’archives hautes en spontanéité.

https://www.lejourduseigneur.com/videos/vatican-ii-des-images-des-temoins-2254

*À lire :

Les ouvrages de Daniel Moulinet  : Le Vatican II, éd. de L’Atelier (2002) ; Vatican II raconté à ceux qui ne l’ont pas vécu,éd. de L’Atelier (2012) ; Vatican II, au cœur de son époque, éd. Paroles et silence (2021). Dans ce dernier opus, l’auteur reprend chaque texte du concile en montrant son origine et l’histoire de son écriture. Il en propose une analyse et en présente les fruits. Une démarche inédite ! Daniel Moulinet précise : “Mon but est de faire connaître le concile. C’est un travail à renouveler à chaque génération. Vatican II est la clé pour comprendre l’Église, sa structure et son mode de fonctionnement.

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