Audition des représentants de la CEF devant la mission d’information sur les infractions sexuelles commises sur mineurs

La mission commune d’information que mène le Sénat sur les politiques publiques de prévention, de détection, d’organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d’être commises par des personnes en contact avec des mineurs a souhaité auditionner les représentants de la Conférence des évêques de France.

Retrouvez, ci-dessous, les interventions de Mgr Olivier Ribadeau Dumas, secrétaire général, Mme Ségolaine Moog, déléguée de la lutte contre la pédophilie et Mgr Luc Crepy, président de la Cellule permanente de lutte contre la pédophilie de la Conférence des évêques de France.

Madame la Présidente,

Mesdames les Rapporteures,

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Je vous remercie de nous donner l’occasion de nous exprimer. Je voudrais répondre aux questions que vous nous avez posées. Mme MOOG (déléguée pour la lutte contre la pédophilie à la Conférence des évêques de France) et Mgr CREPY (évêque du Puy-en-Velay et président de la Cellule permanente de lutte contre la pédophilie) complèteront cet exposé liminaire et nous répondrons tous les trois aux questions que vous souhaiterez nous poser.

Je le fais avec humilité, avec un profond respect et je voudrais au début de mon intervention redire ma compassion, ma proximité avec les victimes qui n’est pas feinte ; je le fais également avec détermination, parce que c’est cette détermination qui marque l’action de la Conférence des Evêques de France ces dernières années, en n’oubliant pas la spécificité de l’organisation de l’Eglise catholique qui n’est pas une holding qui aurait autant de filiales que de diocèses ; un principe clef de cette organisation est l‘autonomie d’un évêque dans son diocèse. Je voudrais vous dire également combien je pense positive cette audition, pour le bien de l’Église de France dans le cadre de son action de lutte contre la pédocriminalité. Le fait que des institutions se saisissent de ce sujet est une aide pour avancer et améliorer nos pratiques. Nous avons appris de l’ensemble des auditions que vous avez menées que toutes les institutions sont confrontées aux mêmes types de difficultés pour une juste approche de ce sujet.

Il n’est pas besoin de redire le scandale que représentent tous les abus sexuels sur mineurs et personnes vulnérables commis par des clercs. Un seul acte est inadmissible, intolérable ; la multiplicité de ceux-ci ne fait que renforcer cet état de scandale que ressentent légitimement nos concitoyens et parmi eux les catholiques.

L’actualité depuis plusieurs années en porte la trace et du fait de son caractère universel, ce qui arrive en Autriche, ou aux Etats-Unis, en Irlande, en Allemagne ou en Belgique a un retentissement sur l’opinion publique française.

Pour reprendre l’expression que Mme PEDOTTI, directrice de la publication de Témoignage Chrétien, a utilisé devant vous, « le nuage de Tchernobyl » ne s’est pas arrêté à nos frontières et je veux redire à toutes les personnes victimes ma profonde honte pour ce qui est advenu, ma tristesse et ma douleur profonde que nous n’ayons pu agir plus tôt, mieux, avec plus de rigueur.

Les évêques de France ont, il y a près de 20 ans, abordé à frais nouveaux la question de la pédocriminalité avec l’affaire de l’abbé BISSEY qui est rapidement devenue pour l’opinion publique l’affaire PICAN. Leur souci au début des années 2000 a été de traiter les affaires en cours, c’est-à-dire de gérer le présent et de mettre en place une politique efficace de prévention, notamment par la publication du guide « Lutter contre la pédophilie ».

A cette époque, il y a près de 20 ans, ils ont constaté une situation, regardé en avant, mais pas dans le rétroviseur.

Comment expliquer qu’ils n’aient pas eu alors conscience des centaines de victimes qui avaient été abusées depuis les années 50, qui s’étaient tues faute de pouvoir parler ou de porter plainte, dont l’entourage n’avait rien dit et dont les auteurs n’avaient pas été sanctionnés, si ce n’est parfois par un transfert dans un autre lieu ? Sans doute justement parce qu’ils n’avaient pas rencontré de victimes et qu’ils ne s’étaient pas rendu compte que leur souffrance, qu’elle date de 15, 25, 30 ou 40 ans, ne se prescrirait jamais, parce que l’agression subie laisse une trace indélébile dans un corps, dans une personne, dans son âme aussi, sa relation à Dieu.

Sans doute également, même si c’était inconsciemment, parce qu’une logique a prévalu sur une autre : celle de la protection d’une institution dont on ne pouvait imaginer qu’elle puisse, même de façon extrêmement minoritaire, receler en son sein des criminels, plutôt que celle de l’accueil, de l’écoute, de l’accompagnement et du soin à apporter aux personnes victimes.

Mais permettez-moi de réfuter le mot d’omerta que l’on invoque parfois pour parler de l’attitude des responsables de l’Eglise dans le traitement de ces affaires. Il n’y a pas eu de système généralisé et organisé d’omerta, et ce, en raison même de l’organisation de l’Église qui fait que chaque évêque est le responsable de ce qui se passe dans son diocèse.  S’il n’y a pas eu d’omerta, il y a eu cependant dans une première phase une surdité, un aveuglement devant la souffrance parfois inexprimée des victimes. Il y a eu un déni : l’impossibilité d’admettre et de croire que de tels faits puissent se produire au sein du clergé. C’était incroyable et impensable. Il y a eu une espèce de sidération, de pétrification qui a pu générer le déni.

Cette logique, cette culture de surdité et d’aveuglement ont petit à petit changé. Je puis en témoigner. Un élément important a été la révélation des faits reprochés à l’Abbé PREYNAT à Lyon. L’action courageuse, tenace, difficile pour nous aussi – pourquoi le cacher –, des victimes bientôt réunies dans l’association La Parole Libérée, le travail déterminé des journalistes et des enquêteurs a heureusement contribué à faire céder cette attitude.

Après l’assemblée des évêques (ils se réunissent deux fois par an à Lourdes) en mars 2016 où le Cardinal BARBARIN a été au centre de l’attention des médias, le Conseil permanent de la CEF qui en est l’organe exécutif entre deux assemblées, a décidé de mesures fortes :

  • La priorité est donnée à l’écoute et à l’accueil des personnes victimes avec la mise en place de dispositifs d’écoute et d’accueil dans les diocèses, ou entre plusieurs diocèses, afin que toute personne victime puisse avoir quelqu’un à qui s’adresser. Il y a aujourd’hui 70 cellules de ce type, parfois inter-diocèse. Certains diocèses ont préféré que ce soit l’évêque directement qui accueille les victimes en présence d‘un témoin. Entre 2010 et 2016, 222 personnes s’étaient manifestées aux évêques, entre 2017 et 2018, 211 : signe que la parole se délie.
  • Nous avons ensuite affirmé notre désir d’une coopération pleine et entière avec la justice de notre pays. Un évêque qui a connaissance d’un acte pédocriminel a l’obligation de vérifier que la justice est saisie soit par la victime ou sa famille, soit par l’auteur qui se dénonce, soit par un signalement qu’il effectue lui-même au procureur de la République. Dans la pratique, aujourd’hui, l’évêque fait de plus en plus lui-même un signalement, qui peut donc venir en complément des démarches entreprises par la victime ou sa famille ou l’auteur présumé. Entre 2010 et 2016 : 137 signalements ont été effectués, entre 2017 et 2018 : 75. La différence entre le nombre de victimes et le nombre de signalements s’explique par le fait que certains auteurs sont décédés, que parfois plusieurs témoignages se rapportent à un unique auteur ou que parfois le signalement n‘était pas justifié. Cette volonté de coopérer avec la justice se manifeste également par le fait que dans les normes votées par les évêques en 2012 et dont vous avez reçu un exemplaire, le procès canonique que l’évêque doit ouvrir lorsqu’il a connaissance de faits vraisemblables est suspendu tant que la justice civile n’a pas rendu sa décision afin de tenir compte de son issue.
  • En troisième lieu, nous avons décidé d’intensifier la prévention vis-à-vis de tous les acteurs en lien avec des enfants ou des jeunes : réédition du guide « Lutter contre la pédophilie» ; renforcement de la formation affective, relationnelle et sexuelle des séminaristes. Des sessions de formation sont organisées pour les clercs, les laïcs en responsabilité, le grand public. Depuis 2017, entre 7000 et 9000 personnes – en responsabilité actuelle ou future – ont pu bénéficier d’une sensibilisation ou d’une formation.
  • Il faut enfin mentionner que lorsque des cas sont portés à la connaissance d’un évêque, celui-ci prend des mesures prudentielles à effet immédiat vis-à-vis de l’auteur présumé pour protéger les victimes possibles.

A ces mesures se sont ajoutés des outils qui ont été mis en place :

  • Dès le 12 avril 2016, une adresse mail paroledevictime@cef.fr a été mise en place pour recueillir les témoignages de tous ceux qui le désirent.
  • La création en juin 2016 de la Cellule permanente de lutte contre la pédophilie composée d’évêques, d’un juriste et d’un psychologue, d’un représentant de la Conférence des religieux et religieuses de France (CORREF) et de la déléguée de la CEF pour la lutte contre la pédophilie, porte dans la durée le souci de cette lutte contre la pédocriminalité en travaillant et traitant au fur et à mesure qu’elles se présentent les questions et situations qui apparaissent.
  • La mise en place de la commission nationale d’expertise confié à M. Alain CHRISTNACHT, composée de juristes, de pédopsychiatres, psychiatres et spécialistes de l’enfance, chargée de conseiller les évêques sur la justesse d’une mission confiée à un prêtre après sa condamnation ou n’ayant pas été condamnés en raison de la prescription des faits.
  • La création d’un site internet « Lutter contre la pédophilie», rappelant les procédures à suivre pour un responsable religieux averti d’un cas de pédophilie, et permettant aux victimes grâce à une carte interactive d’adresser son témoignage à l’évêque du diocèse concerné.
  • L’embauche à temps plein de Mme MOOG comme déléguée de la CEF pour la lutte contre la pédophilie, laquelle, je puis vous l’assurer ne ménage pas son énergie et ses actions.

Parallèlement, au cours de l’année et de façon régulière sont organisées des réunions d’échanges de bonnes pratiques pour les référents diocésains ou pour les membres des cellules d’écoute, des formations, notamment avec le programme établi par le Centre de protection des mineurs de l’Université grégorienne à Rome, très alertée sur le sujet.

La détermination des évêques pour lutter contre ce fléau, pour assainir autant que faire se peut le passé, en guérissant aux mieux les blessures, n’a cessé de s’accroître et est aujourd’hui une réalité quotidienne. Cette conviction, liée à l’action, a été renforcée par la rencontre à Lourdes en novembre dernier de sept victimes qui se sont exprimées devant les évêques répartis en quatre groupes, pour exprimer le traumatisme vécu mais aussi partager avec eux sur des mesures à prendre et des réflexions à avoir. Il s’est agi d’une véritable rencontre qui a permis aux évêques qui n’avaient pas encore rencontré de victimes parce qu’aucune ne s’était présentée dans son diocèse, de mesurer ce que pouvait être la vie des personnes victimes, après de tels abus.

Au cours de cette dernière assemblée, de nouvelles mesures ont été décidées :

  • La création d’une commission indépendante chargée de faire la lumière sur les abus sexuels commis sur mineurs et personnes vulnérables depuis les années 50 jusqu’à maintenant ; d’étudier la manière dont ont été traitées ces affaires, en tenant compte du contexte des époques, d’évaluer les mesures prises par la CEF et la CORREF depuis les années 2000 pour faire les préconisations nécessaires. La Présidence en a été confiée à Monsieur Jean-Marc SAUVÉ, vice-président honoraire du Conseil d’État. Il doit rendre un rapport public. Il a rendu publique la composition de sa commission il y a quelques jours.

Par ailleurs, quatre dimensions d’un même processus de réparation font l’objet d’un groupe de travail associant des évêques avec des juristes, des psychologues et psychiatres en lien avec des personnes victimes :

  • La prise en compte de l’aspect mémoriel pour qu’on n’oublie jamais le drame vécu par les victimes, en recueillant leurs témoignages et en les rassemblant, en voyant avec elles s’il y a lieu d’avoir un lieu particulier pour les conserver et un jour particulier dans l’année pour en faire mémoire.
  • L’étude d’un geste financier pour aider à la restauration des personnes victimes. Nous mesurons combien la dimension financière a une part importante symbolique dans la reconnaissance de l’état de victimes et la réparation des personnes.
  • L’intensification de la politique de prévention par la création si besoin de nouveaux outils.
  • Le suivi et l’accompagnement des auteurs – ou personnes mise en cause – au besoin au sein de structures adaptées.

Toutes ces mesures sont nécessaires.

Nous savons que le chantier qui nous attend est encore devant nous. Mais nous avons également à tenir compte de la nécessité d’éviter une dénonciation abusive ou calomnieuse, de respecter la présomption d’innocence et les droits de la défense, afin d’éviter des abus inverses qui peuvent aussi conduire à des situations dramatiques.

A titre d’exemple, il y a en cours une procédure pour dénonciation calomnieuse vis-à-vis d’un clerc, déclenchée par un Parquet.

Cette lutte contre la pédocriminalité est l’affaire de l’ensemble des fidèles, pas seulement des évêques. Le Pape François nous y incite dans la « Lettre au peuple de Dieu » qu’il a écrite le 20 août dernier.

Le Pape évoque dans cette lettre le « cléricalisme » comme source de ces abus, c’est-à-dire cet usage tordu de l’autorité qui fait qu’on acquiert un pouvoir toxique et une emprise sur l’autre. C’est dans une juste articulation entre les responsabilités confiées aux laïcs et celles confiées aux clercs, dans une confiance renforcée que nous pourrons continuer d’avancer.

Vous nous avez également interrogés sur le secret de la confession. Permettez-moi de dire trois choses à ce sujet.

En premier lieu, le secret de la confession est un secret professionnel ; il obéit aux règles du droit applicable à de tels secrets comme celui du médecin ou de l’avocat.

En deuxième lieu, je voudrais que nous ne nous leurrions pas sur le fait que des prêtres abuseurs iraient se confesser de leurs crimes. Il y a là une espèce de fantasme qui ne correspond pas à la réalité. Ce n’est pas ce qui se passe en pratique.

Enfin, je voudrais souligner que paradoxalement ce secret de la confession est une chance : parce qu’il permet à des personnes, quasiment jamais des auteurs comme je viens de le souligner, mais des victimes ou des proches, de s’exprimer en toute sécurité et sérénité. Bien souvent, nous sommes en présence de victimes qui ne veulent pas porter plainte. La confession permet d’entamer un dialogue, un chemin avec la personne pour lui permettre d’aller parler à d’autres en dehors du secret de la confession. Je pense à des enfants qui peuvent exprimer certaines choses en confession. Il est possible de demander de reparler de ce sujet en dehors de la confession et d’avoir donc d’autres possibilités d’actions. La confession est parfois le seul lieu possible de révélation de faits de violences sexuelles. Et le confesseur qui reçoit ce secret ne reste pas sans rien faire.

Voilà, Madame la Présidente, ce que je souhaitais dire aux membres de la mission d’information sénatoriale en introduction. Je laisse si vous le voulez bien maintenant la parole à Mme MOOG qui évoquera le travail au quotidien qu’elle fait comme déléguée pour la lutte contre la pédophilie à la CEF avant que Mgr CREPY ne réponde aux questions qui n’ont pas encore été abordées.

Madame la Présidente,

Mesdames les Rapporteures,

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Depuis septembre 2016, la Conférence des évêques de France m’a confié une mission permanente en tant que déléguée des évêques dans la lutte contre la pédocriminalité. J’étais auparavant responsable nationale des aumôneries de l’enseignement public.

Depuis plus de 2 ans, je suis chargée de coordonner au quotidien le travail de la Conférence sur cette question, en lien avec les diocèses, les mouvements, la CORREF, mais aussi les associations portant ce souci en dehors de l’Église. Une part importante de ma mission consiste à accompagner au quotidien les évêques dans les démarches et actions que suscite la réception de témoignages de victimes ou d’éléments préoccupants.

 

Je distingue deux types de situation en fonction de l’âge de la victime au moment où l’information nous parvient :

  • Les situations concernant des victimes mineures au moment des faits dénoncés, mais devenues adultes au moment où l’information est portée à la connaissance de l’Evêque. Dans la plus grande majorité des cas, c’est cette situation qui se présente, à propos de faits souvent très anciens, ce qui ne retire rien à la gravité de l’acte commis.

Et

  • Les situations concernant des victimes encore mineures au moment de la transmission de l’information, ce qui concerne des cas moins nombreux en proportion mais qui impose une réaction d’autant plus ajustée.

Concrètement des faits sont portés à la connaissance de l’Evêque de plusieurs façons :

  • de façon directe par la personne victime devenue adulte ;
  • par l’entourage de la victime ;
  • par les parents ou de proches s’agissant d’une victime encore mineure ;
  • par la transmission faite à l’évêque via des relais locaux (enseignants, paroissiens…) ;
  • par l’information donnée par des collaborateurs (vicaire général, curé de paroisse, catéchistes…) ;
  • ou encore par la Conférence des évêques et sa plateforme de dépôt de témoignages (paroledevictime@cef.fr).

Il arrive aussi que l’évêque soit informé par les autorités judiciaires au moment par exemple de la convocation du mis en cause ou de sa garde-à-vue.

Les décisions et les normes dont se sont dotées les évêques insistent sur l’importance de pouvoir rapidement recevoir la personne qui témoigne, selon des modalités qui lui conviennent, et qui manifestent l’attention portée à celui ou celle qui souffre et qui accordent du crédit aux propos livrés afin de prendre les décisions les plus ajustées et prudentes.

Cet échange quand il est possible et souhaité par la personne victime, est un temps très important.

Lorsque la personne victime est un enfant mineur l’évêque ne la reçoit pas directement mais lui ou la cellule mise en place reçoit les parents et conduit la famille vers les lieux adhoc où la parole de l’enfant sera recueillie avec compétence.

Il est demandé par le procureur de cesser toute relation avec la famille dès l’enquête en cours, ce qui se comprend bien du point de vue de la justice mais peut provoquer des incompréhensions voire des reproches de la part des familles qui sentent « abandonnées » par l’Église.

Dans tous les cas, si la justice n’a pas déjà été saisie alors l’évêque établit autant que possible la vraisemblance des faits et :

  • invite la victime, ou ses parents pour un enfant mineur, à porter plainte ;
  • invite l’auteur à se dénoncer ;
  • à défaut de confirmation que la justice a bien été saisie, l’Evêque informe les autorités judiciaires des faits vraisemblables d’abus sexuel sur mineur dont il a connaissance, sans apporter d’appréciation sur la qualification d’une infraction ou sur la prescription.

Les mesures prudentielles immédiates que l’évêque s’apprête à prendre font aujourd’hui très souvent l’objet d’un échange entre l’évêque et le procureur. L’objectif commun est de s’assurer que ces mesures n’entravent pas les investigations à suivre. Dans certains cas le procureur demande expressément à l’évêque de ne pas intervenir et d’attendre avant de prendre quelque mesure que ce soit, ce qui n’est pas sans poser de problèmes pendant cette période intermédiaire d’enquête, qui peut durer plusieurs mois. Dans tous les cas, l’évêque assure le procureur de sa pleine coopération pour la manifestation de la vérité.

À partir de ce moment, le contact avec la personne victime lui est aussi fréquemment interdit.

A la suite de ces premières démarches, l’évêque mène alors des rencontres avec les communautés d’où sont issues les personnes concernées, avec les confrères de l’homme mis en cause. Il lui faut expliquer et apaiser sans en dire trop, faire taire des rumeurs éventuelles infondées, permettre à ceux qui le souhaitent d’exprimer les colères, les incompréhensions ou les témoignages que provoque la mise à l’écart du prêtre par exemple ou son interdiction provisoire de toute mission envers les mineurs.

Lorsque le mis en cause est mort, sans qu’un procès ait eu lieu, l’évêque reçoit alors la personne victime restant attentif aux demandes qu’elle peut formuler et essayant d’apporter des réponses, consignant le témoignage reçu, engageant une relation d’accompagnement si cela est voulu.

Enfin l’évêque constitue le dossier canonique pour la Congrégation pour la doctrine de la foi, instance compétente à Rome pour juger et sanctionner canoniquement ces faits très graves. Cette instance canonique suspend son cours le temps de la décision de la justice du pays.

Il advient aussi que des personnes manifestent leur indignation de voir des hommes, qui ayant commis des agressions sexuelles sur mineurs il y a plus de 20 ou 30 ans, qui ont pour certains été condamnés, pour d’autres, qui n’ont pas pu faire l’objet d’une condamnation, faute de procès ou en raison de la prescription, et qui demeurent en fonction. Cette indignation est légitime, et les faits reprochés imposent d’agir. C’est tout l’objet de la commission présidée par M. CHRISTNACHT de conseiller l’Evêque sur les décisions à prendre à leur regard.

Un évêque peut se trouver désemparé face à ces situations particulières, souvent nouvelles pour lui, soit du fait de sa récente nomination, soit du fait qu’aucun cas ne se soit jusqu’alors présenté à lui. Mon rôle consiste alors à l’informer davantage et à l’accompagner afin que les mesures soient prises et que l’ensemble de ces procédures soient appliquées : vis-à-vis des personnes victimes, vis-à-vis des autorités judiciaires, vis-à-vis de la personne mise en cause et des mesures de précaution à prendre. Nous aidons aussi l’évêque à avoir la juste communication nécessaire, respectueuse des droits des personnes (personne victime et personne mise en cause) et des besoins légitimes de la communauté.

Voilà ce que je mets en œuvre avec les membres du Secrétariat général de Conférence des évêques de France et les moyens notamment humains, qu’il met à disposition pour assurer, par exemple, une astreinte de réception des témoignages.

Une autre partie de la mission qui m’a été confiée, et de mon temps, est consacré à animer et à participer partout en France dans les différents diocèses, à des journées, des sessions de sensibilisation ou de formations sur les maltraitances sexuelles faites aux mineurs sur les protocoles d’action et de réaction, afin de mobiliser tous les acteurs au sein de l’Église et de les rendre tous plus vigilants pour la sécurité des enfants et des jeunes, en adoptant les bons réflexes et les bonnes pratiques.

À titre d’exemple, en janvier dernier, je me suis rendue dans quatre diocèses différents : en Ardèche, en Vendée, à Nice et à Arras, pour des rencontres entre responsables, pour des soirées grand public, pour participer à des rencontres entre professionnels de l’éducation. Prochainement, je me rendrai dans les diocèses de Tulles et de Quimper.

Depuis ma prise de fonction, je peux témoigner des très nombreuses actions entreprises par la Conférence des évêques de France et les diocèses. Force est de constater qu’il nous reste beaucoup à entreprendre, de la prévention à la juste prise en considération de la situation des personnes victimes, en lien avec d’autres institutions, dans un engagement permanent.

Je vous remercie de votre attention.

Madame, la Présidente,

Mesdames les Rapporteures,

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Je vous remercie de me donner la parole. Je voudrais souhaitais intervenir sur trois questions posées par les Rapporteurs.

Quelle place la prévention des violences sexuelles occupe-t-elle dans le recrutement et dans la formation des prêtres ?

 

Dans l’Église universelle, le recrutement et la formation des futurs prêtres font l’objet de normes précises. Parmi celles-ci, les dimensions affectives et sexuelles des candidats constituent un élément important, étant donné les responsabilités qu’exercent les prêtres auprès de communautés, et plus particulièrement auprès d’enfants et de jeunes.

Ainsi les « Orientations fondamentales pour la formation des prêtres » (Ratio fundamentalis[1]) promulguées en 2016, soulignent l’importance chez les candidats au sacerdoce d’une personnalité structurée et équilibrée[2]. Ce document mentionne de manière spécifique la prévention de la pédophilie (Protection des mineurs art.202). Ces normes sont intégrées dans les directives de formation des prêtres de chaque pays.

Dans les séminaires français, la formation globale s’effectue, au minimum, sur 7 années. Tout au long de ces années, sont mis en œuvre des parcours de formation[3] traitant de la structuration psycho-sexuelle et de la construction de la personne, des dimensions relationnelles et affectives dans l’exercice du sacerdoce, de la connaissance de soi et de la morale sexuelle. La prévention des violences sexuelles s’intègre dans l’ensemble de ce parcours. Par ailleurs, le regard et la vigilance des formateurs, tant au quotidien que dans les stages sur le terrain avec des enfants et des jeunes, participent au discernement des fragilités et des inaptitudes – voir des déviances – qui conduisent à interrompre la formation de candidats.

Dans les séminaires, depuis 2017, en complément de ce que je viens de décrire, sont organisées des interventions plus spécifiques encore concernant les abus sexuels sur mineurs, de façon à accentuer toujours davantage la formation à ce sujet. Elles sont assurées par des personnes expertes qui traitent des différents aspects de la question à partir de l’actualité, de films ou de reportages, en se confrontant à des témoignages de victimes et à la gravité des actes commis. Est pris en compte aussi l’angle juridique avec l’articulation entre le droit civil-pénal français et le droit canonique.  Sont analysés enfin les rapports nouveaux qu’induit cette crise entre les familles, les paroissiens, les prêtres et leur évêque.

Ainsi, loin d’être tabou, la prise en compte, dans la formation des prêtres, des diverses dimensions de la sexualité dans la personnalité humaine, mais aussi de toutes les violences qu’elle peut engendrer par l’exercice d’un cléricalisme et d’un abus d’autorité, est aujourd’hui partie intégrante des mesures de prévention que prend l’Église dans sa lutte contre les abus sexuels.

L’expérience de certaines Églises étrangères peut-elle inspirer l’Église de France en ce qui concerne la prévention et le traitement des violences sexuelles sur mineurs ?

 

Notons d’abord, au niveau de l’ensemble de l’Église, que plusieurs instances à Rome[4], travaillent sur les actions menées par diverses Églises quant à la prévention et au traitement des violences sexuelles sur mineurs. Ce travail permet un partage d’expériences quant à la mise en œuvre de nouvelles mesures et protocoles dans la lutte contre les abus sexuels au sein de l’Église. La prochaine rencontre convoquée par le pape, en février 2019, des évêques du monde entier à Rome, s’inscrit dans cette perspective. Il s’agit bien de ne pas s’en tenir à des actions locales mais d’œuvrer à tous les niveaux de l’Église, et en collaboration étroite entre les épiscopats.

Plus localement, au niveau français, l’expérience des Églises en Belgique, en Allemagne, en Suisse et en Autriche nous a donné des éléments intéressants Ces pays et ces églises ont une expérience plus ancienne que la nôtre sur le sujet. Ce dialogue est utile pour envisager les solutions les plus adaptées au contexte français, en particulier dans notre réflexion actuelle pour mettre en œuvre le processus de réparation par un soutien financier auprès des personnes victimes. En matière d’accompagnement des prêtres, auteurs de délits ou de crimes sexuels, des contacts ont été récemment pris avec le Canada qui a mis en place des structures d’accueil et de suivi. Ces rencontres contribuent à l’élaboration de projets similaires en France.

Cette collaboration entre Églises permet le partage des meilleures pratiques déjà mises en œuvre pour la réforme des relations dans l’Église et pour la diffusion d’une véritable culture de la protection des mineurs dans l’Église et la société.

Le Pape François organisera à Rome, du 21 au 24 février 2019, un somment sur la protection des mineurs, auquel seront convoqués tous les présidents de conférences épiscopales et les supérieurs d’ordre religieux. Comment la Conférence des évêques de France compte-t-elle contribuer à cette réflexion ?

 

La dimension universelle de notre Église et le retentissement international du scandale des agressions et violences sexuelles commises par des clercs à l’encontre d’enfants et de jeunes rendent nécessaires la collaboration entre églises locales. C’est dans cet esprit que le Pape François réunit, dans dix jours à Rome, tous les présidents des conférences épiscopales.

Mgr Georges PONTIER, président de la Conférence des évêques de France, se rendra à Rome pour cette rencontre très importante, voulue par le Pape. Les organisateurs ont consulté les participants avec un questionnaire, permettant la collecte d’informations et de documentations nécessaire pour établir une étude approfondie de la situation au niveau international et susciter des mesures nouvelles.

Ainsi a déjà été envoyé à Rome, un dossier donnant l’ensemble des actions et des mesures qui ont été prises en France par l’Église dans la lutte et la prévention des abus sexuels.

L’annonce de cette session suscite une vive attente de la part des personnes victimes. Ainsi Mgr PONTIER se rendra à Rome après avoir rencontré, dans la perspective de cette session, des personnes victimes (la rencontre se déroule actuellement). Elles lui ont remis un rapport afin de contribuer elles-mêmes aux débats à venir, rappelant les drames vécus par elles mais aussi énonçant une série de propositions pour réformer les pratiques au sein de l’Église. Ces mesures concernent : le droit pénal canonique, les modalités de réparations, de prévention, de formation initiale et permanente des prêtres et des religieux la dimension spirituelle.

Cette rencontre est un évènement inédit, qui doit marquer une étape cruciale dans la lutte contre toutes les violences sexuelles faites aux enfants et aux personnes vulnérables perpétrées par des clercs. L’Église, « Maison sûre » voulue par le Pape François, suppose d’engager un changement de culture pour garantir la tolérance zéro face aux violences sexuelles. Comme il l’annonçait dans la lettre au Peuple de Dieu du 20 aout dernier[5], il s’agit de faire évoluer des usages et des pratiques y compris dans le registre canonique et pastoral.

Pour l’Église en France, comme dans tous les pays, les mesures et les initiatives qui seront décidées, constitueront aussi une nouvelle étape dans le travail de lutte et de prévention que nous menons.

Je vous remercie pour votre attention.


 

[1]http://www.clerus.va/content/dam/clerus/Ratio%20Fundamentalis/Le%20don%20de%20la%20vocation%20presbyt%C3%A9rale.pdf

[2] « Si la personnalité n’est pas bien structurée et équilibrée, cela représente objectivement un empêchement sérieux pour la poursuite de la formation au sacerdoce. » Ratio fundamentalis, 2016, §62.

[3] Cf. « Rapport des évêques de France sur la lutte contre la pédophilie dans l’Eglise. » Octobre 2018, annexe III.

[4] Par exemple, les dicastères du Clergé ou de la Vie consacrée, ainsi que la Commission pontificale pour la protection des mineurs.

[5] http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/letters/2018/documents/papa-francesco_20180820_lettera-popolo-didio.html

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