L’Europe en 12 questions
Tous les cinq ans, les citoyens européens sont appelés à élire les 705 euro-députés (dont 79 pour la France) qui les représentent au Parlement européen. Ce vote est décisif puisqu’il influence directement sur les orientations européennes des 5 prochaines années et détermine le choix du futur Président de la Commission. Pourtant, l’abstention à cette élection est souvent massive. En outre, mésestimant l’importance du scrutin, beaucoup votent en fonction de critères autres qu’européens. Resituer le projet européen dans son épaisseur historique pour mieux comprendre les enjeux pour l’avenir, souligner l’intérêt porté par l’Église à ce projet depuis les origines, tel est l’objectif de ces « 12 questions sur l’Europe » destinées à tous ceux, notamment les jeunes, qui souhaitent un éclairage.
1. Pourquoi l’Europe fait-elle rêver à Sarajevo et à Erevan et pas à Paris ?
Peut-être faut-il sortir de l’Union européenne pour voir comment elle est perçue dans le monde : un espace de paix, de liberté et de prospérité, garanties par un État de droit. Bien sûr, nous qui sommes à l’intérieur, nous savons que tout n’y est pas parfait, qu’il y a toujours des inégalités, de la pauvreté, de l’exclusion. Mais, alors même que la guerre en Ukraine nous rappelle la fragilité de la paix, mesurons nous ce que l’Union Européenne nous a permis pour vivre en paix depuis 1945 ? Nous ne mesurons pas non plus la chance que nous avons de bénéficier de la liberté d’expression, d’opinion, de réunion, de circulation. La liberté de religion, y compris la liberté de changer de religion ou de critiquer une religion nous parait évidente. Un accès gratuit à l’éducation et aux soins de santé, une démocratie qui permet l’expression des pluralités, une justice qui garantit un procès équitable, des administrations qui fonctionnent, des aides aux plus démunis : tout cela semble évident pour nous. Certes, tout peut être amélioré, mais cela existe alors que cela fait cruellement défaut dans beaucoup d’endroits du monde. Un exemple concret : un jeune Européen qui veut voyager peut se rendre dans n’importe quel pays au monde ; un jeune non-Européen n’obtient pas ou très difficilement un visa de tourisme pour l’Europe. Les jeunes du monde entier envient les Européens, ne serait-ce que pour pouvoir circuler librement.
2. Quel était le rêve des pères fondateurs de l’Europe et qui étaient-ils ?
Plus jamais la guerre ! Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le rêve des pères fondateurs de l’Europe était de rendre la guerre impossible. Ce rêve est porté par les Français Robert Schuman et Jean Monnet, l’Allemand Konrad Adenauer, le Belge Paul-Henri Spaak, l’Italien Alcide de Gasperri, le Néerlandais Johan Beyen. Le projet est lancé par la Déclaration Schuman du 9 mai 1950. Elle propose la mise en commun du charbon et de l’acier, les deux matières premières qui permettaient la fabrication de l’armement. Cette mise en commun était une mesure limitée mais jugée décisive pour changer « le destin de ces régions longtemps vouées à la fabrication des armes de guerre dont elles ont été les plus constantes victimes.» « La solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l’Allemagne devient non seulement impensable, mais matériellement impossible ». C’est un tournant historique. En 2024 nous commémorons le 110e anniversaire du début de la Première Guerre mondiale. La guerre paraissait alors un mal inévitable. Nous commémorons aussi le 80ème anniversaire du Débarquement. Depuis près 80 ans, nous bénéficions de la paix en France. Elle peut nous paraître acquise mais ce qui se passe aux frontières même de l’Union Européenne nous alerte sur sa fragilité. La Déclaration Schuman commence par nous rappeler que « la paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent ». Cela reste vrai aujourd’hui !
3. Le rêve européen a-t-il été abandonné au profit d’une Europe purement économique ?
L’économie a toujours fait partie du projet européen. Cependant l’objectif du projet européen était bien politique ; l’économie n’était pas le but mais le chemin et l’instrument du projet politique de réconciliation et de paix. En ce sens, le pari a été gagné. Il s’agissait aussi, dans une Europe en ruines, de permettre d’augmenter le niveau de vie le plus vite possible et de partager un certain niveau de prospérité. Il s’agissait encore, comme le précisa Robert Schuman, dans sa déclaration du 9 mai 1950, de partager ce développement et cette prospérité au-delà des seules frontières de l’Europe, notamment au bénéfice de l’Afrique. Mais avec le refus de la France de signer le traité instaurant la communauté européenne de défense (CED) en 1954, l’économie prend quasi exclusivement les commandes du processus qui va conduire au Marché commun et finalement à l’euro. Il faudra attendre le Traité de Maastricht en 1992 pour que la dimension politique regagne du terrain. Aujourd’hui les compétences de l’Union, exclusives ou partagées, ont été élargies : justice, sécurité, environnement et écologie, transports, santé publique, aide au développement, éducation et formation, développement technologique, recherche, politique extérieure et de sécurité commune, … Certes, pour beaucoup, elles demandent à être approfondies. Mais elles existent. Trop souvent sans doute, nous ne le savons pas. Mais prenons la peine de voir combien l’Europe est présente dans la réalisation de nos équipements régionaux à travers les fonds structurels, combien le Parlement s’est battu pour pérenniser le plan « grande pauvreté ». Qui en parle ? De même, la citoyenneté européenne a pris des couleurs même si elle demande également à être développée : protection consulaire réciproque, droit de vote dans le pays de résidence pour tout ressortissant de l’Union aux élections locales et européennes, droit d’initiative qui, soit dit en passant, n’existe pas en France…L’avenir de l’Europe passe par le renforcement de sa dimension politique. Mais le voulons-nous vraiment ?
4. Quelles sont les valeurs européennes aujourd’hui ?
Depuis le Traité de Rome, les traités évoquent des valeurs qui se sont affinées au fil du temps. Aujourd’hui, l’article 2 du Traité sur l’Union européenne définit les valeurs qui fondent l’Europe :« L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes ». Quelques lignes plus loin (art. 3) on peut aussi lire que l’Union a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples. Son action et ses objectifs sont également précisés : offrir à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice ; combattre l’exclusion sociale et les discriminations, et promouvoir la justice et la protection sociales, la solidarité entre les générations et entre les États membres ; respecter la diversité culturelle et linguistique. Mais son action ne se limite pas à l’intérieur de ses frontières puisqu’elle contribue à la paix, à la sécurité, aux transitions nécessaires sur les enjeux écologiques, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, à l’élimination de la pauvreté.
Un point particulier à souligner : l’arsenal juridique visant à protéger les droits de l’homme a été considérablement développé grâce à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en 2009.
Ainsi, la Charte des droits fondamentaux adoptée en l’an 2000 a aujourd’hui la même valeur juridique que les traités et revêt donc un caractère obligatoire pour les États membres (art. 6 du TUE). De même, l’Union européenne en tant que telle adhèrera à la Convention européenne de sauvegarde de droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950 (art. 6 TUE), le processus est en cours.
5. Quels exemples concrets permettent de dire que ces valeurs guident l’action de l’UE ?
Les exemples sont nombreux. Sans être exhaustifs, voici quelques domaines politiques qui illustrent la mise en œuvre de ces valeurs :- L’importance de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale qui est au cœur du socle européens des droits sociaux ;- La solidarité entre générations qui se traduit dans l’importance accordée à la formation et à l’insertion des jeunes ;- L’existence des fonds structurels européens et du fonds de cohésion qui traduit concrètement la solidarité entre États membres et qui représentent plus de 35% du budget communautaire. Ils ont pour but de réduire les inégalités de développement entre régions européennes, dans le domaine des équipements et des investissements créateurs d’emploi (Fonds européen de développement régional, FEDER) ou en favorisant l’insertion professionnelle des populations les plus en difficultés (Fonds social européen, FSE) ; regardez bien, il y a forcément un projet près de chez vous financé en partenariat avec l’Union européenne !- La politique de développement qui fait de l’Union européenne et des États membres le plus gros contributeur mondial en matière d’aide au développement avec plus de 50%des fonds mondiaux. Nous ne saurions bien sûr nous satisfaire de ce qui est déjà en place. De nombreux chrétiens sont ainsi engagés pour faire évoluer les politiques de migrations et d’asile, les accords avec les autres continents.
A nous d’exercer notre citoyenneté en étant vigilants et en utilisant les moyens d’action et de proposition qui sont les nôtres.
6. Comment l’Europe change-t-elle mon quotidien en tant que jeune ?
La première chose qui a changé avec l’Union européenne c’est que nous n’avons pas connu de guerre sur notre sol depuis près de 70 ans. Un record ! Cela semble une évidence mais c’est un fruit direct du projet européen qui affecte très concrètement notre quotidien. Au-delà, comme pour tout citoyen, l’Europe agit directement sur notre quotidien en raison des compétences qui lui sont attribuées par les traités. Qu’elle intervienne seule ou en partenariat avec les Etats membres, cela touche des domaines très concrets comme par exemple la protection des consommateurs, l’environnement, l’emploi, l’éducation et la formation, la santé publique, la protection des données personnelles, l’intelligence artificielle…Mais, trop souvent, elle est vue comme un pouvoir extérieur sur qui l’on rejette la responsabilité des mesures difficiles. Pourtant, bien des avancées ont été obtenues grâce à l’Europe, notamment pour les jeunes. On peut citer différents programmes comme Erasmus, programme de mobilité des étudiants qui permet de valider un ou deux semestres dans une université européenne et d’effectuer un stage à l’étranger ; Leonardo da Vinci destiné notamment à la mobilité des jeunes en formation professionnelle ; le service volontaire européen, les programmes de jeunesse en action…Pouvoir étudier, voyager, travailler dans un autre pays de l’Union est devenu une réalité pour nombre de jeunes qui le doivent à l’Europe.
7. En quoi mon vote pour le Parlement européen peut-il avoir un poids dans l’action de l’UE ?
Le fonctionnement de l’Union européenne est fondé sur ce qu’il est convenu d’appeler le triangle institutionnel formé de la Commission, du Conseil et du Parlement. Le Conseil, qui représente les États membres, impulse les grandes orientations et vote la législation européenne. La Commission, composée de commissaires ne pouvant avoir de fonctions politiques dans leur pays d’origine, veille à l’intérêt général de l’Union et a le monopole de l’initiative législative. Elle garantit l’application des Traités. Quant au Parlement, élu au suffrage universel direct depuis 1979, il représente les citoyens des États membres. Son rôle s’est progressivement renforcé à travers les différents traités et notamment par les nouvelles dispositions de Traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009.Aujourd’hui il vote le budget de l’Union et la quasi-totalité de la législation européenne conjointement avec le Conseil (à l’exception de la politique fiscale, de l’adhésion d’un nouvel État membre ou de la conclusion d’accords internationaux). Il a, par ailleurs, un rôle déterminant dans la désignation du Président de la Commission. En effet, le candidat présenté doit être issu de la majorité élue et il ne sera nommé qu’après avoir obtenu le vote favorable de la majorité des députés européens. De même, le Parlement doit approuver la composition du collège des commissaires. Il a également, tout au long du mandat, un pouvoir de contrôle sur la Commission à l’encontre de laquelle il peut adopter une motion de censure entraînant ipso facto la démission de cette dernière. Enfin, le Parlement a la possibilité de constituer des commissions d’enquête et dispose d’un droit de recours en annulation concernant les actes qu’il considérerait comme non conformes aux traités. Il peut alors saisir la Cour de justice de l’Union européenne.
Voter aux élections européennes du 9 juin, c’est donc participer activement aux choix qui seront faits dans les 5 ans à venir. Chaque voix compte.
8. Pourquoi l’Eglise a-t-elle choisi des saints patrons pour l’Europe ? Qui sont-ils et qu’ont-ils fait pour l’Europe ?
Les Saints sont ceux qui ont, pendant leur vie terrestre, noué une telle amitié avec Dieu qu’ils ont réussi à donner à voir quelque chose de l’amour de Dieu autour d’eux. En ce sens, ils sont un exemple et une source d’inspiration pour beaucoup d’autres personnes. Il est dans la grande tradition de l’Église catholique de mettre certaines activités ou territoires sous la protection particulière d’un(e) Saint(e). Cela permet aux chrétiens de s’appuyer sur son exemple concret et sa prière d’intercession dans leurs efforts pour construire un monde plus juste et plus digne. C’est en ce sens que l’Église a choisi des saints patrons européens, dont la sainteté s’est exprimée dans des circonstances historiques et dans un contexte géographique qui les rendent particulièrement significatifs pour le continent européen. Les co-patrons de l’Europe sont aujourd’hui au nombre de six : Saint Benoît, proclamé patron de l’Europe par Paul VI en 1964, saint Cyrille et Méthode proclamés co-patrons en 1980 par Jean-Paul II et trois saintes proclamées co-patronnes de l’Europe en 1999 par Jean-Paul II : sainte Brigitte de Suède, sainte Catherine de Sienne et sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix (Edith Stein). Paul VI a présenté ainsi les raisons du choix de Benoît : « Messager de paix, fondateur de la vie monastique en Occident… Lui et ses fils avec la Croix, le livre et la charrue, apporteront le progrès chrétien aux populations s’étendant de la Méditerranée à la Scandinavie, de l’Irlande aux plaines de Pologne ». Soucieux de l’unification de ce qu’il appelait les deux poumons de l’Europe, Jean-Paul II proposa comme co-patrons de l’Europe, Cyrille et Méthode, pionniers de l’évangélisation de l’Orient. Inventeurs de l’alphabet cyrillique, ils traduiront la Bible en slavon et seront les acteurs de l’inculturation de l’Evangile au monde slave. Jean-Paul II a aussi voulu que soit reconnue la contribution des femmes à l’Europe. Avec sainte Brigitte de Suède (1303-1373), cette femme du Nord qui fut mère de famille avant de fonder l’Ordre du Très Saint Sauveur, c’est l’importance du lien oecuménique qui est soulignée. En sainte Catherine de Sienne (1347-1380), tertiaire dominicaine, c’est son engagement inlassable dans la résolution de multiples conflits qui déchiraient tant la société que l’Église de son temps qui est mis en valeur. Servir la communion fut l’idéal qui inspira sa vie. Enfin, avec sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix (1891-1942), carmélite d’origine juive qui mourut à Auschwitz, c’est « d’une part, la protestation élevée contre toutes les violations des droits fondamentaux de la personne ; d’autre part, le gage de la rencontre renouvelée entre juifs et chrétiens » qui sont ainsi mis en lumière. « Déclarer Édith Stein co-patronne de l’Europe signifie déployer sur l’horizon du vieux continent un étendard de respect, de tolérance, d’accueil, qui invite hommes et femmes à se comprendre et à s’accepter au-delà des diversités de race, de culture et de religion, afin de former une société vraiment fraternelle ». (Jean-Paul II).
9. Pourquoi et comment l’Église soutient-elle la construction européenne ?
Dès l’origine, l’Église porte un intérêt particulier au projet européen qui est un projet de paix et de réconciliation. Sur un continent qui a connu dans son histoire tant de conflits, qui sort exsangue de la deuxième guerre mondiale et marqué par une profonde crise morale, l’objectif est de dépasser les nationalismes antagonistes, pour assurer à la fois la paix, la croissance économique et la prospérité partagée (voir déclaration Schuman du 9 mai 1950). En 1950, Le Pape Pie XII accueille la déclaration Schuman avec enthousiasme et en 1957, il célèbre la signature des traités de Rome comme « l’évènement le plus important et le plus significatif de l’histoire moderne de la ville éternelle ». Les valeurs sur lesquelles est fondée l’Union européenne et qui sont désormais définies dans le Traité de l’Union européenne (cf. question n°4) sont également partagées par l’Église. C’est la raison pour laquelle, les conférences épiscopales des Etats membres ont créé dès 1980 la COMECE (commission des épiscopats de la communauté européenne) chargée de suivre et d’accompagner les politiques européennes à la lumière de la doctrine sociale de l’Eglise. Dotée d’un secrétariat permanent, la COMECE est composée d’un représentant de chaque conférence épiscopale des pays membres de l’Union. Très tôt, des contacts se sont noués avec les élus, les fonctionnaires, les commissaires, de façon informelle. Mais après la chute du Mur de Berlin, Jacques Delors, alors Président de la Commission, appelle les Églises, entre autres instances porteuses de sens, à prendre part aux débats européens. Aujourd’hui, cette participation est officiellement reconnue et inscrite dans le Traité sur l’Union européenne qui instaure « un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les Églises » (art. 17 du Traité sur le Fonctionnement de l’UE).
10. La devise de l’Europe est « L’unité dans la diversité ». Est-ce que ce n’est pas une utopie ?
Cette devise caractérise la manière dont les Européens se sont rassemblés, en créant l’Union européenne, pour œuvrer en faveur de la paix et de la prospérité, s’enrichissant ainsi des diverses cultures, traditions et langues du continent. Cela fait partie en quelque sorte de son ADN. L’unité n’est pas l’uniformité. Il ne s’agit pas de renoncer à nos spécificités. Nos différences, nos particularismes sont légitimes. Il s’agit simplement de ne plus en faire des éléments séparateurs mais des richesses à partager et de faire le pari que ce qui nous rassemble est plus fort, plus essentiel que ce qui nous sépare. Jean-Paul II, dans la suite du synode pour l’Europe, l’exprime à sa façon en écrivant dans son exhortation apostolique « L’Église en Europe » : « les différences nationales doivent être maintenues et cultivées comme le fondement de la solidarité européenne; et, d’autre part, que l’identité nationale elle-même ne se réalise que dans l’ouverture aux autres peuples et à travers la solidarité envers eux ». François le redit lui aussi en recevant les évêques de la COMECE en mars 2023 : « l’Europe a de l’avenir si elle est véritablement une union et non une réduction des pays avec leurs caractéristiques respectives. Le défi est précisément celui-ci : l’unité dans la diversité. Et cela est possible s’il y a une forte inspiration ». Dans les faits, la devise de l’Europe est loin d’être une utopie. Ce que l’on appelle le triangle institutionnel (Parlement, Conseil, Commission) vise à traduire cette devise dans le fonctionnement même de l’Union. C’est la Commission qui veille à l’unité de l’Union. A cet effet, les commissaires sont chargés de représenter l’intérêt général de l’Union, indépendamment de leur appartenance nationale. De son côté, le Conseil, composé des représentants des gouvernements de chaque État membre, tout en s’efforçant de travailler au bien commun de l’ensemble fait valoir la particularité de chaque contexte. Quant aux parlementaires européens, élus au suffrage universel direct, ils sont garants de la diversité de la population européenne. Par ailleurs, si certaines politiques relèvent exclusivement de l’Union comme la politique commerciale ou la politique monétaire, bien d’autres domaines sont gérés conjointement par l’Union et les Etats membres (compétences partagées) ou ne font l’objet d’intervention de l’Europe qu’en soutien (compétences d’appui) ; c’est le cas par exemple de la politique familiale. Cette répartition des rôles permet de respecter l’histoire et les spécificités culturelles des différents pays et de prendre les décisions au meilleur niveau possible, selon le principe de subsidiarité contrôlé par les Parlements nationaux. Enfin, dans le fonctionnement quotidien de l’Union, la diversité linguistique est garantie. Les textes doivent être disponibles dans les langues de l’Union ce qui fait des traductions l’un des postes de fonctionnement les plus élevés du budget communautaire.
11. La crise actuelle de l’Europe : une crise de croissance ?
De multiples facteurs expliquent sans doute une certaine crise actuelle de confiance en l’Europe. Il est d’abord plus difficile pour les dernières générations qui n’ont jamais connu la guerre de mesurer le chemin parcouru et d’envisager ce qu’a apporté l’Europe. Il est aujourd’hui naturel de vivre en paix, de se déplacer sans difficulté au sein de l’Union, d’aller faire des études ou d’aller travailler dans un autre État membre. Ce n’était pas le cas il y a 50 ans. Il est aussi difficile d’imaginer ce qu’aurait été notre pays sans l’Europe. Il est plus facile de pointer les insuffisances des politiques, l’inertie de « Bruxelles », de dénoncer l’Euro que de mesurer ce que nous avons évité grâce à l’Europe, grâce à l’Euro. Et pourtant… Les responsables politiques n’aident d’ailleurs guère à cette prise de conscience, eux qui ne cessent de charger l’Europe de tous les maux et mesures impopulaires pour se réserver le beau rôle. Pourtant, bien des sujets ne peuvent être traités qu’à ce niveau. Aucun État membre ne peut à lui seul sauver et faire valoir le modèle social européen, affronter le défi climatique, gérer les migrations, espérer avoir une influence dans le règlement des grands conflits, influer sur les grands enjeux du moment comme la révolution numérique et l’intelligence artificielle. Nous ne souffrons pas de trop d’Europe mais de pas assez d’Europe. Sans doute l’Europe est-elle à un tournant. Parce qu’elle n’apparaît plus aux yeux de beaucoup comme une évidence, il faut impliquer davantage les citoyens dans les choix, dans les projets que nous souhaitons porter ensemble, dans ce que nous voulons dessiner pour l’avenir, dans le type d’Europe que nous souhaitons construire. La participation est un principe défendu par la doctrine sociale de l’Église : avoir non seulement la possibilité de participer, mais aussi le devoir de participer. Les élections qui approchent renforceront le pouvoir des citoyens dont le vote déterminera le choix du prochain président de la Commission : c’est une première ! Sommes-nous prêts à nous investir et à travailler avec d’autres, au-delà de nos frontières, pour travailler au bien commun des Européens ?
12. Comment les jeunes générations peuvent-elles s’approprier le projet européen ?
Une des difficultés pour s’approprier le projet européen tient peut-être au fait que nous vivons dans une société de consommation qui valorise le présent, voire l’éphémère, au détriment du temps long. Pour comprendre les enjeux de l’Europe, le présent ne suffit pas. Il faut faire le détour par le passé, regarder d’où nous venons, de ce continent déchiré par trop de guerres. Puis mesurer le chemin parcouru, évaluer ce qui va bien aujourd’hui mais aussi ce qui va mal en Europe et dénoncer les dérives technocratiques, ultra-libérales ou autres. Mais surtout, cela demande de se projeter dans l’avenir, de réfléchir à quelle Europe nous voulons. C’est aux jeunes générations d’aujourd’hui d’imaginer le monde dans lequel ils souhaitent vivre demain et d’essayer de mettre tout en œuvre pour que ce monde offre une place et une vie digne pour tous. Cela implique une confiance dans l’avenir, une confiance que le meilleur est toujours possible, même s’il n’est jamais acquis. Une confiance que les chrétiens puisent dans leur foi et c’est pour cela qu’ils ont une responsabilité particulière dans le monde et aussi dans la construction de l’espace de paix qu’est l’Europe.
Monique Baujard
Marie-Laure Dénès
Grégoire Catta
Service national Famille et Société
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Robert Schuman (1886-1963)
Après avoir été plusieurs fois ministre des Affaires étrangères et président du Conseil, ce parlementaire catholique mosellan est devenu l'un des Pères de l'Europe. Le procès diocésain en vue de sa béatification a été clôturé le 29 mai 2004.