Une retraite qui prend soin des veufs et veuves précoces

l'abbaye de lérins organise des sessions de retraites

Comment traverser l’épreuve et se relever, lorsque son conjoint décède trop tôt et que la vie de famille reste à construire ? La retraite “Pour-suivre le chemin” s’adresse aux veufs et aux veuves de moins de 55 ans en leur proposant des temps de prière, d’écoute et de partage. Le prochain rendez-vous se tient du 17 au 19 octobre 2025 à l’abbaye de Lérins, au large de Cannes. Par Florence de Maistre.

“Chaque deuil est unique. Chacun a sa réponse et son rythme. Au cours de la session, nous allons piocher dans les échanges et les témoignages ce qui nous nourrit. Il y a, de fait, une compréhension mutuelle”, indique Delphine Pajot, à l’initiative des sessions pour jeunes veufs et elle-même deux fois veuve précoce. La rencontre intitulée “Pour-suivre le chemin” est portée par la pastorale des couples et des familles de Fondacio. Sa prochaine et huitième édition est prévue du 17 au 19 octobre 2025. C’est aussi la deuxième fois qu’elle se tient à l’abbaye de Lérins dans le diocèse de Nice. Le nombre de participants est limité à quinze de façon à privilégier une attention et un accompagnement fort de chacun. Quelles que soient les circonstances du décès, il est préconisé au moins six mois de distance avant de s’inscrire à la retraite. Delphine Pajot s’entretient au préalable avec chacun par téléphone : “c’est un moment de première rencontre avant les trois jours ensemble. Je ressens la capacité de la personne à bénéficier de la démarche ou si c’est trop tôt pour elle”. Elle évoque cette dame qui s’est enfouie dans son travail : la nécessité de se préoccuper de son deuil l’a rattrapée dix ans après. Ou encore, ce père qui, pendant quatre ans, ne s’est occupé que de ses jeunes enfants sans jamais penser à lui, ni à son besoin de ressourcement.

“Nous avons initié la première session avec mon second époux, Alain. Nous étions veufs tous les deux, moi à 29 ans. Mariés de nouveau et hyper heureux, l’idée est partie de là. Nous étions capables de proposer quelque chose pour les personnes qui traversent la même épreuve que nous”, se rappelle Delphine. Après plusieurs recherches, le couple constate l’absence de proposition pour les veufs qui ont de jeunes enfants à charge. Avec la foi qui les habite et leur désir d’être missionnaire, Alain et Delphine reçoivent un très bon  accueil du responsable de Fondacio. Une grande confiance leur est témoignée pour construire la session, Alain étant animateur de formation professionnelle en gestion de crise. La première devait avoir lieu en mars 2020. Pour cause de Covid, elle a débuté peu après. Depuis, la trame reste quasiment inchangée entre enseignements, témoignages, ateliers en petits groupes et temps de réflexion personnelle. Initialement, les sessions se déroulent au Tiers-lieu de l’Ermitage à Versailles deux fois par an en mars et en octobre, avec quatre animateurs dont le P. Alain Rouel, prédicateur au foyer de charité de Poissy. Puis Delphine, attachée à la Provence, aspire à proposer la retraite également à l’abbaye de Lérins, ce qui est prévue pour l’édition de l’automne 2024. Mais Alain meurt subitement d’une crise cardiaque foudroyante quatre mois avant. Il laisse Delphine dans une situation très difficile, avec cette grande interrogation : “puis-je continuer à témoigner seule” ? Un ami de longue date, Tanguy Chatel, témoin de son mariage et spécialiste du deuil en fin de vie, propose de se joindre à elle et l’encourage à poursuivre la démarche. La session à Lérins est, par ailleurs, accompagnée par Fr. Marie, moine de la communauté cistercienne.

Déposer ses fardeaux

Ouverte à tous, la proposition rejoint essentiellement des chrétiens pratiquants. “La messe est à 9 h, de façon à laisser chacun libre de s’y rendre ou non. Généralement, tous y participent : c’est ce qui nous réunit. À l’abbaye de Lérins, le lieu incite clairement à une démarche de l’ordre de la retraite spirituelle avec la présence des moines et ce rythme des offices liturgiques. Ils sont assez suivis, mais encore une fois libre à chacun de préférer faire un jogging ou se baigner si c’est plus ressourçant pour lui”, relève Delphine. Les groupes sont majoritairement composés de veuves, mais il y a toujours deux à trois hommes dans chaque session. Les participants viennent de la France entière et de Belgique. Tous se retrouvent avec des personnes qui peuvent vraiment les comprendre. “L’entourage, la famille c’est une chose. Mais il y a là une dimension plus forte. On ne craint pas les phrases maladroites. Il y a des larmes et des éclats de rire”, assure la coordinatrice de la session. En quelques mots : il s’agit de déposer ce qui habite les cœurs, partager avec d’autres, redécouvrir les beautés de sa vie et en faire des points d’appui, avant de repartir dans l’espérance. Les thèmes touchent aux blessures, à la question de l’éducation des enfants, aux liens avec la belle-famille, à la réorganisation de sa vie, à la nouvelle vie relationnelle. “L’écoute mutuelle est très précieuse entre les participants. Nous avons aussi des spécialistes du deuil et de l’écoute active. Nous abordons l’humain”, souligne Delphine. Le temps offert et la disponibilité de l’équipe, l’incitation à la réflexion et à l’intériorité offre à chacun de comprendre, d’accepter la situation, de trouver des réponses par lui-même.

Dans ce contexte si délicat, les mots de saint Paul sont parfois difficiles à entendre : Frères, nous ne voulons pas vous laisser dans l’ignorance au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort ; il ne faut pas que vous soyez abattus comme les autres, qui n’ont pas d’espérance. Ceux du Christ rapportés en saint Jean 14, que votre cœur ne soit pas bouleversé : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi, également. “Il y a une douleur, une violence. La mort est toujours insupportable, même si on est chrétien, même si on croit en la vie après la mort”, énonce le P. Alain Rouel. Il s’efforce lors des sessions à l’Ermitage de rassurer les participants, de les consoler. Oui, c’est normal d’être affligé, abattu ou en colère. Le P. Alain poursuit : “Ce n’est pas parce que l’on traverse une épreuve que l’on a perdu la foi. Ne jugeons pas notre amour de Dieu au regard de nos émotions”. En évoquant un Job qui meurt âgé, rassasié de jours, l’Écriture a cette belle formule pour signifier une vie accomplie et féconde, rendant d’une certaine façon le passage de la mort acceptable. “Mais lorsque l’on se retrouve seul, même bien entouré, avec des enfants en bas âge, rien n’a été accompli. C’est un arrachement, c’est redoutable”, concède l’accompagnateur spirituel. Nombreux sont ceux qui réagissent comme des papillons de nuit qui butent sur une vitre éclairée, restent dans le noir et s’assoment. “C’est pour ça que je ne peux le vivre autrement qu’en témoignant de ma foi et de l’espérance qui m’habite. C’est un beau cadeau spirituel partagé avec mon mari”, révèle Delphine.

Elle n’apporte pas de solution, mais sa présence fait du bien, entre consolation, soutien et encouragement

Espérer dans le Seigneur

À partir des questions déposées par les participants dans une boîte, le P. Alain essaie d’aller au devant des interrogations des uns et des autres, avec sensibilité et humour. Les questions concernent surtout la présence de l’autre aujourd’hui et les retrouvailles dans le royaume de Dieu. “J’évoque la communion des saints sans baratin. C’est terrible de ne plus sentir la chaleur, le parfum du corps de l’autre. On ne peut plus le caresser, ni l’aimer profondément. Quant à se revoir dans l’au-delà : oui, clairement ! Nous nous retrouverons dans l’éternité bienheureuse sans avoir besoin de nous chercher. Les paroles de Jésus sont très nettes : nous serons dans l’unité parfaite. La mort ne dissout pas l’amour, elle l’accomplit au jour du jugement. La mort révèle pleinement l’amour”, développe le prédicateur passionné par le sujet de l’au-delà dans la foi chrétienne. Ce qui le touche ? “Voir ces personnes persévérer dans la foi, mettre leur espérance dans la parole de Jésus. La présence de l’Église auprès d’elles est fondamentale. C’est le premier lieu qui donne une amitié et une espérance. Elle n’apporte pas de solution, mais sa présence fait du bien, entre consolation, soutien et encouragement”. Il cite encore Jésus face aux Sadducéens : Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants !

Je rends grâce aussi pour ce qui est beau. Il ne faut pas culpabiliser de retrouver la joie

Un apaisement se crée : tous les participants en témoignent spontanément, en envoyant quelques mots, une carte, un sms à Delphine. Il y a déjà ce temps de repos donné. C’est véritablement un temps à part, dense et nourrissant. L’idée est de le faire durer, charge à chaque veuf d’en redéployer les fruits. “La session a été conçue pour que chacun reparte avec des outils et une réflexion personnelle sur ce qui l’anime le plus, le ressource, lui redonne de l’énergie. En sachant bien qu’il n’y a pas qu’une seule voie. Certains désirent par exemple aimer à nouveau. D’autres sont mariés à vie. D’autres encore envisagent la vie consacrée, reprend Delphine. Les rencontres étant profondes, des groupes se revoient plus tard. Des couples se reforment et même si ce n’est pas l’objectif de la session, elle a déjà mené à un mariage. Quel beau signe d’espérance ! “Une fois, quelqu’un nous a fait peur. Il était très dépressif. Il m’a écrit ensuite pour me partager comment la session l’a véritablement retourné. Il y a eu pour lui, un avant et un après. Je m’en remets à l’Esprit saint pour qu’il puisse agir auprès de chacun. Je prie beaucoup en amont, au cours, et à l”issue de la session : ces personnes en ont besoin”, confie Delphine. Habitée par l’héritage de ses conjoints, Delphine vit ces sessions dans la joie, une joie profonde de donner. Elle se sent toujours appelée à témoigner de son espérance et de sa foi. “J’ai beaucoup verbalisé ce que j’ai vécu. J’ai laissé venir les émotions, la tristesse. Je rends grâce aussi pour ce qui est beau. Il ne faut pas culpabiliser de retrouver la joie. Elle ne fait pas oublier son conjoint. C’est important que les personnes comprennent qu’elles peuvent poser une volonté, choisir leur le chemin. J’attends d’elles une parole plus libre sur le deuil,” partage-t-elle, en livrant la Parole qui l’a fait sortir du gouffre de son second deuil : Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde (Mt 28, 20).

Contact

  • Veuvage précoce : pour-suivre le chemindu 17 au 19 octobre 2025 à l’abbaye de Lérins – Les 14 et 15 mars 2026 au Tiers-lieu l’Ermitage à Versailles
  • Fondacio
  • Abbaye de Lérins

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