Communiquer ou l’art de dialoguer
Saisir les enjeux d’une communication en Église après le cinquantième message pour les journées des communications sociales
A l’occasion de la 50ème journée mondiale des communications sociales, le P. Julien Dupont, prêtre du diocèse de Poitiers nous offre un éclairage théologique sur la communication et la miséricorde à partir du message du Pape François.
Nous le savons, toute communication est imparfaite. Il y a souvent « une grande distance entre l’efficacité de l’information, soit le message, et les difficultés de la communication, soit la relation, la question de l’autre » affirme Dominique Wolton[1]. Cette réalité rappelle celle de Babel (Gn 11,1-9) où personne n’arrive plus à se comprendre, communique dans son propre langage. Cependant, pour nous qui sommes disciples du Christ, parfait communicant, nous avons appris à parler de manière à être compris, et l’Esprit-Saint nous a été donné en ce sens, depuis la Pentecôte (Ac 2, 1-13). Comment donc vivre de cette même communication aujourd’hui ?
Cette question est celle de l’Église Catholique qui affirme, depuis Communio et progressio (1971), que tous les moyens de communication sociale sont vus comme des outils qui « contribuent à augmenter l’union entre les hommes et à favoriser leur mutuelle collaboration » (n°7). Ce texte va jusqu’à dire que « les moyens de communication sociale présentent donc un triple intérêt pour le Peuple de Dieu: ils aident l’Église à se révéler au monde moderne; ils favorisent le dialogue à l’intérieur de l’Église; ils apprennent à l’Église les mentalités et les attitudes de l’homme contemporain, car Dieu l’a chargée de porter à cet homme le message du salut, dans un langage qu’il puisse comprendre, à partir des questions qu’il se pose et qui lui tiennent à cœur » (n°125). Il s’agit ici de dialoguer. Ce mot revient justement à trente-sept reprises dans ce texte majeur.
Qu’est-ce que signifie dialoguer ? L’étymologie de ce mot est claire : il s’agit d’un échange (dia) dans l’acte de parler (legein). Ainsi, dialoguer ce n’est pas convaincre son détracteur où trouver une vérité́ médiane. Il s’agit bien plus de permettre à chacun des partenaires de la conversation d’affiner sa propre compréhension et sa recherche personnelle et, tous ensemble, de s’aider mutuellement dans la quête de la vérité, en vue d’y adhérer fermement[2].
Cette insistance sur le dialogue est aussi due, comme le disait Bruno Chenu, au fait qu’il apparaît sans doute comme une nouvelle façon d’exprimer la catholicité dans le monde de ce temps, monde dans lequel la parole est potentiellement donnée à chacun et partout, à l’heure du Web 2.0[3]. L’insistance du pape François, dans son message pour cette cinquantième journée des communications sociales 2016[4], va en ce sens : « la communication a le pouvoir de créer des ponts, de favoriser la rencontre et l’inclusion, enrichissant ainsi la société ». Proposer ainsi de rejoindre l’autre, c’est bel et bien chercher à vivre la communication comme un dialogue.
Or, il arrive que le dialogue soit difficile, pour ne pas dire impossible. Cette situation de rupture n’est pas acceptable pour un disciple de Jésus-Christ, qui toujours cherche à entrer en relation, à communiquer avec ceux qui l’entourent. C’est alors qu’il faut trouver des moyens concrets pour retrouver le chemin de l’échange, du dialogue. Le pape François en propose deux. D’abord, écouter. « Écouter signifie prêter attention, avoir le désir de comprendre, de valoriser, respecter, garder la parole de l’autre ». Écouter est donc une manière ordinaire de vivre la miséricorde, reconnaissant ainsi que cette action se situe au début de tout processus de communication. L’évêque de Rome insiste également, une fois l’écoute rendue possible, sur la manière d’entrer en communication : « chaque parole et chaque geste, devrait pouvoir exprimer la compassion, la tendresse et le pardon de Dieu pour tous. (…) Si notre cœur et nos gestes sont animés par la charité, par l’amour divin, notre communication sera porteuse de la force de Dieu». Autrement dit, ce qui est en jeu, c’est l’attitude même de la personne qui, lorsqu’elle communique, doit s’enquérir d’une « communication positive » comme beaucoup la nomme aujourd’hui, c’est-à-dire avec « une proximité qui prend soin, réconforte, guérit », comme l’indique le successeur de Pierre.
Ainsi donc, en liant communication et miséricorde, le pape François propose des voies claires pour vivre la communication comme dialogue, en toutes circonstances. Il rejoint ainsi l’enseignement de ses prédécesseurs qui, depuis Paul VI, affirment que par l’écoute et le dialogue fraternel, l’Église se fait conversation (Ecclesiam suam, 1964).
Si ces propos peuvent sembler théoriques, ils rejoignent pourtant nombre de situations vécues dans le monde de ce temps. De nombreuses personnes, bien que baptisées, sont divisées, ne peuvent plus dialoguer. Des catholiques eux-mêmes, sur les réseaux sociaux, refusent tout échange, etc… C’est face à toutes ces situations « bloquées » que le pape François se situe. Il cherche à éclairer les consciences de chacun, de manière à réentendre de nouveau un appel à prendre soin de nos frères et sœurs. Il s’agit de communiquer, quotidiennement, comme un serviteur attentif et miséricordieux plus que comme un maitre. Nous n’avons aucun rêve de notoriété à satisfaire. Pas d’idéologie ou de contre-culture à promouvoir. Pas plus de puissance à démontrer. Il nous faut être comme Jésus-Christ, s’abaisser en vivant comme un serviteur des serviteurs. Tel est l’appel adressé par Jésus-Christ : « Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous : car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. » (Mc 10, 44-45).
[1] Samuel Lepastier (dir). L’incommunication. Paris : CNRS Editions, 2013; p. 161
[2]Cette affirmation renvoie à la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse DignitatisHumanae(§ n°3) : « La vérité doit être cherchée selon la manière propre à la personne humaine et à sa nature sociale, à savoir par une libre recherche, par le moyen de l’enseignement ou de l’éducation, de l’échange et du dialogue grâce auxquels les hommes exposent les uns aux autres la vérité qu’ils ont trouvée ou pensent avoir trouvée, afin de s’aider mutuellement dans la quête de la vérité ; la vérité une fois connue, c’est par un assentiment personnel qu’il faut y adhérer fermement ».
[3]Sur les révolutions dues à l’avènement de l’internet et des réseaux sociaux lire, notamment, Jean-Claude Guillebaud. « Immatériel et nouvelles puissances » in La Vie vivante. Contre les nouveaux pudibonds. Paris : Les arènes, 2011 ; pp. 27-57.
[4]Cf. Le message du pape pour la 50ème journée mondiale des communication sociales [Consulté le 4 avril 2016]