« Accompagner la fin de vie ? C’est typiquement la mission des aumôniers d’hôpitaux ! »
Au cœur de l’actualité 2022, l’accompagnement des personnes en fin de vie est surtout au cœur de la mission des services diocésains de la pastorale de la santé et en particulier des aumôneries hospitalières. Chaque jour, des catholiques engagés en équipe, bénévoles et aumôniers visitent, écoutent et partagent les derniers instants des personnes au seuil du grand passage. Par Florence de Maistre.
“Accompagner la fin de vie ? C’est typiquement la mission des aumôniers d’hôpitaux”, lance sans détour Stéphanie Bourgois, responsable des aumôneries hospitalières du diocèse de Clermont-Ferrand et également aumônier d’hôpital depuis plus de 8 ans, “pour la proximité avec les personnes”, précise-t-elle. Présence d’Église au sein des établissements de soins et de santé, les membres, bénévoles et salariés, des équipes d’aumônerie sont tous confrontés au grand âge et à la fin de vie. Ils accueillent les nombreuses questions qui naissent au moment où les personnes perdent leurs repères habituels, bousculées et fragilisées par un accident ou une maladie. “Ce sont souvent les soignants qui, attentifs à l’émergence de la demande spirituelle, savent l’identifier et ont le réflexe d’appeler l’aumônier au chevet de la personne en fin de vie et de sa famille. La souffrance spirituelle a toute sa place. Nous permettons à la personne de la dire et à la famille d’être accompagnante”, relève Yannick Begard, diacre permanent, responsable de la pastorale de la santé du diocèse de Cambrai et aumônier depuis 22 ans au centre hospitalier de Valenciennes.
Une écoute patiente et un geste d’espérance
Appelé à être le visage du Christ miséricordieux et bienveillant pour chacun, l’écoutant et visiteur de malade se met, avant toute rencontre, dans les pas du Seigneur. En plus des mots, d’une attitude et d’une disposition d’être, il se rappelle qu’il n’est pas envoyé seul. “Nous sommes dans l’accompagnement chrétien, habités par la foi, nourris par la communauté. Finalement nous ne sommes jamais seuls. Lorsque l’on accompagne une personne dans sa fragilité, le Seigneur nous porte”, souligne Joanne Fulton, déléguée épiscopale pour la pastorale de la santé du diocèse de Nantes. Lorsque l’aumônier répond à une demande ultime, il ose poser un geste et dire une parole. La démarche toute de délicatesse oscille sur cette ligne de crête : être une présence silencieuse ou choisir les mots justes, porteurs de sens, qui trouveront également un écho auprès des proches parfois en profond désaccord avec la religion.
Yannick Begard va plus loin en précisant l’importance d’associer la famille au geste proposé : bénir la personne souffrante. “La famille peut le marquer comme elle le souhaite. C’est une étape décisive dans le processus de deuil”, indique-t-il. Il y a quelques jours, le diacre a été appelé pour un monsieur de 50 ans, en fin de vie. Auprès de lui, ses deux enfants et sa compagne. “J’ai pris du temps pour entendre leur souffrance et ce qu’ils ont compris du devenir de leur papa. Ensemble, nous avons vécu le rituel et prié, avant de voir le médecin annoncer la mort dans l’heure suivante. Tout commence par une écoute aidante, pour que chacun puisse dire sa souffrance et oser un geste qui dise une espérance.” L’aumônier garde également en mémoire cette personne, éclairée psychologiquement, qui a souhaité arrêter ses dialyses. Elle savait que sans traitement, elle n’avait plus que trois jours à vivre. “Dans ces moments très forts, il n’y a plus de barrière, nous sommes dans une vérité authentique, les personnes se livrent. À nous de les accueillir. En relisant leur histoire, on s’aperçoit des traces de Dieu, même si on ne les voit pas tout de suite. Il est là avant et quand on est présent à l’autre. C’est ce qui nous fait vivre !”
Un relèvement intérieur
Il y a des réactions, des signes, des réponses y compris chez les personnes qui ne peuvent plus s’exprimer qui manifestent les bienfaits de la rencontre, de la compréhension du parcours de vie : une paix retrouvée. “Cet accompagnement jusqu’au bout est d’une intensité indéniable. Se mettre en présence de l’autre, entendre s’il est en mesure de le faire, ce qu’il souhaite déposer comme une sorte de réconciliation avec les évènements de sa vie pour rechercher une forme d’apaisement intérieur. Même alité, même diminué, je suis unique aux yeux du Seigneur. Mon âme est présente et mon espérance me fait croire que je suis accompagné. Là, très délicatement, une joie profonde et silencieuse, mais réelle, se laisse percevoir. C’est un privilège d’être invité à partager un tel moment dans la vie de quelqu’un”, confie Joanne Fulton. Ce tête à tête, très intime, offre à la personne de retracer sa vie. Souvent, elle évoque la façon dont elle a traversé les deuils de son parcours. Stéphanie Bourgois poursuit : “Au fil de l’échange, dans la confiance, quelque chose s’ouvre, la parole. Et l’on se rend compte d’une forme de relèvement et de libération intérieure. La personne vient déposer tout ce qui est lourd. Nous l’aidons à trouver en elle les ressources nécessaires pour vivre, c’est-à-dire se sentir debout intérieurement”. Un chemin se trace dans ce qui se dit et se découvre du parcours de vie. C’est une sortie de l’enfermement dans lequel le malade est plongé. “Une sortie à trois”, souffle le responsable de la pastorale de la santé à Cambrai.
Bénévoles et aumôniers sont touchés au cœur de leurs propres fragilités, déplacés dans leurs histoires de vie, témoins de la présence de Dieu à l’œuvre à chaque battement de vie. Assez récemment, la responsable des aumôneries hospitalières de Clermont-Ferrand a été appelée auprès d’une dame en soins palliatifs. Difficile de savoir si elle souhaitait rencontrer un prêtre et recevoir les sacrements, elle arrivait à peine à s’exprimer. Lorsque Stéphanie Bourgois la visite, son état s’est dégradé et la communication est encore plus compliquée. Au bout d’une heure trente, l’aumônier comprend le désir de recevoir la communion et lui propose la démarche. Elle témoigne : “En reformulant sa demande, j’ai vu dans ses yeux quelque chose de tellement grand et fort ! Je mesure à quel point, nous aurions pu passer à côté. C’était sa demande de viatique qu’elle exprimait ! Je suis allée à la chapelle et j’ai pris les précautions d’usage auprès de l’équipe de soignant quant à la possibilité de déglutition. Ce moment a été d’une telle puissance ! Ce regard ! La prière de Charles de Foucauld m’a été inspirée. C’est assez décapant d’être, dans ce contexte improbable, témoin de la tendresse de Dieu pour les plus fragiles !”
Tous les acteurs des pastorales de santé l’expriment ainsi : la fin de vie, c’est toujours la vie. Une vie donnée en abondance, qui rayonne autant auprès des malades qu’auprès des biens-portants. “J’ai découvert de manière surprenante dans ces rencontres, un ressourcement donné qui vient du Seigneur. Cela ressemble à la prière personnelle, c’est la rencontre avec Celui qui nous dépasse. Dans ces moments-là, Dieu va vers l’un et vers l’autre. C’est comme dans l’Évangile quand Jésus rejoint les personnes en apportant une parole et un geste. Il se donne et cela déborde : tous sont interpellés, surpris et retrouvent un élan ! Ce service demande de franchir un cap difficile, mais j’y reviens toujours avec beaucoup d’entrain”, confie Yannick Begard.
Des formations au plus près du terrain
Profondément bouleversant, l’accompagnement de la fin de vie demande un travail sur soi et la nécessité d’un ressourcement pour poursuivre la démarche avec l’exigence de rester authentique. “Mes huit ans d’expérience, mes connaissances et ma formation m’aident à me mettre au diapason du patient et à laisser la place au Christ”, révèle Stéphanie Bourgois. Dans la vie d’équipe, aumôniers et bénévoles, trouvent un lieu de partage et de relecture des visites. Certains diocèses proposent même une supervision par des professionnels pour échanger quant aux situations humainement difficiles et malmenantes. Avant tout engagement en aumônerie de la santé, les services diocésains invitent au discernement et à la formation. Ici et là, des sessions sont organisées autour du monde du soin, de l’écoute de l’autre et la connaissance de soi puisque les rencontres ne laissent pas indemnes. Des repères sur les plans humains, psychologiques, religieux et sacramentels sont donnés. Des formations complémentaires sont également proposées. À Cambrai l’an dernier, une cinquantaine de personnes a suivi celle sur les soins palliatifs et les besoins spirituels des personnes. “Les bénévoles découvrent certaines réalités, comme l’écoute des besoins spirituels au sens large, c’est-à-dire des questions existentielles, par les infirmières formées aux soins palliatifs. D’où l’importance d’une réflexion à mener ensemble, d’une bonne coordination. Des questions sont encore à approfondir, des pistes sont lancées. À charge pour les équipes de s’en saisir. Nous aimerions aussi sensibiliser plus largement au-delà de la pastorale de la santé”, explique Yannick Begard.
À Nantes, la formation “Accompagnement spirituel de la personne en fin de vie” a été initiée depuis une dizaine d’années. Donnée en alternance avec celle intitulée “Repères chrétiens en bioéthique”, elle est au programme de ce premier trimestre 2023. “La pastorale de la santé s’est toujours investie dans ces réflexions. Je m’inscris dans cet héritage en ajustant le contenu et sollicitant de nouveaux intervenants. Il est heureux qu’on la propose à nouveau cette année au regard de l’actualité et du contexte changeant qui a de quoi donner le vertige aux chrétiens ! Il s’agit d’être attentif à ce que le mourir provoque en nous selon notre propre histoire personnelle, et de l’éclairer par les textes en vigueur et ce que dit l’Église catholique. L’exercice n’est pas intellectuel, il invite chaque participant déjà expérimenté face à la fin de vie à se mettre au service de cette question”, détaille Joanne Fulton. La session est ouverte à toutes les personnes qui s’intéressent à la fin de vie autour de l’espérance chrétienne. En 2019, elle a rassemblé des membres des aumôneries hospitalières, du service évangélique des malades, des référents d’Ehpad, ainsi que des soignants et des étudiants chrétiens, notamment rejoints lors des célébrations de la saint Luc, saint patron des services de santé, fêté le 18 octobre.
Lieu d’échange, de prise de conscience, mais aussi de communion, la formation est une façon de répondre aux orientations diocésaines en permettant aux participants de devenir des veilleurs en dialogue avec la société, et en répondant pleinement à leurs attentes. La déléguée épiscopale de Nantes ponctue : “Nous avons besoin de trouver une communauté pour aborder les questions non binaires comme celle du suicide assisté, les demandes d’accompagnement en phase terminale, toutes les rencontres singulières et délicates. La communauté de l’Église permet d’aller au plus près de son incarnation. Avec un vocabulaire et des connaissances clarifiés, les personnes peuvent partager leur histoire personnelle et pastorale, revisiter ensemble ce qui interpelle encore. Et mieux servir la mission de l’Église : accompagner les plus fragiles dans une société bousculée par les avancées techniques et technologiques, mais où l’humain demeure.”
ça peut aussi vous intéresser
Fin de vie : à l’écoute de quelques récits…
Chaque personne est unique, chaque mort est unique. Voici quelques témoignages de membres de la pastorale de la santé en hôpitaux ou dans des EHPADs, publiés dans la revue Pastorale Santé d’octobre 2021. « Si je meurs[...]