Dons d’organes

Fiche proposée par le groupe de travail « bioéthique », de la Conférence des évêques de France.

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  • Éléments scientifiques et juridiques :

Les pratiques de greffes d’organes se sont beaucoup développées depuis les années 1950, grâce aux découvertes permettant de remédier au phénomène de rejet du greffon. Selon l’Agence de biomédecine, 5891 greffes d’organes ont été pratiquées en 2016, dont 4937 sont des greffes rénales ou hépatiques (foie). De 2012 à 2016, le nombre de greffes a augmenté de 17%. La très grande majorité des greffes est pratiquée post mortem[1].

La loi régule la pratique de prélèvement d’organes. Du côté de la personne greffée, l’opération doit avoir de sérieuses chances de réussir, ne pas comporter des risques disproportionnés et représenter une prolongation réelle de la vie pour le bénéficiaire[2]. Du côté de la personne qui « donne », celle-ci peut être vivante ou décédée.

En matière de don d’organe entre personnes vivantes, les lois de bioéthique ont constamment étendu le cercle des donneurs potentiels qui, dans tous les cas, doivent avoir la capacité juridique de consentir, notamment être majeurs. En 1994, le cercle était limité à la famille nucléaire : parents, enfants, frères et sœurs, éventuellement conjoint. En 2004, les cousins et alliés ont rejoint ce cercle, ainsi que « toute personne apportant la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans avec le receveur ». La loi du 7 juillet 2011 est allée encore plus loin en incluant « toute personne pouvant apporter la preuve d’un lien affectif étroit et stable depuis au moins deux ans avec le receveur ». Elle a par ailleurs autorisé le « don croisé » d’organes entre deux paires donneur/receveur répondant chacune aux conditions relationnelles du don et de la greffe d’organe mais non compatibles.

Pour le prélèvement à partir d’une personne décédée, la première exigence est de s’assurer que la personne est bien morte. Le Code de la Santé Publique demande en général trois vérifications pour établir qu’une personne présentant « un arrêt cardiaque et respiratoire persistant » soit bien morte : absence totale de conscience et de mouvement spontané ; abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ; absence totale de respiration spontanée[3]. Si la personne est sous assistance respiratoire et qu’une circulation sanguine continue à un certain degré, il faut d’autres examens pour s’assurer du caractère irréversible de la destruction de la totalité du cerveau[4]. Cependant, depuis un décret du 2 août 2005 (n°2005-949), le prélèvement d’un rein ou d’un foie peut être effectué sur des personnes reconnues mortes simplement à la suite d’« un arrêt cardiaque et respiratoire persistant[5] ». Depuis 2014, certains établissements hospitaliers s’appuyant sur la loi de 2005 pratiquent un prélèvement d’organes sur une personne décédée par suite d’une décision de limitation ou d’arrêt de traitements.

Depuis la loi santé du 26 janvier 2016, il suffit que la personne décédée ne se soit pas inscrite sur le Registre national des refus pour y indiquer son opposition à un prélèvement d’organes, ou qu’elle n’ait pas exprimé explicitement son refus sous une autre forme, pour que le prélèvement soit possible (on parle de « consentement présumé »). Le médecin doit simplement « informer » les proches de la nature et de la finalité du prélèvement envisagé.

Malgré la hausse des greffes, toutes les demandes ne sont pas satisfaites. D’où la question d’assouplir les règles régulant la pratique des prélèvements et des transplantations d’organes, notamment les principes d’anonymat, de gratuité, de consentement au don[6].

  • Questions anthropologiques et éthiques

Le don d’organes implique toujours des situations humaines douloureuses. Face à ces situations de souffrances, il convient de favoriser dans notre société une culture du don. Il convient également d’inciter les citoyens majeurs à déclarer explicitement leur éventuel consentement à un don et à y préparer leurs familles. Cependant, un raisonnement uniquement quantitatif sur les besoins d’organes pour justifier l’extension des possibilités de greffes est un point de vue trop réducteur par rapport aux questions personnelles et familiales impliquées.

Le régime actuel du « consentement présumé », qui régit le don d’organes à partir d’une personne décédée, est atypique en droit. Il est contraire à la Charte du patient hospitalisé, qui, pour les actes thérapeutiques, réclame un consentement a priori « libre et éclairé » sur la base d’une information « accessible et loyale ». Le 26 juin 2014, l’Arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme « Petrova contre Lettonie » indiquait : « Une législation nationale qui par manque de clarté rend possible un prélèvement d’organe dans un hôpital public sans le consentement de la famille porte atteinte à l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme sur le respect de la vie privée et familiale. »

Une règle aussi atypique demande des garanties renforcées pour que de « présumé », le consentement ne devienne pas « imposé ». Dans ce cadre, le recueil d’informations auprès des familles devrait être une règle, la cellule familiale étant le premier cercle de la solidarité. La loi donnant le droit à la médecine publique de prélever des organes à partir d’un consentement seulement présumé, sans consultation de la famille, tend à une nationalisation du corps, en flagrante contradiction avec la liberté du patient, et sans qu’il y ait véritable expression de solidarité. Il convient plutôt d’encourager une véritable éthique du don[7].

Par ailleurs, le prélèvement d’organes sur une personne décédée peut être faite non seulement à des fins thérapeutiques mais aussi scientifiques (recherche)[8]. Il n’est pas respectueux du citoyen que ces fins distinctes et spécifiques fassent l’objet de la même procédure. Si une solidarité spéciale est exigible du citoyen pour aider d’autres personnes, chaque citoyen est libre de refuser telle ou telle recherche (comme le prévoit la Charte du patient hospitalisé pour les recherches sur patient vivant).

Faut-il alors se poser la question de revenir au régime du consentement explicite ? Au minimum, dans le régime du « consentement présumé », l’avis de la famille est indispensable pour garantir le consentement. Même si les équipes médicales s’efforcent encore de recueillir cet avis, il est regrettable que la loi de 2016 ne leur en donne plus l’obligation.

Enfin, entre vivants, l’élargissement successif des donneurs potentiels pourrait favoriser une certaine forme de trafic d’organes. En effet, d’une part la notion de « lien affectif étroit et stable » est vague et difficilement arbitrable par les tribunaux, passage demandé par la loi pour l’autorisation de greffe d’organe. D’autre part, la possibilité d’intégrer dans le circuit des « dons croisés » des individus risque d’encourager la motivation financière[9]. Le risque d’une telle dérive augmenterait si le principe de gratuité du don était remis en cause.

Est-ce que la non-expression d’un refus suffit à caractériser un « don » ? Pour favoriser les dons d’organes, il conviendrait de promouvoir des campagnes d’information qui valorisent l’inscription sur un registre où chacun pourrait clairement exprimer son consentement ou son opposition au prélèvement de certains de ses organes en cas de décès, dans l’esprit des « directives anticipées » (voir fiche sur la fin de vie).

1er février 2018


[1] https://www.agence-biomedecine.fr/IMG/pdf/cp_activite-greffes-organes-2016_agence-biomedecine.pdf
[2] cf. Code de la Santé Publique (CSP), article L1211-6.
[3] CSP, article R. 1232-1.
[4] CSP, article R. 1232-2.
[5] Cf. CSP, article R. 1232-4-1.
[6] Cf. CCNE, Dossier de presse, « Les thèmes des États généraux », fiche n°2, 18 janvier 2018.
[7] Cf. discours de Benoit XVI sur le don d’organes du 7 novembre 2008.
[8] CSP, L1232-1.
[9] Cf. J.-R. BINET, La réforme de la loi bioéthique. Commentaire et analyse de la loi du 7 juillet 2011, LexisNexis « Actualité », 2012. Voir aussi J.-R. BINET, Droit de la bioéthique, LGDJ, 2017, pp. 212-235.

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Glossaire

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