Discours d’ouverture de l’Assemblée plénière de novembre 2012
Président de la Conférence des évêques de France, le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, a prononcé ce discours à l’ouverture de l’Assemblée plénière des évêques de France à Lourdes, samedi 3 novembre 2012.
L’assemblée plénière que nous ouvrons aujourd’hui ne manquera pas de sujets d’actualité pour nourrir nos débats et nos conversations privées. Vous comprendrez sans doute que, revenant juste de la session ordinaire du synode des évêques, les sept évêques français qui y ont participé soient encore sous l’impression très vive de ce grand moment de la vie de notre Église et que nous tentions de vous en rendre compte. Non seulement le thème choisi : « La nouvelle évangélisation et la transmission de la foi chrétienne », en vaut la peine, mais aussi la conjoncture du calendrier qui correspond au cinquantième anniversaire de l’ouverture du concile Vatican II.
1. Le Concile : un printemps pour l’Église
Le concile Vatican II -pas plus qu’aucun des vingt autres conciles œcuméniques qui l’ont précédé- n’est pas derrière nous, il est devant nous ! Il est derrière nous pour les travaux qui ont été accomplis en leur temps, il est derrière nous pour les débats qui l’ont animé. Mais le concile Vatican II est encore largement devant nous pour ses fruits. Il est devant nous pour sa fécondité. Il est devant nous pour le développement des dynamismes qu’il a suscités dans l’Église, par l’intérêt qu’il a soulevé dans le monde.
Depuis notre rassemblement national du mois de mars dernier, par lequel nous avons lancé les manifestations françaises de l’anniversaire du concile, chacun de nos diocèses a pris sa part du travail nécessaire pour remettre en mémoire les fruits de ce concile et les actualiser dans la mission de nos églises particulières. Nous ne l’avons pas fait comme les historiens d’un âge d’or qui aurait eu lieu il y a cinquante ans et dont on ne saurait plus rien. Nous ne sommes pas les gardiens nostalgiques d’un esprit du concile qui serait partout sauf précisément dans les textes du concile. Nous ne sommes pas les survivants d’une espèce de vieille armée, blanchie sous le harnais, et qui veut à tout prix entretenir les souvenirs de sa jeunesse.
Nous sommes des héritiers, nous avons hérité un patrimoine du concile comme nous avons hérité un patrimoine de l’Église. Et l’acte conciliaire qui s’est ouvert il y a cinquante ans a été un formidable travail de fond pour actualiser ce patrimoine de l’Église, pour le rendre plus accessible non seulement aux érudits, non seulement aux exégètes, non seulement aux théologiens, non seulement aux clercs, mais à tous les membres de l’Église. C’est cette diffusion du patrimoine de la tradition chrétienne telle que nous la recevons de l’Écriture et telle que nous l’interprétons dans la communion de l’Église qui devient le ferment et le dynamisme d’un renouveau missionnaire. C’est le sens de la Nouvelle Evangélisation et de l’Année de la foi.
Comment pourrions-nous oublier les transformations profondes que le concile a provoquées dans la capacité des chrétiens à accueillir, à partager et à annoncer la Parole de Dieu ? L’établissement d’un lectionnaire liturgique qui suit de façon continue la lecture des épîtres et des évangiles, avec des lectures de l’Ancien Testament, l’ouverture d’une réflexion profonde et structurée sur le rapport de l’Écriture à la Tradition, une meilleure évaluation théologique du dynamisme de récapitulation que le Christ opère par sa Résurrection, tout cela ouvre nos yeux et nos esprits à une approche renouvelée du monde qui nous entoure, non pas comme le symbole de la perversion et de la damnation, mais comme le terrain où Dieu lui-même est venu prendre chair, pour éveiller aux cœurs des hommes l’image divine qu’il y a déposée par son acte créateur.
Comment oublier le basculement des mentalités entraîné par l’approche non seulement théologique, mais aussi pratique, des relations avec les Églises et les communautés chrétiennes ? Comment oublier le renouvellement de notre regard sur nos frères orthodoxes, sur nos frères protestants ? Comment oublier le virage spectaculaire que Nostra Aetate a fait prendre à nos relations avec les autres religions, notamment l’Islam et le Judaïsme ? Comment oublier le discours de Jean-Paul II à Casablanca et ses démarches prophétiques à la synagogue de Rome et au Mur des Lamentations ? Mais aussi, comment ne pas souffrir de voir certains des membres de notre Église se livrer au « libre examen » et s’instaurer interprètes autorisés du concile à la place du Magistère, au mépris de la véritable tradition ?
Célébré dans un moment de grandes mutations de nos sociétés, le concile Vatican II ne doit pas être tenu pour responsable des ébranlements qui ont marqué les années 1960-1980. Au contraire, nous avons des raisons d’être fiers de ce grand événement qui préparait prophétiquement l’entrée dans le troisième millénaire.
2. Le synode des évêques
Nous avons entendu les difficultés, allant parfois jusqu’à l’agression physique, auxquelles sont confrontés les chrétiens dans le monde : entraves à la liberté de conscience, tentations d’un retour aux pratiques païennes, séduction de certains nouveaux mouvements religieux à tendance sectaire, développement d’un athéisme pratique dans la post modernité, nivellement des références culturelles par la globalisation médiatique, etc. Nous avons entendu le témoignage des Églises pour lesquelles l’annonce explicite de l’évangile est impossible. Elles proposent chaque jour le témoignage silencieux de l’évangile vécu et leur fidélité aboutit parfois au martyre. Nous avons aussi évoqué le témoignage de foi vécu dans toutes les œuvres caritatives de l’Église. Nous avons éprouvé notre communion avec ces frères et sœurs qui sont viscéralement attachés au Christ à travers le monde entier.
Le message final du synode vous a sans doute permis de saisir l’importance de ce que nous avons vécu pendant ces trois semaines. Maintenant, en entrant dans l’Année de la foi, c’est à nous de tirer quelques conséquences de cette expérience de l’Église universelle. Comment ce grand élan de la nouvelle évangélisation va-t-il relancer un dynamisme nouveau dans nos communautés particulières ? Comment les paroisses, les mouvements, les groupes de toute sorte qui sont constitués au nom du Christ vont-ils être renouvelés dans leur vocation missionnaire ? Comment notre appel à la mission va-t-il en être revigoré ?
Nous savons bien que, chez nous, la situation du christianisme s’est beaucoup transformée au cours des dernières décennies. Le passage d’un christianisme sociologique à un christianisme de conviction s’est accéléré et nous en retrouvons les traces dans l’éloignement pratique de beaucoup de baptisés par rapport à la vie de leur Église. Moins que d’une hostilité, qui est plutôt le fait de quelques militants, il s’agit plutôt d’une indifférence. Mais ces chrétiens « indifférents » sont aussi nos fidèles et tous nos efforts pastoraux sont mobilisés pour les rejoindre et raviver, s’il se peut, la mèche qui fume encore. D’autres secteurs entiers de notre société sont complètement ignorants du christianisme dont ils ne connaissent que les caricatures médiatiques. D’autres encore sont croyants d’autres religions.
Cette grande diversité de notre environnement social appelle de notre part, une révision constante de nos approches et de nos initiatives. Nous mesurons que les modèles pastoraux qui fonctionnaient dans une société culturellement chrétienne n’ont plus la même prise dans un environnement culturel éclaté. C’est une nouvelle période de la mission qui s’est ouverte devant nous et pour laquelle nous devons motiver et former les hommes et les femmes qui ont à annoncer l’évangile à tous. Ce travail, nous l’avons entrepris ensemble depuis plusieurs décennies pour susciter et encourager la proposition de la foi. Nous le poursuivrons avec constance.
3. La loi républicaine
C’est dans ce contexte préoccupant que le gouvernement fait passer en urgence des mutations profondes de notre législation qui pourraient transformer radicalement les modalités des relations fondatrices de notre société. Des changements de cette ampleur imposaient un large débat national qui ne se contente pas d’enregistrer des sondages aléatoires ou la pression ostentatoire de quelques lobbies. Nous aurions été heureux, comme dans d’autres occasions, notamment pour les lois de bioéthique, d’apporter notre contribution à ce débat. L’élection présidentielle et les élections législatives ne constituent pas un blanc-seing automatique, surtout pour des réformes qui touchent très profondément les équilibres de notre société. Puisque ce débat n’a pas encore été organisé, nous voulons du moins exprimer un certain nombre de convictions et alerter nos concitoyens sur la gravité de l’enjeu.
Contrairement à ce que l’on nous présente, le projet législatif concernant le mariage n’est pas simplement une ouverture généreuse du mariage à de nouvelles catégories de concitoyens, c’est une transformation du mariage qui toucherait tout le monde. Ce ne serait pas le « mariage pour tous » (étrange formule qu’il ne faut sans doute pas prendre au pied de la lettre !). Ce serait le mariage de quelques-uns imposé à tous. Les conséquences qui en découlent pour l’état civil en sont suffisamment éloquentes : a-t-on demandé aux citoyens s’ils étaient d’accord pour ne plus être le père ou la mère de leur enfant et ne devenir qu’un parent indifférencié : parent A ou parent B ? La question fondamentale est celle du respect de la réalité sexuée de l’existence humaine et de sa gestion par la société. Alors que l’on prescrit la parité stricte dans de nombreux domaines de la vie sociale, imposer, dans le mariage et la famille où la parité est nécessaire et constitutive, une vision de l’être humain sans reconnaître la différence sexuelle serait une supercherie qui ébranlerait un des fondements de notre société et instaurerait une discrimination entre les enfants.
Que pouvons-nous faire ? Face à ces mesures qui menacent notre société, que pouvons-nous faire ? Que devons-nous faire ? Nous devons d’abord inviter à prier puisqu’il s’agit de provoquer et soutenir la liberté de conscience de chacun. Comme pasteurs de notre Église, il nous incombe d’éclairer les consciences, de dissiper les confusions, de formuler le plus clairement possible les enjeux. Comme évêques, nous nous efforçons d’être des interlocuteurs pour les responsables politiques et les parlementaires. Nous n’hésitons pas à faire appel à leur liberté de conscience pour des projets et des votes qui engagent plus qu’une simple alternance politique. Nous en appelons à leur sens du bien commun qui ne se réduit pas à la somme des intérêts particuliers.
Nous continuons d’appeler les chrétiens, et tous ceux qui partagent notre analyse et nos questions, à saisir leurs élus en leur écrivant des lettres personnelles, en les rencontrant et en leur exprimant leurs convictions. Comme citoyens, ils peuvent, et peut-être doivent, utiliser les moyens d’expression qui sont ceux d’une société démocratique, d’une « démocratie participative », pour faire connaître et entendre leur point de vue. Les sites de la conférence épiscopale et ceux de nos diocèses présentent toutes sortes d’arguments qui sont finalement assez connus. Une chose doit être claire : nous ne sommes pas dans une défense de je ne sais quels privilèges confessionnels. Nous parlons pour ce que nous estimons le bien de tous. C’est pourquoi nous ne mettons pas en avant la question du sacrement de mariage qui est une vocation particulière, mais la fonction sociale du mariage qui ne dépend d’aucune religion.
Notre société est très sensible et vigilante sur le respect dû aux enfants. Elle attend de ses responsables qu’ils prennent la défense des plus faibles et qu’elle les protège. C’est pourquoi, dans cette période il est important de rappeler un certain nombre de droits fondamentaux, qui sont le fruit de la sagesse cumulée de notre civilisation et qui ont marqué sa sortie progressive de la barbarie. Chacun des droits et des impératifs éthiques qui en découle et que nous énonçons ici s’impose à la conscience morale des hommes, quelle que soit leur croyance religieuse ou leur incroyance. Aucune règle, et a fortiori aucune loi, ne pourra jamais nous décharger de notre responsabilité personnelle et des enjeux de notre liberté.
1/ Aucun être humain n’a le pouvoir de disposer de la vie de son semblable, à quelque stade que ce soit de son développement ou de son itinéraire et quels que soient les handicaps dont il peut être frappé ou la détérioration de son état de santé. Chacun de nous est responsable du respect de cet interdit absolu du meurtre et notre société doit s’employer à éliminer les manquements à cette obligation. Dès lors que le respect absolu de la vie humaine ne serait plus la règle défendue par la société, les individus entreraient dans une dynamique de suspicion et d’angoisse. Qui va décider si et jusqu’à quand je peux vivre, jusqu’à quel seuil de handicap, quel seuil de douleur, quel seuil de gêne pour les autres, quel coût pour la société ?
2/ Tout être humain conçu a le droit de vivre à quelque moment que ce soit de son développement. Celui et celle qui l’ont appelé à la vie en sont responsables et la société doit les soutenir et les aider dans l’exercice de cette responsabilité. Le respect de l’embryon participe de cette protection que la société doit aux plus faibles de ses membres. Alors que les recherches sur les cellules souches adultes donnent déjà lieu à des applications thérapeutiques et que le prix Nobel de médecine vient d’être attribué au Professeur Yamanaka et au Professeur Gurdon pour leurs travaux sur la reprogrammation des cellules différenciées en cellules pluripotentes, certains voudraient autoriser plus largement encore la recherche sur des cellules souches embryonnaires. De telles recherches restent moralement inacceptables et économiquement hasardeuses.
3/ Tout enfant venu au monde a droit à connaître ceux qui l’ont engendré et à être élevé par eux, conformément à la Convention Internationale relative aux droits de l’enfant ratifiée par la France en 1990 (article 7 /1 : « L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux. »). Ce droit impose de ne pas légaliser les procréations anonymes qui rendent cet impératif impossible à tenir. Dans certaines situations exceptionnelles des personnes peuvent, pour le bien de l’enfant, assumer généreusement la responsabilité parentale. Elles ne peuvent jamais se substituer totalement à l’homme et à la femme qui ont engendré l’enfant.
4/ Tout enfant a droit à être éduqué. Cette obligation repose d’abord sur les parents qui sont les premiers responsables de l’éducation de leurs enfants. La société doit les soutenir et les aider dans cette mission, aussi bien par les aides financières, qui reconnaissent leur apport pour un meilleur avenir de l’ensemble de notre société, que par des aides pédagogiques qui sont souvent très nécessaires.
L’obligation de l’éducation repose ensuite sur l’institution scolaire qui a la charge de transmettre les savoirs nécessaires à l’exercice de la liberté personnelle, mais aussi le devoir de développer chez les jeunes la reconnaissance et le développement d’un certain nombre de qualités morales sur lesquelles reposent le consensus social et l’apprentissage de relations respectueuses et pacifiques entre les membres du corps social. Nommer le bien et le mal fait partie de cette responsabilité collective.
5/ Les enfants ou les jeunes délinquants, quels que soient leur statut juridique : français, étrangers, en situation régulière ou non, ne doivent pas être traités par la seule incarcération. Dans une démarche éducative, la punition peut être nécessaire. Elle doit toujours avoir pour objectif la transformation positive de celui qui l’a méritée. Elle ne doit pas éluder les responsabilités des adultes dans le déclenchement, l’organisation ou l’exploitation de la délinquance : réseaux organisés de mendicité, institution du trafic de drogues, prostitution, pornographie publique, etc.
Pour terminer, je voudrais évoquer un droit qui concerne directement l’exercice de notre religion et qui, à ce titre, fait partie des éléments constitutifs de la laïcité, comme l’avait très bien compris et institutionnalisé J. Ferry. Il s’agit du droit des enfants à recevoir une formation chrétienne librement choisie par leur famille comme le complément de leur formation scolaire. Il est trop clair que nous ne sommes plus dans la même situation qu’à la fin du XIX° siècle. Mais puisque le ministre de l’Éducation Nationale veut entreprendre un réaménagement de l’ensemble du temps scolaire et qu’il souhaite le faire dans une pratique de la concertation, il serait assez étrange que cette concertation exclue la consultation de l’Église qui catéchise plus du quart des enfants de France. À ce jour, nous suivons avec intérêt la liste des organisations consultées. Nous attendons toujours de savoir quand et comment nous le serons.
Pour nous, cette question est primordiale puisqu’elle touche plus particulièrement les enfants dont les familles ont le moins de possibilités concrètes d’organiser le temps libre de leurs enfants. Ce sont ces enfants qui ont aussi souvent le plus de difficultés à trouver les chemins d’une bonne insertion sociale. Ils n’y seront pas aidés si le temps de la catéchèse devient une sorte de créneau négligé dans l’organisation du temps scolaire. Les enfants catholiques, comme ceux des autres religions, ont le droit de disposer d’un temps convenable pour cette formation.
Bien d’autres sujets auraient mérité notre attention. Certains seront abordés au cours de nos travaux. Nous aurions pu aussi échanger sur les visites ad limina. Mais nous le ferons avec plus de profit quand les trois groupes d’évêques auront terminé le cycle de ces visites. Ce qui ne nous empêchera pas d’échanger nos premières impressions de manière informelle.
Bon travail.
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