Homélie du Cardinal André Vingt-Trois à Lourdes

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, Président de la Conférence des évêques de France, lors de la messe du dimanche 4 novembre 2012, retransmise en direct de la basilique Notre-Dame-du-Rosaire à Lourdes, par le Jour du Seigneur (France 2).Deutéronome 6, 2-6, Psaume : 118, 97.99, 101-102, 103-104, 105-106, Lettre aux Hébreux 7, 23-28, Evangile selon saint Marc 12, 28b-34.

Télécharger l’homélie du Cardinal Vingt-Trois

 

Vivre de la foi

Le Seigneur Jésus Christ est entré à Jérusalem pour la dernière étape de son ministère public. Il enseignait dans le Temple et des scribes, et des pharisiens, venaient lui poser des questions. Certains souhaitaient le mettre à l’épreuve, d’autres cherchaient à approfondir ce qu’ils savaient de son enseignement. L’Évangile de Marc ne nous dit pas dans laquelle de ces catégories se situait le scribe qui l’interrogeait, mais la manière dont il répond à Jésus et la conclusion du dialogue, indiquent que sa remarque était judicieuse et qu’il n’était « pas loin du Royaume ».

Le scribe cherche ce qui est l’essentiel de la foi : le premier commandement. Certains courants du judaïsme contemporains de Jésus, pour être sûrs de leur justice, multipliaient les commandements à l’infini et finissaient par transformer la loi, donnée par Dieu, comme signe de libération en un carcan insupportable, même pour leur propre conduite. Nous avons facilement tendance à condamner cet excès de légalisme. Même si nous oublions trop souvent que ce risque nous guette, nous aussi. La recherche continuelle de ce qui est imposé ou interdit, l’appel à des règles minutieuses, peuvent devenir le symptôme de notre crainte ou de notre incapacité à affronter le risque de la liberté. Un code de la route, même si on ne le respecte pas toujours, est moins exigeant pour notre liberté que la vertu de prudence qui nous incombe.

En cette Année de la foi, nous sommes invités à revenir à l’essentiel de notre foi en Dieu : notre foi en un Dieu Père, révélé par le Christ, son Fils unique, et habitant le cœur des croyants par le don de l’Esprit. Bien souvent on nous pose une question analogue à celle du scribe : qu’est-ce que c’est d’être chrétien ? Or, comme le scribe, nos questionneurs ont déjà des éléments de réponse : être chrétien, c’est croire en Dieu et servir notre prochain. Nos difficultés commencent quand nous essayons d’exprimer les conséquences de ce double commandement que nous pressentons si exigeant.

Le christianisme apparaît à certains comme un carcan trop lourd à porter, surtout dans une civilisation dominée par la satisfaction des désirs individuels. De quel droit Dieu viendrait-il se mêler de notre vie particulière ? Bien entendu, cette objection exprime en elle-même sa contradiction. Si Dieu est Dieu comment pourrait-on lui contester le droit de s’occuper de nous ? Mais notre difficulté principale ne vient pas de cette contradiction. Elle vient de notre répugnance à accepter qu’il y ait des règles de vie et que ces règles soient ordonnées au bien de l’homme. Nous adhérons avec une certaine satisfaction à une religion de l’amour, mais nous acceptons difficilement les conséquences d’un amour total, « jusqu’à l’extrême », pour reprendre l’expression de Jésus.

Notre tentation de nous satisfaire de bons sentiments sans en supporter le poids, n’est pas seulement un travers des chrétiens. Elle se retrouve chez tous les croyants et même chez les incroyants. Comment vivre en société sans reconnaître qu’il y a certaines règles de comportement qui dépassent les désirs individuels et qui s’imposent à tous, non par moralisme ou aveuglement, mais simplement par un exercice de notre jugement à la lumière de la sagesse humaine et de notre conscience ? Comment ériger en règle générale, voire absolue, ce que chacun désire ou expérimente et ce qu’il veut faire reconnaître comme une règle commune par tous ?

Quand l’Église fait appel à la conscience humaine, elle ne cherche pas à imposer une conception particulière de l’existence. Elle renvoie à ce que notre civilisation a déchiffré du sens de la vie humaine et des impératifs du respect de la dignité personnelle de chacun. Les dix Commandements comme les évangiles ont été des éléments décisifs de ce long travail. Notre foi et notre sagesse chrétiennes ont joué un rôle important dans cette prise de conscience commune, mais elles n’ont pas été les seules. Les sages d’autres religions y ont aussi contribué, comme les humanistes de toutes les époques. Au nom de quelle sagesse, subitement surgie des désirs particuliers à notre pays et à notre temps, devrait-on rejeter ces acquis de l’humanité ? Faut-il comprendre que l’humanité ne peut progresser qu’en rejetant ses acquis et son histoire ? Quand ces impératifs de la conscience humaine sont contestés et rejetés jusque dans des lois qui définissent les conditions du vivre ensemble, nous ne pouvons pas nous taire.

Quand nous défendons le droit des enfants à se construire en référence à celui et à celle qui leur ont donné la vie, nous ne défendons pas une position particulière. Nous reconnaissons ce qu’expriment les pratiques et les sagesses de tous les peuples depuis la nuit des temps et ce que confirment bien des spécialistes modernes. Quand nous rejetons l’idée que quelqu’un soit habilité légalement à disposer de la vie de son semblable, quels que soit son âge et son état de santé, nous ne défendons pas une position particulière. Nous rappelons simplement que la vie en société suppose que l’interdit du meurtre soit un des fondements de la confiance mutuelle.

La grandeur de la liberté humaine nous appelle à maîtriser nos comportements en ne cédant pas à tous les désirs. Notre foi chrétienne ne fonde pas notre ambition sur nos capacités, mais sur l’amour absolu de Dieu qui nous a été révélé dans le Christ. Cette certitude nourrit notre conviction que les êtres humains sont capables de choisir ce qui est le meilleur, non pour satisfaire les souhaits de chacun, mais pour le bien de tous. Nous ne prenons pas notre parti de voir un conformisme social abolir les progrès de tant de siècles pour le respect des plus faibles.

En cette année de la foi, c’est ainsi que nous pouvons aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit et de toute notre force et notre prochain comme nous-mêmes. Que Dieu nous donne la force d’être fidèles à ces deux commandements dans tous les domaines de notre vie personnelle et de notre vie sociale.

Sur le même thème

  • Connaître et aimer Dieu

     

  • Solidarité

    La solidarité est une exigence sociale naturelle. C’est le lien qui unit les êtres humains entre eux dans un réseau de relations qui est devenu planétaire. Le lien peut se rompre et des hommes et des femmes se retrouvent démunis, en difficulté, dans la solitude, la maladie, la rupture. Pour répondre à ces besoins, des […]

  • Année de la Foi (2012-2013)

    Dans le Motu Proprio « Porta Fidei », le pape Benoît XVI a annoncé une « Année de la Foi ». Elle a débuté le 11 octobre 2012, pour le cinquantième anniversaire de l’ouverture du concile Vatican II, et s’est terminée en la solennité du Christ Roi, le 24 novembre 2013. Des livres pour l’année […]

  • Ethique et fin de vie

    « Par euthanasie au sens strict, on doit entendre une action ou une omission qui, de soi et dans l’intention, donne la mort afin de supprimer ainsi toute douleur. « L’euthanasie se situe donc au niveau des intentions et des procédés employés ».
    Evangile de la Vie, lettre encyclique de Jean-Paul II, 1995, n.65

  • Le mariage pour tous ?

    L’ouverture au mariage et à l’adoption pour les personnes de même sexe a fait l’objet d’un projet de loi présenté en novembre en Conseil des ministres, débattu au printemps 2013 puis adopté. Ce dossier propose des éléments pour comprendre les enjeux d’un débat de société au sein duquel les catholiques se positionnent comme « éveilleurs des […]

  • Famille

    Famille

    Au service des hommes et des femmes de ce temps, l’Église est particulièrement attentive à la famille. Elle en rappelle sans relâche l’importance pour la vie en société comme pour chacun d’entre nous. Elle le fait avec réalisme et confiance. L’Église écoute les familles et regarde comment on y prend soin les uns des autres. […]

  • Diaconia 2013

    Diaconia est une démarche sur trois ans lancée le 10 janvier 2011 par plus de 100 mouvements et services d’Eglise et beaucoup de congrégation religieuses, et communautés nouvelles. Coordonnée par le Conseil épiscopal pour la Solidarité, elle a donné lieu à un rassemblement national les 9,10 et 11 mai 2013 à Lourdes.