Vœux 2025 de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, Président de la CEF et Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris, aux institutionnels

image de la Maison de Breteuil pour les voeux institutionnels 2025

Le 19 décembre 2024, le Président de la Conférence des évêques de France (CEF) et archevêque de Reims, Mgr Eric de Moulins-Beaufort et l’archevêque de Paris Mgr Laurent Ulrich, ont présenté leurs vœux devant les responsables des cultes et les responsables associatifs. Voici le discours prononcé par Mgr de Moulins-Beaufort.

Mesdames et Messieurs les représentants de l’Etat,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Mesdames et Messieurs les élus locaux,

Mesdames et Messieurs les représentants des cultes de France,

Mesdames et Messieurs les représentants de la société civile,

Ma Sœur, Présidente de la Conférence des religieuses et religieux de France, et vous tous, frères et sœurs, religieux, religieuses et personnes consacrées,

Madame la Présidente de l’Instance Nationale de Reconnaissance et Réparation, chère Marie Derain de Vaucresson ; Monsieur le Président de la Commission Reconnaissance et Réparation, cher Antoine Garapon,

Mesdames et Messieurs, mes Pères, mes Sœurs ou mes Frères, partenaires, collaboratrices et collaborateurs, amis de la Conférence des évêques,

A mon tour, donc, de vous présenter mes vœux. A mon tour de vous parler ce soir d’espérance. Ce n’est sans doute pas très original. Les catholiques, les chrétiens sans doute, aiment parler d’espérance. Nous le faisons d’autant plus cette année que le pape François a fait de 2025 une « Année jubilaire » ou une « année sainte », comme les papes le font tous les vingt-cinq ans depuis l’an 1300 et qu’il a donné comme thème à cette année un appel à devenir « Pèlerins de l’espérance ». En vous présentant mes vœux, je voudrais donc me mettre en route, un peu en avance, pour le pèlerinage de l’espérance et vous en partager quelques fruits sans attendre d’être arrivé au terme. Mgr Ulrich et moi-même, en effet, avons voulu nous adresser à vous et à travers vous à beaucoup d’autres avant Noël plutôt qu’au cours du mois de janvier, parce que ce que nous pouvons avoir de singulier et, par conséquent, de peut-être intéressant à vous dire, se trouve à nos yeux concentré en Jésus, Fils de David, enfant de Bethléem, couché dans une mangeoire. En lui, par lui, l’espérance nous est ouverte, elle nous est donnée.

image de Mgr Ulrich, archevêque de Paris aux voeux institutionnels de la CEFFin octobre, début novembre, est venu en visite à Paris puis à Lourdes l’archevêque majeur des Gréco-Catholiques d’Ukraine, « père et chef » de cette Église qui avait failli disparaitre pendant la période soviétique et qui a traversé pourtant ces décennies de persécution pour revenir au jour, de manière inattendue, riche de fidèles, de prêtres, de diacres, de moines et moniales et d’évêques. Il est venu ici à notre invitation à tous deux, Mgr Ulrich et moi. Nous avons vu en lui un homme qui soutient un peuple aux prises avec la guerre et ses violences et qui doit consoler et éclairer ce peuple pour qu’il combatte sans haine et garde les yeux fixés vers la paix à faire dans la vérité et la justice.

Dans la lettre de remerciement qu’il m’a adressée, il explique avoir découvert que la langue française comportait deux mots différents : espoir et espérance. La distinction qui nous est ainsi permise lui paraissait importante, elle l’avait éclairé, m’écrivait-il, pour comprendre la situation qui est celle de ses compatriotes et la sienne propre. Le pape Benoît XVI a pu, dans une encyclique un peu oubliée et en réalité, importante, Spe Salvi, « Sauvés en espérance », expliciter cette différence en distinguant « petite » et « grande » espérance. Dans la bulle d’indiction de l’année sainte à venir, le pape François, lui, s’inspire de saint Augustin pour qui tout homme, tout être humain, « croit, aime et espère » d’une manière ou d’une autre, à un niveau ou un autre. L’espoir ou la « petite » espérance se trouve plus ou moins au bout de nos prévisions, de nos efforts, dans le prolongement de ce que nous tâchons de faire, chacun par soi-même et aussi en l’attendant de tous les autres ; l’espérance, la « grande » espérance, est plutôt la surprise, l’heureuse surprise, que Dieu nous prépare, que nous attendons, vers laquelle nous nous tournons déjà, dont nous savons qu’elle va venir mais que nous ne pouvons nous procurer par nous-mêmes, que nous ne pouvons que recevoir comme un inattendu, un inespéré, si attendue et si désirée qu’elle ait été.

L’espoir se combine avec notre intelligence planificatrice, organisatrice, anticipatrice ; l’espérance nous place plutôt dans l’attitude des enfants qui attendent Noël et les cadeaux qu’ils trouveront au matin. Quelle que soit l’idée qu’ils en ont, quelle que soit les demandes qu’ils aient faites, ils seront émerveillés de les trouver là entre leurs mains, et surpris que leur rêve ait pu se réaliser. Permettez-moi de le dire, de vous le dire, ici : plus l’espoir nous est difficile, plus nous avons besoin d’espérance. Je pense en vous disant cela à une expression du Patriarche latin de Jérusalem, le cardinal Pizzaballa, qu’il m’a été donné d’entendre à la mi-septembre, dînant à la table du Consul général de France : « L’espérance n’est pas l’illusion que demain sera meilleur, encore moins la prétention qu’il y ait des solutions à l’épreuve du présent. » Qu’est-ce que l’espérance, alors ? Est-il possible de la définir quelque peu, autrement que comme une projection à l’aveugle dans l’avenir ?

Pour nous chrétiens, deux phrases de saint Paul jettent une lumière sur cette attitude à la fois spontanée et complexe qu’est l’espérance. La première, au chapitre 4 de la lettre aux Romains, concerne Abraham, notre père dans la foi, notre père à nous chrétiens, le père des musulmans aussi et, au premier chef, le père des Juifs. L’Apôtre écrit d’Abraham à qui Dieu avait promis une descendance mais qui vieillissait sans enfant : « Espérant contre toute espérance » (Rm 4, 18). L’espérance surgit toujours là où elle ne devrait pas exister. L’espoir s’appuie sur des faits, des chiffres, des données, dira-t-on aujourd’hui. L’espérance n’a pas d’autre raison d’exister qu’une promesse. « Espérer contre toute espérance » n’est pas seulement attendre que le temps finisse par dissiper les nuages obscurs et moins encore que la mort nous fasse changer de monde. « Espérer contre toute espérance », c’est croire qu’autre chose se joue dans l’histoire que ce que je peux maintenant maîtriser et recueillir moi-même. « Espérant contre toute espérance, il a cru : ainsi est-il devenu le père d’un grand nombre de nations ». L’espérance croit que ce qui vient rendra le présent fructueux et, dans cette attente, elle tient, elle persévère, elle creuse en celui qui espère une attente plus forte encore.

L’Apôtre, quelques versets plus loin, au chapitre 5, ouvrant une nouvelle étape de son raisonnement, écrit : « L’espérance ne déçoit point parce que l’amour de Dieu a été répandu en nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné ». « L’espérance ne déçoit point » : le pape François a retenu ces quelques mots qui sont aussi une promesse pour en faire le titre de la bulle d’indiction – ainsi se nomme ce genre de documents- de l’année sainte à venir : Spes non confundit. L’espérance ne déçoit point parce que l’amour de Dieu nous a été montré en Jésus, Dieu venant dans notre condition humaine, le Fils consubstantiel, selon l’enseignement du concile de Nicée dont nous fêterons le 1700ème anniversaire et qui éclaire pour toujours notre foi chrétienne, en nous faisant reconnaître l’inouï réalisé par Dieu à cause des humains et en leur faveur, mais l’espérance ne déçoit pas aussi parce que l’amour de Dieu, l’amour de Dieu pour nous, a été répandu en nos cœurs, nous permettant de nous aimer, de nous « entr’aimer » non pas seulement à la mesure de nos sympathies et de nos affinités, mais à la mesure de Dieu lui-même, dévoilé en Jésus livré entre nos mains à la crèche comme à la croix.

Nous pouvons espérer, Mesdames et Messieurs, chers amis, il vaut la peine que nous espérions, parce que, malgré tout ce qu’il y a de contraire, il nous est possible d’aimer, de nous entr’aimer, à la mesure de l’humanité entière qui nous précède et nous englobe. L’espérance surgit là où on ne l’attend pas, là où l’espoir paraît vain, parce qu’il y a des gestes d’amour, voire un seul acte d’amour vrai, un don, un renoncement à soi, un service inattendu d’autrui, là où la violence des hommes mais aussi parfois la stricte justice ne feraient rien attendre d’autre que de la colère ou du mépris. L’espérance, par conséquent, s’enracine en nos cœurs et nos esprits si nous apprenons à repérer les signes de l’amour qui s’exerce en vérité là où il pourrait, à vue humaine ou à première vue, ne pas subsister.  Je voudrais ce soir, à titre d’étrennes, si vous me permettez cette facilité, décrire quatre signes qui s’ajoutent à ceux que Mgr Ulrich a déjà présentés.

Le premier est, vous l’attendez sans doute, la visite du pape François en Corse, c’est-à-dire en France, malgré tout. Il y a trois ans, j’avais formulé le vœu que le Pape vienne nous dire à Marseille que l’Église en France est « créative et spirituelle ». Il l’a fait, je m’en suis félicité avec vous l’an passé ; il est revenu encore encourager, non pas tant notre Église catholique que notre pays, je crois. La Corse, dimanche dernier, se donnait à voir dans sa splendeur : la neige sur les cimes, la Méditerranée, bleue et lisse, Ajaccio, remplie de couleurs, d’odeurs, d’oranges et de fleurs, et les Corses joyeux, fervents, fiers, heureux, d’une fierté et d’un bonheur qui n’excluaient personne mais se partageaient volontiers. Certains ont glosé sur la manière dont le Pape avaitqualifié la laïcité française. En réalité, sa présence a manifesté une qualité d’unité dont les Corses eux-mêmes pouvaient douter, une joie d’être ensemble et de se retrouver unis par plus grand que soi qui fait naître un sens du service d’autrui quel qu’il soit, un désir de faire profiter les autres, si différents soient-ils, du meilleur que l’on possède. Dimanche, mieux que jamais, a surgi quelque chose de l’âme corse qui est un motif de fierté et de joie pour la France entière. Parce qu’il vise le cœur, parce qu’il s’adresse non aux intérêts ni aux jeux de pouvoir, qu’il faut bien régler cependant, le Pape a comme réveillé, en tout cas, aidé à ce que vienne au jour et à la vue de tous la richesse intérieure de l’âme corse, ce que la catégorie de « dévotion populaire » traduit plus ou moins justement.

Le second est une visite que nous avons faite, le 9 décembre, le Pasteur Krieger, Mme Isabelle Veillet, le Grand-Rabbin Korsia, l’imam de la Grande Mosquée de Paris, Anthony Boussemart, co-président de l’Union bouddhiste, Carol Saba, représentant le Métropolite Dimitrios et moi-même, à un collège du Raincy. Avec l’aide de la rectrice, de la sous-préfète, d’un conseiller de l’Élysée, de l’inspectrice d’académie chargée de la laïcité, de l’inspecteur d’histoire et de géographie, de la principale du collège… nous avons rencontré les élèves d’une classe de 5ème et d’une classe de 4ème. Ils avaient lu la charte de la laïcité et ils avaient préparé des questions. Peut-on, selon vous, parler de tout en classe ? Peut-on changer de religion ? Chacun de nous répondait s’il le souhaitait, ce qui a donné des réponses un peu longues. Elles permettaient cependant de se rendre compte que nous étions tous d’accord pour définir l’école de la République comme un espace dont la neutralité devait être scrupuleusement respectée pour protéger la croissance de l’intelligence des élèves et donc leur possible liberté personnelle. Nous voulions encourager les élèves à avoir confiance en leur capacité à s’accepter et s’entraider tout en étant conscients de ce qui les différencie les uns des autres et d’avoir confiance en l’école aussi, qui leur apprend le sens critique afin qu’ils puissent faire des choix personnels éclairés. Plus qu’un discours et des interdits ou des exhortations, nous avions pensé que le spectacle de notre amitié pouvait les faire réfléchir et les encourager. Cette neutralité de l’école demande de la part des enseignants tout spécialement une vigilance très grande pour maîtriser leurs propos, ne pas blesser les sources spirituelles des enfants et des jeunes tout en les aidant à acquérir les outils de l’analyse et de la réflexion. Ayant grandi dans ces écoles de la République, je sais combien cette neutralité est précieuse et aidante. Pour nous, cependant, pour nous catholiques tout spécialement, la République se grandit en autorisant et en soutenant, pas seulement en tolérant du bout des doigts, un enseignement confessionnel qui, sur le fondement de sources spirituelles et culturelles assumées, fortifie les enfants et les jeunes vers l’ouverture à l’universalité de l’humanité et l’engagement au service de tous. Partant de la neutralité ou de la confession, le résultat doit être le même : aider les enfants et les jeunes à devenir des hommes et des femmes libres, capables de recevoir et de donner. La facilité de la rencontre du Raincy, son évidence, une fois qu’elle a été réalisée, fait espérer que ce modèle puisse se reproduire, que d’autres élèves puissent découvrir ensemble combien le dialogue entre les religions peut fortifier le lien social et la joie de dépendre les uns des autres.

Troisième signe, plus grave : le procès de Mazan. Il s’inscrit dans une série de faits qui ont fait prendre la mesure de l’ampleur des violences commises contre les femmes et aussi contre les enfants dans un pays qui se veut civilisé et éclairé comme le nôtre, un pays où les relations sociales sont censées être vécues sous le régime du respect de la liberté de chacun et de tous.. Il n’est plus possible aujourd’hui de traiter de tels faits comme une exception monstrueuse ; nous devons les regarder comme révélateur de conceptions enracinées que notre culture transporte sans le savoir.

Dans un registre différent mais non sans analogie, les responsables du Conseil des Églises chrétiennes de France se sont rendus, le 1er décembre, à Nantes, pour visiter les salles du musée de la ville consacrées à l’esclavage et le mémorial de l’abolition de l’esclavage. Nous avons fait cette visite, tous les trois, dans le prolongement d’une réflexion sur le racisme, toujours plus présent, au fond des attitudes, que l’on pourrait le penser.

Il est lugubre d’explorer ainsi les zones d’ombre de l’esprit humain. L’Église catholique a dû le faire et doit continuer ce travail, maintenant que le fait d’agressions sexuelles commises par des prêtres sur des mineurs et sur des femmes adultes ait devenu patent. L’espérance n’est pas que ces violences disparaissent comme par magie, ni même qu’elles s’atténuent par la peur de la sanction de la loi, bien nécessaire toutefois. L’espérance est que la sexualité soit mieux comprise et assumée, et que la position d’autorité ou de pouvoir soit mieux analysée aussi quant à la terrible tentation de domination qu’elle exerce, et cela parce que des relations tout autres, des relations de respect, de délicatesse, d’attention mutuelle, sont possibles et plus désirables encore que toutes les recherches de plaisir même partagé. Dans les relations entre hommes et femmes comme dans les relations entre adultes et enfants, des transformations sont désirables et possibles, des progrès, des approfondissements. Dans les relations aussi entre personnes d’origines ethniques ou culturelles différentes dont les ancêtres des uns ont été réduits par ceux des autres en instruments, l’espérance est que la richesse de l’humanité en sa diversité soit reconnue comme un don pour tous et que les cultures sont faites pour s’enrichir mutuellement. Nous ne pouvons plus être aussi naïfs et aussi aveugles que nous l’avons été mais le cynisme et la méfiance ne sont pour autant pas la seule voie possible. L’espérance de l’amour véritable qui rend chacun, chacune, plus vivant est ouverte.

L’espérance ne déçoit point parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous est donné

Enfin, permettez-moi de dire un mot encore des catéchumènes qui ont été baptisés à Pâques dernier. Ils ont été, vous l’avez lu ou entendu ou constaté, plus nombreux que jamais. Quelques explications ont été tentées. Pour ma part, ma joie à Reims a été de lire dans les lettres de beaucoup que la rencontre du Christ ou de son Église avait été pour eux l’occasion d’apprendre à aimer de manière nouvelle, se détachant ou étant détachés de la colère ou du ressentiment, apprenant à accepter autrui tel qu’il est et à se mettre modestementnt mais volontairement à son service. Plus que les nombres toujours mouvants et sujets à réduction, m’a impressionné la qualité de la charité ainsi décrite : « L’espérance ne déçoit point parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous est donné. »

Mesdames et Messieurs, chers amis, revenons un moment à Noël et à la mangeoire de Bethléem. Nous y découvrons un enfant remis entre les mains de celles et ceux qui l’entourent. Pour nous chrétiens, il est « Dieu avec nous », Emmanuel, Dieu fait homme, assumant notre nature sans rien perdre de la sienne. Car le plus haut nom de Dieu n’est pas « domination » ou « puissance » ou « royauté », mais « amour » et « communion ». Il ne commence pas sous nos yeux comme un bébé seulement parce qu’il faut un commencement à tout ici-bas, mais parce que, dans l’enfant dépendant de tous les autres se tient la promesse de renouvellement de l’humanité entière. L’espérance n’est pas seulement que les hommes peuvent se doter de conditions de vie meilleures, elle est aussi que l’humanité peut être renouvelée, transfigurée, comme Notre-Dame de Paris, si rassurante lorsqu’elle était sombre et grise, est devenue si encourageante, maintenant qu’elle est habillée de lumière et de couleurs. Que Noël soit pour chacune et chacun de vous, de quelque façon que vous le compreniez et le viviez, un moment de douceur, de réconfort, d’affection partagée, d’espérance obscure ou claire et que 2025 nous voit tous marcher sur les routes qui sont les nôtres en nous entraidant et en nous procurant les uns aux autres un peu ou beaucoup d’espérance.

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