Philippe, diacre engagé avec les plus pauvres

récollection des diacres, en novembre 2023

Ordonné diacre permanent pour le diocèse de Lyon le 16 juin 2018, Philippe Brès vit sa mission au service de la communauté du Sappel, auprès des exclus et des plus pauvres. Un chemin de vie, riche en humanité, plein d’espérance. Portrait. Par Florence de Maistre.

 “La présence d’un diacre aux côtés des personnes du Quart-Monde est très forte pour elles : c’est un signe de la présence de l’Église avec elle. Je porte aussi leurs paroles et leurs vies à la connaissance de l’Église, notamment au sein de la paroisse de Vénissieux. J’essaie de les mettre au centre du cheminement de l’Église comme nous y appelle le pape François”, indique Philippe Brès, 57 ans, responsable de la communauté du Sappel. La voix au timbre chantant dit quelque chose des origines provençales du diacre. Plus encore, elle donne un indice sur la personnalité chaleureuse, confiante et résolument engagée de Philippe. Marié avec Céline depuis plus de trente ans, tous deux ont quatre enfants de 23 à 30 ans et sont heureux grands-parents depuis décembre dernier. Après avoir habité six ans au sein du centre spirituel Saint-Hugues-de-Biviers (38) animé par la Communauté Vie Chrétienne (CVX) dont ils étaient membres, Philippe et Céline s’engagent en 2007 au service de la communauté du Sappel. Philippe est alors laïc en mission ecclésiale pour la catéchèse dans les familles du Quart-Monde. Depuis son appel au diaconat et son ordination en juin 2018, il vit sa mission dans le prolongement naturel de cette activité catéchétique, dans une grande unité de vie personnelle, professionnelle et familiale.

Philippe BrèsFondée en 1989 par deux couples anciens volontaires d’ATD Quart-Monde, le Sappel répond à l’appel des personnes en très grande précarité de vivre la foi, découvrir la Parole de Dieu, prier et partager le trésor de l’Église avec d’autres. La communauté compte aujourd’hui treize membres, quinze compagnons qui partagent la spiritualité du Sappel et des personnes du Quart-Monde en Église et au travail, et de nombreux amis qui participent aux groupes de prières, aux rassemblements, etc. La dernière rencontre festive a réuni 80 personnes en grandes difficultés venues de Lyon, Vienne et Saint-Étienne et autant de communautaires, compagnons et amis. La communauté de Chambéry touche également une quinzaine de personnes très pauvres. Une équipe est en train de se former à Reims.

Annoncer la Bonne Nouvelle à partir des plus pauvres

“Nous nous situons dans une fidélité dans le temps avec les personnes. Pour demeurer fidèles, nous ne donnons normalement ni nourriture, ni vêtement : nous proposons un chemin ensemble. Nous n’avons pas de lieu de vie commun, mais des maisons ouvertes pour des temps de rencontre et d’ateliers”, explique Philippe. Activités artistiques et spirituelles sont proposées tout au long de l’année et réunissent exclus et membres du Sappel autour d’un projet commun. Actuellement, un atelier chants rassemble une quinzaine de personnes : un concert est déjà prévu l’an prochain. Un autre groupe vient d’être lancé sur la Bible. Théâtre, peinture, poésie ont déjà vu de belles expériences se vivre avec succès.

“Après une réflexion de trois ans sur l’écologie intégrale, Clameur de la terre et clameur des pauvres, l’idée est née de peindre les sept jours de la Création sur des toiles rondes, comme la Terre : des tondos. Une huitième toile Destruction a été ajoutée au cycle, c’était au début de la guerre en Ukraine. Puis une neuvième dans laquelle les personnes partagent leur espérance : Renaissance, poursuit Philippe. Depuis septembre dernier, ces tondos sont exposés sous le titre La Terre et nous dans divers lieux d’Église. C’est à chaque fois pour les visiteurs l’occasion d’approfondir le sujet en lien avec les témoignages sensibles des personnes du Quart-Monde. Les rassemblements de rentrée et de fin d’année entre famille du Quart-Monde et amis de la communauté, avec autant de personnes pauvres que de riches, sont les grands temps forts de l’année, tout comme la retraite spirituelle d’été organisée dans une maison en haute montagne et le pèlerinage à Lourdes en lien avec le Réseau Saint-Laurent. Ce réseau rassemble une centaine d’associations présentes dans les diocèses en France. Particulièrement attentives aux différentes formes de pauvreté, elles cheminent dans la foi avec des personnes en précarité.

Par eux et avec eux

Autre particularité : Philippe visite les personnes chez elles une fois par mois pour établir le lien, découvrir leurs conditions de vie. “Il faut beaucoup de temps, de disponibilité à l’imprévu et d’énergie pour entrer en relation avec de nouvelles personnes, d’où l’importance de la vie communautaire qui nous soutient les uns les autres”, souligne le diacre. Porte fermée à l’heure du rendez-vous, troubles divers qui empêchent de voir du monde : la démarche n’est pas toujours aisée, ni de tout repos. Avec une psychologue, Philippe relit les rencontres, comprend mieux les réactions des personnes et ajuste son attitude d’accompagnement. “Ça nous décale d’une Église que l’on voudrait efficace et nous rapproche de celle de Jésus quand il vit sa Passion”, partage-t-il. Mais ce qui l’anime, ce qu’il apprend au contact des plus défavorisés, encourage chaque jour sa mission.

“En allant chez les gens, on apprend à mieux les connaître, à les comprendre. Favoriser la rencontre, partager la Parole de Dieu fait partie de notre ADN. À chaque fois, dans chaque activité, nous écrivons. Nous recueillons la parole des personnes. Ce que nous récoltons, nous le leur rendons aussi. Cela nous permet de redire ce qui a été partagé et de les honorer. Leurs paroles sont fortes, or leurs expériences de vie quotidienne ne sont jamais prises en compte”, rapporte le diacre. En paroisse dans ses homélies, il part toujours du quotidien de ceux qu’il côtoie. Il sait qu’il touche et rejoint ainsi de nombreuses personnes. Au niveau du diocèse, il trouve également l’occasion de relayer les mots de ceux qui n’ont d’habitude pas voix au chapitre, d’organiser même des rencontres.

En novembre dernier, la recollection des 70 diacres du diocèse de Lyon, accompagnés de leurs épouses, avait pour thème “Une fraternité à bâtir à partir des plus pauvres” et était animée par le P. François Odinet, théologien et enseignant aux Facultés Loyola de Paris. Elle s’est en partie déroulée dans une maison du Sappel située à Chuzelles, et a proposé des temps d’échange avec 50 personnes très pauvres et une vingtaine d’amis qui cheminent avec elles. “C’est important que les diacres sentent aussi les richesses, ce que l’on peut vivre avec les plus pauvres et l’infusent dans les paroisses. Cette expérience nous place au cœur de l’Église”, assure le responsable du Sappel. En lien avec les deux autres associations du Réseau Saint-Laurent présentes à Lyon, un livret de témoignages a été réalisé dans le cadre du lancement du synode sur la synodalité, partagé au niveau national et à Rome. Les paroles des pauvres sont encore confiées à des théologiens dans le cadre de leurs recherches.

Gestuer la Parole

Fin janvier et début février, trois universitaires sont venus à la rencontre de dix personnes du Quart-Monde et trois membres du Sappel pour un séminaire dialogal sur l’espérance et pour approfondir le passage de la Lettre de Saint Paul aux Romains, 5, 2-5. “Il faut entendre comment les personnes comprennent ces mots : Nous mettons notre fierté dans notre détresse !”, s’exclame Philippe. Le groupe a choisi la traduction proposée par l’association Parole et geste : elle permet de mémoriser les mots, grâce à leur mélodie et en les gestuant. C’est au centre Saint-Hugues, que Philippe découvre la gestuation de la Parole de Dieu. Cette façon de prier le touche, il perçoit de nouvelles résonances entre les différents livres bibliques et développe une autre forme de connaissance des Écritures. “J’aime beaucoup chanter et les gestes m’ont ouvert à la dimension corporelle de mon humanité, indissociable de ma personne toute entière, en apprenant par cœur et “par corps” la Parole. La gestuation a aussi une dimension communautaire : c’est ensemble que nous gestuons la Parole, que nous la commentons aussi, et cela construit une vie fraternelle. Les personnes du Quart-Monde, qui cumulent un grand nombre de précarité dans leur vie de misère, ont une forme de pensée et d’expérience de la vie très corporelle. Quand nous gestuons ensemble, elles se mettent d’emblée à gestuer sans connaître le texte, contrairement aux personnes qui ne vivent pas la précarité et qui ont une approche plus conceptuelle. La Parole les rejoint par le lien qu’elles font avec leur vie, vie dans laquelle elles sont engagées “à corps perdu”. C’est une de leur grande force de nous ramener à l’incarnation !”, développe le diacre. Ainsi, chaque groupe de prière, chaque rencontre en grand groupe débute par une gestuation. Philippe n’hésite pas non plus à proclamer l’Évangile de cette façon à la messe paroissiale, quand la traduction existe, et à proposer à l’assemblée de reprendre quelques expressions ou phrases ensemble pour mieux se l’approprier.

Nous avons tous les deux choisi la vie communautaire : nous portons la mission ensemble

Une école de la vie pour toute la famille

Avec l’expérience de la mission auprès des personnes en grande précarité, dans laquelle Philippe se donne à 100 %, qu’en est-il de la vie de couple et de famille du diacre ? Philippe s’inscrit toujours dans cette posture : essayer d’apprendre de l’autre. “C’est une joie et un beau chemin pour le couple. Nous avons tous les deux choisi la vie communautaire : nous portons la mission ensemble. Du fait de notre engagement, nos vies missionnaires et de couple sont très unifiées”, confie le diacre. Lieu de prise de recul sur la mission, partage, écoute et prière, Philippe et Céline sont membres d’une petite fraternité de diacres du diocèse de Lyon. Pour continuer à prendre soin d’eux, ils participent aussi au mouvement Vivre et aimer, où ils apprennent notamment à être attentifs à leurs émotions et à écouter l’autre jusqu’au bout. Et puis chacun poursuit ses activités et sa formation. Philippe, dans la gestuation et l’apprentissage du grec après l’hébreu. Céline déploie, quant à elle, des propositions de danses en cercle, très spirituelles, qui invitent chacun à oser vivre son rapport au corps.

Le Sappel organise encore chaque mois des journées en famille. Louise, Aurélien, Blandine et Martin, les enfants de Philippe et Céline, en étaient, plus jeunes, parties prenantes. Souvent, des enfants placés par l’aide sociale retrouvent là leurs parents ou grands-parents. “Il se vit beaucoup de joie à ces rencontres, même s’il est des moments difficiles et de grandes souffrances. Nous prenions le temps de relire ensuite la journée en famille. Ces rencontres ont sans doute coloré les choix de vie professionnelle de nos enfants. Je comprends que le partage de ces moments forts a été très marquant. Ces personnes nous déplacent et questionnent notre rapport aux règles. Un chemin de vie se dessine”, souligne Philippe. Le couple est encore soucieux de ses parents âgés et se déplace vers les uns du côté de Carpentras et les autres dans la Marne.

Un simple serviteur

Juste avant son engagement, Philippe goûte différemment le psaume 42 et ces mots “J’irai vers le Dieu de ma joie” dans lequel il voit Jésus en croix. “Je n’ai pas d’autre utilité que de rendre compte de la vie de ces personnes qui ne cessent de tomber, mais avec lesquelles nous arrivons petit à petit à bâtir des relations, une vie de souffrances et de très grandes joies. Ces personnes me font avancer dans la découverte de notre Dieu qui va jusqu’à mourir sur la croix”, partage Philippe. Cheminer avec elles, aller au bout de ce qu’elles portent notamment dans les réalisations artistiques, comprendre avec elles la Parole de Dieu, tels sont les moments heureux du diacre. “Voir comment le concret de leur vie rejaillit à la lecture de la Parole, comment des blessures remontent, et ce que les personnes expriment, permet d’éclairer les textes autrement et dit une proximité entre leur vécu et le chemin de croix de Jésus, ponctue Philippe. Autre joie impressionnante et manifeste : les rassemblements, où riches et pauvres sans nier leurs différences partagent ensemble, donnent un avant-goût du royaume.

Début février, lors de la célébration d’admission d’un compagnon du Sappel en vue du diaconat permanent, Mgr Loïc Lagadec, évêque auxiliaire de Lyon, a lancé : “Les diacres, ça ne sert à rien !”, avant d’esquisser “ça sert à faire le bien par la prière, la charité, le service de la diaconie”. “Ça me remet à ma place ! Tout ministre ordinaire est serviteur. Je fais simplement ce que j’ai à faire avec les plus vulnérables. Je vois combien ceux vers qui je suis envoyé sont aussi capables de m’enseigner par leur expérience de vie spirituelle. Voilà ce que je cherche à entendre et à comprendre”, commente Philippe. Ce qui encourage sa mission ? “Je suis toujours impressionné par la force de vie des personnes du Quart-Monde. Quand je les vois conserver la foi, dans toutes les épreuves qu’elles traversent, elles confirment que le Seigneur est avec nous ! Elles nous apprennent l’espérance dont notre monde a tant besoin !”

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