“Que chacun puisse vivre cette Église en sortie”
Sept mille personnes sont attendues à Marseille à l’occasion du rassemblement “Au large avec Ignace !”. Pendant les trois jours de la Toussaint, jeunes et aînés, religieux et laïcs s’apprêtent à vivre l’expérience de la famille ignatienne et l’audace d’une “Église en sortie”. Rencontre avec Anne Kerrand, religieuse xavière, et Catherine Leconte, mère de famille engagée au sein de la communauté vie chrétienne (CVX), toutes deux membres du comité de pilotage de l’évènement. Par Florence de Maistre.
Le rassemblement « Au large avec Ignace ! » débute ce 30 octobre, de quoi s’agit-il ?
Sœur Anne Kerrand : Il s’agit de rassembler tous ceux qui se reconnaissent de la spiritualité de saint Ignace. C’est notre deuxième grand rassemblement. Mais c’est d’abord un anniversaire : les 500 ans de la fameuse blessure d’Ignace à Pampelune. Un boulet de canon lui détruit une jambe, ce qui l’oblige à s’arrêter, à être soigné et vivre de longs mois de convalescence. Tout un chemin spirituel naît à la suite de cette blessure : il réfléchit à sa vie et ses choix, mets des mots sur ce qu’il ressent. Nous nous reconnaissons dans cette manière qu’a Ignace d’écouter ce qui se passe en lui, ce qui lui procure de la joie, de la tristesse ou du dégoût. C’est à l’écoute de ces mouvements intérieurs qu’il trouve un chemin de vie, reconnaît ce que le Seigneur veut pour lui.
Catherine Leconte : Oui, nous fêtons l’anniversaire de la conversion de saint Ignace et également les 400 ans de la canonisation de saint François-Xavier. Notre premier grand rassemblement était à Lourdes en 2006, depuis nous avons une envie folle de nous retrouver en famille ! Nous partageons la même spiritualité, recherchons la présence de Dieu dans la vie quotidienne, pratiquons les exercices spirituels. La famille ignatienne réunit des mouvements comme CVX et le MCC (mouvement chrétien des cadres et dirigeants), des religieux et des religieuses, la communauté du Chemin neuf, des établissements scolaires, le Mej (mouvement eucharistique des jeunes), le réseau Magis (pour les 18 – 35 ans) et bien d’autres encore ! Finalement c’est une grande cousinade que nous allons vivre !
En quoi ce rassemblement est-il important ?
AK : Nous avons une joie réelle et vraie de nous retrouver. Au-delà de ça, au regard du monde et de l’Église, nous avons besoin de vivre une expérience d’Église entre Ignatiens. Nous allons réfléchir à notre manière de l’être aujourd’hui. Le pape François nous appelle à être une Église en sortie : c’est bien ce que l’on désire vivre ! Nous allons nous rendre dans les rues de Marseille, à la rencontre des habitants et des initiatives locales. C’est une manière de reconnaître Dieu à l’œuvre dans le monde. Nous avons envie d’être à l’écoute pour mieux entendre les appels du Seigneur, approfondir notre place dans le monde. Nous sommes sur cette dynamique d’aller vers les autres, réfléchir ensemble et partager nos expériences.
CL : Nous avons des sensibilités différentes et l’envie de nous mêler les uns avec les autres. Pour la déambulation dans Marseille, nous avons pris soin de mixer les équipes. Des temps communs de partage sont prévus pour nous unifier et faire connaissance tout au long de ces trois jours. Des temps pour chaque branche sont également au programme, dont le congrès de CVX et celui du MCC.
AK : Dimanche après-midi nous vivrons le festival de la famille ignatienne afin de partager nos richesses au cours d’ateliers et de conférences. Chacun présentera sa manière d’être au monde, ses lieux d’insertion, son rapport à la question écologique, ses expériences, sa manière d’accompagner, de former, d’aider les jeunes aujourd’hui à prendre leur place dans la société, de soutenir les familles. D’autres interventions seront plus informatives sur telle ou telle congrégation. Ce festival est un temps de rencontre gratuit pour se reconnaître et s’enrichir mutuellement.
Quels sont les autres temps forts du programme, d’où vient le choix de Marseille ?
CL : Il y a six ans, lors du dernier congrès CVX à Cergy-Pontoise, nous avions annoncé la prochaine ville : Marseille. C’est une première ! La famille ignatienne a souhaité se retrouver là aussi pour vivre ce grand rassemblement.
AK : Toute la famille est attirée par le côté très cosmopolite de Marseille, son brassage culturel, sa grande pauvreté comme on l’a récemment vu dans l’actualité mais qui fourmille aussi d’initiatives. Une ville qui envoie et invite au large. Les déambulations du samedi après-midi seront un moment fort. Les 7000 participants, répartis en équipe, auront une feuille de route. Il s’agit d’ouvrir les yeux, sentir, regarder, écouter. S’arrêter sur un détail architectural ou boire un pastis ! Plonger dans la ville, se laisser déplacer et surprendre. En fin d’après-midi, nous nous retrouverons pour poser un geste mémoriel en cette avant-veille de Toussaint. Au sortir de la crise du covid, avec tout ce qui se passe au niveau des migrants, suite au rapport Sauvé, nous ferons, au cœur de la ville et face au grand large, mémoire de tous ces morts et de toutes ces victimes en exprimant quelque chose de notre espérance.
CL : Nous irons ensuite goûter les spécialités du terroir sur le vieux port. Les restaurateurs sont très sensibles au fait que l’on soit venu vers eux, avec notre envie de partage et de soutien, après les épreuves des derniers mois. Une chose est sûre : notre démarche interpelle beaucoup ! Après le dîner, nous proposons une quinzaine de soirées à thème dans les paroisses ou au jardin du pharo. Celle intitulée “quels visages d’Église pour demain” est la plus demandée. Il y a aussi la pièce de théâtre “1001 xavières” montée à l’occasion du centenaire de la Xavière et rejouée pour nous. Également différentes tables rondes sur l’écologie intégrale ou le dialogue islamo-chrétien par exemple. Et encore un concert de Diony’s voice, ces jeunes de Seine Saint-Denis qui chantent du gospel et du jazz.
AK : Dimanche, nous nous rendrons dans les communautés de Marseille pour une “hospitalité eucharistique” dans une vingtaine de paroisses. La messe célébrée depuis l’église Saint-Ferréol sera retransmise en direct dans Le Jour du Seigneur sur France 2. Après le festival de la famille ignatienne de l’après-midi, la soirée anniversaire nous réunira autour d’un grand spectacle qui donne à entendre et voir la vie de saint Ignace.
Qu’est-il prévu pour fêter la Toussaint ?
AK : Le dimanche se terminera par la vigile de la Toussaint avec une prière connectée [via YouTube] pour permettre à tous ceux qui le souhaitent de nous rejoindre. En rendant grâce, nous nous préparerons à entrer dans la fête de tous les saints. Le 1er novembre au matin, nous nous retrouverons au parc Chanot et la journée débutera par un temps de relecture. Chacun pourra revenir sur ce qu’il a vécu d’important, ce qui l’a surpris, déplacé, avec quels appels il repart. Le P. Arturo Sosa sj, supérieur général des jésuites interviendra. La messe solennelle sera en direct sur KTO TV et présidée par Mgr Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille. Nous fêterons tous ceux et celles qui nous inspirent pour être heureux dans ce monde et nous appellent à la sainteté.
Quels sont les points d’attention du comité de pilotage du rassemblement ?
AK : Nous sommes au service de la réussite du rassemblement et souhaitons que chacun y trouve sa place. Nous sommes vigilants quant à la présence de jeunes et d’aînés et souhaitons honorer cette dimension intergénérationnelle. Aussi, pour les enfants comme pour les personnes à mobilité réduite, nous avons adapté la déambulation dans la ville de façon à ce que chacun puisse vivre quelque chose de cette Église en sortie selon ses possibilités. C’est ce visage d’Église que nous voulons vivre entre nous et manifester.
CL : C’est une attention de chacun d’entre nous pour chaque compagnon et pour le bon déroulement des trois jours. Nous essayons de tout concilier en tenant compte des contraintes sanitaires, c’est un respect pour chacun.
AK : Le comité de pilotage est entré dans la dynamique de préparation du rassemblement depuis deux ans. C’est une sacrée aventure ! Qu’elles qu’étaient les incertitudes, nous avons toujours choisi d’avancer jusqu’au bout. C’est une dynamique de l’espérance ! Ce rassemblement est important, il a du sens. Nous avons utilisé tous les moyens possibles.
Qu’est-ce qui vous touche déjà ?
CL : Depuis le début, je suis marquée par le nombre de personnes attendues : ce n’est pas une paroisse que nous rassemblons, mais la France toute entière, ainsi que des Belges et des Luxembourgeois, soient 5 000 adultes et 2 000 jeunes ! L’infrastructure mise en place est importante aussi, nous ne louons pas un mais trois halls du parc des expositions ! Cela nous entraîne bien au-delà de nos cercles ecclésiaux habituels. Je suis également marquée par toutes les rencontres avec différentes personnes plutôt éloignées du domaine religieux, non chrétiennes, et qui perçoivent bien nos demandes. Notre projet repose sur une toute petite équipe. Nous avons été forcés à faire appel à d’autres cousins et cousines. Une vingtaine d’équipes marche déjà avec nous, soit près de deux cents bénévoles. Nous sommes tous en chemin.
AK : La collaboration entre les six membres du comité de pilotage n’est pas toujours simple, mais nous avons une volonté commune de faire réussir ce rassemblement. Nous ressentons ce même élan avec les bénévoles. Je suis très touchée par le travail de réflexion, qui nous a permis de revenir sur une idée, de se demander pardon, de construire ensemble. Je suis très heureuse de vivre ça, c’est une expérience d’Église forte. Nous n’avons pas tout décidé seuls, nos idées ont été validées par le conseil des représentants de la famille ignatienne qui nous indiquait son accord ou nos fausses routes. C’est une très belle expérience de dialogue, de prise de décision, de renoncement et d’ajustement…
CL : D’abandon aussi.
Que retenez-vous du premier rassemblement à Lourdes en 2006 ?
CL : Je retiens surtout la fraternité vécue et la connaissance des autres mouvements laïques, ainsi que des nombreuses congrégations animées par la spiritualité de saint Ignace. La chaleur humaine et la simplicité des contacts.
AK : Lors de ce premier rassemblement nous avons fait l’expérience de nous constituer en famille. Il y a depuis de belles remontées dans les diocèses. Nombreux sont ceux qui fêtent désormais ensemble la saint François-Xavier, le 3 décembre. Nous avons appris à nous connaître et à nous appeler les uns les autres pour œuvrer en commun. C’est un très beau fruit. Des initiatives communes se poursuivent en famille. Nous sommes véritablement devenus “Amis dans le Seigneur”, comme le thème du rassemblement nous y invitait.
Qu’attendez-vous de cette nouvelle édition ?
CL : Du soleil ! Que tous les participants profitent de ce temps fort, qu’ils se nourrissent de la proposition et de la ville de Marseille. À noter, la présence des jeunes est pour nous tous importante. Ils vont avoir leur parcours, leur manière de vivre le rassemblement. Ils ont dit oui, nous venons : avec leurs exigences, ils nous mobilisent.
AK : Je souhaite que nous vivions pleinement cette Église en sortie. J’espère que tous nos amis dans le Seigneur découvrirons cette joie, la grâce d’un cœur large et généreux. Nous n’avons pas tous la même façon de voir, même en Église, mais nous sommes ensemble tournés vers la même espérance, avec le même amour du Seigneur. Ouvrons-nous largement pour aller aux périphéries, découvrons ce qui se passe de beau et soyons des témoins.
La famille ignatienne
C’est autour de la figure de saint Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus (les Jésuites) que les membres de la famille ignatienne, religieux et laïcs, jeunes et adultes se reconnaissent. Une trentaine de congrégations, communautés, associations et mouvements, mais aussi établissements scolaires, œuvres caritatives et centres spirituels forment cette grande famille qui vit, dans cette grande diversité et chacun à sa manière, la spiritualité de saint Ignace pour chercher et trouver Dieu en toutes choses. Le premier grand rassemblement de la famille ignatienne s’est tenu à Lourdes en 2006 avec 10 000 participants.
“Tout d’abord il convient d’observer deux choses. La première est que l’amour doit se mettre dans les actes plus que dans les paroles. La seconde : l’amour consiste en une communication réciproque ; c’est-à-dire que celui qui aime donne et communique à celui qu’il aime ce qu’il a, ou une partie de ce qu’il a ou de ce qu’il peut ; et de même, à l’inverse, celui qui est aimé, à celui qui l’aime.” Ignace de Loyola, Exercices spirituels 230-231