Père Jean-Joseph Lataste (1832-1869)
Le Bon Pasteur des « pécheresses »
Par Chantal Joly, avec la contribution de Sœur Marie-Ange des Dominicaines de Béthanie.
Déclaré vénérable 1er juin 2007 par le pape Benoît XVI, béatifié le 3 juin 2012, « l’apôtre des prisons » n’a sans doute pas la postérité humaine qu’il mériterait. Tant cette belle figure de Dominicain réussit à fonder, dans son Eglise, une Œuvre qu’on pourrait qualifier d’évangéliquement révolutionnaire. Il est très difficile, en effet, de se représenter à quel point son intuition : instaurer une vie fraternelle entre d’anciennes détenues et des femmes sans passé judiciaire, fut en son temps novatrice et même carrément utopique dès lors qu’il les autorisait à rejoindre la vie religieuse. « Pénitentes ou immaculées, justifiait-il, Jésus ne pèse les âmes quelles qu’elles soient, qu’au poids de leur amour ».
La vocation du Gascon débute pourtant de manière relativement ordinaire pour l’époque. Elevé entre un propriétaire de vignobles libre-penseur et une mère pieuse, Alcide n’a que 7 ans lorsqu’il confie qu’il veut devenir prêtre. A 9 ans, il entre au petit séminaire de Bordeaux mais renonce au sacerdoce à l’adolescence. Il entre alors dans l’administration des impôts tout en se dévouant intensément au sein des Conférences Saint Vincent de Paul, dans les villes où il exerce son métier. Il pratique alors avec ses compagnons l’adoration nocturne du Saint Sacrement et régulièrement faire acte de donation totale à la Vierge. Il prie et il agit.
A Privas (07) où il est muté en 1853, le jeune homme, âme sensible et pétrie d’absolu, rencontre l’amour en la personne de Léonide Cécile de Saint-Germain, 16 ans. Mais son père s’oppose à leur union et, en 1855, sa fiancée, qui restera à jamais « sa sœur des Anges », décède, peu de temps après deux personnes qui lui étaient très chères : sa sœur Rosy (sa marraine et confidente) et sa nourrice. Il ne lui reste que Dieu. Il va tout lui donner.
Guidé par Lacordaire, il entre en 1857 dans l’Ordre dominicain et c’est en prêchant une retraite aux détenues de la prison de Cadillac, sa ville natale, que Frère Jean-Joseph reçoit ce qu’il nommera « Une œuvre tombée du cœur de Dieu ». Aucun orgueil de fondateur chez cet humble, cet obéissant, qui ne devient un ardent défenseur de son projet d’une « Œuvre des Réhabilitées » (nom d’une brochure qu’il publie et envoie à des personnalités) qu’au nom de la certitude que s’il a été « la pioche, une main mystérieuse à travaillé, labouré, semé ».
Familier de la Bible, habité par la compassion et la miséricorde, le Dominicain a été profondément marqué par ses années passées à Saint Maximin, dans le Var. « Là, à la Sainte-Baume, il a la certitude que la sainteté peut jaillir en chacun, même au fond des gouffres du mal… ». Le visage de Marie-Madeleine, la pécheresse repentie, ne cesse d’être présent à sa pensée lorsqu’il visite le plus souvent possible, à Frasne-le Château, dans le diocèse de Besançon, la première maison de Béthanie (du nom du village où habitaient Marthe et Marie).
Épuisé, malade, il y meurt de tuberculose pulmonaire à 36 ans, en demandant de prier pour ses détracteurs et en leur pardonnant.
Décapés du style emphatique qui est la marque du siècle, ses nombreux écrits, bien éloignés du moralisme et des préjugés d’alors, méritent d’être lus. Par exemple ce passage : « Je sais une plaie saignante de la société et celle-là, nulle main pour la panser […] Ces femmes, elles ont failli autrefois, la justice les a frappées d’un arrêt mérité ; mais ramenées au devoir par la souffrance et l’expiation, la justice ne les a pas relevées comme elles le méritaient ». Des femmes qu’il nomme « mes chères sœurs, mes sœurs en Adam, mes sœurs en Jésus-Christ » …
Citations extraites de Le bienheureux Marie Jean-Joseph Lataste, apôtre des prisons, fondateur de Béthanie de Robert et Claude Evers (Ed Cerf, 2012, 394 p) et de Prier 15 jours avec le père Jean-Joseph Lataste, dominicain, « apôtre des prisons » de Monique Longueira (Ed Nouvelle Cité, 2012, 127p).
Les Sœurs de Béthanie
La Congrégation, de forme de vie contemplative-apostolique, co-fondée avec le concours de Mère Henri-Dominique, est affiliée à l’ordre de Saint Dominique. La première communauté s’est installée à Montferrand-le-Château le 28 janvier 1870. Les restes du Père Lataste furent transférés dans la maison-mère selon le désir qu’il avait exprimé. La congrégation compte actuellement deux couvents en France, un en Italie et un en Suisse.