Mgr Claudio Maria Celli: « La question de Dieu dans l’univers numérique »

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L »Instrumentum laboris’, rédigé par le secrétariat général du  synode des évêques en vue des travaux de la prochaine assemblée générale ordinaire, consacre quatre paragraphes (59-62) au thème des médias dans le contexte de la nouvelle évangélisation, avec un titre très significatif : « Les nouvelles frontières de la communication ».

Le document reconnaît  que le monde actuel de la communication « offre de vastes possibilités et représente l’un des grands défis pour l’Eglise » (n.59), que les « les nouvelles technologies numériques ont donné naissance à un véritable nouvel espace social, dont les liens peuvent avoir une influence sur la société et sur la culture » (n.60) et que « la perception que nous avons de nous-mêmes, des autres et du monde dépend de leur influence » (n.60).

La conscience est donc claire que nous sommes face à une culture – les récentes interventions du magistère pontifical parlent précisément d’« une culture numérique » – qui découle des nouvelles technologies  de la communication et représente un grand défi pour la communauté ecclésiale.

Comme durant les travaux de la prochaine Assemblée générale ordinaire du Synode coïncident avec le 50ème anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II, il me semble non seulement intéressant, mais nécessaire d’en référer, tout d’abord, au document fondateur de la réflexion ecclésiale sur les moyens de communication sociale, notamment le décret conciliaire « Inter Mirifica », approuvé le 4 décembre 1963.

Les pères conciliaires, notant qu’il s’agit de « merveilleuses découvertes techniques », qui, « plus directement, touchent les facultés spirituelles de l’homme et offrent des possibilités élargies de communiquer très facilement des nouvelles de tout genre, des idées, des enseignements. » (n.1), sont également largement conscients de devoir traiter avec des « moyens qui, de par leur nature, sont aptes à atteindre et à influencer non seulement les individus, mais encore les masses comme telles, et jusqu’à l’humanité tout entière » (n.1) et qui « contribuent, en effet, d’une manière efficace au délassement et à la culture de l’esprit, ainsi qu’à l’extension et à l’affermissement du règne de Dieu. » (n.2).

Dans cette perspective, le décret stipule que « l’Église catholique estime est de son devoir, d’employer aussi les instruments de communication sociale pour annoncer le message du salut et d’enseigner aux hommes le bon usage de ces moyens. » (n.3).

Cette vision instrumentale des médias prévaudra les années suivantes dans l’enseignement du Magistère, c’est-à-dire l’instruction pastorale sur les communications sociales « Communio et Progressio » publiée par la Commission Pontificale pour les Communications Sociales, le 23 mars 1971, l’instruction pastorale « Aetatis Novae » publiée par le Conseil Pontifical des Communications Sociales – c’est le nouveau nom – le 22 février 1992 et les diverses interventions du pape Paul VI.

Il suffit de rappeler, à cet égard, un passage  important de l’Exhortation Apostolique « Evangelii Nuntiandi » où le pape Paul VI, se référant aux médias, dit que « mis au service de l’Evangile, ils sont capables d’étendre presque à l’infini le champ d’écoute de la Parole de Dieu, et ils font arriver la Bonne Nouvelle à des millions de personnes. » (n.45). La question est si grave et fondamentale pour la communauté des disciples du Seigneur que le pape reconnaît sans difficulté que « l’Eglise se sentirait coupable devant son Seigneur si elle ne mettait pas en œuvre ces puissants moyens que l’intelligence humaine rend chaque jour plus perfectionnés. C’est par eux qu’elle « proclame sur les toits » le message dont elle est dépositaire. En eux elle trouve une version moderne et efficace de la chaire. » (n.45).

Une grande partie du monde de la communication va changer radicalement avec la découverte et la diffusion à grande échelle de nouvelles technologies engendre selon les experts une réelle culture par-delà l’aspect instrumental.

Les deux derniers papes, le Bienheureux Jean-Paul II et Benoît XVI mettront alors en évidence ce qui s’est passé dans le domaine des communications en soulignant avec lucidité pastorale, les défis conséquents et les opportunités pour l’action évangélisatrice de l’église.

Le Bienheureux Jean Paul II, dans la lettre apostolique « Le Progrès rapide » (2005), fait remarquer que: « les moyens de communication sociale ont atteint une telle importance qu’ils sont pour de nombreuses personnes les instruments principaux pour guider et inspirer les comportements des individus, des familles et des sociétés. Il s’agit d’un problème complexe, parce qu’une telle culture, au-delà des contenus, naît du fait même qu’il existe de nouveaux moyens de communication utilisant des techniques et des langages  inédits. » (n.3).

Par conséquent, « l’Eglise (…)n’est pas appelée seulement à utiliser les médias pour diffuser l’Évangile mais, aujourd’hui plus que jamais, à intégrer le message salvifique dans la ‘nouvelle culture’ que ces puissants instruments de la communication créent et amplifient. Elle reconnaît que l’utilisation des techniques et des technologies de la communication contemporaine fait partie intégrante de sa mission spécifique dans le troisième millénaire. » (ibid., n.2).

Dans ce même sens que s’oriente le magistère du Pape Benoît XVI, qui écrit dans son message pour la 43ème Journée Mondiale des Communications Sociales (2009) : « engagez-vous à introduire dans la culture de ce nouvel espace communicatif et informatif les valeurs sur lesquelles repose votre vie! » et en référence à la question délicate des rapports entre l’évangélisation et les nouveaux langages, il ajoute : « au début de l’Église, les Apôtres et leurs disciples ont répandu la Bonne Nouvelle de Jésus dans le monde gréco-romain : comme alors, pour être fructueuse, l’Évangélisation requérait la compréhension attentive de la culture et des coutumes des peuples païens afin d’en toucher les esprits et les cœurs, de même, à présent, l’annonce du Christ dans le monde des nouvelles technologies suppose une connaissance approfondie pour une utilisation cohérente et adéquate ».

Ces textes du Magistère, ci-dessus mentionnés, aident à comprendre que la mission évangélisatrice va bien au-delà de la seule capacité technologique – communicative, aussi moderne et sophistiquée soit-elle.

Le pape Paul VI nous rappelait déjà que « pour l’Eglise, le témoignage d’une vie authentiquement chrétienne, livrée à Dieu dans une communion que rien ne doit interrompre mais également donnée au prochain avec un zèle sans limite, est le premier moyen d’évangélisation. » (EN, n.41).

Toutefois, Paul VI faisait observer en même temps que « cette question du  » comment évangéliser  » reste toujours actuelle parce que les façons d’évangéliser varient suivant les diverses circonstances de temps, de lieu, de culture, et qu’elles offrent par là un certain défi à notre capacité de découvrir et d’adapter. A nous spécialement, Pasteurs de l’Eglise, incombe le souci de recréer avec audace et sagesse en toute fidélité à son contenu, les modes les plus adaptés et les plus efficaces pour communiquer le message évangélique aux hommes de notre temps. » (EN, n.40).

Aujourd’hui encore, je crois que l’audace et sagesse sont nécessaires dans notre ministère pastoral pour trouver d’autres issues et la capacité d’utiliser les nouveaux langages afin d’évangéliser dans un contexte où la personne humaine est envahie de messages ou encore de tant de réponses à des questions qu’il ne s’était même pas posées.

La recherche constante de la vérité, qui constitue la dimension la plus authentique de la dignité humaine, doit se frayer un chemin à travers le foisonnement d’informations, qui assaillent l’homme contemporain dans son voyage existentiel.

C’est aussi la quête, parfois douloureuse, de Dieu et comme le Pape Benoît XVI: « comme premier pas de l’évangélisation, nous devons chercher à garder cette recherche vivante; nous devons nous soucier que l’homme ne mette pas de côté la question de Dieu comme question essentielle de son existence. Nous devons nous soucier qu’il accepte cette question et la nostalgie qui se cache en elle. » (Discours à la Curie Romaine, 21 décembre 2009 ).

Il me semble que, d’une manière très appropriée, l »Instrumentum laboris’ affirme à cet égard: « les communautés chrétiennes ont ensuite pu apprendre que, de nos jours, la mission n’est plus un mouvement Nord-Sud, ou encore Ouest-Est, car il est devenu nécessaire de se dégager des frontières géographiques. (…) Se libérer des frontières signifie avoir les énergies nécessaires pour poser la question de Dieu dans tous les processus de rencontre, de mélange, de reconstruction des rapports sociaux qui sont en cours en tous lieux. » (n.70).

Dans ce domaine, comme je le disais plus haut, les nouvelles technologies de la communication jouent un rôle particulier, donnent lieu à une véritable culture, favorisant ainsi la configuration d’une société caractérisée par le phénomène de la mondialisation.

A partir du moment où la foi est une rencontre personnelle avec Jésus Christ, l’évangélisation doit prêter une attention particulière à la situation concrète et singulière du destinataire de l’annonce, dans le respect de la primauté absolue de la relation avec la personne. Dans ce contexte, je pense qu’il est bon de rappeler l’importance des divers langages avec lesquelles nous sommes appelés à proclamer l’Évangile à l’homme d’aujourd’hui, dans la prise de conscience douloureuse que, peu à peu, les générations futures – particulièrement sur le continent européen -grandiront sans connaître les contenus fondamentaux de l’annonce évangélique et le symbolisme chrétien également.

Quel langage utiliser pour que Jésus Christ soit annoncé à l’homme d’aujourd’hui et puisse donc interpeller le cœur de tout être humain ? Je pense que c’est un des défis les plus importants et urgents pour la mission salvifique de l’Eglise dans le monde actuel.

Le caractère éminemment interpersonnel de l’évangélisation et le témoignage tout azimut, semblent à première vue deux aspects fondamentaux de cette mission de l’église en conflit avec ce qui caractérise le monde de la communication. La dimension numérique épouse mal le caractère concret lié à l’évangélisation, et on peut en dire autant de la perspective globalisante quasi impersonnelle du réseau qui semble être en contraste avec les nécessaires dimensions personnelles – nous parlons de cœur, d’esprit – de la relation de l’être humain avec Dieu en Jésus-Christ.

Je ne nie pas qu’il y ait une part de vérité dans certaines positions et critiques envers les nouvelles technologies -l’ ‘Instrumentum laboris’ mentionne certaines limites au n.62 – mais il est tout aussi vrai qu’ils ont considérablement augmenté les capacités cognitives et relationnelles des êtres humains et les réseaux sociaux sont l’environnement existentiel de centaines de millions de personnes, connectées à Internet.

Quelle opportunité et quel défi pour la communauté des croyants en Christ, qui a dans les mains la parole de vie !

C’est pourquoi reste pressante cette invitation adressée par le Pape Benoit XVI dans son message pour la Journée Mondiale des Communications Sociales en 2010: «Le développement des nouvelles technologies et, dans son ensemble, le monde numérique représentent une ressource précieuse pour toute l’humanité et pour l’homme dans la singularité de son être, de même qu’une stimulation pour la rencontre et le dialogue. Mais ils se présentent, aussi, aux croyants comme une grande opportunité. Aucune route, en effet, ne peut et ne doit être fermée à qui, au nom du Christ Ressuscité, s’engage à se faire toujours plus proche de l’homme. Les nouveaux médias, par conséquent, offrent avant tout aux prêtres des perspectives toujours nouvelles et pastoralement immenses, qui les poussent à mettre en valeur la dimension universelle de l’Église, pour une communion vaste et concrète ».

Je crois que le Pape est très clairvoyant sur les limites des nouvelles technologies et sur certaines de leurs influences négatives sur la jeunesse en particulier, pourtant sans crainte il invite même au contraire l’Eglise « à exercer une ‘diaconie de la culture’ sur le ‘continent numérique’ aujourd’hui.(…) Avec l’Evangile dans les mains et dans le cœur, il convient de réaffirmer qu’il est temps aussi de continuer à préparer les chemins qui mènent à la Parole de Dieu, sans négliger de dédier une attention particulière à qui se trouve dans une situation de recherche, et plus encore de la tenir en éveil comme premier pas de l’évangélisation ».

Et la réflexion du Pape en arrive à prévoir la mise en œuvre d’une « pastorale dans le monde numérique », qui est appelée « à tenir compte aussi de ceux qui ne croient pas, sont découragés et ont dans le cœur des désirs d’absolu et de vérité immuable, puisque les nouveaux moyens permettent d’entrer en contact avec des croyants de toute religion, avec des non-croyants et des personnes appartenant à d’autres cultures ». (Message pour la 44ème Journée Mondiale des Communications Sociales 2010)

Fidèle à cette ligne le pape se demande – usant d’une image audacieuse mais significative – si le web ne peut pas créer un espace- comme la Cour des gentils, du Temple de Jérusalem – dédié même à ceux pour qui Dieu est encore une inconnue. (cf. Message pour la 44ème Journée Mondiale des Communications Sociales 2010)

Les textes du Magistère Papal que nous venons juste de rappeler constituent des paroles pastoralement éclairantes qui, à la veille des travaux du prochain Synode, peuvent aider à penser avec « audace et sagesse », le grand défi des nouvelles technologies de la communication pour l’évangélisation, en discernant justement les grandes opportunités.


S. E. Mgr Claudio Maria CELLI

 source : PCCS.VA

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