A propos des nanotechnologies et de la bioéthique
Par Jacques Bordé le mercredi 07 juillet 2010
Les nanotechnologies concernent de nombreux secteurs d’activité. Les attentes qui en découlent sont très importantes notamment dans le domaine médical où certaines de ces techniques sont déjà utilisées. Cependant, les possibilités qu’elles ouvrent réellement sont encore méconnues. De ce fait, un effort d’anticipation est nécessaire pour analyser les questions éthiques sous-jacentes. Eléments de réponse avec Jacques Bordé, ancien Directeur de recherche au CNRS et collaborateur du Comité d’éthique des sciences du CNRS.
La question de l’homme « augmenté » ou modifié
Parmi les applications potentielles considérables des nanotechnologies au domaine de la santé, il est difficile de séparer les technologies qui permettent de réparer l’homme malade de celles qui permettent d’améliorer l’homme bien portant : la dérive entre le soin et le dopage est floue. En conséquence, les bio-nanotechnologies posent des questions éthiques qui vont au-delà des questions bioéthiques traditionnelles posées par les nouvelles possibilités de diagnostique et de thérapeutique. Les nanotechnologies, en manipulant la matière à l’échelle des molécules biologiques et en construisant des systèmes artificiels de la taille des tissus vivants, vont remettre profondément en question les frontières entre le naturel et l’artificiel, entre le vivant et l’inerte. Cette hybridation « naturel/artificiel » peut conduire à un couplage homme/machine extrême qui doit interpeller notre réflexion autour de l’intégrité physique de l’homme. Les implants de toute sorte que promettent les nanotechnologies vont-ils donner naissance à un homme plus performant physiquement et mentalement, comme certains le souhaitent, créant ainsi des catégories d’individus plus ou moins « améliorés » et une dépendance à la technologie qui pourrait devenir insupportable ? Quel est le vrai but de cette « augmentation » de l’homme ? La préparation à la guerre ? La compétition économique ? La recherche de l’homme parfait ?….
Au-delà de ce dopage individuel à court terme se posent les questions à plus long terme de l’évolution de l’espèce humaine : d’une part, l’utilisation de machines peut atrophier certaines capacités humaines à force de ne plus s’en servir (perte du sens de l’orientation avec le GPS par exemple), d’autre part la tentation a été exprimée de remplacer l’évolution Darwinienne aléatoire et lente par une action technologique dirigée vers la mutation de l’espèce ; certains courants de pensée y voient le salut de l’humanité. On peut aussi imaginer d’aller vers une « fabrication » de l’embryon, donc de l’homme, quasiment atome par atome. La frontière entre optimisation et transgression est fragile. Rien même ne dit, s’il devait y avoir des mutations, que l’on donnerait naissance à une seule espèce ou à plusieurs. En fait on parle d’augmentation physique et mentale alors que le plus urgent est sans doute une amélioration morale de l’homme et il y a place pour cette amélioration sans qu’il soit nécessaire de changer l’homme par la génétique ou par une aide technologique extérieure. Ne cédons pas à cette solution de facilité qui consiste à penser qu’il suffira de moyens techniques accrus pour devenir meilleur ; l’homme a besoin de devenir plus humain avant d’envisager d’être post-humain.
La nécessité d’une réflexion éthique
L’éthique consiste donc à réfléchir, en amont des Lois, à la façon de vivre ensemble avec cette nouvelle puissance technique, le plus en amont possible et avec tous les acteurs concernés. Veillons à ce que le développement technoscientifique conduise effectivement les hommes à vivre dans une société où les valeurs humanistes pourront s’épanouir, où l’autonomie de l’individu, sa liberté de décision, sa dignité ne seront pas entravées par un univers technologique dans lequel il ne serait plus qu’une machine parmi d’autres, dans lequel il n’agirait plus qu’en fonction de ce que les machines décideraient pour lui. Il n’en serait pas forcément plus malheureux mais il est nécessaire de s’interroger, avant d’en arriver là, sur le type de rapports que l’homme souhaite avoir avec la technique, avec une technique hyper-puissante qui, s’il n’y prend garde, pourrait lui créer davantage de faux besoins qu’elle n’en résoudrait de réels. Les outils et les machines sont un peu comme l’argent : ils ne font pas le bonheur des hommes mais ils peuvent y contribuer ; en faire une utilisation irréfléchie, sans l’accompagnement de valeurs éthiques solides, présente le risque d’être néfaste à terme.
Conclusion
Ce questionnement éthique est d’autant plus essentiel et urgent que les technologies en émergence promettent d’être puissantes, que le développement est rapide et apparaît comme irréversible, ce qui est le cas des nanotechnologies. Le pouvoir de la technologie pourrait alors se retourner contre l’homme si celui-ci ne décidait pas assez tôt et avec assez de sagesse, de ce qu’il convenait de faire ou de ne pas faire avec ce pouvoir, c’est-à-dire de la finalité réelle de la course effrénée au développement technologique qu’il mène (ou qui le mène ?). (1)
Jacques Bordé
Physicien, ancien Directeur de recherche au CNRS et collaborateur du Comité d’éthique des sciences du CNRS
(1) Les enjeux éthiques soulevés par les nanotechnologies ont été analysés par le rapport n°2235 de la mission d’information parlementaire, déposé le 20 janvier 2010 en vue de la révision des lois relatives à la bioéthique (pp.439-472).
Fiches du groupe de travail "bioéthique"
- Assistance médicale à la procréation ou AMP
- Don de gamètes
- Dons d’organes
- Fin de vie
- Gestation pour autrui
- Intelligence artificielle
- Interactions biologie-psychisme
- Mégadonnées (Big Data)
- Utilisation des biotechnologies sur les cellules embryonnaires et germinales humaines
- Recherche sur l’embryon humain
- Thérapie génique germinale